ANALYSE QUANTITATIVE DE RISQUE MICROBIOLOGIQUE EN ALIMENTATION QUAND LE GESTIONNAIRE DE LA SECURITE ALIMENTAIRE A-T-IL BESOIN D UTILISER UNE APPROCHE ANALYSE DE RISQUE? En concertation avec le groupe de travail MICRA (MICrobiologie et Risque Alimentaire) Catherine DERVIN, INRA Unité Mét@risk, 16 rue Claude Bernard 75231 Paris Cedex 05 Résumé Le groupe de travail MICRA réunit des chercheurs et des industriels avec pour objectif principal de faire progresser les connaissances dans le domaine du risque microbiologique alimentaire. L analyse de risque microbiologique comporte 3 composants : l appréciation ou estimation du risque, la gestion du risque et la communication. Les modèles d estimation du risque apportent au gestionnaire les moyens de prendre des décisions qui sont bénéfiques pour la santé humaine et économiquement intéressantes, visibles et crédibles au niveau international, basées sur une approche intégrée et des données consolidées, à coût contrôlé, scientifiquement objectives, robustes et transparentes, et enfin en concordance avec le principe de précaution. L analyse des risques chimiques s est développée plus rapidement parce que seule la contamination finale est à prendre en compte. La modélisation du risque microbiologique qui doit être globale (des matières premières à la consommation) demande d intégrer de nombreux facteurs et des données hétérogènes, ce qui aboutit à un modèle d estimation qui peut être complexe. Si la transparence et la fiabilité des méthodes sont indispensables pour obtenir une bonne estimation du risque, des résultats trop techniques ne permettent pas une bonne communication avec le gestionnaire du risque. Expliciter, éclaircir, voire simplifier des résultats est un effort nécessaire à faire. Summary The working group MICRA brings together researchers and industrials in order to make progress knowledge in the field of the food microbiological risk. The microbiological analysis of risk includes 3 components : the assessment of the risk, the risk management and the communication. The models of estimation of the risk bring to the manager the means of making decisions which are beneficial for health human and in term of money, visible and credible at the international level, based on an integrated approach and consolidated data, cost-effective, scientifically objective, robust and transparent, and finally in agreement with the principle of precaution. The analysis of the chemical risks developed more quickly because only the final contamination is to be taken into account. The modeling of the microbiological risk which must be global (from raw materials to consumption) request to integrate many factors and heterogeneous data, which leads to a model of estimation which can be complex. If the transparency and the reliability of the methods are essential to obtain a good estimate of the risk, too technical results do not allow a good communication with the manager of the risk. To clarify, clear up, even simplify results are an effort necessary to make. Mots-clés risque microbiologique estimation bayésienne modélisation complexe simulations décision - sécurité alimentaire - principe de précaution
Cet article est issu des réflexions du groupe de travail MICRA créé en septembre 2004 et qui regroupe des chercheurs et des industriels sur le thème de l Analyse Quantitative des Risques Microbiologiques alimentaires (AQRM). Le but de ce groupe est de faire l état des lieux, comparer, valider et développer des méthodes pour l analyse des risques microbiologiques et de les diffuser dans le monde industriel. Cet article replace les éléments de l AQRM préconisée par des instances internationales (FAO/WHO/OMS) dans le contexte des connaissances actuelles et des préoccupations des industriels de l agro-alimentaire. Le gestionnaire de la sécurité a besoin de prendre des décisions qui soient : 1 ) Bénéfiques Bénéfiques pour la santé humaine en sachant que le but n est pas d éradiquer le risque mais de le quantifier ou de l évaluer. Conscients que le risque zéro en matière de sécurité alimentaire n'existe pas, les consommateurs attendent des pouvoirs publics une capacité à évaluer les risques pour leur santé et à les gérer de façon maîtrisée. Cette attente implique une nouvelle démarche pour les pouvoirs publics : construire une évaluation quantitative des risques et gérer l'incertitude. Bénéfiques économiquement, si les décisions sont plus proches des marges de sécurité. Les méthodes d estimation ponctuelles du risque, qu elles utilisent le pire des cas ou le cas moyen, ignorent la variabilité naturelle (des souches, des aliments ) et l incertitude (imprécision des modèles, des mesures ). Les méthodes d estimation probabilistes (simulations de MonteCarlo, inférence bayésienne) fournissent des valeurs du risque et leur probabilité d occurrence, ce qui permet au gestionnaire du risque de le gérer au mieux. Cependant le gestionnaire du risque peut éprouver des difficultés à comprendre ces valeurs qui résultent d une estimation complexe. Comme l illustre Notermans S. (2005) par un exemple, la communication des résultats au gestionnaire de la sécurité demande que ceux-ci soient explicités, transparents, compréhensibles voire simplifiés. 2 ) Visibles et crédibles au niveau international L analyse des risques microbiologiques (rapport FAO/WHO) comporte 3 composants : - l appréciation ou estimation du risque qui répond à une norme de la Commission du Codex Alimentarius. L accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires signé dans la cadre de l Organisation Mondiale du Commerce prévoit que les mesures de protection soient justifiées par les pays les mettant en oeuvre sur la base d une appréciation des risques liés à la présence d agents dangereux dans les aliments. - la gestion du risque qui consiste, sur la base de son appréciation, à mettre en œuvre les moyens de le maîtriser - la communication qui permet le dialogue entre les responsables de la réglementation, de l évaluation et de la réduction du risque et ceux qui sont concernés directement, les consommateurs L analyse des risques chimiques, par sa modélisation moins complexe, s est développée plus rapidement en utilisant des normes internationales de sécurité (ALOP, Appropriate Level Of Protection). pour les dangers microbiologiques, le niveau de protection à ne pas dépasser (ALOP) résulte d un appréciation du risque faite par les pouvoirs publics, en sachant que la réduction du risque entraîne un surcoût de production mais que le risque ne sera très certainement pas ramené à zéro. Le niveau de protection dépend de la gravité des effets sur l organisme humain (relation dose-réponse) et du type d aliments (volume du marché). En fonction de ce niveau, des objectifs de sécurité (FSO, Food Safety Objective) sont à atteindre par le producteur qui doit tenir compte du procédé de fabrication (réduction, croissance, recontamination), de la composition du produit et des conditions de stockage. L application de ces critères est le travail du gestionnaire du risque et le concept HACCP est un des outils qui
permettent de savoir comment les critères seront atteints. Des outils comme la courbe d équivalence P-D, proposée par Havelaar A.H., Nauta M.J. et Tansen J.T. (2004), permettent de mettre en évidence les combinaisons «acceptables» ou «inacceptables» entre la prévalence P et la dose de pathogènes D. prévalences réduction croissance re-contamination Industriels et distributeurs Volume du marché Dose-réponse FSO Pouvoirs publics ALOP HACCP Courbe P-D 3 ) Basées sur une approche intégrée et des données consolidées L estimation du risque est globale : depuis les matières premières (à partir des contaminations initiales en fréquences ou en niveaux) jusqu'à la consommation du produit (le produit ayant subi des étapes de production favorisant la croissance ou provoquant la réduction de la contamination), avec ses effets sur la santé humaine (relation dose-réponse). L estimation du risque intègre donc dans un modèle unique les principales étapes menant de la production initiale à la consommation du produit. A chaque étape, des données les plus fiables possibles sont utilisées et la confrontation entre elles de différentes sources d information (littérature, données expérimentales, dires d experts, modèles prévisionnels, règles de production internes ) permettent de les consolider ou de les remettre en cause. La validation finale du modèle ne peut se faire qu en confrontant l estimation du risque avec des données épidémiologiques qui sont malheureusement trop peu nombreuses et trop imprécises. 4 ) A coût contrôlé L approche préconisée est modulaire et fait donc appel à des connaissances antérieures : modèles de microbiologie prévisionnelle en particulier, données déjà acquises (bases de données) et qui sont intégrées dans le modèle global. Par exemple, le logiciel Sym Previus fait partie de ces connaissances à mobiliser Si ces connaissance évoluent, la modularité de l approche permet la mise à jour de l estimation du risque. L approche bayésienne permet d intégrer des sources de données hétérogènes dans un modèle global et en particulier les dires d experts (mobilisables à travers un réseau réunissant à la fois des chercheurs mais aussi des industriels) qui sont très utiles en complément ou à la place des données expérimentales. La rapidité actuelle de calculs permet de générer de multiples scénarios et de chiffrer économiquement les coûts associés aux interventions et de les mettre en balance avec les bénéfices. En regard de cette valeur ajoutée par l approche, il faut intégrer le coût de la réflexion et des compétences nécessaires à la bonne mise en œuvre des outils ainsi qu à l interprétation des résultats.
5 ) Scientifiquement objectives La prise en compte, dans toutes les étapes, des différents facteurs agissant sur l évolution de la contamination et de différentes sources de données, amène le plus souvent à un modèle global complexe qui pourrait de ce fait être inexploitable. Le recours à des techniques d implémentation du type Monte Carlo par Chaîne de Markov (MCMC) est alors nécessaire et efficace. L analyse bayésienne, comme le montrent Pouillot R. et al. (2001), semble bien appropriée pour incorporer des données hétérogènes. La diffusion des résultats dans la communauté scientifique du risque (qui s applique à d autres domaines que celui du risque alimentaire) permet de valider la démarche et de la valider dans des cas concrets de danger lié à l alimentation. 6 ) Robustes et transparentes La démarche globale d estimation du risque permet que le modèle obtenu ne soit pas une boîte noire : - les données, les hypothèses, les limites et les méthodes doivent être explicites et documentées - l influence de chaque module et de l impact de ses facteurs sur l estimation du risque doivent être évaluées par des analyses de sensibilité Cette contrainte permet de retracer, justifier et mettre à jour une décision en sécurité alimentaire, sachant qu en cas de risque, les consommateurs exigent de disposer de l'information nécessaire pour assumer la part de risque, risque qu'ils sont prêts à prendre et qui varie selon les individus. 7 ) En concordance avec le principe de précaution La précaution vise à prémunir le consommateur contre un risque possible mais non encore avéré scientifiquement, tout en mesurant les coûts et bénéfices des mesures prises. Le principe de précaution, souvent confondu avec la prévention, qui vise à prévenir des risques avérés et maîtrisables, est un principe d action qui ne doit pas systématiquement conduire à des interdictions totales L approche AQRM offre plus d un atout au gestionnaire de la sécurité microbiologique, lorsqu il doit prendre des décisions et les communiquer (cf graphique) Sécurité alimentaire Développement de méthodes et d outils Besoin de nouvelles méthodes? Bilan des données et analyse Modèle AQRM Résultats du modèle AQRM Obtention de données Besoin de plus de données? Décision et gestion du risque Communication
En conclusion, l analyse de risque est une discipline scientifique qui s inscrit dans une perspective de recherche finalisée, avec des enjeux à la fois économiques et de santé publique. Un partenariat de chercheurs, issus du public et du privé, est le cadre approprié pour faire progresser les connaissances dans ce domaine et les diffuser. C est dans cet esprit que le groupe de travail MICRA va poursuivre ses activités. Bibliographie [1] Notermans S. (2005) Risk characterisation and exposure assessment. Communication à la Society for Applied Microbiology Winter Conference, Norwich, UK, 12-13 janvier 2005. [2] FAO/WHO (2000). Risk assessment of microbiological hazard in foods. Report of a joint FAO/WHO Expert Consultation, Rome, Italy 2000. [3] Havelaar A.H., Nauta M.J. et Tansen J.T. (2004) Fine-tuning Food Safety Objectives and risk assessment. International Journal of Food Protection, 93 (1), 11-29. [4] Leporq B., Membré J-M., Dervin C., Buche P., Guyonnet J-P. (2005) The Sym Previus software, a tool to support decisions to the foodstuff safety,. International Journal of Food Protection, sous presse. [5] Pouillot R., Albert I., Bergis H., and Denis J-B (2001). Appréciation de l'exposition à un danger microbien: estimation bayésienne des paramètres de croissance de Listeria monocytogenes. Actes des XXXIIIèmes journées de Statistique, pages 633-636, Nantes, 14-18 Mai 2001.