L expérience du service de Pédopsychiatrie du CHU RAZI en matière d abus sexuel Pr Ag Sami Othman, Dr Soumeyya Halayem, Dr Leila Robbana, Pr Ag Ahlem Belhadj, Pr Asma Bouden Service de pédopsychiatrie, Hôpital Razi
INTRODUCTION Les agressions et les abus sexuels commis sur les enfants considérés comme un sujet tabou souvent nié l existence Les campagnes de prévention des abus sexuels chez l enfant une augmentation considérable des signalements au judiciaire une demande accrue d examens médico-légaux et en particulier des expertises psychiatriques
Quatre axes (ou temps) de la démarche Reconnaître la maltraitance, en tenant compte notamment des particularités liées à l'âge Accueillir, orienter, accompagner Protéger Traiter Le pédopsychiatre, en Tunisie se trouve confronter non seulement au manque de moyens mais aussi au manque de réformes législatives : des lois fixant une définition plus précise de l abus sexuel sur mineur et les droits de ces mineurs.
ETUDE PRATIQUE Étude rétrospective descriptive Pratiquées au service de pédopsychiatrie de l hôpital Razi Période : Janvier 2008 à Décembre 2011 28 expertises d abus sexuels sur enfants et adolescents
12 15 garçons et 13 filles soit un sex-ratio de 1,15. Nous pouvons remarquer, à partir de la figure 1, que la courbe s inverse à partir de l âge de 12ans : les filles sont plus victimes d abus sexuel à partir de cet âge que les garçons du même âge 10 8 6 4 Filles Garçons 2 0 <= 4 ans 5-7 ans 8-12 ans 13-16 ans L âge moyen des mineurs expertisés était de 8,70 ans un âge minimum de 3 ans et 06 mois et un âge maximum de 16 ans
- Les parents de 14 enfants et adolescents étaient divorcés soit 52% des cas. - Parmi les 28 familles étudiées, des violences conjugales existaient au sein de 7 familles. Figure2 : répartition du tuteur légal de chaque enfant Les grand parents Le père La mère Les 2 parents 0 2 4 6 8 10 12 14
Figure 3 : 1 er adulte confident Non précisé Institution scolaire Grand parents Père Mère 0 2 4 6 8 10 12 14 16 18
100% des abuseurs étaient de sexe masculin. 100% des abuseurs étaient une personne familière à l enfant. Figure 4 : lien de parenté avec l abuseur 18 16 14 12 10 8 6 4 2 0 Père Grand père Demi frère Personne ayant une autorité sur l'enfant Cousin Oncle
La majorité des abus commis sont intrafamiliaux (dans 26 cas) tandis que seuls 2 sont extrafamiliaux. Littérature: l abus sexuel est intrafamilial dans 75 à 78 % des cas et dans 25% des cas est extrafamilial Le délai séparant l expertise et le début des faits est de 18,64 mois la loi du silence???? Il est primordial de savoir que plus on s éloigne du temps zéro, plus les dires de l enfant vont perdre en fiabilité La nature de l abus était différente d un enfant à un autre.
L abus sexuel a été subi de façon répété (>1) par 26 mineurs soit dans 93% des cas. Tableau 2 : Les différents types d abus subis Type d abus Nombre de victimes Attouchement 12 Pénétration anale 10 Pénétration vaginale 3 Exhibitionnisme 2 Attouchement et fellation 1 Au cours de l abus sexuel, 10 mineurs ont été victimes de VIOLENCE : -3 mineurs ont été victimes d une violence morale -5 d une violence physique -2 d une violence morale et physique.
Figure 5 : Le type de la violence subie au cours de l abus selon la moyenne d âge de la victime 3 Violence Physique 3 Violence Morale 2 2 Violence Physique et Morale 1 1 0 0-4 ans 5-7 ans 8-12 ans 13-16 ans
Tableau 3 : la symptomatologie relevée chez les mineurs Difficultés scolaires 13 Humeur dépressive ou équivalent 13 Trouble du sommeil 14 Trouble alimentaire 5 Trouble somatique 1 Concernant l expression de la souffrance: il faut savoir qu il n existe pas de modèle linéaire de cause à effet qui reprendrait tous les symptômes Trouble du comportement 10 Trouble des conduites sociales 1 Trouble sphinctérien 4 Trouble des conduites sexuelles 3 Trouble anxieux 4 La majorité des enfants ne peuvent pas exprimer leur souffrance par la parole Aucune 2
AGE PRESCOLAIRE AGE SCOLAIRE Troubles du sommeil Troubles alimentaires Altération du niveau d activité Manifestations agressives excessives Hyperactivité Irritabilité Troubles affectifs (inhibition, retrait, arrêt brutal des activités, pleurs) Comportement phobique Plaintes somatiques Troubles du sommeil et de l alimentation Troubles du comportement (fugue, mensonges, vols, opposition, hétéroagressivité) Troubles affectifs (dépression, anxiété, labilité de l humeur) Phobies soudaines avec demandes de réassurance. Crainte de se déshabiller. Réticence et méfiance face aux personnes et au moment de se rendre à un endroit particulier. Préoccupations sexuelles obsédantes, comportement séducteur, masturbation compulsive, intérêt inadapté pour les parties génitales des personnes et des animaux.
Figure 6: Conséquences psychiques 7 3 Etat de stress post traumatique 2 Depression Anxiété 3 Sociale 13 Aucun 2 Le psychiatre expert a préconisé un suivi de l enfant dans toutes les expertises
La demande de l expertise a été faite par - Le juge dans 19 expertises - Le délégué de la protection de l enfance dans 9 cas Il s agissait d une première procédure dans 23 expertises. Tableau 4 : les différentes demandes formulées par le juge Réaliser un examen psychiatrique Préciser la crédibilité des dires de l enfant en rapport avec son 28 expertises 12 expertises état mental Préciser l identité de l abuseur Décrire l acte sexuel subi Préciser l état psychologique et mental de l enfant et les 3 expertises 2 expertises 15 expertises répercussions Préciser la nécessité d un suivi ultérieur La nécessité d un placement 4 expertises 1 expertise
La prise en charge Dépend de plusieurs facteurs La nature de l abus L identité de l abuseur L âge de l enfant La qualité du support familial La nature du trouble psychiatrique secondaire L existence ou non de réparation Psychothérapie Médicamenteuse Réinsertion scolaire et sociale
DISCUSSION
Les différents intervenants éducatifs, sociaux, médicaux, judiciaires Ne peuvent traiter seul un tel problème Coordination, tout en gardant chacun leur spécificité Préparer et de faciliter une prise en charge secondaire Garantir les chances d'aider l'enfant atteint dans son processus développemental.
DIFFICULTÉS D ORDRE CLINIQUE
Caractéristiques de la procédure Délai entre les faits et l examen psychiatrique Souvent long, préjudiciable du fait du phénomène d oubli, de la modification du discours possible au cours des répétitions des allégations comme de l influence du discours de l enfant par des phénomènes extérieurs. L entretien initial est primordial!
Effet de la répétition des témoignages En effet, l enfant doit répéter ses propos en moyenne entre 16 et 26 fois selon les études auprès de différents intervenants. Sentiments contradictoires à l égard de personnes auxquelles il est affectivement lié. «Certains en arrivent à penser que les adultes se liguent pour ne pas les croire au fur et à mesure qu ils posent leurs questions et les répètent; à tel point que certains finissent par se rétracter ou s enfermer dans le mutisme»
La clinique Age : Plus le sujet est jeune, plus les composants affectifs interviennent et modifient l actualisation d un événement du passé. un garçon âgé de 3 ans et demi vivant avec sa mère, ayant subi un abus sexuel 9 mois avant la date de l expertise, présentait un retard du langage verbal par rapport à son âge avec une mauvaise intégration temporo-spatiale. Il n arrivait pas à élaborer des phrases et présentait une pauvreté de son champ lexical.
l opposition de l enfant: justifiée par l absence de structure en Tunisie qui préparerait psychologiquement l enfant à l expertise médicolégale. Facteurs cognitifs influençant le récit de l enfant La mémoire des enfants s améliorait progressivement à partir de l âge de 3 ans et jusqu à 12 ans. La mémoire des faits centraux est moindre que les détails qui lui sont associés chez l enfant. Les enfants font plus d erreurs d omission
Les troubles du comportement peuvent être de tout type n'ont aucune spécificité lorsqu'ils sont analysés individuellement. Enfin dans les familles où la séparation des parents ainsi que la garde est conflictuelle, les enfants présentent souvent des symptômes non spécifiques. D'authentiques agressions sexuelles ne s'accompagnent pas toujours de signes cliniques contributifs.
L entretien: Plusieurs techniques aucune n est fiable à 100%, ni ne permet de déterminer avec certitude la présence ou non d un véritable abus sexuel. Nécessité d une évaluation passant par plusieurs temps L expertise collective se révèle bien supérieure à plusieurs niveaux: elle permet d offrir des perspectives diverses tout en amoindrissant le risque lié aux biais personnels de chaque expert.
Le rappel des faits, et à un moindre degré la reconnaissance des visages ou de personnages étaient influencés par des questions inductrices de mauvaises réponses La suggestion indirecte pouvaient altérer les capacités de rappel et de reconnaissance chez les enfants. Ceci explique qu avant l âge de 3 ans, le récit des enfants aux allégations d abus sexuel est souvent mis en doute
Ainsi, au Québec, environ 50 % des allégations seraient douteuses dans des situations de conflit entre parents. Ce pourcentage évolue entre 30 et 72 % selon les études qui sont cependant disparates sur le plan méthodologique
DIFFICULTÉS D ORDRE JURIDIQUE
Actuellement, dans notre pays, aucun texte de loi ne définit les questions qui peuvent être posées à l expert et l obligation de ce dernier de répondre à toutes les questions posés. 2 grands types de questions: Celles visant à apprécier la nature et l importance du traumatisme subi et l état de santé psychique du sujet victime les questions de la crédibilité de l enfant
Par ailleurs, l expert dans aucune expertise, ni le médecin traitant n a eu accès aux données du dossier judiciaire. Nous avons noté que l expert a eu recours à un examen complémentaire (un test psychologique) dans 3 expertises et ce après approbation du juge qui l a mandaté. Enfin, vue la complexité de la procédure judicaire, nous n avons eu aucun retour d information sur l issue de ces affaires.
DIFFICULTÉS D ORDRE ÉTHIQUE
Notre travail, parmi les 16 mineurs qui ont été abusés par leur père, 4 vivaient encore, au moment de l expertise, avec leur abuseur. L expert devait proclamer dans ses conclusions des mesures de protection pour ces enfants c'est-à-dire l éloignement de ces derniers de leur père même si le juge ne l avait demandé que dans une seule expertise.
IMPLICATIONS
BON PRONOSTIC PRONOSTIC PÉJORATIF Famille unie au moment de l abus Abus unique Enfant ayant une certaine maturité et connaissance sexuelle Abus extra familial Milieu ayant une capacité d écoute, permettant la révélation Révélation : secret médiatique absolu Problèmes familiaux précédant l abus Abus répétés sur une longue période Abus accompagnés de menace ou de violences Abus intra - familial, surtout abus commis par le père naturel Milieu isolé, peu riche en relations, ne permettant pas la révélation Mesures générales manquant de discrétion. Révélation non prise en charge ou non crue
BON PRONOSTIC PRONOSTIC PÉJORATIF Prise en charge rapide Existence d une équipe spécialisée et d un lieu adapté Ecoute. examens et prise en charge regroupés dés la révélation. en un temps très court Soutien du milieu familial Maintien dans le cadre de vie, en l absence de l agresseur désigné dans un premier temps Multitude des intervenants. Non coordination de la prise en charge Etalements dans le temps des décisions Multiplication des examens physiques Enfant déconsidéré et non aidé dans sa famille, Retrait du cadre de vie. Retour de l abuseur désigné au domicile de l enfant au moment de la révélation Comparution comme plaignant ou témoin à charge devant la cour
CONCLUSION Les maltraitances sexuelles incitent les professionnels de santé à un décloisonnement de leurs pratiques puisque s'impose un travail de partenariat et en réseau avec les DPE, l'école, les services socio-éducatifs, les associations mais aussi la justice et la police.
Ces maltraitances imposent aux soignants l'impérieuse nécessité d une prise en charge adéquate, d une intervention précoce pour assurer une protection des droits de l enfant surtout son droit au respect dans son intégrité physique et psychique