Décision du Défenseur des droits MLD-2014-126



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Décision du Défenseur des droits MLD-2014-126 RESUME ANONYMISE DE LA DECISION Décision relative à un licenciement discriminatoire d une salariée dans un restaurant en raison de la couleur de peau (Observations Cour d Appel) Domaine(s) de compétence de l Institution : Lutte contre les discriminations Thème(s) : - Discrimination : critère de discrimination : ORIGINE / APPARENCE PHYSIQUE domaine de discrimination : EMPLOI SECTEUR PRIVE Synthèse : Le Défenseur des droits a été saisi par Madame X d une réclamation relative à son licenciement, qu elle estime discriminatoire en raison de son apparence physique et/ou de son origine. Recrutée le 20 décembre 2010 en qualité d hôtesse d accueil au sein d un restaurant asiatique, Madame X voit sa période d essai rompue le 15 janvier 2011. La gérante du restaurant lui aurait alors précisé que c est en raison de plaintes des clients sur le fait qu elle était noire. La salariée demande à son employeur s il était satisfait de la qualité de son travail, et ce dernier a répondu «[son] travail n [était] pas en cause». Le 19 janvier 2011, en présence d un correspondant local de l institution, Madame X appelle son employeur qui confirme que la rupture de la période d essai a été motivée par la couleur de peau de la réclamante. Lors de son audition par les services du Défenseur des droits, ledit employeur confirme que la couleur de peau a motivé la rupture de la période d essai de Madame X. L enquête a également révélé que la rupture de la période d essai de Madame X s analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, dans la mesure où aucun contrat écrit n avait été proposé à la réclamante, et, qu en conséquence, l existence d une période d essai ne pouvait se présumer en application de l article L. 1221-23 du Code du travail. De l aveu de l employeur lors de son audition, corroboré par les éléments recueillis au cours de l enquête, il ressort que le délit de discrimination à l occasion d un licenciement prévu et réprimé par les articles 225-1 et 225-2 3 du Code pénal est constitué. Le délit de discrimination tel que prévu et réprimé par le code pénal étant constitué, par décision MLD 2013-5, le Défenseur des droits, après avoir transmis la procédure au parquet, décide de présenter ses observations devant le tribunal correctionnel. Le 10 septembre 2013, le tribunal correctionnel reconnait la discrimination et condamne solidairement la gérante et le restaurant. Ils interjettent appel du jugement. Le Défenseur des droits décide, sur citation à comparaitre à l audience par le Procureur de la République, de présenter ses observations devant la Cour d appel. 0

Paris, le 29 août 2014 Décision du Défenseur des droits MLD-2014-126 Le Défenseur des droits, Vu l article 71-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 ; Vu la loi organique n 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits ; Vu le décret n 2011-904 du 29 juillet 2011 relatif à la procédure applicable devant le Défenseur des droits. Vu le code pénal, et notamment les articles 225-1 et 225-2, Saisi par Madame X d une réclamation relative à un licenciement qu elle estime discriminatoire en raison de son origine et/ou de son apparence physique. Décide, suite à la citation à comparaître du procureur de la République et conformément à l article 33 de la loi du 29 mars 2011 visée ci-dessus, de présenter ses observations à l audience du 15 septembre 2014 à 13h30 devant la Cour d appel. Jacques TOUBON 1

Observations devant la Cour d appel dans le cadre de l article 33 de la loi du 29 mars 2011 1. Madame X a saisi la haute autorité de lutte contre les discriminations, le 19 janvier 2011, par l intermédiaire d un correspondant local, d une réclamation suite à son licenciement qu elle estime discriminatoire car en lien avec son origine. 2. Depuis le 1 er mai 2011, conformément à l article 44 de la loi organique n 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits, «les procédures ouvertes par [ ] la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité [ ] se poursuivent devant le Défenseur des droits». 3. Après une enquête approfondie, le Défenseur des droits, par décision n LCD-2011-6 du 28 juin 2011, a conclu à un licenciement discriminatoire en lien avec l origine et/ou l apparence physique de Madame X et a décidé de transmettre la procédure au Procureur de la République 4. Par décision MLD n 2013-5, le Défenseur des droits a présenté ses observations à l audience du tribunal correctionnel du 11 juin 2013 conformément à l article 33 de la loi du 29 mars 2011. 5. Par jugement du 10 septembre 2013, le tribunal correctionnel a condamné solidairement la SA Y et Madame Z, sa gérante, pour discrimination. Ils ont interjetées appel de ce jugement. 6. Par citation à comparaître du 8 août 2014, le procureur de la République demande au Défenseur des droits de présenter ses observations à l audience devant la Cour d appel du 15 septembre 2014. RAPPEL DES FAITS : 7. Madame X est embauchée, le 20 décembre 2010, en qualité d hôtesse d accueil au sein du restaurant Y. 8. Madame X indique n avoir jamais signé de contrat de travail. 9. Le samedi 15 janvier 2011, à la fin de son service, la responsable du restaurant, Madame Z, convoque Madame X et lui précise qu elle met fin à sa période d essai au motif que «des clients se plaignent de toi, comme quoi ce n est pas normal qu une femme noire travaille dans un restaurant thaïlandais». 10. Madame X demande alors à Madame Z si elle est satisfaite de son travail et cette dernière lui déclare : «ton travail n est pas en cause». 11. Le 19 janvier 2011 à 15h12, en présence du correspondant local de la HALDE, Madame X téléphone à Madame Z afin de se faire confirmer qu elle a été «renvoyée samedi car des clients se plaignaient de la présence d une serveuse noire dans son restaurant». Madame Z répond alors «oui, oui mais c est vrai que je n ai pas pris de pincettes avec toi ça me faisait mal au cœur ils ont fait des commentaires un peu dégueulasses tu sais, entre les gens, entre vingt clients, contre une personne, je n ai pas le choix». 12. A la fin de cette conversation, Madame X demande à nouveau à Madame Z si son travail est satisfaisant, ce à quoi cette dernière répond «le travail ça allait, ça commençait à aller». Puis Madame X fait part à Madame Z de son intention de porter 2

plainte. Celle-ci lui rétorque alors «tu fais comme tu le sens, moi je t envoie demain tes documents en recommandé». 13. Le délégué a établi une attestation confirmant le contenu de cette conversation. 14. Le mardi 24 janvier 2011, Madame X reçoit par lettre recommandée avec accusé de réception son solde de tout compte et un certificat de travail attestant de son emploi en qualité d hôtesse - non cadre - durant la période du 20 décembre 2010 au 15 janvier 2011 au sein de l entreprise Y. 15. Madame X reçoit également un contrat de travail à durée indéterminée daté du 20 décembre 2010 qui ne lui a jamais été communiqué auparavant et sur lequel ne figure d ailleurs aucune signature. 16. Le 7 mars 2011, la HALDE procède à l audition de Madame Z. 17. Lors de cette audition, Madame Z confirme avoir embauché Madame X en qualité d hôtesse d accueil en contrat de travail à durée indéterminée. Madame Z précise qu elle n a pas fait signer de contrat de travail à Madame X, comme la loi l y autorise s agissant d un contrat de travail à durée indéterminée, mais qu une période d essai de trois mois a été décidée. 18. Pour justifier la rupture du contrat de Madame X, la mise en cause explique au cours de son audition que «des clients se sont plaints. Ils disaient qu elle n était pas très sympa, pas si souriante que ça. Certains se sont plaints également de son odeur, de temps en temps, elle aurait eu une odeur assez particulière». Elle ajoute que «des clients m ont fait des réflexions. Ils ne m ont pas parlé de sa couleur de peau, simplement qu elle ne collait pas au cadre» avant de conclure que «quelque part, en partie, c était un peu vrai que des clients se sont plaints d elle, qu il y a eu des réflexions sur sa couleur de peau mais ce n est pas pour ce motif là que je l ai licenciée». 19. Finalement, à la question «ces remarques de vos clients sur la couleur de peau de Mlle X ont-elles joué, fût-ce pour partie, dans votre décision de mettre fin à son contrat?», Madame Z répond : «Oui, cela a joué en partie. Effectivement, quand il s agit de plaintes de clients, c est important». 20. Dans la mesure où Madame Z reconnait explicitement que la couleur de peau de Madame X a en partie motivé sa décision de rompre la relation de travail, le Défenseur des droits lui adresse un courrier de notification de charges le 7 avril 2011. 21. Par ailleurs, considérant que Madame Z était en l espèce dirigeante de fait de la SA Y, un courrier de notification de charges a également été adressé à cette personne morale, prise en la personne de Monsieur Z, son Président Directeur Général. 22. Par courriers des 26 et 28 avril 2011, Madame Z et la SA Y déclarent que la couleur de peau de Madame X n a pas été prise en compte lors de la rupture du lien contractuel, contrairement aux déclarations de Madame Z lors de son audition. Pour les intéressés, le contrat de Madame X a pris fin au motif que son travail n était pas satisfaisant. 3

SUR LA DISCRIMINATION : 23. Aux termes des articles 225-1 et 225-2 3 du Code pénal, le fait de licencier une personne, notamment en raison de son origine et/ou de son apparence physique est puni d une peine de 3 ans d emprisonnement et de 45 000 euros d amende. 24. Pour que l infraction de discrimination soit constituée, il convient de rapporter la preuve de l élément matériel puis de l élément intentionnel du délit. Sur l élément matériel 25. A titre liminaire, il convient de noter qu aucun contrat de travail n a été signé par Madame X puisque l employeur mis en cause a reconnu au cours de son audition n avoir adressé un exemplaire du contrat à la salariée en vue de sa signature que postérieurement à la rupture de la relation contractuelle. 26. Dès lors, l existence d une période d essai dont se prévaut Madame Z apparaît sujette à caution compte-tenu de l absence de toute stipulation contractuelle écrite. 27. Or, en vertu de l article L. 1221-23 du code du travail, «la période d essai et la possibilité de la renouveler ne se présument pas. Elles sont expressément stipulées dans la lettre d engagement ou le contrat de travail». 28. De ce fait, compte-tenu de l absence de contrat de travail écrit avant la date de rupture des relations contractuelles, il convient de considérer que Madame X ne pouvait être valablement soumise à une période d essai et que son embauche était donc définitive à la date du 20 décembre 2010. 29. Dès lors, la rupture du contrat de travail doit s analyser en un licenciement. 30. Les déclarations de Madame X concernant le caractère déterminant de sa couleur de peau sur la décision de la licencier sont corroborées par l attestation du correspondant local, Monsieur le délégué, qui confirme avoir entendu les propos développés en ce sens par Madame Z lors de son entretien téléphonique avec Madame X du 19 janvier 2011. 31. Par ailleurs, et bien que Madame Z le conteste dans ses dernières écritures, lors de son audition, elle reconnaît également explicitement avoir décidé de mettre fin aux fonctions de la réclamante, en raison notamment, de sa couleur de peau. 32. Au regard de ces considérations, l élément matériel de l infraction de discrimination consistant dans le licenciement de Madame X en raison d un critère prohibé, en l espèce son apparence physique et/ou son origine manifestée par sa couleur de peau, est pleinement caractérisé. Sur l élément intentionnel 33. En premier lieu, il convient de rappeler la distinction entre l élément intentionnel, élément constitutif de l infraction, d une part et, d autre part, les mobiles ayant inspirés l auteur d une discrimination, qui n ont aucune incidence sur la caractérisation du délit. 4

34. En l espèce, quels qu aient été les mobiles qui ont inspiré Madame Z, son intention discriminatoire est pleinement établie par les éléments de l enquête. a. Sur l indifférence des mobiles de Madame Z : 35. La discrimination est réprimée lorsqu il est établi que l auteur du fait matériel était animé d une intention de discriminer. Cette intention est caractérisée par la conscience de se livrer à des agissements discriminatoires. 36. Ainsi, il n est pas nécessaire, pour caractériser la conscience que peut avoir une personne de commettre une discrimination, de rechercher les raisons pour lesquelles elle a pris en compte un motif discriminatoire. 37. Quels que soient les mobiles de l auteur d une discrimination (relations avec la clientèle, préjugés, etc.), ceux-ci sont indifférents à la caractérisation de son intention, sa volonté d opérer une différence de traitement restant fondée sur des critères de discrimination prohibés, en l espèce l apparence physique et/ou l origine. 38. En conséquence, l argument invoqué par Madame Z selon lequel les doléances des clients sur la couleur de peau de Madame X ont présidé en partie à sa décision de procéder au licenciement de Madame X, est inopérant. 39. Selon une jurisprudence constante, les employeurs refusant d embaucher des personnes d origine étrangère à des postes en contact avec le public au motif de l hostilité de leur clientèle commettent un délit contraire à l article 225-2 du Code pénal. (T. corr. Versailles, 8 mars 2010, pour un refus d embauche dans le secteur du BTP d un candidat noir ; T. corr. Compiègne, 17 janvier 2006, pour un refus d embauche dans une charcuterie, T.corr. Nantes, 17 Juillet 2006 pour un refus d embauche d une coiffeuse noire en raison de la clientèle rurale ; T.corr. Paris, 16 octobre 2008, pour un refus d embauche d une vendeuse en boulangerie-pâtisserie noire ; CA Paris, 7 juin 2004, s agissant du refus d embauche d une commerciale ; CA Paris 17 octobre 2003, «Le moulin rouge», s agissant d un refus d embauche d un serveur). 40. Ce raisonnement pourrait s appliquer mutatis mutandis au licenciement qui serait fondé sur les mêmes motifs. 41. En l espèce, dès lors qu il est prouvé que Madame Z a, en toute conscience, licencié Madame X en raison d un critère interdit par la loi, le fait qu elle ne partage pas l animosité de ses clients envers les personnes de couleur noire ne l exonère pas de sa responsabilité pénale. b. Sur la volonté de discriminer de Madame Z : 42. La conscience et la volonté de Madame Z d adopter un comportement discriminatoire envers Madame X découle du simple constat de la différence de traitement qu elle a opérée explicitement en raison de la couleur de peau de cette dernière. 43. Au-delà de ce constat, il convient de rappeler qu au cours de son audition, Madame Z indique de façon explicite qu elle a mis fin aux fonctions de la réclamante, en raison, notamment, de sa couleur de peau. 5

44. La volonté de discriminer de la mise en cause apparaît d autant plus manifeste en l espèce que cette dernière indique à la réclamante, lors de l entretien téléphonique du 19 janvier 2011 dont la teneur est attestée par le correspondant local de la HALDE, que ses compétences n étaient pas en cause. 45. Au regard de ces éléments, on peut légitimement considérer que la réponse de Madame Z en date du 26 avril 2011 qui fait référence aux insuffisances professionnelles de Madame X, n apparaît ni sérieuse ni sincère. 46. En tout état de cause, si, comme l explique Madame Z, d autres motifs ont présidé à sa décision de rompre les relations contractuelles avec la réclamante, il n en demeure pas moins que, selon une jurisprudence constante de la Cour de Cassation, la discrimination est constituée dès lors qu'il est établi que le critère discriminatoire a été un élément pris en compte, sans être nécessairement le motif exclusif de la décision : il suffit que ce critère ait participé à la mesure d exclusion (voir Cass. crim 15 janvier 2008 n 07-82.380 ; Cass. crim 14 juin 2000 n 99-81.108). 47. Madame Z ayant par ailleurs reconnu au cours de son audition avoir conscience que le licenciement d une personne en raison de son origine et/ou de son apparence physique caractérise une discrimination interdite par la loi, il convient de relever que l élément intentionnel de l infraction est également constitué. Sur les responsabilités 48. Au regard de ces considérations, il convient alors de constater que la responsabilité pénale de Madame Z peut être engagée. 49. En outre, conformément aux dispositions de l article 121-2 du Code pénal, la responsabilité pénale de la personne morale peut être engagée dans la mesure où Madame Z se présente elle-même comme dirigeant de fait de l entreprise. 50. Au vu de ce qui précède, le Défenseur des droits décide : Que le délit de discrimination par licenciement d une personne en raison d un critère discriminatoire, tel que prévu et réprimé par l article 225-2 3 du Code pénal, est constitué ; De présenter ses observations devant la Cour d appel, conformément à l article 33 de la loi organique n 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits. 6