Estimation des pertes de charges dans des fibres creuses : Production d'eau potable par ultrafiltration Rémy Ghidossi a, Damien Veyret a et Philippe Moulin b a) POLYTECH Marseille, (CNRS-UMR 6595) Technopôle de Château-Gombert, 5 rue Enrico Fermi, 13453 Marseille France Cedex 3 b) LPPE UMR 6181, Université Paul Cézanne, Europôle de l Arbois, Bâtiment Laennec, Hall C, 13545 Aix en Provence France Cedex 4 Résumé : Les procédés membranaires connaissent un incroyable essor depuis plusieurs années et sont maintenant reconnues comme une technologie fiable et rentable. L'ultrafiltration utilisant des membranes de géométries fibres creuses est utilisée pour produire de l'eau potable à partir d'une eau de rivière. Une membrane est une barrière permsélective qui permet le passage de certaines espèces et qui en retient d autres. Le but de ce travail est de prédire par simulation numérique la différence de pression entre l entrée et la sortie d une membrane fibre creuse pour différentes conditions opératoires et géométriques. La possibilité de déterminer ces pertes de charge permet d améliorer considérablement les conditions de fonctionnement des modules membranaires (ensemble de plusieurs milliers de fibres creuses). Le logiciel FLUENT est utilisé pour modéliser l écoulement. Une relation simple permettant de prévoir la perte de charge dans une conduite poreuse est alors obtenue. Elle permet de valider le bon fonctionnement du procédé de filtration et de déterminer par exemple le nombre de fibres bouchées ou cassées dans le module. Abstract : Pressure driven membrane filtration processes have emerged as cost effective and confirmed technologies. Ultrafiltration process using hollow fibbers membrane is employed to product drinking water starting from a water of river. A membrane is a permselective barrier which allows the passage of certain species and which retains others of them. The possibility of being able to determine the pressure loss along this porous tube makes it possible to improve considerably the operating conditions of the membrane modules (several thousands of hollow fibres). The goal of this work is to predict by numerical simulation the difference in pressure between the entry and the exit of a membrane for various operating conditions and geometrical parameter. The use of FLUENT makes it feasible to model the flow in various geometries. A simple phenomenological relation making it possible to envisage the pressure loss in a porous section is then obtained. It makes it possible to validate the operation of the process of filtration and to determine for example the number of fibbers clogged or broken in the module. Mots clefs : Ultrafiltration, simulation numérique, fibres creuses, pertes de charge. 1 Introduction L ultrafiltration est un procédé membranaire utilisé dans différents secteurs industriels : agroalimentaire, médicales et traitement de l eau. En l absence de changement de phase, la membrane agit comme une barrière permsélective qui laisse passer certains composés et qui en retient d autres. Le flux qui passe à travers la membrane est appelé le perméat et le flux qui est retenu par la membrane est appelé le rétentat (Figure 1).
FORCE MOTRICE P, C, T, E RETENTAT FLUX M E M B R A N E PERMEAT FLUX FIG. 1 Représentation du phénomène de filtration. Le transfert de matière va dépendre de l intensité de la contrainte appliquée de part et d autre de la membrane. De nombreux travaux ont déjà été effectués afin de déterminer les pertes de charge dans une conduite poreuse [1-9]. Dans le cas de l ultrafiltration, le mécanisme de séparation qui s applique est un tamisage moléculaire : seuls les composés ayant une taille inférieure à celle des pores constituant la membrane pourront la traverser. La membrane est caractérisée par son coefficient de perméabilité hydraulique ou perméabilité qui dépend de son épaisseur, du nombre de pores et de leur dimension. Dans le cas de la production d'eau potable, les membranes utilisées sont de types fibres creuses (Figure 2-a). L'aire spécifique de filtration de cette géométrie est très importante (jusqu à 10000 m².m -3 ). Ces fibres creuses sont ensuite assemblées par millier dans des carters pour former des modules membranaires (Figure 2-b). En pratique, l écoulement du fluide à filtrer se fait à l'intérieur des fibres creuses et tangentiellement à la membrane afin d'éviter l accumulation des espèces retenues. Dans le cas où un nombre de fibres creuses trop important venait à se trouver bouchées ou cassées, nous aurions un disfonctionnement du procédé entraînant une baisse de rendement. Or, à production constante, la mesure de la pression est la seule indication en ligne permettant de suivre le bon fonctionnement de l'installation et la variation du nombre de fibres creuse utiles va entraîner une variation de cette perte de charge. Cette étude a pour but de déterminer par simulation numérique une formule mathématique simple donnant la perte de charge en fonction des conditions opératoires et des caractéristiques de la membrane. A partir de cette relation nous essayerons d'estimer l'influence sur les pertes de charge du nombre de fibres creuses bouchées. (a) (b) FIG. 2 - Photographies représentant une fibre creuse (a) et un module (b)
2 Méthode 2.1. Simulation numérique Le logiciel FLUENT est utilisé pour modéliser l'écoulement dans ce type de géométries et de tester l'influence de différentes variables opératoires. Dans notre cas, le model mathématique consiste à résoudre les équations de continuité (i), de Navier Stockes (ii) et de Darcy (iii) pour un fluide newtonien, incompressible, homogène et en régime d écoulement laminaire dans un tube cylindrique comprenant des parois perméables. ρ + ρu = 0 t t ( ρu ) + U ( ρu ) = P + µ ( ² U ) ( Π) υ ω = A P σ (i) (ii) (iii) Le fluide à traiter qui s écoule tangentiellement à la paroi est modélisé par les équations de Navier- Stokes. Les conditions de porosité à la paroi sont quant à elle modélisées par la loi de Darcy qui met en relation la pression transmembranaire et le flux de perméat. De plus, le flux étant considéré comme axisymétrique, seul la moitié de la membrane est considérée. On prendra en compte dans la simulation numérique la discontinuité de porosité entre la couche active et le support poreux mis en évidence sur la figure 2-a. 2.2. Domaine des variables opératoires Différentes simulations numériques ont été réalisées afin d'obtenir une détermination précise des pertes de charge. La plage de variation des différents variables est donnée dans le tableau 1. Il s'agit de variations réalistes dans le cas de l'ultrafiltration par fibres creuses pour la production d'eau potable Tableau 1 : Plage des différentes variables opératoires Variables Valeurs Vitesse en entrée (m.s -1 ) [1 2] Perméabilité (L.h -1.m².bar -1 ) [100 800] Pression en entrée (Pa) [49000 151000] Nombre de Reynolds [250 2000] L'objectif est de déterminer les pertes de charge pour une large gamme de vitesse d entrée, de pression transmembranaire, de diamètre de canal et de perméabilité. Bien évidemment, pour chaque simulation le flux du rétentat ou la pression du rétentat ne doivent pas être nuls ou négatifs. 3 Résultats A partir des simulations numériques, on peut estimer les pertes de charges dans une fibre creuse perméable dans les conditions standards d utilisation des fibres creuses. La simulation numérique permet d'appréhender l importance de chacun des paramètres. Ainsi, nous avons pu vérifier que plus la vitesse et la
pression augmentaient, plus la perte de charge le long de la membrane était importante. De plus, nous avons également pu vérifier que plus la porosité, la masse volumique et le diamètre de la conduite augmentaient, plus la perte de charge était conséquente. Nous avons ainsi pu quantifier l effet de chaque paramètre et mettre en évidence la relation suivante : P L 193.4 ( P = L 10 e 0,15 p 3 0,1964 ) ρ d 2 v 1,1688 (iv) avec P pertes de charge (Pa) L longueur de la fibre creuse (m) v vitesse d entrée (m.s -1 ) Lp perméabilité (L.h -1.m -2.bar -1 ) ρ masse volumique (kg.m -3 ) d Pe diamètre de la fibre creuse (m) Pression d entrée (Pa) Pour l'ensemble du domaine étudié, la différence entre la perte de charge obtenue par cette relation et par simulation numérique ne dépasse pas 5% (Figure 3). 180 Perte de charge déterminée par la formule ( *1000 Pa) 160 140 120 100 80 60 40 20 0 0 20 40 60 80 100 120 140 160 180 Perte de charge déterminée par FLUENT ( *1000 Pa) FIG - 3 : Variation de la perte de charge calculée par l'équation (iv) en fonction de la perte de charge déterminée par FLUENT L'intérêt d'une telle relation est multiple : (i) déterminer rapidement l'intégrité d'un module, (ii) calculer l influence que prendrait la variation de chacune des variables, (iii) émettre des considérations opératoires visant à économiser de l énergie ou optimiser la fabrication de membrane. Cependant, cette formule va principalement nous intéresser pour vérifier l intégrité du module et nous permettre de déterminer le nombre de fibres creuses bouchées comme le montre la Figure 4.
73 71 69 Pression d'entrée (*1000 Pa) 67 65 63 61 59 lp100 lp200 lp400 lp800 57 55 0% 2% 4% 6% 8% 10% Fibres bouchées (%) FIG - 4 : Variation de la perte de charge en fonction du pourcentage de fibres bouchées dans le module pour différentes perméabilités (nombre de fibres 35000, L = 1m, ρ = 1000 kg.m -3, d = 1mm, Q = 100m 3.h- 1, Lp = 100, 200, 400, 800 L.h -1.m -2.bar -1, P e = 100000Pa) 4 Conclusion et perspectives Nous avons établie par simulation numérique une relation mathématique simple permettant de décrire efficacement le comportement des fibres creuses en fonction des différents paramètres opératoires. Ces simulations couvrent une gamme étendue de vitesse d entrée, de pression transmembranaire, de perméabilité et de nombre de Reynolds relative à l'ultrafiltration par fibres creuses. A partir de la formule établie, on peut mesurer l importance de chacun des paramètres et ainsi prédire la perte de charge dans un module et en déduire le nombre de fibres bouchées. Cette relation répond à l'objectif visé : permettre de vérifier l intégrité du module sans avoir à démonter le carter. Elle doit permettre aux utilisateurs de membranes de pourvoir quantifier les performances de leurs membranes sans avoir à boucher le perméat. Relativement simple, cette formule va être étendue à différents procédés membranaires et différents géométries et fera l'objet d'une comparaison.
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