L'agencement intérieur d'un magasin et ses différents moyens de protection Article juridique publié le 19/10/2014, vu 2395 fois, Auteur : Maître Thibault PRIN Tout d'abord, interrogeons nous sur l'intérêt de protéger l'aménagement d'un espace de vente. Au même titre que l'enseigne ou la vitrine, l'agencement d'un magasin est un facteur d'attractivité de la clientèle, et ce de deux manières : En définissant un cadre et une ambiance propices à l'achat En permettant au consommateur d'identifier l'affiliation d'un établissement (par exemple, à un réseau de distribution ou de franchise, au moyen d'un aménagement standardisé et commun à tous les membres de ce réseau) La configuration des lieux, le mobilier, l'emplacement et la présentation des produits, les matériaux, la gamme de couleurs, l'éclairage... sont autant d'éléments permettant de clairement distinguer l'espace de vente d'un commerçant de celui de ses concurrents. I-Protection par l'action en concurrence déloyale La concurrence déloyale stricto sensu De façon traditionnelle, l'agencement d'un espace de vente est protégé, contre toute forme de reproduction ou d'imitation par l'action en concurrence déloyale. Tel est le cas d'un restaurant italien qui avait imité l'enseigne, la décoration intérieure, ainsi que les menus de l'un de ses concurrents (CA PARIS 24 octobre 1964, SFEZ / Société d'exploitation de la «Pizza Montmartre»). Toutefois, pour qu'un tel précédé soit qualifié d'acte de concurrence déloyale, l'imitation ou la reproduction doit engendrer un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle. Cette question revêt une importance particulière dans l'hypothèse de la rupture d'un contrat de franchise. En effet, le franchiseur a l'obligation de mettre à disposition de ses franchisés ses signes distinctifs. A l'expiration du contrat de franchise, le franchisé doit supprimer tous ces signes distinctifs, notamment les sigles, logos, la décoration et éventuellement l'aménagement-type des locaux.
Le franchisé, qui maintient l'architecture caractéristique des établissements du réseau à l'issue du contrat de franchise, commet un acte de concurrence déloyale envers le franchiseur (Cass.com., 22 octobre 1985, n 84-10.031, LA GAMINERIE / RIU AUBLET ; CA Aix-en-Provence, n 86/5066, 30 septembre 1986, SA LAINES ANNY BLATT / SARL DARGENT ; Cass.com., 7 février 1995, n 92-21.816, PRONUPTIA / MANELA). La concurrence déloyale n'est pas caractérisée, si l'ancien franchisé a apporté des modifications à l'aspect extérieur ou intérieur de son magasin, suffisamment marquées pour éviter tout risque de confusion dans l'esprit du public (CA Aix-en-Provence, 9 septembre 1987, n 86/10517, SA CHRIS ALEXANDER / SARL RUSH). Le parasitisme économique Rappelons que le parasitisme économique est caractérisé, lorsqu'un opérateur économique tire profit de la réputation, du savoir-faire ou des investissements d'une autre entreprise, en ne réalisant lui-même aucune dépense. La jurisprudence a été amenée à se référer à la théorie du parasitisme économique, dans des situations très particulières d'imitation d'agencements intérieurs d'espaces de vente : Imitation de l'agencement et de la décoration des magasins d'un célèbre revendeur de parfums et de produits cosmétiques, «faisant naître la même ambiance» (CA PARIS, 4ème ch., 25 juin 1997, SARL PATCHOULI HEROUVILLE / SA SEPHORA). L'objectif d'une telle imitation était d'offrir à la clientèle un lieu de présentation et de vente attrayant et fonctionnel, tout en faisant l'économie des frais d'études et de réalisation déboursés par la victime La mise en place d' «espaces culturels» au sein d'hypermarchés ne constitue pas une imitation de l'agencement intérieur des magasins de la FNAC (TGI PARIS, 3ème ch., 1ère sect., 21 février 1996, SA FNAC et AL. / Association des centres distributeurs Edouard Leclerc D., n 95/23863). Le parasitisme économique n'a pas été retenu, l'impression d'ensemble et l'ambiance de ces deux types d'espaces de vente étant clairement différenciées. La création d' «espaces de parapharmacie» au sein d'hypermarchés n'est pas un moyen de s'approprier la réputation de qualité et de sécurité attachée au monopole des pharmaciens (CA PARIS, 1ère ch. B, 27 novembre 1998, Conseil National de l'ordre des Pharmaciens / Groupement d'achat des centres Leclerc Association des centres Leclerc ; Cass. Com., 16 janvier 2001, n 99-11043, n 99-11044, n 99-11045 et n 99-11046). Le parasitisme économique n'a pas été reconnu, car l'aménagement de ces «espaces de parapharmacie» était soumis à des normes contraignantes édictées par les fournisseurs de produits cosmétiques et d'hygiène corporelle, dans le cadre de contrats de distribution sélective. D'autre part, l'aménagement des officines était dépourvu de toute originalité, ayant évolué vers une présentation de type «grandes surfaces». II Protection par le droit de la propriété intellectuelle Le droit d'auteur Rappelons que, pour qu'une œuvre soit protégée au titre du droit d'auteur, les deux conditions suivantes doivent être réunies :
L'originalité : L'oeuvre doit résulter d'un travail intellectuel et artistique personnel, propre à son auteur et ne doit pas être la simple reprise d'éléments dans le domaine public. Une forme concrète : Un simple concept n'est pas protégeable en tant que tel au titre du droit d'auteur. L'idée doit être suffisamment précise et détaillée pour pouvoir être effectivement mise en forme. La jurisprudence actuelle est clairement hostile à la reconnaissance d'un droit d'auteur sur l'agencement intérieur d'un magasin. La Cour de cassation a refusé le bénéfice du droit d'auteur à un architecte d'intérieur sur l'aménagement-type de magasins d'optique, tel que décrit dans le cahier des charges des franchisés (Cass. 1ère civ., 17 juin 2003, n 01-17650, ALAIN AFFLELOU). Les plans et schémas n'étaient pas suffisamment précis et détaillés. Les planches illustratives de la façade du magasin et la représentation de l'aménagement intérieur étaient dépourvus d'originalité, trop imprécis et parcellaires. Sur la base de ces documents, l'aménagement des magasins ne pouvait être reproduit en tant que tel. Le droit des marques Au sens de l'ancienne loi n 64-1360 du 31 décembre 1964 (article 1), était considérée comme une marque de commerce, de fabrique ou de service «la forme caractéristique d'un produit ou de son conditionnement». Ne constituait pas une marque valable la forme extérieure du local d'un restaurant (Cass. com., 29 février 1972, n 70-13.430, COURTEPAILLE). La loi du 31 décembre 1964, en limitant la protection au titre du droit des marques, à la forme caractéristique d'un produit ou de son conditionnement, excluait de con champ d'application les prestations de services. Ainsi, la forme d'un local commercial et de facto son aménagement intérieur, qui constitueraient le «conditionnement» d'une activité de service, telle que l'hôtellerie-restauration, ne pouvaient être valablement enregistrés en tant que marque. Désormais, il convient de se référer à l'article L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction issue de la loi n 92-597 du 1er juillet 1992 qui prévoit que peuvent constituer une marque «les formes, notamment celles du produit ou de son conditionnement ou celles caractérisant un service». Sur le fondement de cet article, est susceptible d'être protégée à titre de marque la forme caractéristique d'un bâtiment au sein duquel sont proposées les prestations de services désignées lors du dépôt de la demande d'enregistrement (CA PARIS 4ème ch., 25 juin 1997, SARL PATCHOULI HEROUVILLE / SA SEPHORA ; Cass. com., 11 janvier 2000, n 97-19604 et n 97-19605 En l'espèce, la marque constituée par l'agencement intérieur du magasin d'un revendeur de parfums et de produits
cosmétiques avait été annulée ; l'assemblage des différents éléments ne permettait pas de déterminer lesquels d'entre eux étaient suffisamment distinctifs pour désigner des services de conseils aux particuliers en matière de parfumerie ; certains de ces éléments étaient purement fonctionnels et nécessaires à l'exposition des produits en matière de parfumerie et d'autres n'étaient même pas identifiables). Une problématique de ce type a été soumise à la Cour de Justice de l'union Européenne, au sujet des «apple store», les magasins porte-drapeaux de la société APPLE Inc. (CJUE 3ème ch., 10 juillet 2014, C-421/13, Apple Inc. / Deutsches Patentund Markenamt). APPLE Inc. Avait fait enregistrer en tant que marque auprès de l'united States Patent and Trademark Office (Office des brevets et des marques des Etats-Unis) une marque tridimensionnelle consistant en la représentation en couleur desdits magasins. Cette représentation était décrite par la société APPLE Inc. comme «le design et l'agencement distinctifs d'un magasin de détail». Cette marque avait été enregistrée pour des services de classe 35 au sens de l'arrangement de NICE, à savoir «services de commerce de détail relatifs aux ordinateurs, logiciels périphériques, téléphones portables, électronique grand public et accessoires et démonstration de produits y afférents.» APPLE Inc. avait indiqué qu'il s'agissait de prestations visant à amener le consommateur à acheter ses produits. APPLE Inc. avait demandé l'extension de cette marque au territoire allemand, qui lui avait été refusée par la DPMA Deutsches Patent und Markenamt (office allemand des brevets et des marques). La DPMA avait alors saisi la CJUE d'un renvoi préjudiciel. La CJUE indique très clairement qu'un dessin visualisant l'aménagement d'un espace de vente au moyen d'un ensemble continu de lignes, de contours ou de formes, peut constituer une marque si elle est propre à distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises. La CJUE se fonde sur les articles 2 et 3 de la directive communautaire 2008/95/CE du 22 octobre 2008 rapprochant les législations entre Etats membres sur les marques. «Peuvent constituer des marques tous les signes susceptibles d'une représentation graphique, notamment les mots, y compris les noms de personnes, les dessins, les lettres, les chiffres, la forme du produit ou son conditionnement, à condition que de tels signes soient propres à distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises.» (article 2 de la directive 2008/95/CE) Sont refusés à l'enregistrement ou sont susceptibles d'être déclarés nuls s'ils sont enregistrés : b) les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif ; e) les signes constitués exclusivement :
1. par la forme imposée par la nature même du produit, 2. par la forme du produit nécessaire à l'obtention d'un résultat technique, 3. par la forme qui donne une valeur substantielle au produit ; (article 3 de la directive 2008/95/CE) La CJUE refuse de tenir compte du fait que le dessin, la représentation de l'espace de vente soit dépourvue de toute indication sur sa taille ou ses proportions. La CJUE n'examine pas non plus si un tel dessin, en tant que présentation matérialisant un service peut être assimilé à un conditionnement, au sens de l'article 2 de la directive 2008/95/CE. La représentation de l'aménagement d'un espace de vente peut être propre à distinguer les produits d'une entreprise de ceux d'autres entreprises, si cet aménagement diverge de manière significative de la norme ou des habitudes du secteur économique considéré. La CJUE souligne que peut être enregistré en tant que marque l'aménagement intérieur d'un magasin non seulement pour la vente de produits, mais également pour les prestations de services visant à amener la consommateur à acheter ces produits. A titre d'exemple, constitue une telle prestation les démonstrations de produits exposés dans le cadre de séminaires ayant lieu dans ces magasins. L'on peut aisément deviner quelles prestations font partie intégrante de la vente de ces produits (notamment les prestations de maintenance, de réparation, de mise à jour, d'installation de logiciels,...). En conclusion, la représentation par un simple dessin, sans indication de taille, ni de proportions, de l'aménagement d'un espace de vente de produits peut être enregistrée comme marque pour des services consistant en des pre Un tel enregistrement reste subordonné à la condition que la marque soit propre à distinguer les services de son titulaire de ceux d'autres entreprises, ce qui induit une certaine spécificité de l'aménagement du magasin. A fortiori, une telle décision serait susceptible d'être transposée à des entreprises de services à condition qu'elles disposent d'un espace d'accueil ou de réception de leur clientèle présentant une architecture ou un agencement particulier. Thibault PRIN Avocat inscrit au Barreau de PARIS Sources :
Encyclopédie LAMY Droit économique édition 2014 Encyclopédie LAMY Droit commercial édition 2014 Mémento pratique Concurrence Consommation éditions Francis Lefebvre 2013-2014 CJUE 3ème ch., 10 juillet 2014, C-421/13, Apple Inc. / Deutsches Patent und Markenamt : Communiqué de presse : http://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2014-07/cp140098fr.pdf Texte intégral de la décision : http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?docid=154829&doclang=fr