CHAPITRE VI DISCUSSION. L objectif de cette recherche est de développer et de valider un nouveau modèle



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CHAPITRE VI DISCUSSION L objectif de cette recherche est de développer et de valider un nouveau modèle psychosocial de l adaptation chez les personnes diagnostiquées schizophrènes. La question centrale posée est la suivante : quelles sont les variables qui influencent l adaptation sociale des personnes diagnostiquées schizophrènes? Cette question comprend deux sous-questions : 1) Comment les variables de stress et de coping influencent-elles cette adaptation sociale? 2) Y a-til des facteurs de vulnérabilité spécifiques aux personnes diagnostiquées schizophrènes qui influenceraient l adaptation sociale? Pour répondre à ces questions, un modèle de prédiction de l adaptation basé sur cinq construits est élaboré : la vulnérabilité sociale, la vulnérabilité psychologique, les stresseurs, le coping et les variables descriptives. Trois hypothèses sont ensuite formulées sur les effets directs des variables, sur l effet d interaction entre les stresseurs et le coping, et sur les relations entre les variables du modèle. Après avoir rappelé les variables du modèle qui contribuent significativement à l explication de la variance de l adaptation, la discussion des résultats suit la démarche suivante : 1) l influence des variables de stress et de coping, et leur effet d interaction sur l adaptation; 2) l influence des variables de vulnérabilité sociale et de vulnérabilité psychologique, et 3) l influence des variables socio-démographiques sur l adaptation, et enfin 4) les relations des diverses variables du modèle entre elles.

151 6.1 Les variables du modèle significativement reliées à l adaptation Le modèle développé dans cette recherche explique 60,7 % de la variance de l adaptation, pourcentage d explication le plus élevé de tous les modèles d adaptation empiriquement évalués qui sont recensés (de 5 % à 57 % selon les modèles et la variable dépendante : Denoff et Pilkonis, 1987; Tessler et Manderscheid, 1982; Tessler, Miller et Rossi, 1984). Les dimensions variables socio-démographiques et cliniques, vulnérabilité psychologique, vulnérabilité sociale, stresseurs et coping expliquent 48 % de la variance de l adaptation (Tableau 5.6). Cinq variables contribuent significativement à la variance expliquée : deux variables se retrouvent dans les construits stresseurs (fréquence des événements de vie et sévérité des symptômes négatifs); une autre dans le construit coping (accommodation), alors que les deux autres variables sont des variables socio-démographiques (scolarité et âge). Les résultats confirment les effets directs des stresseurs et du coping sur l adaptation. Toutefois, la relation entre la fréquence des événements de vie et l adaptation a une direction positive, contrairement à la prédiction qui était négative. Trois variables d interaction ajoutent 12,7 % de la variance expliquée. Ce sont : la sévérité des tracas quotidiens X accommodation, la fréquence des événements de vie X contrôlable par soi et la fréquence des événements de vie X contrôlable par soi X accommodation. Les construits vulnérabilité psychologique et vulnérabilité sociale ne contribuent pas significativement à la variance de l adaptation.

152 6.2 Les variables de stress et de coping et leur effet d interaction La recherche tente d expliquer l adaptation par l effet direct des stresseurs et du coping, et par leur effet d interaction. Les résultats appuient cette explication. 6.2.1 Le construit stresseurs 6.2.1.1 La fréquence des événements de vie La fréquence des événements de vie est le plus important prédicteur de l adaptation. Le Bêta (0,388; p =0,000) indique que plus la fréquence des événements de vie est élevée, plus l adaptation des participants augmente. C est l inverse de l hypothèse formulée. Pour formuler l hypothèse d une influence négative de la fréquence des événements de vie sur l adaptation, le rationnel suivi 16 est qu un nombre élevé d événements de vie augmenterait le niveau de stress des participants à un point tel que ces derniers auraient des difficultés à actualiser leurs habiletés de vie et à maintenir leur niveau de relations dans les diverses sphères de la vie interpersonnelle (amoureuse, sexuelle, travail, familiale). Autrement dit, le nombre d événements de vie s accumulant, le seuil de stress tolérable pour les capacités des participants deviendrait dépassé, et s ensuivrait un désengagement social chez les participants. Les résultats de la recherche n appuient pas cette hypothèse. Au contraire, la fréquence des événements de vie est reliée positivement à l adaptation. Ce résultat démontre que la transposition à l adaptation des relations entre les événements et les symptômes ne va pas de soi. 16. L hypothèse sur l influence des événements de vie provient de l étude de Justice, McBee et Allen (1977) qui avait trouvé une relation significative négative entre l occurrence des événements de vie de nature hautement stressante et le fonctionnement social chez des patients qui n étaient pas en crise et qui n étaient pas psychotiques.

153 L analyse des corrélations univariées entre les items de l échelle «fréquence des événements de vie» mentionnés par les participants et l adaptation permet de comprendre ce résultat. Dans le tableau 6.1, les items les plus fortement corrélés à l adaptation se regroupent dans la sphère des relations interpersonnelles (items 137, 141, 181, 185), des activités (91, 149), du travail (99) et de l économie (129). Ce constat permet de formuler l hypothèse que ces items constituent l indice que les participants adaptés sont suffisamment impliqués dans un réseau social (interpersonnel, relationnel, loisirs, occupationnel et financier) pour être confrontés aux événements inhérents à une telle implication. Autrement dit, ces événements sont potentiellement dépendants du niveau d adaptation du participant et de ses capacités d autonomie relationnelle et occupationnelle. Étant donné que les participants sont plus actifs dans leur vie quotidienne et sociale, leur probabilité de vivre un événement de vie comme une relation intime, avec ses corollaires de séparation et de réconciliation par exemple, augmente. Les événements de vie sont donc dépendants du niveau d activités des participants et, de ce fait, deviennent un indice de ce niveau d activités. Un résultat de la recherche permet d appuyer cette explication : la corrélation positive entre la fréquence des événements de vie et la fréquence des tracas quotidiens (r = 0,347; p < 0,05) (Annexe B). Plus les participants reconnaissent vivre un nombre élevé de tracas quotidiens, plus ils vivent d événements de vie. Autrement dit, plus ils sont actifs dans la vie de tous les jours, plus ils vivent des événements de vie semblables à ceux inventoriés dans le Sondage sur les événements de vie (Tableau 6.1). Un autre résultat appuie cette affirmation, soit la corrélation entre les événements de vie et le type de résidence (Annexe B). Les participants qui vivent dans des conditions de vie

154 sociales (foyer de groupe, appartement) où ils sont davantage exposés à des événements ou à des tracas, vivent plus d événements de vie que les participants qui vivent en résidence et en pavillon Tableau 6.1 Corrélation des items du Sondage sur les événements de vie avec l adaptation Items R P 61 détention 0,009 0,923 65 changement dans habitudes de sommeil 0,199 0,045 81 décès d un ami 0,156 0,118 85 changement dans habitudes alimentaires 0,216 0,030 91 réussite personnelle remarquable 0,240 0,015 93 infraction à la loi 0,069 0,489 99 circonstances différentes au travail 0,359 0,000 101 nouvel emploi 0,172 0,085 103 membre de la famille malade 0,140 0,162 109 sœur malade 0,031 0,752 115 grand-mère malade 0,088 0,381 119 ami malade -0,006 0,952 121 ami malade 0,164 0,100 123 difficultés sexuelles 0,132 0,186 125 difficultés avec l employeur 0,019 0,847 129 changement dans la situation financière 0,208 0,036 131 changement dans les liens de la famille 0,060 0,551 133 entrée d un nouveau membre dans la famille 0,028 0,776 137 se séparer de son conjoint 0,236 0,017 139 changement dans les activités religieuses 0,115 0,252 141 réconciliation conjugale 0,204 0,040

155 Items R P 143 changement du nombre de disputes avec le ou 0,009 0,923 la conjoint(e) 145 changement dans le travail du conjoint 0,088 0,381 149 changement dans les activités de loisirs 0,285 0,004 153 emprunt de moins de 10 000 $ 0,017 0,866 155 congédiement de son emploi -0,011 0,907 161 maladie ou blessure grave -0,020 0,842 163 changement dans les activités sociales 0,039 0,693 165 changement dans la condition de vie familiale 0,007 0,943 169 maladie ou blessure grave d un ami 0,164 0,094 175 fin des études régulières -0,025 0,800 181 rupture avec son ami 0,227 0,022 185 réconciliation avec son ami 0,220 0,027 187 autre expérience 0,113 0,257 189 autre expérience 0,062 0,538 Cela est conforme aux résultats décrits. En conformité avec la politique de soins en vigueur, les participants qui éprouvent le plus de difficultés à s adapter sont placés en résidence d accueil et en pavillon, où tous leurs besoins de base sont satisfaits sans leur participation (nourriture, ménage, lessive, etc.), et où les attentes des intervenants à leur égard sont minimales. Pour leur part, les participants qui vivent dans les autres lieux doivent eux-mêmes remplir ces tâches et performer dans les rôles correspondants. Les résultats de la recherche montrent que les participants qui vivent en résidence d accueil et en pavillon sont moins adaptés que les participants qui vivent en appartement, dans leur famille, en chambre ou dans un foyer de groupe (t = 7,32; p = 0,000). Alors, comme il peut être prévu, les participants des résidences d accueil vivent moins de tracas quotidiens que les participants vivant

156 en appartement (t = 2,99; p = 0,0104), et l examen de la corrélation entre les événements de vie et le type de résidence montre que la fréquence des événements de vie est plus élevée chez les participants qui vivent en appartement, dans la famille, en chambre et dans un foyer de groupe que chez ceux vivant en résidence d accueil et en pavillon (t = 2,57; p = 0,012). Ces données appuient l hypothèse selon laquelle les participants les plus autonomes et les plus actifs socialement vivent plus d événements de vie que les participants les moins adaptés, comme le sont ceux qui vivent en résidence d accueil et en pavillon. Une deuxième explication possible de ce résultat réside dans la constitution de l échelle des événements de vie. Il se peut que les items significativement corrélés avec l adaptation soient des items confondants avec celle-ci, comme le sont, selon certains auteurs, le changement dans les habitudes alimentaires et de sommeil avec la résurgence de symptômes (Lecomte, 1998). Cet effet confondant peut avoir pour effet de gonfler artificiellement la corrélation avec l adaptation. Pour vérifier cette explication, les huit items corrélés significativement avec l adaptation (Tableau 6.1) sont enlevés de l échelle. Cette nouvelle échelle corrèle significativement avec l adaptation (r = 0,252; p = 0,011). Dans l équation de régression refaite avec cette nouvelle échelle, cette dernière contribue encore significativement à la variance de l adaptation (B = 0,270; p = 0,000). Donc, la corrélation est moins élevée lorsque les items potentiellement confondants sont enlevés, mais la contribution de l échelle demeure encore significative. Une autre explication, reliée aussi à la nature de l échelle, réside dans la désirabilité sociale des items corrélés significativement. Il se peut que ces items soient naturellement associés à une désirabilité sociale positive, et que les participants soient, pour cette raison, portés à les rapporter davantage que des événements non désirables socialement.

157 En résumé, plus les participants sont impliqués dans un champ relationnel ou dans des activités sociales, plus leur probabilité d être confrontés à des stresseurs augmente. La normalisation ou l adaptation sociale intègre alors suffisamment les participants dans un réseau de relations pour que se produisent des événements de vie de la nature observée dans la recherche. Or, ces événements de vie sont dépendants ou potentiellement dépendants de l adaptation de la personne, à l inverse d un événement comme le décès d un ami, par exemple. Ils sont reliés à l état d adaptation de la personne, car vivre une relation amoureuse, avoir des activités de loisirs ou de travail, et avoir une réussite personnelle supposent un niveau de fonctionnement social élevé. Donc, les participants adaptés s exposent à vivre des événements de vie dépendants d eux-mêmes et de leurs capacités adaptatives, et ces événements deviennent alors un indice de leur niveau d adaptation. Il se peut toutefois que l échelle comporte un biais dû à la nature des événements décrits mais ce biais reste à confirmer. 6.2.1.2 La sévérité des symptômes négatifs La sévérité des symptômes négatifs est le troisième prédicteur en importance de l adaptation. Le Bêta (-0,344; p = 0,000) indique que l augmentation de la sévérité des symptômes négatifs s accompagne d une diminution correspondante de l adaptation. Ce résultat est conforme à ceux retrouvés dans de nombreuses études recensées sur les relations négatives entre la fréquence des symptômes négatifs et l adaptation (dans la recherche, la fréquence et la sévérité des symptômes négatifs ont une corrélation de 0,917; p = 0,000), celleci étant mesurée globalement ou à l aide de variables spécifiques, comme le chômage chronique, la quantité de travail et le manque d autosuffisance.

158 Il n est pas surprenant que la sévérité des symptômes négatifs soit corrélée avec l adaptation. Les trois items qui ont une corrélation univariée négative avec l adaptation sont l absence d émotion (l émoussement de l affect), le manque d intérêt (retrait émotif) et le manque d initiative (retrait social) (Tableau 6.2). Ces items font partie des éléments des forces motivationnelles de l individu et sont à l antipode de l adaptation (Cf. la théorie de Maslow in Feist, 1990). Les manques d intérêt, d initiative et d émotion sont le reflet d un état d apathie et de passivité et ne portent nullement à l action. Plus un participant est affecté par ces caractéristiques, plus il risque de manquer de motivation à entreprendre des activités de socialisation ou à y trouver intérêt. Il est alors plus inadapté. Faisant partie de la symptomatologie dans 70 % des cas de schizophrénie, les symptômes négatifs apparaissent avant l émergence des symptômes positifs. Ils apparaissent aussi de 2 à 6 ans avant la première hospitalisation des patients (Häfner, Maurer, Löffler et Riecher-Rössler, 1995). Les résultats de la recherche confirment à nouveau l importance de ces symptômes. Tableau 6.2 Corrélations entre les items de l échelle sévérité des symptômes négatifs et l adaptation Items Corrélation r p Avoir ressenti peu ou aucune émotion -0,273 0,006 Avoir manqué d intérêt ou ne pas s être senti émotivement impliqué -0,287 0,004 dans ce qui arrivait Avoir manqué d intérêt ou d initiative dans les interactions sociales -0,387 0,000 Avoir senti de l apathie, un manque de volonté, un ralentissement -0,096 0,336 N avoir senti aucun plaisir de ce qui se passait -0,133 0,185

159 Dans les études sur les symptômes négatifs, certains auteurs débattent de l origine de ces symptômes. Selon Carpenter, Heinrichs, et Wagman (1988), il y a plusieurs causes aux symptômes négatifs : la médication, la dépression, l institutionnalisation, la démoralisation et une variété de symptômes positifs comme, par exemple, les anxiétés paranoïdes menant au mutisme. Une distinction est alors faite entre les symptômes négatifs qui sont secondaires à ces facteurs, et les symptômes négatifs qui sont au cœur du trouble schizophrénique. Pour être inclus dans ce dernier cas, les symptômes négatifs doivent être présents depuis au moins un an, ne pas répondre aux neuroleptiques, ne pas diminuer avec la rémission de la maladie et ne pas être causés par la dépression, l anxiété, les effets des médicaments ou la sous-stimulation environnementale. Les données de la recherche permettent d apporter un certain appui à l hypothèse d une origine secondaire des symptômes négatifs. Les symptômes négatifs ont une corrélation positive avec la stigmatisation, les attitudes négatives envers la maladie, la détresse psychologique, la sévérité des tracas quotidiens, le stress perçu et les sous-échelles de menace, centralité et incontrôlabilité; leur corrélation est par contre négative avec l estime de soi et les sous-échelles du stress perçu «défi, contrôlable par soi et par autrui» (Annexe B). La sévérité des symptômes négatifs s accompagne donc d une vulnérabilité psychologique élevée (en termes de faible estime de soi, et détresse psychologique), et d une vulnérabilité sociale élevée (niveaux élevés de stigmatisation et d attitudes négatives envers la maladie). Cette sévérité est aussi reliée positivement à la sévérité des tracas quotidiens et à l évaluation du stresseur perçu comme menaçant et non contrôlable par soi. La sévérité des symptômes négatifs peut refléter un état de vulnérabilité psychologique (détresse psychologique élevée et estime de soi faible), d impuissance face aux stresseurs, et de

160 vulnérabilité sociale (attitudes sociétales stigmatisantes et attitudes négatives envers la maladie). Les données vont donc dans le sens de symptômes négatifs causés par des variables situationnelles, comme le soulignent Carpenter, Heinrichs et Wagman (1988). Quoique demeure la possibilité de la deuxième hypothèse, et que cette dernière soit la cause de la vulnérabilité psychologique et sociale qui vient d être décrite. Une dernière remarque s impose sur la conceptualisation des symptômes négatifs comme stresseurs. Tel que démontré dans la revue de littérature, un certain nombre de chercheurs (Böker et al., 1984; Mueser, Valentiner et Agresta, 1997; Takai, Vematsu, Karya et Inori, 1990; Wiedl, 1992), conceptualisent ces symptômes négatifs comme des stresseurs et montrent une utilisation différentielle de stratégies en leur présence. Les deux types de symptômes créent un stress chez les patients, et suscitent des efforts de coping (évaluation et stratégies de coping) comme le démontrent les recherches recensées (Brenner, Böker, Müller, Spichtig et Würgler, 1987; Cohen et Berk, 1985; Wiedl, 1992). Si les symptômes négatifs ne créent pas un stress en eux-mêmes, ils peuvent devenir une situation problème à cause de l entourage du patient. En effet, cet entourage peut avoir des réactions négatives à l égard du patient précisément à cause de ces symptômes négatifs (Leff, 1976). Ceux-ci acquièrent alors une valeur émotive négative qui, selon le principe de l homéostasie, suscite une réaction du patient en vue de retrouver son équilibre. Comme une solution doit être trouvée, les symptômes deviennent un stresseur pour le patient. Toutefois, en se basant sur certaines études qui attribuent ces symptômes à des troubles frontaux corticaux (Breier, Schreiber, Dyer et Pickar, 1991; Volkow et al., 1987), il est aussi possible de les concevoir comme un facteur de vulnérabilité biologique spécifique aux personnes affectées par la schizophrénie.

161 6.2.2 Le construit coping L accommodation est le septième prédicteur en importance dans l équation. Le score Bêta (B = 0,151; p = 0,03) indique que l adaptation s améliore avec l usage accru de l accommodation. Plus les participants recourent à l accommodation, c est-à-dire que plus ils modifient et adaptent leurs aspirations aux situations problèmes rencontrées, plus ils augmentent leur niveau d adaptation. Donc, face à une situation stressante, les participants préservent et augmentent leur niveau d adaptation «en modifiant leurs aspirations et en les adaptant à la situation». Rappelons que la stratégie de réduction des symptômes est aussi significativement corrélée à l adaptation. Cependant, elle n est pas retenue dans le modèle de prédiction pour une raison empirique. En effet, les deux stratégies ont été vérifiées empiriquement dans deux équations de prédiction parallèles, et l accommodation en est ressortie significativement, contrairement à la réduction des symptômes. Ce résultat est congruent avec la théorie d Edwards et de Baglioni (1993). Afin de diminuer l écart entre l état désiré et l état perçu, les participants utilisent une stratégie cognitive qui modifie leurs aspirations et les rend conformes à la situation. Cette stratégie empêche que l écart entre l état désiré et l état perçu, soit le stress, ne vienne perturber les participants euxmêmes ainsi que leur fonctionnement social. Autrement dit, ne pouvant modifier la situation stressante, les participants apprennent à vivre avec elle, et améliorent leur fonctionnement en empêchant qu il ne soit perturbé. L usage de cette stratégie est également conforme à la théorie transactionnelle laquelle stipule que, face à un stresseur qui ne peut être changé, il vaut mieux utiliser la régularisation c est-à-dire se centrer sur soi et modifier ses perceptions, attentes, etc. L accommodation est

162 également utilisée par les personnes dont l estime de soi est élevée, celles-ci réduisant leur aspirations lorsqu elles ne peuvent être satisfaites (Tennen et Affleck, 1993). Cette stratégie est conforme avec les notions de coping d assimilation et d accommodation de Brandstädter (1992), de maîtrise versus signification (Taylor, 1983, 1991) et de contrôle primaire versus le contrôle secondaire (Rothbaum, Weisz et Snyder, 1982). Le coping d assimilation cherche à altérer l environnement pour le rendre syntone à soi, alors que le coping d accommodation consiste à se modifier soi-même face à l environnement. Cette stratégie se retrouve aussi dans d autres champs d investigation. Calman (1984) montre bien que les patients atteints d un cancer doivent développer des stratégies pour maintenir leur qualité de vie. Une de ces stratégies est de réduire ses attentes et ses ambitions. Cette réduction ne veut pas dire nier l espoir, mais rendre les attentes plus réalistes. Pour ce, le patient est encouragé à se fixer des objectifs appropriés à sa situation. Ce mécanisme peut fonctionner comme suit : la modification des attentes réduit le stress et les préoccupations qui y sont associées, permettant au participant de déplacer son attention et de se concentrer sur d autres finalités, et d y consacrer ses habiletés. Avec la diminution de l impact négatif du stresseur, le participant déplace l usage de ses ressources vers l objectif de l adaptation. Donc, le stresseur est tenu suffisamment à distance pour que le participant soit libre de consacrer ses habiletés et capacités à augmenter son adaptation, au lieu de les mobiliser pour solutionner le stresseur. La mise à distance du stresseur maintient ainsi un niveau d activités élevé. Le mécanisme de cette stratégie peut s expliquer d une autre manière. Il est plausible que les patients aient conservé des attentes très élevées à l égard du fonctionnement social. En les réduisant par l accommodation, ils les rendent plus conformes à leurs capacités qui peuvent

163 mieux soutenir leurs efforts d adaptation. De plus, leurs attentes deviennent progressivement congruentes avec celles de l entourage. Constatant l amélioration du fonctionnement social des patients, l entourage ajuste à son tour ses attentes à celles des patients. Les rapports avec l entourage deviennent ainsi plus harmonieux. Les données de la recherche permettent d éclairer la dynamique d utilisation de cette stratégie et ses relations avec l évaluation. 6.2.2.1 L usage de l accommodation L examen des données permet de formuler certaines explications sur l usage de cette stratégie (Tableau 6.3). La stratégie de «changer la situation» est significativement utilisée plus fréquemment que les quatre autres formes de stratégies mesurées : l accommodation (t = 2,25; p = 0,027); la réduction des symptômes (t = 1,97; p = 0,052); l évitement (t = 4,67; p = 0,000) et la dévaluation (t = 3,71; p = 0,000). Pour sa part, l accommodation est utilisée aussi souvent que la réduction des symptômes mais significativement plus que les deux autres stratégies de la dévaluation (t = 3,23; p = 0,002) et de l évitement (t = 3,45; p = 0,001). Ce résultat peut signifier que les participants tentent de modifier la situation problème (coping centré sur le problème), mais la persistance du stress engendré par la situation problème les amène plutôt à modifier leurs attentes et aspirations (coping centré sur l émotion) afin d amortir les effets stressants du stresseur, de pouvoir mener une vie sociale parallèle à ces situations, et d être ainsi de plus en plus adaptés. Cette explication est congruente avec la théorie de l adaptation d Edwards et Baglioni qui stipule que les participants recourent de plus en plus à l accommodation lorsque les stratégies visant à modifier la situation stressante et les perceptions que celle-ci engendre ont échoué. Lors de l administration des questionnaires, les participants indiquaient si la situation

164 problème choisie leur paraissait encore stressante à ce moment précis. Quatre-vingt-treize pour cent (93 %) d entre eux ont répondu que cette situation problème leur créait encore du stress et n était donc pas résolue. Tableau 6.3 La fréquence d utilisation des stratégies de coping Les stratégies Moyenne Écart-type Changer la situation 4,00 1,49 Accommodation 3,60 1,21 Réduction des symptômes 3,69 1,21 Évitement 3,29 1,21 Dévaluation 3,16 1,61 Les données montrent aussi que l accommodation est corrélée significativement avec les quatre autres stratégies de coping (Tableau 6.4). Deux explications sont congruentes avec ces résultats : 1) la rencontre avec un stresseur engendre un stress qui perturbe les participants sous divers aspects bio-psycho-sociaux, à tel point que ces derniers sont obligés d utiliser conjointement ou simultanément diverses stratégies de coping afin de contrer le stress agissant sous ces divers volets; 2) l utilisation d une stratégie peut engendrer un problème de stress iatrogénique sur un autre volet que celui pour lequel elle est initialement utilisée, obligeant le recours à une stratégie de coping spécifique, conjointement ou postérieurement à l utilisation de la première stratégie.

165 Tableau 6.4 Les intercorrélations des stratégies de coping 1 2 3 4 5 1. Changer 1 2. Accommodation 0,377*** 1 3. Dévaluation -0,087 0,414*** 1 4. Réduction 0,353*** 0,486*** 0,254** 1 5. Évitement -0,002 0,255** 0,708*** 0,302** 1 < 0,05, ** < 0,01, *** < 0,001 6.2.2.2 Les relations évaluation-stratégie Enfin, une autre explication possible à partir des résultats de la recherche concerne le volet évaluation. Dans la théorie de Lazarus, il y a une évaluation primaire et une évaluation secondaire. L évaluation primaire porte sur le degré de stress de la situation problème, et l évaluation secondaire porte sur les stratégies de coping. Lorsque l évaluation primaire conclut à une menace (degré de stress élevé) pour la personne, l évaluation secondaire peut pondérer cette menace. Ainsi, les stratégies de coping permettent de faire face au stresseur menaçant en le transformant en défi. L évaluation primaire se trouve ainsi modifiée après coup. Les résultats montrent que la stratégie de l accommodation a une corrélation positive avec le défi 17 (r = 0,256; p = 0,010). Cette corrélation peut s interpréter dans le sens que 17 La sous-échelle défi n est pas retenue pour des raisons empiriques. Pour respecter un nombre maximal de variables indépendantes dans le modèle, l échelle de la variable évaluation, qui a la corrélation univariée la plus élevée avec l adaptation, est retenue. Comme elle est moins élevée que le contrôle par soi, elle n est pas retenue. De plus, des équations de régression parallèles avec l échelle défi ont été faites et aucun effet d interaction n en est ressorti avec les stresseurs.

166 l utilisation de l accommodation peut changer l évaluation menaçante du stresseur en un défi (la sous-échelle défi a une corrélation négative avec la sous-échelle menace : (r = -0,289; p = 0,003), puisque les participants ont trouvé ainsi une stratégie qui maintient et augmente leur adaptation par le contrôle des effets négatifs de la situation. Cette explication est congruente avec la corrélation positive entre l impact des événements de vie et l accommodation (r = 0,328; p = 0,001), cette dernière permettant d évaluer l impact des événements de vie comme positif pour l adaptation des participants. 6.2.2.3 La fréquence d utilisation des stratégies de coping L analyse de la fréquence d utilisation des cinq stratégies de coping mesurées montre que cette fréquence a une corrélation positive avec l adaptation (r = 0,287; p = 0,004). Cette relation positive s accorde avec le résultat selon lequel le nombre de stratégies est prédicteur de l efficacité du coping et, par extension, de l adaptation définie comme une généralisation du coping (Lazarus et Folkman, 1984) (Carter, Mackinnon et Copolov, 1996; Mueser, Valentiner et Agresta, 1997). En plus de l explication stipulant que plus le répertoire des habiletés de vie est riche, plus les personnes ont accès à des stratégies différentes pour répondre aux situations rencontrées, une autre explication possible est qu il y a utilisation de toutes les stratégies par essai et erreur jusqu à l obtention du résultat désiré. 6.2.3 Les effets d interaction Comme le cadre théorique transactionnel suppose des relations entre les divers stresseurs et le coping (évaluation et stratégies), l analyse des effets d interaction dans l équation de régression du modèle est effectuée. Trois effets d interaction se confirment : 1) sévérité des

167 tracas quotidiens X accommodation; 2) Fréquence des événements de vie X contrôlable par soi; 3) événements de vie X contrôlable par soi X accommodation. 6.2.3.1 Effet d interaction «sévérité des tracas quotidiens X accommodation» La sévérité des tracas quotidiens est formée de la somme des scores de sévérité accordée par le participant à chacun des tracas quotidiens qu il rapporte avoir vécus durant le mois précédant l entrevue. L accommodation est une stratégie de coping par laquelle le participant adapte ou modifie ses aspirations à la situation stressante vécue. Chez les participants qui utilisent peu l accommodation (moins que la moyenne), la relation entre la sévérité des tracas quotidiens et l adaptation est nulle. Chez le groupe de participants qui utilisent beaucoup l accommodation (plus que la moyenne), la relation entre la sévérité des tracas quotidiens et l adaptation est négative (p = 0,016), à savoir que l augmentation croissante de cette sévérité diminue l adaptation. Une explication congruente avec ces résultats est celle du seuil de tolérance. Les participants qui utilisent l accommodation fonctionnent au maximum de leurs capacités. Ils font un usage varié des stratégies de coping pour faire face au stress, comme le démontrent les corrélations significatives positives de l accommodation avec les quatre autres stratégies de coping. Pour ces participants, la sévérité des tracas quotidiens constitue un stress supplémentaire par rapport à celui qu ils vivent habituellement. Ce stress est suffisamment intense pour dépasser les capacités de coping des participants ainsi que le seuil de tolérance au stress que leur procure l accommodation. Autrement dit, les participants s adaptent aux tracas quotidiens en modifiant leurs aspirations par l accommodation. Mais à un certain seuil, l ajout de tracas quotidiens

168 déséquilibre les participants, car les tracas quotidiens constituent une surcharge pour eux. Le fonctionnement de l accommodation se trouve entravé, et le niveau d adaptation diminue. Toutefois, une autre explication possible est que l usage élevé de la stratégie de l accommodation face aux tracas quotidiens devienne une stratégie inefficace qui mènerait à l inadaptation. L augmentation des tracas quotidiens hausserait alors le stress qui ne serait plus tenu à distance et perturberait progressivement le fonctionnement social des participants. Le problème ainsi posé est que les participants ne peuvent plus adapter leur stratégie au type de stresseur. Ils en viennent à supporter un stress de plus en plus élevé qui finit par les perturber par le phénomène d accumulation de stress. Dans ce cas, l utilisation de l accommodation n est pas la bonne stratégie, car les participants utilisent cette stratégie pour faire face à une série de situations quotidiennes et à un nombre de tracas quotidiens qui s accumulent et finissent pas constituer trop de stress. 6.2.3.2 Effet d interaction «fréquence des événements de vie X contrôlable par soi» La fréquence des événements de vie est le nombre d événements de vie que les participants rapportent avoir vécus durant les six mois précédant l entrevue. La variable contrôlable par soi est une des sous-échelles de l évaluation secondaire qui porte sur la perception du contrôle du stress. Elle désigne le niveau où la personne estime pouvoir contrôler le stresseur par ses stratégies de coping. Chez les participants qui ont un niveau de contrôle par soi plus faible que la moyenne, la fréquence des événements de vie est reliée positivement à l adaptation (p = 0,000), à savoir que l augmentation de la fréquence des événements de vie accroît le niveau d adaptation. Chez le

169 groupe de participants qui ont un niveau de contrôle par soi plus élevé que la moyenne, la relation entre la fréquence des événements de vie et l adaptation est nulle. Une explication de ce résultat est celle du facteur de protection. Avoir la conviction de pouvoir contrôler le stresseur par ses stratégies peut exercer un effet de résilience au changement, (Rütter, 1985; 1987; Schissel, 1993), c est-à-dire permettre la résistance au stress engendré par le stresseur, et empêcher que ce stresseur ne vienne influencer l adaptation. Le fait de ne pas avoir ce facteur de protection permettrait au stresseur d influencer l adaptation. Cet effet de protection, qui correspond au postulat de base du coping - le coping médiatise l effet négatif des stresseurs sur l adaptation - peut expliquer en partie l absence d effet significatif de la fréquence d événements de vie sur l adaptation. Mais si on se demande pourquoi l effet de la fréquence des événements de vie est plus significatif à un faible niveau de perception de contrôle par soi qu à un niveau plus élevé, cette explication se révèle incomplète. Pour en obtenir une réponse plus satisfaisante, il faut revenir à la conceptualisation du construit adaptation. Ce construit est un score composé du score global des habiletés de vie de la personne et du score de l adaptation générale. Les habiletés de vie sont évaluées par la personne elle-même alors que l adaptation l est par un juge externe. Dans ce cas, l évaluation est faite en fonction des normes et des standards de l environnement de la personne et non en fonction de ses antécédents. L adaptation est ainsi la réponse de la personne aux attentes sociétales en termes de rôle, réponse qui dépend de ses propres capacités et des attentes de la société. Autrement dit, l adaptation est l ajustement entre les habiletés de vie de la personne et les attentes sociétales. Cet ajustement peut se concevoir en termes d écart. Plus cet écart est grand, moins l adaptation est élevée; plus cet écart est faible, plus l adaptation est élevée.