Evaluation des politiques publiques et gouvernance forestière: L exemple de la Redevance Forestière Annuelle au Cameroun



Documents pareils
Impacts socioéconomiques des investissements chinois en Afrique : études de cas au Cameroun et au Gabon

Atelier de réflexion et de validation du projet du système de veille/observatoire des réformes foncière et forestière au Cameroun

PRESENTATION DU PROJET OBJECTIFS

Monitoring des AEP et maîtrise d ouvrage communale en milieu rural : quelles leçons pour une mise en œuvre efficace?

Law. Environment and Development Journal. Décentralisation des ressources forestières et justice environnementale: Analyse des évidences

Université Senghor, 5-16 décembre 2004

Document de stratégie d observation indépendante des activités forestières sous régime FLEGT de la société civile centrafricaine

CERTIFICATION FORESTIERE FSC. Guide simplifié pour les différents acteurs

diffusion externe les services d'orange pour l agriculture en Afrique

ASSEMBLÉE NATIONALE 3 novembre 2014 AMENDEMENT

Remarques introductives, décentralisation fiscale

pays tributaires des exportations de minéraux

Fiche pédagogique du projet DACEFI-2

SYNTHÈSE DES PRINCIPALES CONCLUSIONS DE L AUDIT ÉCONOMIQUE ET FINANCIER DU SECTEUR FORESTIER AU CAMEROUN

TAXE DE SEJOUR GUIDE D'INFORMATION ET D APPLICATION

GUIDE METHODOLOGIQUE POUR L ELABORATION DES PLANS DE DEVELOPPEMENT LOCAUX

ATELIER REGIONAL AFRICAIN DU MDP. Koffi VOLLEY REFORME DU MDP: POINT DE VUE DE L AND- TOGO Par

1 er CONGRES DES FORETS COMMUNALES DE LA COMIFAC Présentation des initiatives en cours au CAMEROUN

La réforme de l administration fiscale au Cameroun

Etude de l importance économique et sociale du secteur forestier et faunique dans les Etats d Afrique Centrale

Impacts sociaux de la certification du Forest Stewardship Council

La mise en oeuvre de la coopération renforcée dans le domaine de la Taxe sur les Transactions Financières (TTF) 23 Janvier 2014

Africa Development, Vol. XXXI, No. 2, 2006, pp Council for the Development of Social Science Research in Africa, 2006 (ISSN )

EVALUATION FINALE BKF/012

S engager à agir pour le développement durable dans une période de changement

Séance du Conseil Municipal du 19/09/2013

L Initiative pour la Réduction de la Pauvreté et la Gestion de l Environnement (PREMI)

Les Flux Financiers Illicites et la Question des Transferts nets de Ressources en Provenance de l Afrique,

Décrets, arrêtés, circulaires

Résultats des Comptes de la Santé 2012 en RD Congo

On the spot. Ecocertification et images satellites. Exploitation forestière tropicale au Cameroun

Law. Environment and Development Journal

Rapport d activités 2012

CONTRAT DE PRESENCE POSTALE TERRITORIALE

GUIDE D ASSISTANCE CONSEIL AUX COMMUNES

PROMISAM - II. Formation en Suivi /Evaluation des Plans de Sécurité Alimentaire 2009

PROVINCE DE QUÉBEC VILLE DE RIMOUSKI RÈGLEMENT

PROPOSITION POUR LA MISE EN PLACE D UN SYSTEME DE TRACABILITE DES BOIS CIRCULANT SUR LE TERRITOIRE NATIONAL

Statuts v1.3 - Page 1 sur 5

Les Fiches de projet et leur canevas

========================

UNIVERSITES DES MAIRES ET PRESIDENTS DE COMMUNAUTES DE LOIRE-ATLANTIQUE. Module «Elaborer le budget de sa commune Les fondamentaux»

Bulletin municipal de la Commune de Rougegoutte

Plan d action sur le changement climatique de [nom de la collectivité]

MAIRIE de SAINT-PIERRE d'autils 59 rue du Puits SAINT PIERRE D AUTILS

FASCICULE 1 - Mesures portant réforme de la taxe de séjour et de la taxe de séjour forfaitaire

NOTE SUR L APPLICATION DE LA TAXE DE SEJOUR AU REEL ET LES DIFFICULTES LIEES A L INTERPRETATION DU BAREME Mise à jour 15 avril 2008

Tarification. Mise à jour du 1 er juillet 2010

la solution AAFEX aux problèmes de financement des entreprises exportatrices du secteur agricole et agroalimentaire

Forum international sur les paiements pour services liés aux écosystèmes des forêts tropicales

Acronymes. Introduction

INTRODUCTION... 2 CALENDRIER... 3 TRAVAUX DE L ANNEE BUDGET REALISE ANNEXES... 10

République de Côte d Ivoire NOTE D INFORMATION UN INSTRUMENT PROFESSIONNEL AU CŒUR DU DEVELOPPEMENT AGRICOLE ET DES FILIERES DE PRODUCTION

SCHÉMA POUR UNE GESTION FONCTIONNELLE ET PÉRENNE DU SERVICE D ADDUCTION D EAU POTABLE DE SIMA

REPUBLIQUE D'HAITI CONVENTION MINIERE TYPE. EN VERTU DU PERMIS D EXPLOITATION N o

«Suivi d un projet Livelihoods» Medan, Indonésie 7 au 11 octobre 2013

Compte rendu de la séance du conseil municipal

Décrets, arrêtés, circulaires

DES SUPERVISEURS DES SERVICES A BASE COMMUNAUTAIRE (AC/SBC) EN GESTION DES INFORMATIONS DE LA PLANIFICATION FAMILIALE ET DE LA SANTE MATERNELLE

LES MODIFICATIONS DE L INSTRUCTION M 14 ET M 4

FORMATION D EXPERTS REGIONAUX POUR UNE GESTION DURABLE DES FORETS DU BASSIN DU CONGO

PROJET DOUGORE 2011 SUR LA DECENTRALISATION AU TOGO

DELIBERATION N OCTOBRE 2012

Réunion du conseil d administration de la Commission de services régionaux de Kent. le 20 novembre h30 Édifice municipal de Saint-Louis

L IMPOT DE SOLIDARITE SUR LA FORTUNE

Décret n PR/MCJS/05 du 30 mai 2005, portant organisation et fonctionnement du Bureau Tchadien du Droit d Auteur

L Afrique Centrale et le FGI

Entre permis forestier et permis minier, la diff icile émergence des forêts communautaires au Gabon

Le Plan de Rénovation Énergétique de l Habitat Réunion de présentation du 19 juin 2014 Arrondissement de Libourne - DDTM de la Gironde

L AGENCE FRANÇAISE DE DÉVELOPPEMENT AU CAMEROUN. Le secteur privé

Mercredi 10 juin h30-22h30

PROJET D ELECTRIFICATION RURALE PAR RESEAU SBEE <<MESURES D ACCOMPAGNEMENT>> (MISSION D INTERMEDIATION SOCIALE)

La FAFEC «Gnèna-Yèter», la «Banque» des Femmes rurales du Nord de la Côte d Ivoire

Atelier Payer pour l environnement? Le mécanisme REDD+ et les PSE permettront-ils de s attaquer aux causes sous-jacentes de la déforestation?

Création d un groupe indépendant de conseil de la société civile et élaboration d un. savoir mondial transparent sur les forêt

AgiSSONS ensemble. Soutenons la démarche communautaire pour en finir avec le VIH/sida

DECRET DE CREATION DE AGENCE NATIONALE DE L ENVIRONNEMENT (ANDE)

MISE EN OEUVRE DU BUDGET PARTICIPATIF DANS LES COLLECTIVITES LOCALES DE KAOLACK ET KEUR BAKA

Ameth Saloum NDIAYE. Colloque régional UEMOA-CRDI

7 ème Edition des Assises de la Coopération Belge au Développement

CHARTE BUDGET PARTICIPATIF

de formation des prix

L Assurance agricole au Sénégal

FORMULAIRE DE DEMANDE DE SUBVENTION VALORISATION DES EFFLUENTS D ELEVAGE ET DECHETS PAR

Fiscalité des médicaments, consommables et équipements médicaux dans les pays membres de l UEMOA

PLACE DE L ASSURANCE PRIVEE DANS LA MISE EN ŒUVRE D UNE ASSURANCE MALADIE DITE UNIVERSELLE

CONVENTION DE PORTAGE FONCIER VILLE DE SAINT-BRIEUC / SAINT-BRIEUC AGGLOMERATION OPERATION RUE DU GOELO NOTE DE SYNTHESE. Mesdames, Messieurs,

CREATION DE SOCIETE ET REGIME FISCAL A L ILE MAURICE

I. S. F. ET DELOCALISATIONS FISCALES UN IMPACT DIFFICILE A MESURER FAUTE D UN TABLEAU DE BORD SATISFAISANT

Commune de Bourcefranc-le- Chapus: Audit financier. Conseil Municipal du 22 juillet 2014

Ma situation fiscale

LE COMMERCE ELECTRONIQUE OPPORTUNITES ECONOMIQUES ET SOCIALES

Workshop Gestion de projet- IHEID- MIA- Décembre 2008 Cas Colombie Cucuta

Préavis No au Conseil communal

INTEGREE DES RESSOURCES EN EAU

Déclaration de Lilongwe sur l accès à l assistance juridique dans le système pénal en Afrique

Consultation sur le projet de mise à jour des indicateurs PEFA, 7 août 2014

Magellan, Alexandre et Clausewitz

2. Liste des propositions de projets déposés au consultant CARPE avant le 30 juin 2007

Règlement Intérieur des Services de Restauration Scolaire et d Accueil Périscolaire de la Ville de Jarvillela-Malgrange

Transcription:

16 ème colloque international en évaluation environnementale 12-15 septembre 2011,Yaoundé Evaluation des politiques publiques et gouvernance forestière: L exemple de la Redevance Forestière Annuelle au Cameroun Guillaume Lescuyer CIRAD-CIFOR, Yaoundé

L importance accrue accordée à la forêt en Afrique centrale Une importance économique (0,3 6,3% PIB) Des préoccupations environnementales nouvelles: certains services rendus par la forêt tropicale (biodiversité, carbone, ) constituent des biens publics mondiaux De nouvelles politiques forestières et de nouveaux codes forestiers dans le bassin du Congo dans les années 1990 Des financements internationaux conséquents appuyant la gestion durable des ressources forestières

De nouvelles politiques forestières Un objectif technique d aménagement durable des forêts, visant développement socio-économique et conservation des ressources Un objectif politique de meilleure gouvernance Transparence des choix et participation des acteurs Dévolution de la gestion forestière à des entités décentralisées Un appui des bailleurs internationaux: Financements de projet et/ou appui budgétaire Influence dans la conception des politiques forestières Suivi/évaluation de l application de ces politiques

L exemple de la Redevance Forestière Mécanismes de rétrocession d une partie des taxes forestières payées par les exploitants forestiers à une collectivité publique locale et/ou une communauté implantées où se déroule l exploitation Dispositif généralisé en Afrique centrale, encadré au Cameroun pour l arrêté n 166 en 1998 Montant de la RFA: entre 5-15 milliards F.CFA par an (jusqu en 2008) Annuelle Objectifs affichés : Réduction de la pauvreté en milieu rural Réalisation d infrastructures collectives Renforcement des capacités des entités locales de gestion

Fonctionnement de la RFA (1997-2008) Paiement de la RFA par l exploitant forestier (minimum de 1000F/ha/an) 50% pour le Trésor Public 40% pour la commune où a lieu l exploitation 10% pour les communautés riveraines Intégré au budget municipal et géré selon les normes de la comptabilité publique Versés initialement à la commune, qui rétrocède aux communautés sur la base de projets collectifs

Des constats sans appel: Un bilan très critiqué Une répartition inégale de la RFA entre les communes Application hétérogène des dispositions réglementaires, notamment concernant le comité de gestion qui gère la quote-part communautaire Les communautés ne touchent que très rarement l intégralité des fonds qui leur sont dus Rôle prépondérant du maire dans la gestion effective des fonds Absence d information sur les montants parvenant à la commune et surtout sur leur utilisation Une RFA surtout utilisée pour couvrir les dépenses (souvent opaques) de fonctionnement de la commune et non pour l investissement Un impact faible sur le développement local Une nécessaire réforme de la réglementation De nombreuses publications, les Ministères sont convaincus de la faible efficacité du mécanisme, pressions des agences internationales Nouvel arrêté (n 520) en 2010 prônant un modèle renouvelé de gouvernance, avec plusieurs mesures phares

1 - Démarrage du fonds de péréquation Paiement de la RFA par l exploitant forestier (minimum de 1000F/ha/an) 50% pour le Trésor Public 20% pour un fonds national de péréquation 20% pour la commune où a lieu l exploitation 10% pour les communautés riveraines Conséquence: une diminution de moitié de cette recette municipale, souvent cruciale pour les communes bénéficiaires Versés initialement à la commune, qui rétrocède aux communautés sur la base de projets collectifs

2 Clarification de la définition et du rôle du comité de gestion de la RFA Quote-part de 40% gérée par le Conseil Municipal Quote-part de 20% gérée par un Comité Communal ad hoc Quote-part de 10% gérée par un comité de gestion (instauré à l échelle communale, villageoise ou autre) Quote-part de 10% gérée par un Comité Riverain instauré dans chaque village Conséquences: - Une perte de légitimité pour le Conseil Municipal - Multiplication des instances de décision: conflits et/ou coûts de transaction élevés

3 Diminuer l influence du maire Le maire préside le Conseil Municipal qui gère la quotepart de 40% Le Maire est le rapporteur du Comité Communal qui gère la quote-part de 20% Le maire préside le Comité de Gestion qui gère la quotepart de 10% Un conseiller municipal est rapporteur du Comité Riverain qui gère la quote-part de 10% Conséquences: - Le maire perd la main sur la gestion d une partie importante des recettes fiscales de la commune

4 Favoriser les investissements A l échelle de la commune, 80% de la RFA doit être utilisé pour des dépenses d investissement, selon un Plan de Développement Communal quinquennal assorti d une planification opérationnelle annuelle Toutes les opérations sont retracées tous les ans dans un compte administratif spécifique A l échelle des villages, 90% de la RFA doit être utilisé pour la réalisation des oeuvres sociales et économiques Conséquences: - Le choix de l affectation des recettes municipales est fortement contraint - Peu de fonds pour faire fonctionner les instances de discussion et décision

5 Accroître la transparence De nombreuses réunions à organiser tous les ans: à l échelle communale: 2 réunions d information, 2 réunions du Conseil Communal À l échelle villageoise: 4 réunions De nombreux documents à produire et diffuser: Programmes quinquennal et annuels des réalisations Bilan des réalisations financées: compte administratif, rapport semestriel sur l état d avancement Conséquences: - Une augmentation importante du coût de fonctionnement du mécanisme de rétrocession de la RFA - Rôle mineur du Conseil municipal

Nombre de réponse La réaction des maires face à cette nouvelle réglementation Un fort mécontentement (échantillon de 15 mairies, février 2011) Conception et discussion de dispositions alternatives 7 6 5 4 3 2 1 0 Présidence du Comité Communal Coût des réunions Fonds de péréquation Illégalité de certaines dispositions Diminution des prérogatives des maires Clef de répartition

Evaluation de la RFA et gouvernance Conception des politiques publiques 1994 - Code forestier forestière 2000 2010 Evaluations négatives des impacts Évaluation des effets des politiques 2010 Décret n 520 pour RFA 2010/11 Refus massif des maires et faible mise en œuvre Définition des instruments des RFA politiques 1998 Décret n 122 pour 1998 2007 Appropriation massive par les maires des communes forestières Appropriation différenciée des instruments par les acteurs et mise en œuvre

Conclusion Un suivi exemplaire de la RFA mais sans amélioration de la gouvernance de l instrument Basculement d un constat de pratiques contestables à l imposition d un modèle idéalisé de gouvernance locale Une approche top-down (services centraux des ministères + agences internationales) au détriment des praticiens (maires) Le suivi et l évaluation des politiques est un instrument d aide à la décision: Soit il justifie une décision par le décideur en charge de la politique Soit il alimente un débat (politique, technique, économique ) engageant les principaux acteurs concernés pour établir des objectifs réalistes à défaut d être idéaux

Pour en savoir plus Lescuyer G., Ngoumou Mbarga H., Bigombe Logo P. 2008. "Use and misuse of forest income by rural communities in Cameroon." Forests, Trees and Livelihoods 18: 291-304 Morrison, K., Cerutti, P.O., Oyono, P.R. and Steil, M. 2009. Broken Promises: Forest Revenue-Sharing in Cameroon. WRI Forest Note, Washington D.C., WRI Cerutti P.O., Lescuyer G., Assembe Mvondo S., Tacconi L., 2010. Les défis de la redistribution des bénéfices monétaires tirés de la forêt par les administrations locales. CIFOR Document Occasionnel n 53, Bogor, Indonésie Cerutti P.O. & Lescuyer G., 2011. Review of the experience in forestry revenue-sharing. CIFOR, Rapport interne pour la Banque mondiale, Yaoundé

Merci de votre attention lescuyer@cirad.fr