Le Liban dans le contexte convulse du Proche-Orient



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Transcription:

Le Liban dans le contexte convulse du Proche-Orient «Les raisons sont là pour que le Hezbollah, même si l on n aime pas du tout son idéologie, ne soit pas désarmé» pense l économiste et historien libanais, qui critique des jeux de puissances occidentales dans la région. Entretien avec Georges Corm par Natalia Sancha- Afkar / Ideas 36 - /01/2013 A ses 73 ans, l économiste et historien Georges Corm a analysé le Liban depuis tous ses angles. Ancien ministre des Finances, Corm est déçu de la classe politique libanaise qu il évite de fréquenter, bien qu il eprouve un grand respect pour l ancien premier ministre Salim el Hoss. Né et devenu adolescent en Égypte, ce chrétien maronite surprend tantôt les oreilles libanaises comme les européennes, à travers un discours inusuel. Un homme avec un discours gênant qui maintient de fermes positions comme la défense de la milice chiite Hezbollah, la critique des jeux de puissances occidentales dans la région ou la critique envers Israël. Bien qu on voudrait qu il soit un homme politique, au Liban, il refuse de rentrer dans le jeu et devenir «un décor autour d un chef autoritaire et patriarcal». Il enseigne toujours comme professeur et travaille en tant que consultant. C est dans son bureau à Beyrouth qui se déroule cet entretien. a/i : Dans les presque deux ans de conflit en Syrie, le Liban a été relativement tranquille. Est-ce que vous croyez que la situation commencera à se détériorer avec les évènements récents, comme l attentat de Wissam al Hassan ou les affrontements entre partisans du Hezbollah et du Cheikh Ahmed el Asir? g.c. : Je ne crois pas que ce soit plus brûlant maintenant. Depuis le début, les évènements en Syrie ont affecté le Liban. Il y a un clivage très fort entre deux groupes politiques, lesquels heureusement sont chacun transcommunautaires, donc il n y a pas de polarisation communautaire avec des partisans et des détracteurs du régime syrien. C est une vieille histoire. Avec l assassinat de Rafik Hariri, cette polarisation s est créée. Évidemment, le paradoxe de la situation, c est que les plus grands défenseurs de la présence syrienne au Liban pendant 15 ans, se sont transformés, du jour au lendemain, en des détracteurs féroces, mais rien n a changé. De toute façon, le Liban est un État mou, c est le moins que l on puisse 1

dire. C est un État tampon, comme je l appelle, qui est donc très perméable à toutes les influences régionales. Bien sûr, avec cet énorme voisin qui s appelle la Syrie, vous ne pouvez pas manquer d avoir des répercussions au Liban. Mais jusqu'à présent, cela reste quand même contenu, malgré les phénomènes de plus en plus spectaculaires médiatiquement, comme ce Cheikh de Saida dont vous parlez. a/i : Ou l attentat. g.c. : Oui, l attentat. Mais comme vous savez, tous les services secrets du monde sont au Liban. Et comme vous avez vu, rien ne s est passé. a/i : Pouvons nous dire que le scénario a changé, du temps de l attentat de Hariri, quand la crise semblait une crise interne libanaise provoquée par la présence syrienne, à aujourd hui où la crise qui risque de déborder au Liban, est en relation avec la politique domestique syrienne? g.c. : Pas du tout. En 2005, nous avons assisté à des interférences des ambassadeurs des puissances occidentales dès la première seconde après l assassinat à un niveau jamais vu dans l histoire récente du Liban. La Syrie n était pas l élément du problème. L élément du problème, je l ai vécu de l intérieur, était la volte-face anti-syrienne du groupe politique dominant de Libanais qui avaient été jusque-là, durant des décennies, des pro-syriens déchainés et qui entraînaient la Syrie à se mêler constamment des affaires intérieures du pays, pour leurs seuls intérêts matériels. C était ça le problème. Par contre, sous le président Lahoud qui débute en 1998, on a eu un allègement du nombre de troupes syriennes présentes au Liban et leur redéploiement hors des grandes zones urbaines, ce qui a rendu leur présence beaucoup plus discrète, de nombreux barrages de contrôle ayant été supprimés. La situation avait donc évolué favorablement dans les rapports syrolibanais. Une preuve additionnelle, c est qu on a eu le gouvernement de monsieur Salim El Hoss avec l arrivée du président Lahoud où il n y avait, sur 16 ministres composant le gouvernement, que deux ministres connus pour leur inféodation au régime syrien. a/i : Quant à la naissance de nouveaux acteurs au Liban, quel est selon vous, le rôle des Salafistes, que ce soit au nord (Tripoli) ou au sud (Saida) du Liban? g.c. : Le seul élément nouveau est l apparition des Salafistes à Saida, lesquels 2

étaient jusqu'à présent cantonnés dans les camps palestiniens de cette ville. Et qui étaient alimentés par la famille Hariri comme c est très bien documenté par les reportages de Seymour Hersh. Depuis des années?tripoli est pratiquement une imara salafiste sous protection et financement saoudo-haririen. Donc, là, il n y a rien de neuf. Qu ils s agitent un peu plus, un peu moins Tripoli est comme ça depuis des années. a/i : Le fait du manque de réaction lors de l attentat n est pas alarmant? g.c. : Enfin il y en a eu. Ils ont essayé de rentrer dans le siège du gouvernement par la force, et apparemment il n y avait pas de coordination entre les partis qui ont fait cela avec énormément de drapeaux de l opposition syrienne, d ailleurs ce qui était très choquant, et les ambassades occidentales sans qu il y ait une dissonance. a/i : Donc vous pensez que l on retourne à la situation de 2004, sauf pour le fait de la division des acteurs chrétiens entre le bloc 14 et celui du 8 Mars? g.c. : La situation est très différente par rapport à ce qui s est passé après la résolution 1559. La majorité du bloc pro-syrien est devenue anti-syrienne en 24 heures et toute une partie du bloc chrétien qui s était caractérisée par l opposition, y compris militaire, à la présence syrienne, le groupe du général Aoun, s est alliée avec le Hezbollah. Ce qui, à mon avis, a empêché une guerre civile interne et a complètement changé toute la donne au Liban. Aujourd hui, vous avez deux grands groupes qui reflètent des idées divergentes de la politique régionale. a/i : Et la religion, quel rôle joue-t-elle? g.c. : La religion n a aucun rôle dans tout ça. Mais partout, on utilise l ethnique, le communautaire pour expliquer les conflits, c est en fait pour ne pas réfléchir. Déjà en 1975-90, dans le conflit libanais, alors que vous aviez tellement de chrétiens avec la coalition pro-palestinienne, on avait décidé que la minorité parlementaire des chrétiens à la Chambre des députés représentait tous les Chrétiens du Liban. a/i : Presque tous les pays du nord de l Afrique et du Moyen Orient ont vécu des mouvements sociaux de contestation de masse, demandant le changement. Est-ce que vous avez vu cela au Liban? 3

g.c. : Au Liban, il y a eu un mouvement transcommunautaire qui a réclamé la chute du système confessionnel qui a fait trois manifestations. D abord, 2 000 personnes, puis après 10 000 personnes, puis 30 000. Ensuite, il y a eu d autres éléments politiques qui sont arrivés sur la scène, il y a eu des partis politiques traditionnels qui ont essayé de se mêler du mouvement. Donc, pour le moment, il est resté en veille, mais il pourra ressortir à n importe quel moment. a/i : Est-ce que vous pensez que le manque de contestation sociale est une exception libanaise? Par exemple, lors d une des manifestations que vous mentionnez, il y avait quelques milliers de personnes, mais lors de l appel du leader du Hezbollah il y en avait 100 000, ou lorsque Saad Hariri appelle ses partisans. Pourquoi si peu d affluence aux appels sociaux transcommunautaires? g.c. : Cet appel représentait une élite transcommunautaire de la société, mais le public est beaucoup plus large que ceux qui descendent dans la rue. Simplement, il y a toujours le matraquage médiatique. Il y a des évènements, notamment ceux de la Syrie, qui font que pour le moment, le mouvement s est mis en veille. Il y a beaucoup de jeunes activistes qui ne sont toujours pas d accord entre eux, ce qui est normal, mais il y a potentiellement un très grand mouvement de la société civile au Liban. Pendant la guerre 1975-90, vous aviez une dame s appellant Iman Khalife, décédée maintenant, qui a réussi à mobiliser des centaines de milliers de personnes dans des manifestations pour la paix et contre les milices. a/i : Donc ce n est pas inhabituel que dans un pays comme le Liban avec un tel passé de mobilisation sociale et dans le contexte actuel régional avec la poussée sociale, rien ne se passe? g.c. : Mais les mobilisations sociales sont malheureusement souvent récupérées par le chef communautaire et les gens sont prudents. Il y a potentiellement un mouvement puissant, mais vues les tensions actuelles, c est normal qu ils soient prudents. a/i : Pour revenir à la Syrie. Deux ans se sont écoulés depuis le début des contestations, et l on aperçoit une évolution du conflit en plusieurs phases. Commençant avec une phase de contestation populaire pacifique qui peu à peu s est militarisée en partie avec l entrée de rebelles armés face à l armée syrienne. À quel point pensez-vous que l on se trouve aujourd hui : est-ce une impasse ou il 4

s agit plutôt d un point d équilibre? g.c. : Non, aujourd hui c est une impasse, parce que c est bien la position russe, chinoise et peut être iranienne qui sont figées et les positions occidentales sont figées aussi. Comme l on a vu lors de la constitution de cette nouvelle coordination des mouvements de l opposition à l étranger, le discours est devenu le même : «pas de négociation avec le régime». Tant que vous avez une attitude de «pas de négociation», malheureusement, la violence ne peut que continuer. Les seules révolutions qui ont réussi sont celles qui sont restées pacifiques. C est à dire l égyptienne ou la tunisienne, où les manifestants ont subi héroïquement beaucoup de victimes. La seule façon de faire tomber des dictateurs, c est la mobilisation en masse de toute la population, ce n est pas de faire venir des armes. On l a vu aussi en Lybie. a/i : En fait, il n y a pas mal d opposants historiques du régime syrien qui, même si au début confrontaient le régime, se sont rétractés du moment où les armes sont rentrées dans les rangs rebelles. g.c. : Ils ont dit que de toute façon l opposition à l extérieur était entre les mains des puissances occidentales et ses alliés comme la Turquie, l Arabie saoudite et le Qatar. Qu elle n avait pas une représentativité réelle sur le terrain, surtout comparée aux opposants de l intérieur et que, pour eux, effectivement, un processus armé était d aller vers une guerre civile qui ne finirait plus. Donc, ils ont engagé un dialogue et le régime syrien lui même a intégré certaines personnes de cette opposition dans le gouvernement actuel. Notamment le ministre de la Réconciliation. Enfin deux ou trois ministres qui appartiennent à l opposition intérieure. a/i : Hezbollah est considéré un allié de la Syrie de longue date et depuis g.c. : Pas de longue date, pas vraiment au départ. Parce qu il ne faut pas oublier le massacre que les troupes syriennes ont fait des éléments de Hezbollah, quand elles sont revenues à Beyrouth, en 1987, après en avoir été chassées par l invasion israélienne de 1982. Ainsi que les luttes d Amal entre 1986 et 1988, très proche de la Syrie contre le Hezbollah : 2 500 victimes. a/i : En tant qu allié de la Syrie, et depuis le retrait des troupes israéliennes du Sud, 5

la question que se pose l opposition du Hezbollah est la raison de l existence militaire du parti? g.c. : Les raisons de son existence sont infinies et même militairement. En premier lieu, il ne faut pas oublier 22 ans d occupation et tout ce que la population du Sud et de la Beqaa a souffert. Deuxièmement, tous les territoires ne sont pas récupérés et la ligne bleue des Nations unies est à la défaveur du Liban : des dizaines de milliers de mètres carrés de territoire qu Israël essaye de s approprier et qui ne lui appartiennent pas. Troisièmement, Israël continue de voir la formule libanaise comme un défi à son existence qui est monosectaire, monocommunautaire, alors que malgré tous les accidents de parcours, la formule libanaise continue d être une formule multicommunautaire. Quelque part, le Liban et Israël sont des ennemis existentiels. D ailleurs, un prêtre libanais qui était en même temps philosophe et théologien, qui s appelle le père Moubarak, a très bien expliqué qu il n y a pas de place dans cette région du monde pour un État monocommunautaire. Et donc, tant que l existence israélienne ne soit pas normalisée, le Liban sera en danger. Ainsi, il a besoin de rester armé. Actuellement la meilleure formule pour faire face à l armée israélienne, c est cette guerre de partisans, asymétrique et qui ne coûte rien à l État libanais qui n aurait absolument pas les moyens de monter une armée qui soit capable de défendre le territoire par rapport à l armée israélienne, qui est la cinquième ou sixième puissance militaire du monde. Donc, les raisons sont là pour que le parti, même si l on n aime pas du tout son idéologie, ne soit pas désarmé. a/i : Le Hezbollah est-il cohérent entre son discours et ses actions? g.c. : Il est très cohérent. Si l on considère qu Israël est le principal danger pour le Liban, l attitude du Hezbollah est justifiée. Alors que si l on considère qu Israël n est pas un danger, et que c est un État très sympathique qui n a aucun problème, évidement on va dire que l ennemi, c est l Iran et la Syrie. a/i : Apercevez-vous un sentiment anti-chiite croissant? g.c. : Pas plus qu avant. Mais cela fait des années et je renvoie de nouveau aux analyses de Seymour Hersh dans le New Yorker, que les États-Unis, voyant qu ils ont raté l invasion de l Irak et que cela a servi à accroître l influence de l Iran, ont décidé de mettre en route une sorte de guerre civile entre sunnites et chiites à l échelle de tout le Moyen-Orient en parlant de l axe chiite du mal, opposé à l axe du bien concrétisé par l alliance des USA, l Arabie saoudite, le Qatar et le Pakistan 6

qui est un État ultra démocratique et laïque n est ce pas? Tous les droits de l homme et de la femme sont respectés c est des jeux de dupe, tout cela. Si vous regardez les alliances américaines, quels sont les trois piliers, en dehors du Japon ou du monde occidental? L Arabie saoudite, le Pakistan et Israël. Trois États religieux où les droits de l homme ne sont pas respectés sont les piliers majeurs de son influence. C est tout, cela suffit. Suffisamment éloquent. a/i : Et la Syrie pourrait-elle joindre cette alliance, si un régime ami est imposé? g.c. : Moi, personnellement, je suis plutôt pessimiste. Je pense que la Syrie va connaître le sort de l Irak. Quand vous déversez tellement d argent et que vous envoyez tellement de gens se battre, avec l idéologie takfiriste et pas jihadiste a/i : Est-ce cette radicalisation idéologique la dernière phase de la guerre, en Syrie? g.c. : Non, c était très clair du début. L erreur majeure du régime syrien a été de continuer à mettre en prison des opposants à droite et à gauche qui ne représentaient pas une menace à son régime et de ne pas avoir vu tout ce qui se passait à ses frontières, côté jordanien, libanais et turc. a/i : N est-ce cela devenu une erreur commune dans cette dernière décennie en se concentrant sur les Frères musulmans pour après découvrir les Salafistes? g.c. : Bon, cela aussi c est un jeu de dupes car ce sont les mêmes sources qui financent les Frères musulmans et les Salafistes. Cela permet de faire un théâtre d ombres où les Frères musulmans apparaissent comme des modérés par rapport aux Salafistes. C est du mauvais théâtre. De même qu avant les Frères musulmans étaient un bel épouvantail pour un régiment comme Moubarak ou autres. a/i : La Syrie, aujourd hui, est-elle plus isolée, en perdant un allié de poids comme la Turquie? g.c. : Cela a été une deuxième erreur majeure du régime syrien de signer tous ces accords avec la Turquie et de s y livrer pieds et poings liés en 2007. Pour les industries syriennes, c est un accord qui a été ravageur. Il y avait déjà une crise économique et sociale en Syrie dans les campagnes. Là, ils ont créé une crise car 7

beaucoup d usines ont dû fermer, le chômage a augmenté comme conséquence de la vente des produits turcs en libre échange. a/i : Pour revenir au religieux. g.c. : On perd du temps avec le religieux. Tous les conflits ont des causes, soit l ambition, soit le désir d hégémonie, soit la main mise sur les matières premières Il n y a pas de conflit parce que l on ait uniquement de religions différentes. C est une idée stupide. En plus, au Moyen Orient les différentes communautés ont vécu ensemble depuis l antiquité. a/i : Alors, que pensez-vous de cette obsession et protection de la part d Occident envers les chrétiens du Moyen Orient? g.c. : Oui, mais cela est un rêve d Occident, que les chrétiens partent, pour que finalement il y ait un monde arabe islamique et puis l État d Israël. Chacun justifiant l autre, l État juif et des États islamiques, soit kurde a/i : En quoi ce serait bénéfique pour l Occident? g.c. : Parce que les chrétiens, depuis le début gênent les Occidentaux, car ils n ont pas le langage de l Occident pour la plupart d eux qui savent se tenir sur leurs pieds. Et qu ils leur disent «attention, vous faites fausse route», nombre de chrétiens qui ont été anti-impérialistes, anticolonialistes, antifrançais. Un des plus grands noms de la résistance palestinienne s appelle Georges Habash (un chrétien). Même des gens comme moi, nous sommes très gênants, si francophone et francophile que nous soyons, nous critiquons très ouvertement la politique de la France. Donc, autant nous évacuer au Canada ou ailleurs. On serait beaucoup moins gênants. 8