Article. «Taux de croissance et potentiel de production» Jean Lotte. L'Actualité économique, vol. 41, n 1, 1965, p. 100-104.



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Article «et potentiel de production» Jean Lotte L'Actualité économique, vol. 41, n 1, 1965, p. 100-104. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/1002966ar DOI: 10.7202/1002966ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'uri https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'université de Montréal, l'université Laval et l'université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'érudit : info@erudit.org Document téléchargé le 30 June 2016 11:13

Commentaires En décembre 1964, le Conseil Économique du Canada publiait un premier exposé annuel intitulé : Objectifs économiques du Canada pour 1970. À partir du calcul d'une estimation de l'offre de travail future, on concluait que, d'ici 1970, le Canada devait créer l.s million d'emplois nouveaux compte tenu de l'évolution prévue de la productivité et d'un objectif d'utilisation de la main'd'œuvre fixé à 91 p.c. Ce premier exposé annuel du C.E.C. a été déjà lar' gement commenté. Au debut de mars dernier, les professeurs de l'école des Hautes Études commerciales ont consacré l'un de leurs séminaires à la discussion de ce document. Étant donné l'importance des problèmes soulevés par ce premier exposé annuel du C.E.C., nous avons cru bon de consacrer cette rubrique des Commentaires, à la publication de quelques-unes des notes qui ont alors servi de base à la discussion. La Direction Le taux de croissance préconisé pour et potentiel de production la production canadienne, 5.5 p.c. par an, est bien entendu le produit de deux taux composants : celui de l'emploi et celui de la productivité par personne employée. Or, ce taux, indique le rapport du Conseil économique, doit porter le niveau effectif de la production, en 1970, à son niveau potentiel. Comme depuis 1956 le développement réel du pays a été plus lent que son développement potentiel, il y a donc un retard à rattraper : le taux de 5.5 p.c. est supérieur au taux potentiel. On pose que de 1963 à 1970, celui-ci pourra être ainsi dépassé en permanence. ion

COMMENTAIRES La notion de potentiel de production sert donc de référence et serévèle fondamentale dans le choix des objectifs. Or, on ne la voit définie nulle part avec précision dans le rapport du Conseil économique, chose bien étrange. On ne trouve sa définition que dans une étude élaborée pour les besoins du Conseil :«Potential output 1946 to 1970», par B.J. Drabble, où elle s'énonce ainsi : «le niveau de production optimum que l'économie peut atteindre pendant une période durable sans risques graves d'instabilité dans l'emploi, la production et les prix» (traduction littérale). Et l'on précise bien que la production réelle peut dépasser le potentiel pendant un certain temps, mais que cette situation ne saurait se prolonger. Nous allons examiner l'usage qui a été fait de cette notion dans l'élaboration de l'objectif de 5.5 p.c, croissance annuelle, une fois admis que l'on a pu transposer cette notion de potentiel de production à ses composants, productivité et emploi. On a divisé l'économie en trois secteurs : agriculture, administration publique et services collectifs, et le reste, appelé secteur commercial non agricole. Cette répartition tient à la différenciation des sources statistiques, mais sa signification économique est douteuse, le troisième secteur ne se caractérisant pas spécialement par son homogénéité! Quoi qu'il en soit, pour chaque secteur, on va déterminer le potentiel de croissance de deux des trois phénomènes (production, emploi, productivité), le troisième étant alors obtenu par déduction. Pour le secteur «commercial», le calcul sera un peu plus complexe, car il faudra distinguer entre la productivité par heure de travail et la productivité par personne employée, les temps de travail ayant tendance à baisser au fil des années. Il suffira ensuite de combiner les résultats obtenus pour chaque secteur pour avoir une vue du potentiel de l'économie tout entière. Comment donc sont calculés ces différents potentiels? On reste là dans la plus grande incertitude ; il ne semble pas y avoir eu de méthode rigoureusement scientifique à la base, et cela constitue, étant donné l'importance de ces calculs pour l'étude tout entière, un vice fondamental qui réduit considérablement la portée de celleci. On nous dit, à plusieurs reprises que, pour calculer le taux, la méthode suivie a consisté «simply to pass a smoothed trend line through the actual data». S'agirait-il donc seulement du trend, établi uniquement par voie graphique, d'ailleurs, qui se dégage de 101

L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE la croissance des différentes courbes depuis 1946? Il n'en est rien : les écarts positifs et négatifs à ces étrangers trends ne se compensent jamais, loin de là. De plus, les potentiels prévus de 1963 à1970 traduisent parfois une rupture de continuité par rapport au passé qu'on voudrait bien voir expliquée. Il semble que l'on se soit embarrassé, avec le potentiel, d'une notion peu pratique et très arbitraire quand il s'agit de la chiffrer. On est sans doute parti des trends réels, mais on les a fait dévier (en en changeant le coefficient angulaire sur tout ou partie des courbes) ou on les a déplacés (parallèlement à eux-mêmes), pour arriver aux potentiels, enraison de jugements que l'on a portés sur les faits passés.le principe de la démarche estexcellent, mais dans la pratique, cela ne nous donne que lesens de la correction à faire porter sur le trend réel. Quand il s'agit dechiffrer cette modification, on en est réduit à une grande part d'arbitraire. C'est pourquoi, on ne trouve pas de justifications aux taux de potentiels retenus, et ceux-ci nous paraissent dénués de valeur scientifique réelle. Malgré les remarques précédentes, plaçons-nous dans l'hypothèse où les taux decroissance potentiels retenus auraient une valeur significative. Voici, à partir du potentiel de production et du potentiel de productivité, le tableau qui nous est fourni : Années annuel du potentiel de production annuel du potentiel de productivité annuel de l'emploi (par déduction) 1946-1956 4.7 p.c. 2.8 p.c. 1.8 p.c. 1956-1963 4.1 p.c. 1.9 p.c. 2.2 p.c. 1963-1970 4.6 p.c. 1.9 p.c. 2.6 p.c. On peut comparer avec ce qui s'est réellement passé : Années annuel de.la production annuel de la productivité annuel de l'emploi 1946-1956 5.1 p.c. 3.2 p.c. 1.8 p.c. 1956-1963 2.9 p.c. 1.0 p.c. 1.9 p.c. 102

COMMENTAIRES La comparaison des deux tableaux montre le retard pris depuis 1956 par rapport aux possibilités. Si l'on veut rattraper ce retard, c'est-à-dire si l'on veut qu'en 1970, le niveau de la production atteigne celui auquel l'économie se serait hissée sans effort si elle avait constamment suivi son potentiel, ce n'est pas une hausse annuelle de 4.6 p.c. que l'on doit viser, mais de 5.5 p.c. Pour cela, il faut agir sur les deux composantes. Le tableau ci-dessus montre que, au potentiel de production et de productivité, l'accroissement de l'emploi serait de 2.6 p.c. Or, on a calculé que le niveau potentiel du chômage ne devait pas dépasser 3 p.c. de la population active, et, dans ces conditions, le taux decroissance potentiel de l'emploi serait de 3 p.c. par an. Il y a donc de ce côté des possibilités, mais elles sont insuffisantes. Pour la différence, il faut donc augmenter la productivité : par déduction de 5.5 p.c. d'une part, 3 p.c. d'autre part, la croissance de la productivité devrait s'élever à 2.4 p.c. Les taux de croissance annuels rectifiés, souhaitables pour 1963-1970, sont les suivants : production 5.5 p.c, productivité 2.4 p.c, emploi 3.0 p.c. Or, il y a une incompatibilité fondamentale entre ce souhait et les conclusions auxquelles on est précédemment arrivé. 1) Comment la production et la productivité pourraient-elles se maintenir pendant 7 ans à un niveau aussi élevé au-dessus de leur potentiel sans provoquer ces tensions graves dont il est fait mention dans la définition du potentiel? Historiquement, ce n'est arrivé qu'une fois (1946-56) et a justement provoqué ces tensions (inflation par exemple) qui n'ont pu alors être supportées que parce qu'elles se retrouvaient dans les autres pays occidentaux au même moment. 2) Comment pourrait-on retrouver une situation semblable à celle de 1946-56, alors qu'on nous a longuement répété que cette période constituait un accident historique tout à fait exceptionnel? 3) Comment pourrait-on élever le taux d'accroissement de la productivité à 2.4 p.c, alors que le progrès technique prévisible a déjà été intégré dans le calcul du taux potentiel (qui est, rappelons-le, de 1.9 p.c), et que, historiquement, ce taux, sauf pour 1946-56, a toujours été depuis 1928 de 1 p.c. à 1.1 p.c.? En fait, cela ne serait possible que par des réformes structu- 103

L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE relies radicales, dont il n'est pas question et qui, de toute manière, ne pourraient porter fruit que peu à peu. En d'autres termes, il y a une rupture complète entre les conclusions auxquelles amène logiquement l'analyse, et les objectifs ou souhaits préconisés. Ceux-ci n'apparaissent alors que comme des vœux pieux, étrangement indépendants des études qui les ont précédés. Nous avons mis jusqu'à présent l'accent sur l'irréalisme des taux projetés et le fondement douteux du potentiel calculé, en ce qui concerne la productivité surtout. On peut se demander s'il n'en va pas de même en ce qui concerne le chômage. Jean LOTTE Signification de l'objectif d'emploi du C.E.C. Le premier rapport du Conseil Éco- nomique du Canada fixe à 3 pour cent le taux annuel moyen de chômage définissant le plein emploi au Canada pour le reste de la décennie 1. On comprend immédiatement qu'il s'agit là à la fois d'un objectif et d'un choix. Il s'agit d'un objectif dans la mesure où, depuis une dizaine d'années maintenant, c'est un niveau de chômage que l'on a sensiblement dépassé, de façon continue. Il s'agit d'un choix dans la mesure où le plein emploi ne comporte pas de définition objective, ni en termes théoriques 2, ni en termes statistiques. Ceci étant dit, pour juger de l'attitude prise par le C.E.C, il reste à se poser deux questions principales d'où découleront un certain nombre de considérations secondaires : d'abord, le niveau choisi commeobjectif est-il réalisable et, en second lieu, constitue-t-il un choix satisfaisant? Ces deux questions ne se ramènent pas complètement l'une à l'autre, comme on pourrait être porté à l'imaginer au premier abord. Il se pourrait, en effet, que l'objectif soit réalisable, mais au prix d'une accumulation de tensions inflationnistes trop grandes : il ne constituerait pas alors un choix satisfaisant. À l'inverse, l'objectif pourrait, sans raisons suffisantes, laisser subsister i. Rapport du C.E.C, p. 38. 2. Cf. sur ce point, F. Perroux, «L'interventionnisme libéral et l'apport spécial de J.-M. Keynes», L'Actualité Économique, avril-juin 1950, pp. 44-46. 104