LES VÉRITABLES ENJEUX DE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE EN LIEN AVEC LE MODÈLE AGRICOLE DOMINANT



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Transcription:

LES VÉRITABLES ENJEUX DE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE EN LIEN AVEC LE MODÈLE AGRICOLE DOMINANT Mémoire déposé à la Commission de l Agriculture, des pêcheries et de l alimentation du Québec Par l Union paysanne de Lanaudière Le 22 janvier 2004

Table des matières Mise en contexte...1 1. Qu est-ce que c est, la «sécurité alimentaire»?...3 2. S interroger d abord sur les causes.....3 3. Des statuts différents et des préoccupations différentes face à la sécurité alimentaire...4 4. Les aliments : des marchandises comme les autres?...5 5. Le système d inspection, la traçabilité et l étiquetage des aliments : fuite en avant ou mesures transitoires?.....6 6. La véritable solution : revoir le modèle agricole du Québec.....7 Références...9

Mise en contexte L Union paysanne de Lanaudière existe depuis 2001. Il s agit d un regroupement de Lanaudoises et de Lanaudois ayant adhéré à la Déclaration de principes de l Union paysanne (national). Il s agit donc de paysans et de citoyens désireux de contribuer au développement d une agriculture non industrielle, à échelle humaine et en harmonie avec le milieu écologique régional; une agriculture qui produit des aliments de qualité et qui préserve l occupation des campagnes. C est dans cet esprit que l organisation présente un mémoire dans le cadre de cette consultation sur les nouveaux enjeux de la sécurité alimentaire. D entrée de jeu, l Union paysanne de Lanaudière déplore le peu de temps accordé aux groupes intéressés, dans ce processus de consultation, pour élaborer et faire parvenir leurs avis à la commission parlementaire. Elle souligne que cette précipitation ne permet pas le développement d une réflexion approfondie et étayée, alors que la problématique abordée est lourde d implications pour l avenir de la société québécoise. Étant donné ce manque de temps alloué à la rédaction de mémoires, mais aussi pour demeurer fidèle d abord à ses propres préoccupations en matière de modes de production agricole et de qualité des aliments, l Union paysanne de Lanaudière a choisi d aborder globalement les «nouveaux» - ou plutôt les véritables - enjeux de la sécurité alimentaire, plutôt que de s en tenir exclusivement aux trois thèmes et aux vingt-et-une questions précises proposés par la commission parlementaire. 1

2

1. Qu est-ce que c est, la «sécurité alimentaire»? Dans son approche globale du système agroalimentaire québécois et mondial, l Union paysanne de Lanaudière se préoccupe de toutes les dimensions de la sécurité alimentaire incluses dans la définition de l OMS et de la FAO (1996), notamment : L accès (physique et économique) aux aliments; Le caractère sain et nutritif de ces aliments; Le respect des préférences alimentaires. Elle ajoute également à cette définition officielle, largement répandue et reconnue, les éléments suivants : Le pouvoir d achat nécessaire; L accès à une information simple et fiable permettant de faire des choix alimentaires éclairés. La commission parlementaire de l agriculture, des pêcheries et de l alimentation, par contre, restreint son champ d intérêt à la «sécurité sanitaire» des aliments promue par la FAO depuis 2003. Pour l Union paysanne de Lanaudière, il est évident que cette vision trop étroite de la problématique ne permet pas d agir à sa véritable racine. 2. S interroger d abord sur les causes Pour l Union paysanne de Lanaudière, l approche adoptée par la commission masque la plus grande partie de la problématique qui finit par compromettre la «sécurité sanitaire des aliments», mais aussi les autres dimensions de la sécurité alimentaire. En effet, son approche technocratique s intéresse seulement à l identification et l élimination de failles techniques dans le système de production, transformation et distribution des aliments. Elle ne questionne pas véritablement les causes profondes des problèmes de sécurité alimentaire. Elle ne questionne nullement les bases de ce système. Au contraire, elle s y intègre parfaitement, cherche à le faire mieux fonctionner pour le bénéfice des grands joueurs économiques qui le dominent. Ainsi, son analyse de la problématique est développée en liens étroits avec les attentes normatives des marchés internationaux. Bien davantage, d ailleurs, qu en fonction des préoccupations des consommateurs ou des producteurs agricoles québécois. L Union paysanne de Lanaudière, par contre, ne peut dissocier les différents aspects de la sécurité alimentaire du système agroalimentaire qui prévaut, au Québec comme dans le reste du monde. En clair, c est ce système (ses orientations, son fonctionnement, etc.) qui génère les problèmes de sécurité alimentaire. 3

3. Des statuts différents et des préoccupations différentes face à la sécurité alimentaire Du point de vue des personnes humaines, l Union paysanne de Lanaudière distingue au moins deux statuts différents et deux types de préoccupations face à la sécurité alimentaire : D un côté, on retrouve des personnes qui sont trop démunies pour avoir accès en quantité suffisante à des aliments qui vont leur permettre d être en santé. Ces personnes s inquiètent régulièrement de savoir si elles et leurs familles vont pouvoir manger le lendemain. On associe souvent ce type d insécurité alimentaire aux grandes famines que connaissent les pays en voie de développement. Pourtant, la faim et la malnutrition existent aussi en Amérique du Nord. Ainsi, une étude réalisée par Statistique Canada révélait que 8 % des Canadiens ont connu une situation d insécurité alimentaire entre 1998 et 1999 (Cité par Laure Waridel, 2003, p. 103). Dans Lanaudière, c est 13,5 % des personnes âgées de 12 ans et plus vivant dans les ménages privés qui ont vécu une telle situation entre 2000 et 2001 (cité par Poissant et Lemire, 2003). De l autre côté, on retrouve les «consommateurs» qui se préoccupent de plus en plus de la qualité des aliments qu on leur offre. Ils s inquiètent entre autres des risques pour leur santé que peuvent représenter les aliments produits industriellement. Certains sont capables de payer plus cher pour des aliments considérés comme plus «sains», par exemple les aliments biologiques. Du point de vue des groupes d acteurs impliqués dans la «chaîne alimentaire» dont parle la commission parlementaire, la sécurité alimentaire semble représenter surtout une sorte de paramètre normatif dont il faut tenir compte pour arriver à vendre des produits alimentaires, et surtout sur le marché international. Dans son document de consultation, la commission parlementaire met d abord l accent sur les préoccupations commerciales des groupes d acteurs de la «chaîne alimentaire». Les risques sanitaires que peuvent représenter les aliments sont présentés comme des contraintes au libre commerce qu il faut maintenant assumer pour avoir accès aux marchés internationaux et demeurer «concurrentiel». Dans le même sens, les craintes légitimes des consommateurs à l égard des «aliments nouveaux» qui leur sont offerts sont vues comme de «mauvaises perceptions» (alors que «le système agroalimentaire est sécuritaire»). Une meilleure gestion de ces «mauvaises perceptions» est préconisée, dans l objectif d arriver à mieux vendre les produits alimentaires. 4

4. Les aliments : des marchandises comme les autres? L Union paysanne de Lanaudière tient à souligner que les aliments, au même titre que l eau, ne sont pas des marchandises comme les autres, ou ne devraient même pas être considérées comme des marchandises. Il s agit, bien au contraire, d éléments essentiels à la vie humaine. À ce titre, d ailleurs, l accès aux aliments a été reconnu comme un droit et inclus, dès 1948, dans la Déclaration universelle des droits de l homme. Depuis le Sommet mondial de l alimentation qui s est tenu à Rome en 1996, des comités internationaux s efforcent de mieux définir les implications légales de ce droit. Cette tâche, soit dit en passant, semble bien plus ardue et bien moins réaliste que l organisation et l harmonisation d une complexe infrastructure normative, réglementaire et législative en vue de contenir les failles du système agroalimentaire en matière de sécurité sanitaire des aliments. Mais manger, c est aussi plus qu un droit humain. Comme l a si bien écrit John Madeley (2002, p. 47-48) : «La nourriture est plus qu un produit qui se vend et s achète, plus aussi que l ensemble des nutriments que nous consommons. Elle satisfait divers besoins humains culturels, psychologiques, sociaux et autres. C est le bien commun. «La nourriture est une sensation; elle habite l imagination, relie les gens. La nourriture est le point de référence que chacun peut reconnaître et partager.» (citation de José Muchnik, 1999) Le manque de nourriture est l ultime exclusion. Une personne qui n a pas de quoi se nourrir est bannie d une activité centrale du reste de la société manger. La nourriture est ce qui nous maintient en vie, un besoin humain primordial reconnu dans la Charte des Nations Unies comme un des droits de la personne. Même si l être humain ne vit pas seulement de pain, de riz, de sorgho ou de manioc, il reste que l alimentation lui permet d entrer dans la vie et de se maintenir en vie. Le manque de nourriture entraîne douleur, souffrance, maladie et mort; c est la principale cause de maladies mortelles dans le monde; il plonge dans l angoisse des parents qui assistent, impuissants, à l agonie de leurs enfants. La nourriture a donc un statut particulier; elle diffère complètement de tous les autres biens de consommation.» L approche mercantile de la sécurité alimentaire qui se dégage du document de consultation de la commission parlementaire n est certes pas axée sur le respect du droit fondamental à l alimentation, ni sur la reconnaissance du statut particulier des aliments parmi les produits de consommation. Au contraire, en faisant abstraction de l aspect «accès aux aliments» de la sécurité alimentaire, et en cherchant essentiellement à calmer en aval les inquiétudes croissantes des consommateurs individuels et des marchés internationaux à l égard des aliments qui leur sont offerts, le Gouvernement du Québec risque fort de contribuer à la perpétuation, voire à l accentuation d une alimentation à deux vitesses. L Union paysanne de Lanaudière s inquiète grandement de cette situation. 5

5. Le système d inspection, la traçabilité et l étiquetage des aliments : fuite en avant ou mesures transitoires? Les thèmes de réflexion et les questions posées par la commission parlementaire présentent une lacune importante : ils ne permettent pas de véritablement solutionner les problèmes de sécurité alimentaire, parce qu ils ne permettent pas d empêcher qu ils surviennent. La lourde et énergivore infrastructure réglementaire déjà implantée et que l on voudrait améliorer et harmoniser représente tout au plus un petit pansement posé sur une hémorragie de risques potentiels pour la santé et l environnement. Dans la situation présente, étant donné les multiples risques sanitaires, environnementaux et autres découlant des modes de production, de transformation, de conditionnement, etc. des aliments, il est bien sûr préférable de pouvoir compter sur un ensemble de mesures de contrôle bien orchestrées, toutefois il ne peut s agir de la seule avenue à long terme. Au cours des derniers mois, le Québec s est montré aussi vulnérable aux crises agricoles que n importe quel pays développé supportant une agriculture industrielle et intensive. La toute récente crise de la vache folle en est une belle illustration. Un seul cas à l autre bout du Canada et l ensemble du marché du bœuf de la province s est effondré. Et ce, malgré la supériorité attribuée par les experts au système québécois Agri-traçabilité (informations plus complètes colligées). Rien ne permet non plus d affirmer avec certitude que la prochaine crise de ce type (il y en aura certainement d autres) sera plus facilement traversée si l infrastructure normative, réglementaire et législative est ajustée aux pratiques et aux exigences internationales. En matière de gestion des risques environnementaux et agricoles, on a trop souvent tendance à adopter la fuite en avant, sous prétexte que les nouvelles pratiques mises de l avant contribueront à «faire tourner l économie». Ainsi, par exemple, on investira des sommes colossales pour traiter les eaux polluées plutôt que d empêcher qu on les pollue; pour traiter et «valoriser» le lisier de porcs plutôt que de modifier les modes de production qui génèrent des quantités astronomiques de lisier; pour suivre à la trace des aliments qui pourraient avoir été contaminés à un ou l autre des nombreux maillons d une longue chaîne d acteurs de l agroalimentaire plutôt que de modifier les modes de production, de transformation, de conditionnement des aliments et de réduire la chaîne des acteurs, etc. Pour l Union paysanne de Lanaudière, la seule véritable solution aux crises agricoles sectorielles qui ne manqueront pas de se succéder et aux crises de confiance des consommateurs qui en découleront automatiquement, c est de revoir globalement le modèle agricole du Québec. 6

6. La véritable solution : revoir le modèle agricole du Québec Pour être en mesure d attaquer à la source les différents problèmes de sécurité alimentaire, et en vue de développer au Québec un véritable modèle agroalimentaire durable, l Union paysanne de Lanaudière, de concert avec l Union paysanne (national), réclame la tenue d États généraux de l agriculture au Québec. Parmi les thèmes ciblés pour cette nécessaire démarche de réflexion collective qui touchent plus directement la sécurité alimentaire, on retrouve : Les effets de la concentration de la production et de la transformation sur l autonomie des agriculteurs et la liberté de choix des consommateurs; Le développement de la transformation et de la mise en marché locales. L impact des pratiques de culture et d élevage intensifs sur les ressources du milieu (eau, air, sol, boisés, écosystèmes, bassins versants, etc.) Les conditions nécessaires au développement de l agriculture biologique (aide gouvernementale à la structuration et à la commercialisation, remboursement des frais de certification, investissement dans la recherche, etc.); La demande des consommateurs pour une alimentation sécuritaire, diversifiée et enracinée dans le milieu; Le rôle des exportations et des ententes de libre-échange dans l avenir de l agriculture et de l alimentation; Les risques reliés à la dissémination des OGM. Par ailleurs, certaines mesures d intervention concrète, aux niveaux individuel et collectif, peuvent d ores et déjà être identifiées comme étant susceptibles de contribuer à l amélioration de la sécurité alimentaire des Québécois, dont : L achat privilégié d aliments produits localement et le soutien à la commercialisation locale, dans l esprit de soutenir la souveraineté alimentaire régionale et provinciale; La diffusion d informations complètes sur les aliments; Comme mesure transitoire, l étiquetage obligatoire des produits alimentaires contenant des OGM qui sont déjà commercialisés, conformément aux attentes des citoyens québécois; 7

L imposition immédiate d un moratoire sur la production d OGM, sur la base du principe de précaution et en vue de stopper leur dissémination dans l environnement; La tenue d audiences publiques génériques du Bureau d audiences publiques en environnement (BAPE) sur la question des OGM; Comme mesure transitoire, la mise en place d'un système d'identification et de traçabilité des aliments et des cultures OGM; Comme objectif ultime : développer au Québec un système agroalimentaire exempt d OGM; La publication, par le Gouvernement du Québec, de sa stratégie en matière de biosécurité promise il y a plus de trois ans, en lien avec le Protocole de Carthagène sur la biosécurité; Un contrôle serré, voire l élimination de l utilisation d engrais chimiques, de pesticides, de monocultures, de farines carnées, de stimulants de croissance, d antibiotiques; de même que des autres pratiques de l agriculture intensive qui entraînent des risques pour l environnement et la santé publique. 8

Références ASSOCIATION COOPÉRATIVE D ÉCONOMIE FAMILIALE (ACEF) LANAUDIÈRE. Les OGM dans Lanaudière. Qu est-ce que les agriculteurs produisent et utilisent chez nous et comment expliquent-ils leurs choix? Joliette, 2003, 125 p. ASSOCIATION COOPÉRATIVE D ÉCONOMIE FAMILIALE (ACEF) LANAUDIÈRE. Entre le champ et l assiette, des OGM chez nous? Actes du colloque régional, Joliette, 2003, 63 p. BOUCHARD, Roméo. Plaidoyer pour une agriculture paysanne. Pour la santé du monde. Montréal, Éditions Écosociété, 2002, 228 p. MADELEY, John. Le commerce de la faim. La sécurité alimentaire sacrifiée à l autel du libre échange, Montréal, Éditions Écosociété, Collection Enjeux Planète, 2002, 259 p. POISSANT, Céline et Louise LEMIRE. Portrait des ressources oeuvrant pour la sécurité alimentaire dans Lanaudière, Saint-Charles- Borromée, Régie régionale de la santé et des services sociaux de Lanaudière, Direction de santé publique et d évaluation, 2003, 169 p. WARIDEL, Laure. L envers de l assiette et quelques idées pour la remettre à l endroit, Montréal, Éditions Écosociété et Environnement Jeunesse, 2003, 173 p. 9