STRUCTURATION DU PORTEFEUILLE DÉPENDANCE DE L'ASSUREUR Sébastien Nouet Consultant Capa Enseignant en Mathématiques et Mathématiques appliquées, université Paris Dauphine Manuel Plisson Doctorant en Économie, université Paris Dauphine L'accroissement inéluctable du phénomène de dépendance en France au cours des prochaines décennies est la conséquence du vieillissement de la population. Ce vieillissement s'explique par un double phénomène : d'une part, le progrès médical induit un allongement de l'espérance de vie, d'autre part, la forte natalité pendant les années comprises entre 1945 et 1970 - c'est-à-dire le baby-boom - accroît aujourd'hui de manière mécanique le nombre de personnes âgées dans la population. Quelles que soient les hypothèses retenues en termes de progrès médical pour les projections relatives à la population dépendante en France, on note une augmentation significative de cette population. Ce constat pose, en premier lieu, la question du niveau et des modalités du financement du phénomène dépendance et exige, en second lieu, la connaissance de la structuration du marché de l'assurance dépendance. Cet article traitera de ce second aspect en structurant le portefeuille dépendance d'un grand assureur français dont la taille est suffisamment importante pour le considérer comme représentatif du marché de l'assurance dépendance.
Commentaires généraux Cette étude statistique du portefeuille d'assurance «dépendance» d'un grand assureur français permet de dégager un ensemble de profils et de caractéristiques relatifs aux individus qui s'assurent contre la dépendance. Pour chacune des deux catégories, hommes et femmes, est mise en évidence une classification à six éléments pour les hommes, et une classification à cinq éléments pour les femmes. Ces éléments représentent en fait des objets statistiques appelés classes homogènes qui regroupent des individus proches de par leurs caractéristiques. Dans notre étude, six catégories socioprofessionnelles (ou CSP) sont étudiées : les «agri culteurs», les «commerçants», les «cadres supérieurs, professions libérales», les «cadres moyens», les «employés», les «ouvriers». L'analyse statistique du portefeuille des femmes ne permet pas de dégager une classification qui comporte un groupe homogène d'individus caractérisés par leur appartenance à la CSP des «cadres moyens». En effet, un certain nombre de femmes «cadres moyens» souscrivent à l'assurance dépendance, mais elles constituent un ensemble hétérogène d'assurés. En ce qui concerne les hommes, l'analyse dégage six classes homogènes dont chacune se caractérise par la présence d'une CSP prépondérante et propre à chacune de celles-ci. On obtient donc cinq classes identifiables pour les femmes et six pour les hommes. Pour chacun des deux sexes existent des classes résiduelles non interprétables qui ne seront pas décrites ici. Les cinq classes relatives aux femmes représentent 88 % du portefeuille féminin, les six relatives aux hommes ont un poids plus important, soit 97 %. La classe concernant les «ouvriers» pèse 34 % pour les hommes et 20 % pour les femmes. Celle relative aux «employés» pèse respectivement 15 et 41 %. La classe des «cadres moyens» pèse 9 % pour les hommes. Celle relative aux «cadres supérieurs, professions libérales» pèse respectivement 6 et 5 %. Celle relative aux «commerçants» pèse respectivement 9 et 6 %. Celle relative aux «agriculteurs» pèse respectivement 24 et 16 %. Les poids de chacune des classes diffèrent véritablement entre les hommes et les femmes en ce qui concerne les deux catégories socioprofessionnelles : «employés» et «ouvriers». Le rapport des poids entre les deux classes relatives aux
«employés» est de l'ordre de trois en faveur des femmes ; on note en effet que la classe synonyme des «employés» chez les femmes représente près de la moitié du portefeuille féminin. Le rapport des poids entre les deux classes relatives aux «ouvriers» est de l'ordre de 1,7 en faveur des hommes. On remarque que dans chacune des classes, à l'exception de celle des «agriculteurs», la tranche d'âge de souscription de 45 à 65 ans est systématiquement balayée. En effet, les agriculteurs commencent à souscrire le plus souvent seulement à partir de l'âge de 65 ans. Les deux classes associées aux agriculteurs, celle des hommes et celle des femmes, sont les seules pour lesquelles les âges de souscription débutent aussi tardivement. Ceux qui souscrivent avant l'âge de 45 ans appartiennent forcément à la classe homogène caractérisée par une majorité d'ouvriers. Les individus dans cette dernière classe commencent à souscrire à l'âge de 35 ans. Toutes les classes se caractérisent par la présence d'âges de souscription tardifs, c'est-à-dire au-delà de 65 ans, à l'exception de celle synonyme des «cadres supérieurs, professions libérales» qui ne souscrivent plus à partir de l'âge de 65 ans. À la souscription, chaque assuré choisit le montant de la rente mensuelle dont il bénéficiera si survient un état d'invalidité au cours de sa vie. En ce qui concerne ces montants de garanties, l'écrasante majorité des assurés souscrit à des niveaux faibles, c'est-à-dire compris entre 450 et 750 euros par mois. Chacune des classes se caractérise par des montants de garanties faibles à l'exception de celle synonyme des «cadres supérieurs, professions libérales» chez les femmes, pour lesquelles les montants de garanties sont élevés, c'est-à-dire supérieurs ou égaux à 1 050 euros. On remarque que la part des individus «peu aisés» dans le portefeuille d'assurance dépendance est très faible, de l'ordre de 3 %. Il s'agit d'assurés dont les revenus annuels sont compris entre 6 000 et 10 000 euros. Chacune des classes synonymes des «agriculteurs» ou des «cadres moyens» ou des «commerçants» présente une distribution uniforme en termes de revenus qui s'échelonnent sur une échelle s'initiant à 10 000 euros pour atteindre des niveaux voisins de 75 000 euros annuels, voire supérieurs. C'est sans surprise que l'on constate au sein de notre portefeuille dépendance, que la classe synonyme des «ouvriers» se caractérise par des revenus faibles, c'est-à-dire compris
entre 10 000 et 30 000 euros annuels, et que celle des «cadres supérieurs, professions libérales» renferme les revenus les plus élevés, c'est-à-dire supérieurs à 50 000 euros. Les classes aux patrimoines financiers forts, c'est-à-dire supérieurs ou égaux à 125 000 euros, sont celles synonymes des «agriculteurs», chez les hommes et les femmes. Par ailleurs, il ressort que la classe synonyme des «cadres supérieurs, professions libérales», possède des patrimoines financiers moyens voire faibles, c'est-à-dire compris entre 0 et 75 000 euros. Par conséquent, on note que les «cadres supérieurs, professions libérales» qui souscrivent à l'assurance dépendance, n'ont en général pas une épargne très importante. Les «commerçants» présentent une distribution en termes de patrimoine financier à la fois uniforme et balayant tous les niveaux possibles, c'est-à-dire en général compris entre 0 et 200 000 euros. On peut représenter la classification par les tableaux 1 récapitulatifs. Conclusion L'assurance dépendance est aujourd'hui un produit d'assurance qui s'adresse essentiellement à des personnes dont les revenus sont supérieurs ou égaux au revenu médian en France, soit 1 300 euros par mois. La proportion des assurés contre la dépendance dans la population
générale est assez faible, elle est voisine de 2%. Les assurés sont en majorité des femmes, elles représentent un peu plus de la moitié du portefeuille avec une part de 55 %. Nous pouvons résumer cette étude en quatre points clés : La segmentation du portefeuille dépendance nous amène à considérer cinq classes homogènes de clients en ce qui concerne les femmes et six pour les hommes. Chacune de ces classes est synonyme d'une catégorie socioprofessionnelle. À chaque catégorie socioprofessionnelle correspond des caractéristiques statistiques avec une combinaison associée qui lui est propre liant par exemple le niveau de revenu et celui du patrimoine, ceci à l'exception des femmes. En effet, en ce qui les concerne, il n'existe pas de groupe homogène d'individus associé à la catégorie socioprofessionnelle des «cadres moyens». L'âge de souscription est le plus souvent supérieur à 50 ans à l'exception des ouvriers qui peuvent souscrire dès l'âge de 35 ans. Les assurés souscrivent dans leur extrême majorité à des montants de garanties faibles. Seules les femmes cadres supérieurs ou exerçant une profession libérale souscrivent à des montants de garanties forts. Si les revenus des assurés contre la dépendance ne présentent pas de distorsion par rapport à population générale, il n'en va pas de même en ce qui concerne la variable patrimoine. En effet, on observe que le patrimoine financier d'un cadre supérieur assuré contre la dépendance est faible ou moyen-faible, c'est-à-dire inférieur à 75 000 euros. Dans ce cas précis, cette étude indique donc à l'assureur qu'un cadre supérieur à fort patrimoine financier ne peut représenter une cible commerciale. Par ailleurs, les agriculteurs qui souscrivent à l'assurance dépendance ont un patrimoine financier élevé avec des revenus pourtant variés. Cette étude est basée sur l'analyse statistique du portefeuille d'un grand assureur. On peut raisonnablement penser qu'elle est représentative de la population générale relative aux assurés contre la dépendance en France, même si inévitablement, les spécificités d'une entreprise d'assurance quelle qu'elle soit peuvent légèrement typer certains résultats de l'analyse. En structurant le portefeuille dépendance d'un grand assureur, cette étude informe l'assureur de différents aspects de la clientèle dépendance et facilite le travail de celui - ci dans le cadre de sa stratégie marketing.
On peut aussi représenter les 6 + 5 = 11 classes par les diagrammes Diagramme de représentation des classes «hommes» Les 6 classes représentées ci-dessus structurent en grande partie le portefeuille des hommes. Chaque classe caractérise un groupe homogène de profils. Il est important de noter qu'une classe ne correspond pas à une moyenne statistique, c'est un regroupement d'individus dont les profils sont proches et dont la réunion forme ce groupe homogène de profils. Ces profils sont «résumés» à travers la liste des modalités (20, 40, 150, 600...) caractérisant chaque classe. Ainsi les classes formées ont la caractéristique d'être bien différentes les unes des autres en ce sens qu'elles constituent un ensemble hétérogène d'éléments ( ici de
cardinalité 6, voir les ouvrages relatifs à la méthode statistique utilisée ici et intitulée : classification hiérarchique, précédée dans cette étude par une analyse factorielle des correspondances multiples). Diagramme de représentation des classes «femmes» Ici son représentées les cinq classes qui s structurent en grande partie le portefeuille des femmes. Légendes Signification des modalités : 600 correspond aux rentes dont le montant est compris entre 450 et 750 euros 900 correspond à celles dont le montant est compris entre 750 et 1 050 euros 1200 correspond à celles dont le montant est compris entre 1 050 et 2 600 euros 1 correspond aux patrimoines financiers dont le montant est compris entre 0 et 25 000 euros 50 correspond à ceux dont le montant est compris entre 25 000 et 75 000 euros 100 correspond à ceux dont le montant est compris entre 75000 et 12500 euros 150 correspond à ceux dont le montant est supérieur à 125000 euros 20 correspond aux revenus dont le montant est compris entre 10000 et 30000 euros
40 correspond à ceux dont le montant est compris entre 30000 et 50000 euros 60 correspond à ceux dont le montant est supérieur ou égal à 50000 euros
Bibliographie BONTOUT Olivier, COLIN Christel, KERJOSSE Roselyne, «Le nombre de personnes âgées dépendantes et aidants potentiels : une projection à l'horizon 2040», DRESS, n 160, Février 2002. ESCOFIER Brigitte, PAGES Jérôme, «Analyses factorielles simples et multiples : Objectifs, méthodes et interprétation», Dunod, e édition, 1998. LEBART Ludovic, «Statistique exploratoire multidimensionnelle», Dunod, e édition, 2000. LEROUX-SCRIBE Chrystel, «L'analyse des données», Europstat éditions, er tome, 1999. SAPORTA Gilbert, «Probabilités, analyse des données et statistique», Technip, 4 e édition, 2000. Septembre 2006 N ISBN 2-912916-89-5, Revue Risques n 67