COUR D'APPEL DE PARIS. Pôle 5 - Chambre 8 ARRÊT DU 19 MAI 2015. (n, pages)



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Transcription:

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS COUR D'APPEL DE PARIS Pôle 5 - Chambre 8 ARRÊT DU 19 MAI 2015 (n, pages) Numéro d'inscription au répertoire général : 14/08189 Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Mars 2014 -Tribunal de Grande Instance de Paris - RG n 11/17655 APPELANTE: SARL ERIS TECHNIQUE 4 route de Paray 91320 WISSOUS Représentée par Me Xavier BERNELAS, avocat au barreau de PARIS, toque : C1234 INTIMES : Monsieur Armand VARJET 4 rue Gérard de Nerval 92160 ANTONY Représenté par Me Frédéric LALLEMENT de la SCP BOLLING - DURAND - LALLEMENT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480 Ayant pour avocat plaidant Me Bernard-lionel DORE de la SELARL DORE MEYRIER ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0292 SA GRANT THORNTON 100 rue de Courcelles 75017 PARIS Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SCP BOLLING - DURAND - LALLEMENT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480 Ayant pour avocat plaidant Me Bernard-Lionel DORE de la SELARL DORE MEYRIER ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0292 COMPOSITION DE LA COUR : 1

L'affaire a été débattue le 09 Mars 2015, en audience publique, devant la Cour composée de : Madame Marie HIRIGOYEN, Présidente de chambre, Présidente Madame Marie-Christine HEBERT-PAGEOT, Présidente de chambre Monsieur Joël BOYER, Conseiller qui en ont délibéré Greffier, lors des débats : Mme Pervenche HALDRIC Ministère Public : L'affaire a été communiquée au ministère public. ARRET : - contradictoire - rendu par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Madame Marie HIRIGOYEN, présidente et par Madame Pervenche HALDRIC, greffière présente lors du prononcé. La Sa Grant Thornton, société anonyme de commissariat aux comptes, dont M.Varjet, commissaire aux comptes, est l'un des membres, a exercé une mission de commissariat aux comptes auprès de la société Eris Technique, société de routage, d'emballage et de diffusion, de messagerie d'abonnement et d'édition de tous ouvrages. Le 6 août 2007, la Sarl Eris Technique a conclu avec La Poste un contrat d'affranchissement 'Courrier industriel de gestion- Ecopli Grand Compte' lui permettant de déposer ses envois au bureau de poste d'evry, les dépôts d'un mois étant facturés par La Poste au début du mois suivant à partir des informations portées sur les bordereaux de dépôt validés par La Poste et les paiements devant s'effectuer par prélèvement dans un délai de 10 jours à compter de la date d'émission de la facture. En garantie de ses engagements, Eris Technique a fourni à La Poste le cautionnement du CIC d'un montant de 50.000 euros. En 2009, La Poste a adressé à la société Technique 205 bordereaux de dépôts non facturés, correspondant à dix-huit factures mensuelles non émises pour les mois de novembre 2007 à mai 2009 représentant un montant total de 624.474,23 euros. Ces factures étant demeurées impayées, La Poste a assigné Eris Technique en paiement et par jugement du 7 janvier 2011 devenu définitif, le tribunal de commerce d'evry a condamné Eris Technique à payer à la Poste la somme de 624.474, 59 euros avec intérêts au taux légal à compter du 23 juillet 2009, ainsi que 1.000 euros au titre des frais irrépétibles et a converti l'inscription provisoire prise par La Poste sur le fonds de commerce d'eris Technique en inscription définitive. C'est dans ce contexte que la société Eris Technique, estimant que des fautes avaient été commises lors du contrôle de ses comptes, tenant au défaut d'identification par le commissaire aux comptes de l'absence de facturation par La Poste, a, par actes des 11 août 2011 et 27 septembre 2011, fait assigner M.Varjet et la société de commissariat aux comptes Grant Thornton devant le tribunal de grande instance de Paris en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis. 2

Par jugement du 13 mars 2014, le tribunal de grande instance de Paris a déclaré irrecevables les conclusions récapitulatives notifiées par Eris Technique le 27 juin 2013, a rejeté la fin de non recevoir soulevée par M. Varjet, a débouté Eris Technique de ses demandes en dommages et intérêts, l'a condamnée aux dépens et à payer à la société Grant Thornton et à M.Varjet une indemnité de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile du code de procédure civile et a dit n'y avoir lieu à exécution provisoire. Eris Technique a interjeté appel de cette décision selon déclaration du 11 avril 2014. Le 15 décembre 2014, le tribunal de commerce d'evry a prononcé la résolution du plan de sauvegarde qui avait été adopté le 10 février 2014 à l'égard d'eris Technique et a ouvert une procédure de redressement judiciaire. Aucun administrateur judiciaire n'a été nommé, seul Maître Souchon étant désigné en qualité de mandataire judiciaire. Dans ses dernières conclusions, signifiées le 20 janvier 2015, Eris Technique demande à la cour au visa des articles L 822-17 et suivants, L 823-9 du code du commerce et 1382 du code civil, - in limine litis, de confirmer le jugement en ce qu'il l'a déclarée recevable à mettre en cause la responsabilité personnelle de M.Varjet, commissaire aux comptes, - d'infirmer le jugement en toutes ses autres dispositions, - de la dire fondée à rechercher la responsabilité professionnelle de M. Varjet et de la société Grant Thornton au titre de leur mission de contrôle de ses comptes, - de constater que la note du 5 juin 2009 dont se prévalent les intimés est un faux, rédigé a posteriori, contre lequel elle a porté plainte, - de juger que M. Varjet et la société Grant Thornton ont commis une faute dans l'exécution de leur mission, en manquant à leur obligation de contrôle continu des comptes, - en conséquence, de condamner in solidum M.Varjet, ès qualités, et la société Grant Thornton à lui payer 300.000 euros en réparation de leur faute lors du contrôle des comptes, 80.000 euros en réparation de la perte d'une caution de 50.000 euros et de la perte de chance d'obtenir des conditions financières plus favorables, - condamner la société Grant Thornton à lui payer 30.000 euros en réparation de son préjudice moral, - condamner M.Varjet au paiement de 30.000 euros en raison des fautes personnelles commises par lui, en particulier la violation délibérée des normes et règles déontologiques de la profession et le manquement à l'obligation de neutralité, - condamner in solidum M.Varjet et la société Grant Thornton au paiement de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux entiers dépens, - ordonner l'exécution provisoire. Dans leurs écritures signifiées le 19 janvier 2015, la société Grant Thornton et M.Varjet concluent à l'irrecevabilité des demandes dirigées contre M.Varjet, au rejet de toutes prétentions dirigées contre la société Grant Thornton, qu'il leur soit donné acte de ce qu'ils réservent leur demande d'indemnisation à l'examen de la juridiction qu'ils entendent saisir et à la condamnation d'eris Technique à payer à Grant Thornton 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens. 3

SUR CE - Sur le faux Eris Technique demande à la cour de constater que la note du 5 juin 2009 par laquelle Grant Thornton prétend l'avoir informée d'un défaut de facturation de 466.000 euros et sur laquelle le tribunal s'est fondé, est un faux rédigé a posteriori, qui ne permet pas de démontrer que le commissaire aux comptes a spontanément décelé cette anomalie. La société Eris Technique ayant déposé une plainte avec constitution de partie civile à l'encontre de M.Varjet et de Grant Thornton, le 19 décembre 2014, pour faux et usage de faux en visant cette note, les intimés opposent à juste titre qu'il n'appartient pas à la cour, saisie d'une action en responsabilité civile pour manquement du commissaire aux comptes à la procédure de contrôle des comptes, de statuer sur l'authenticité du document argué de faux, étant observé qu' Eris Technique n'a pas sollicité de sursis à statuer. - Sur la recevabilité des demandes dirigées contre M.Varjet M.Varjet soulève à nouveau en appel l'irrecevabilité des demandes formées à son encontre, au motif qu'il n'était pas personnellement titulaire du mandat de commissariat aux comptes, seule la société Grant Thornton ayant contracté avec Eris Technique, qu'aucune disposition ne prévoit un régime de responsabilité pour les actes accomplis par la personne physique, représentant une société de commissariat aux comptes et que seule une faute commise à l'occasion de la mission, détachable du champ normal de la fonction en raison de sa nature et de sa gravité, qui n'est aucunement établie en l'espèce, permettrait d'agir en responsabilité à son encontre. Eris Technique réplique qu'il est admis que le commissaire aux comptes qui signe un document au nom d'une société de commissariat aux comptes engage sa responsabilité personnelle, laquelle n'est pas cantonnée au titulaire du mandat et qu'en l'espèce les manquements répétés de M.Varjet dans l'exercice de ses fonctions constituent une faute dont il doit répondre personnellement. L'article L 822-9 du code du commerce dispose que dans les sociétés de commissariat aux comptes les fonctions de commissaire aux comptes sont exercées au nom de la société par des commissaires aux comptes personnes physiques associé, actionnaire ou dirigeant de cette société. Selon l'article L822-17 du même code les commissaires aux comptes sont responsables, tant à l'égard de la personne ou de l'entité que des tiers des conséquences dommageables des fautes et négligences qu'ils commettent dans l'exercice de leurs fonctions. Il est admis au vu de ces dispositions que le commissaire aux comptes agissant en qualité d'associé, d'actionnaire ou de dirigeant d'une société titulaire d'un mandat de commissariat aux comptes répond personnellement des actes professionnels qu'il accomplit au nom de cette société. Il est acquis au débat que le mandat de commissariat aux comptes a été confié à la société Grant Thornton, mais également que M.Varjet, commissaire aux comptes et expert-comptable associé au sein de cette société, est personnellement intervenu dans le contrôle des comptes d'eris Technique, étant signataire des rapports établis par Grant Thornton pour les exercices clos au 31 décembre 2007 et au 31 décembre 2008. Il s'ensuit que le jugement mérite d'être approuvé en ce qu'il a déclaré recevable l'action en responsabilité intentée à l'encontre de M. Varjet au titre de ses actes professionnels au sein de Grant Thornton, la recevabilité n'étant pas subordonnée à la démonstration de son bien fondé. Le jugement sera confirmé de ce chef. 4

- Sur la responsabilité Eris Technique ne remet pas en cause devant la cour les dispositions du jugement ayant considéré que la mission de contrôle et de certification des comptes de Grant Thornton n'était pas établie pour l'exercice clos au 31 décembre 2009 et ayant limité l'examen des fautes reprochées au contrôle des comptes clos aux 31 décembre 2007 et 2008, de sorte que le débat en appel se limite à l'appréciation des diligences accomplies par le commissaire aux comptes au titre des exercices 2007 et 2008, pour lesquels la régularisation des factures de La Poste s'est élevée respectivement à 47.072,98 euros et à 401.040,31 euros. Au soutien de son appel, Eris Technique fait valoir que M. Varjet n'a pas identifié le défaut de facturation de La Poste avant qu'il ne soit révélé par ce fournisseur, alors qu'eu égard à l'importance des sommes non facturées (624.323 euros), au fait que le compte de La Poste, principal fournisseur de l'entreprise, présentait une importante variation ( 47.072,98 euros en 2007 et 401.040,31 euros en 2008) et à la durée de non-facturation sur plusieurs exercices comptables, cette anomalie était normalement décelable par les procédures adaptées de contrôle qui auraient dû être mises en oeuvre. Elle impute le défaut de détection de cette anomalie significative aux manquements professionnels des intimés, tirés de l'absence de lettre de mission pour les exercices clos avant 2009, à l'absence de vérification sur la mise en place des contrôles internes à l'entreprise, à une attention insuffisante sur le compte fournisseur, au défaut de mise en place des procédures spécifiques d'identification des anomalies et de mesures préventives, au caractère incomplet du rapport annuel sur les comptes aucune mention des anomalies relatives au défaut de facturation ne figurant dans les rapports du commissaire aux comptes, au défaut de réponse à ses demandes après qu'il eut été évoqué des négligences dans le contrôle des comptes, à l'absence d'impartialité du commissaire aux comptes, associée à une attitude de dénigrement à l'égard du dirigeant de l'entreprise ayant entraîné une dégradation des relations qui a nui à la qualité du contrôle des comptes. Elle invoque également un manquement à l'obligation de conseil et d'information de la part de M.Varjet, qui n'a pas situé sa mission dans une perspective de long terme avec l'objectif de contribuer à la prévention des difficultés éventuelles et n'a pas dialogué avec le dirigeant, le défaut de déclenchement de la procédure d'alerte, le manquement à la mission permanente de contrôle ayant conduit à une découverte tardive de l'anomalie faisant ainsi perdre une chance à l'entreprise de mettre fin au défaut de facturation et d'éviter d'avoir à rembourser une dette de cette importance qui a mis en péril l'entreprise et provoqué sa mise en redressement judiciaire. M. Varjet et Grant Thornton contestent toute faute dans l'exercice de la mission, soulignant que celle-ci ne portait que sur la mission légale de certification des comptes, que les comptes 2007 et 2008 ont fait l'objet d'un refus de certification, que ne pouvant s'appuyer sur l'efficacité du contrôle interne, un processus normatif de circularisation a été mis en oeuvre, associé à un contrôle approfondi des comptes, qu'en dépit de la réponse rassurante de La Poste pour l'exercice 2007, puis de son absence de réponse pour l'exercice ultérieur, les procédures analytiques qu'ils ont mises en place leur ont permis d'identifier dès le mois de juin 2009, des anomalies sur une baisse significative des charges d'affranchissement et une augmentation du taux de marge du compte des affranchissements. Ils soulignent la mauvaise foi du dirigeant d'eris Technique, qui, n'ayant pu ignorer un écart aussi significatif générant une trésorerie inhabituelle alors qu'il continuait à facturer à ses clients les frais d'affranchissement, a mis à profit la défaillance de La Poste et a présenté des comptes faux dans son rapport de gestion sur l'exercice 2008, lors de l'assemblée générale du 30 octobre 2009. Il est constant que Grant Thornton était chargé du commissariat aux comptes d'eris Technique depuis 2004, ayant établi chaque année depuis cette date et jusqu'en 2008 un rapport général sur les comptes de la société. Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, la mission de Grant Thornton portait sur le contrôle légal des comptes prévu par l'article L 823-9 du code du commerce, selon lequel les commissaires aux 5

comptes certifient, en justifiant de leurs appréciations, que les comptes annuels sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice écoulé ainsi que de la situation financière et du patrimoine de la personne ou de l'entité à la fin de l'exercice. Si la première lettre de mission, précédée d'une lettre de cadrage en 2008, a été soumise à Eris Technique en 2009, il ne résulte pas de la pratique antérieure, en vigueur depuis 2004, que Grant Thornton a été investi d'une mission contractuelle, distincte du contrôle légal des comptes, étant observé que les parties entretenaient des relations tendues, peu propices à une plus ample mission, Grant Thornton ayant relevé différentes anomalies dans les comptes, indépendamment du problème de facturation de La Poste, qui ont conduit le commissaire aux comptes à certifier les comptes avec des réserves pour les exercices clos au 31 mars 2004, au 31 décembre 2005 et au 31 décembre 2006, à refuser de certifier les comptes clos au 31 décembre 2004, au 31 décembre 2007 et au 31 décembre 2008, ceux-ci n'étant pas considérés comme réguliers et sincères au regard des règles et principes comptables français et à signaler au procureur de la république des anomalies les 22 juillet 2005 et 27 novembre 2008 en application des articles L823-12 et L820-1 du code du commerce. C'est donc uniquement sous l'angle de la mission légale de certification des comptes que les diligences du commissaire aux comptes doivent être appréciées, pour déterminer si le défaut de facturation était décelable par l'usage des techniques d'audit habituelles, les manquements allégués, extérieurs à cette mission, étant inopérants. L'absence de lettre de mission avant 2009, à la supposer fautive, son exigence déontologique ayant été mise en place alors que le mandat était déjà en cours, ne présente pas de lien de causalité avec la perte de chance invoquée par Eris Technique du fait de la non détection en temps utile de l'anomalie de facturation. Le grief pris de ce que le commissaire aux comptes n'aurait pas mis en oeuvre la procédure d'alerte dès la connaissance du défaut de facturation n'est pas davantage opérant, le déclenchement d'un telle procédure n'étant que la conséquence et non l'origine des difficultés consécutives à l'anomalie de facturation. Le document établi par La Poste, détaillant les bordereaux de dépôts non facturés depuis novembre 2007, ne comporte pas de date, mais est manifestement intervenu en juin 2009 dès lors qu'il y est fait mention des sommes dues pour les affranchissements du mois de mai 2009, Eris Technique indiquant d'ailleurs dans ses conclusions que La Poste lui a adressé le décompte des bordeaux non facturés en juin 2009, puis une mise en demeure le 23 juillet 2009 et une assignation en paiement le 14 septembre 2009. Ce retard de facturation concerne les mois de novembre et décembre 2007 pour un total de 47.072,98 euros, étant observé que le contrat a été conclu avec La Poste au cours de l'année 2007 (6 août 2007), et toutes les factures de 2008 pour un montant de 401.040,31 euros. Il ressort des pièces au débat que dans le cadre du contrôle des comptes clos au 31 décembre 2007, Grant Thornton a procédé à des vérifications précises sur le compte fournisseurs, ayant fait circulariser, six d'entre eux, dont La Poste, le 18 juin 2008, que, par courrier du 1er juillet 2008, La Poste lui a communiqué la situation des comptes d'eris Technique en ses livres pour la période du 16 juillet 2007 au 20 juin 2008 dont il ne ressortait aucun défaut de facturation, de sorte que le rapprochement de cet état concordait avec les comptes, y compris ceux du premier semestre 2008. Le commissaire aux comptes, qui n'est tenu que d'une obligation de moyens, a ainsi fait usage de 'la demande de confirmation des tiers' prévue par la norme d'exercice professionnel 505, technique employée lorsqu'il est nécessaire de vérifier par des éléments extérieurs des assertions dans les comptes, au regard notamment du risque d'anomalie significative, démontrant ainsi qu'il ne s'en est pas tenu au contrôle interne effectué par l'entreprise, suspecté à juste titre de pouvoir être défaillant. 6

Les anomalies relevées sur d'autres points dans les rapports généraux 2007et 2008 confirment d'ailleurs plus globalement l'attention que le commissaire aux comptes a porté à la vérification des comptes. Eris Technique n'établit aucunement que les tensions existant avec le commissaire aux comptes au sujet de l'analyse des comptes sociaux, tensions que rien ne permet d'imputer à faute à M.Varjet ou à Grant Thornton, auraient conduit ce professionnel à ne pas agir dans le respect des normes déontologiques ou à ne pas répondre aux observations de l'entreprise. M. Varjet a au contraire rappelé le 7 mai 2009 à Mme Boucharcourt de lui adresser dès leur finalisation les états financiers pour 2008 afin de pouvoir effectuer sa mission dans les délais impartis. Après réception du projet des comptes 2008 envoyé le 13 mai 2009, M.Varjet a rapidement recontacté Mme Boucharcourt par courrier du 8 juin 2009 qu'elle ne conteste pas avoir reçu, en lui précisant à l'issue de ses premiers contrôles avoir identifié un certain nombre de points restant en suspens pour lesquels la production de pièces complémentaires étaient nécessaires. Si la liste des pièces réclamées ne vise pas la différence de 466.000 euros que le commissaire aux comptes affirme avoir identifiée dès le mois de juin 2009, il n'en ressort pas moins de cette lettre que le commissaire aux comptes avait remis à Eris Technique (Mme Lagache) lors des rendez-vous des 3 et 4 juin 2009 une liste des circularisations à adresser aux clients, fournisseurs et banques. Cette 'demande de confirmation auprès des tiers' démontre une nouvelle vérification du compte fournisseurs, alors même que la précédente circularisation n'avait pas révélé d'anomalie et qu'il n'est pas établi qu'à cette date le commissaire aux comptes était déjà informé de l'existence du relevé des bordereaux non facturés établi par La Poste. Eris Technique allègue encore vainement un manquement à une obligation de conseil et d'information dans la gestion sur le long terme des éventuelles difficultés de la société, alors que le commissaire aux comptes en charge du contrôle légal des comptes n'a pas à se substituer à l'expert-comptable de la société, étant observé en outre que les réserves récurrentes figurant dans les rapports annuels font douter de la prise en compte par la société des observations du commissaire aux comptes. Force est en outre de constater à la suite des premiers juges, quand bien même cet élément ne serait pas suffisant pour décharger le commissaire aux comptes de ses obligations, qu'eris Technique n'a pu ignorer durant quatorze mois qu'elle n'avait réglé aucune des factures mensuelles de La Poste, alors que ces frais étaient facturés à ses clients et que sa trésorerie s'en trouvait nécessairement augmentée. Au vu de ces éléments, il n'est pas établi que Grant Thornton et à M. Varjet ont commis une faute dans la mise en oeuvre du contrôle et dans la vérification des comptes, sans qu'il soit besoin pour la cour de se référer à la note du 5 juin 2009, arguée de faux. En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Eris Technique de son action en responsabilité et de toutes ses demandes. - Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile Eris Technique, partie perdante supportera les entiers dépens. En équité, il sera alloué à Grant Thornton une indemnité de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel, l'indemnité allouée sur ce fondement en première instance étant par ailleurs confirmée. PAR CES MOTIFS 7

Confirme le jugement en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Déboute Eris Technique de toutes ses demandes, Condamne Eris Technique à payer à Grant Thornton 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, Condamne Eris Technique aux entiers dépens et dit que les dépens d'appel pourront être recouvrés directement par les avocats qui en ont fait la demande dans les termes de l'article 699 du code de procédure civile. La Greffière, La Présidente, 8