GAÉTAN BRETON LA DETTE : RÈGLEMENT DE COMPTES Préface de Raymond Favreau
La collection «Futur proche» est dirigée par Gaétan Breton et Claude Rioux. Dans la même collection : Gaétan Breton, Faire payer les pauvres. Éléments pour une fiscalité progressiste Gaétan Breton, Tout doit disparaître. Partenariats public-privé et liquidation des services publics Jean Bricmont, L Impérialisme humanitaire. Droit humanitaire, droit d ingérence, droit du plus fort? Andrea Langlois et Frédéric Dubois (dir.), Médias autonomes. Nourrir la résistance et la dissidence Photo de la couverture : Dave Landry Lux Éditeur, 2007 www.luxediteur.com Dépôt légal : 2 e trimestre 2007 Bibliothèque nationale du Canada Bibliothèque nationale du Québec ISBN 978-2-89596-049-2 Ouvrage publié avec le concours du Conseil des arts du Canada, du programme de crédit d impôts du gouvernement du Québec et de la sodec. Nous reconnaissons l aide financière du gouvernement du Canada par l entremise du Programme d aide au développement de l industrie de l édition (padié) pour nos activités d édition.
L auteur remercie Carole Gravel, Monique Moisan et Martin Poirier pour leur lecture attentive et leurs conseils judicieux.
Préface DEPUIS QUELQUE TEMPS, en lisant les journaux, on tombe souvent sur les propos d un ministre des Finances ou d un gros bonnet du monde des affaires au sujet de la dette publique. Remplaçant le déficit (plus ou moins éliminé), c est la nouvelle menace qui planerait, dit-on, sur nous et surtout sur les générations futures. Les politiciens s engagent à nous en libérer dans les meilleurs délais, sans débat à l Assemblée nationale ni au parlement canadien. Apparemment, la cause est déjà entendue. Les médias en rajoutent, applaudissant le projet d Ottawa de réduire la dette à 25 % du PIB dès 2012-2013. Les économistes du Centre canadien de politiques alternatives, les Jim Stanford, Louis Gill, de même que ceux d Attac-Québec répliquent qu il s agit d un faux problème, invoqué comme prétexte pour justifier des compressions budgétaires dans les programmes sociaux ou pour ne pas les renflouer, ou encore pour ne pas rétablir l équilibre fiscal entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Les politiciens et les grosses légumes affairistes font mine d ignorer les chiffres et le contexte de la dette avancés par les critiques du tout-au-remboursement. Ils persistent à montrer la dette comme le casse-gueule numéro un de notre époque. Et pourtant, s opposant à la thèse alarmiste, Jacques Parizeau s est dit d avis que la dette du Québec n a rien de catastrophique. Malgré des titres de compétence autrement plus impressionnants que ceux des «Lucides» a, son opinion semble avoir eu peu de a. Manifeste pour un Québec lucide, Montréal, 2005.
6 LA DETTE: RÈGLEMENT DE COMPTES retombées, sauf peut-être dans un éditorial paru dans Le Devoir, où Jean-Robert Sanfaçon reprochait au ministre des Finances Flaherty de consacrer l essentiel des énormes surplus engrangés par le fédéral au remboursement de la dette, tout en réduisant le budget de la culture, et ce, sans égard pour les inégalités croissantes entre les Canadiens et entre les régions a. Ceux qui brandissent cet épouvantail de la dette publique ont même réussi à convaincre des personnes relativement éclairées sur le plan social que le remboursement de la dette est une mesure progressiste. Et à la suite du lancement du Manifeste pour un Québec lucide, les sections jeunesse de chacun des trois vieux partis du Québec (Action démocratique, Parti libéral, Parti québécois) ont emboîté le pas en adoptant des résolutions exigeant le remboursement rapide de la dette publique. Ce même faux débat a lieu ailleurs au sein du G7, par exemple en France, pays dont la dette est à peu près de la même taille par rapport à son PIB que celle du Québec. D ailleurs, l Observatoire français de conjonctures économiques a dû s élever contre les conclusions du rapport alarmiste de la commission Pébereau. Il reste que pour la plupart des pays industrialisés du nord de la planète comme pour les «tigres asiatiques», la dette publique n est qu un des éléments du budget, n étant montrée du doigt que rarement, et par des politicailleurs en mal de fausses questions pour gagner des votes. Par contre, les pays pauvres souffrent véritablement de surendettement à cause des programmes d ajustement structurel imposés par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Ottawa continue pourtant de rembourser la dette fédérale à raison de quelques milliards par année, même si celle-ci est déjà la plus basse des pays de l Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Le besoin de rétablir le financement de l assurance-maladie et les bénéfices de l assurancechômage à leur niveau d avant 1995 ne pèse pas lourd dans la balance du gouvernement d Ottawa, qu il soit libéral ou conservateur. De son côté, le gouvernement Charest a créé un fonds a. Jean-Robert Sanfaçon, «La dette, et après?», Le Devoir, 25-26 novembre 2006.
PREFACE 7 spécial qui doit servir entre autres au remboursement accéléré de la dette et qui sera alimenté de façon régressive. Dans chaque cas, il n y a eu que peu s il y en a eu de débat, que ce soit au parlement canadien ou à l Assemblée nationale du Québec. Les partis d opposition semblent adhérer à la pensée unique à ce sujet. On peut se demander ce que font les chercheurs du Nouveau parti démocratique et du Bloc québécois. Qu en est-il véritablement de ce triste fouillis? Gaétan Breton, bien informé et éminemment compétent pour traiter de la question, décortique dans cet ouvrage la dette publique de l État québécois, passe ses composantes à la loupe et pointe des débits ne devant pas y figurer. Il récuse avec raison la théorie du conflit entre générations que l establishment substitue au conflit de classes, en invoquant le «fardeau» de la dette que la génération prétendument gâtée des boomers va léguer à ses enfants et à ses petitsenfants. L auteur révèle ce à quoi sert ou a servi une partie importante des emprunts effectués au fil des décennies. Il souligne que ce ne sont pas seulement des dettes que les générations d après la Révolution tranquille vont laisser aux générations futures, mais aussi des actifs importants (système public d éducation, infrastructures, institutions financières étatiques). L auteur indique bien à qui profite le projet du remboursement tous azimuts : au secteur privé, avide de mettre la main sur les profits qui résultent des privatisations. En outre, il nous met en garde contre les vrais enjeux et objectifs néolibéraux qui sous-tendent le processus (les programmes sociaux et publics, que nos gouvernements veulent éliminer, réduire ou brader aux partenariats public-privé). Finalement, contrairement à ceux qui ne font qu affirmer l urgence du remboursement de la dette publique en n offrant que des comparaisons simplistes, l auteur fait la démonstration de ce qu il avance, statistiques et données budgétaires officielles à l appui. Bonne lecture! Raymond Favreau Coordonnateur du conseil scientifique d Attac-Québec
Introduction N OUS AVONS TOUS eu connaissance de la vaste entreprise d intimidation qui entoure les questions économiques actuelles et dont la manifestation la plus médiatisée au Québec a probablement été la parution, en octobre 2005, du Manifeste pour un Québec lucide. Ce manifeste n est toutefois que la reprise d idées circulant largement dans les officines du pouvoir économique, abondamment relayées par les médias ces derniers appartenant, de plus en plus, à de riches groupes d affaires. Dans cette foulée, L éloge de la richesse, d Alain Dubuc, est un développement du Manifeste pour un Québec lucide. On le voit, tous les riches et leurs sbires sont aux barricades pour convaincre la population qu elle doit accepter l austérité si elle veut accéder à des lendemains qui ne chantent même plus, mais se contentent de ne pas déchanter trop fort. Sans cette austérité, la société risque de s effondrer, nous dit-on. Il y aura trop de vieux et pas assez de jeunes pour les faire vivre et pour, de surcroît, payer la dette que ces vieux auront accumulée par leur insouciance et leur manque de productivité. Conclusion : abandonnons-les à leur sort, payons la dette et diminuons l engagement de l État dans les services sociaux. Deux conséquences découlent de ce discours : la diminution des services sociaux et la privatisation de ceux qui resteront. Or, contrairement à ce qu on essaie de nous faire croire en nous répétant constamment que les entreprises d État sont mal gérées et que le gaspillage constitue chez elles une norme de fonctionnement, la privatisation des services publics n implique pas nécessairement une diminution des tarifs et une augmentation de la qualité.
10 LA DETTE: RÈGLEMENT DE COMPTES En fait, si nous regardons ailleurs dans le monde, la privatisation des services publics a provoqué des hausses de tarifs pour les populations, sans que la qualité des services en soit augmentée. On observe parfois même des baisses sensibles de cette qualité. En France, par exemple, on estime à plusieurs millions le nombre de personnes ayant reçu de leurs fournisseurs privés de l eau impropre à la consommation. Ces privatisations sont aussi censées diminuer la dette publique, d abord en ne l augmentant pas et ensuite en faisant entrer de l argent dans les coffres de l État au moment de la vente des actifs des entreprises publiques. En Angleterre, sous le gouvernement Thatcher, l entrée d argent était l un des objectifs les plus importants du plan de privatisation. L Angleterre a donc vendu au privé British Petroleum, un joyau de la couronne, à un prix tellement bas qu il a fait scandale. Puis on a privatisé les services d aqueduc, la gestion des chemins de fer, etc. Au terme de ces privatisations, les tarifs, pour l eau par exemple, ont sensiblement augmenté et la dette du Royaume-Uni culmine à présent à plus de 8 280 milliards de dollars US, juste derrière celle des États-Unis. Ainsi, la vente des actifs de l État, la plupart du temps pour un prix dérisoire, ne produit pas les effets annoncés sur la dette publique, mais elle sert merveilleusement bien les intérêts privés. Dans le domaine de l eau, les profits faramineux et les tarifs usuraires pratiqués par les grandes compagnies internationales sont largement connus. Le discours de ceux qui prônent le remboursement de la dette se passe de chiffres précis. Par exemple tout ce que les Lucides ont à dire sur la dette confine à la fausseté : selon eux, le gouvernement consacre 16 % de ses dépenses pour les intérêts liés au paiement de la dette publique et c est plus que ce que font les autres gouvernements provinciaux ; la dette de 120 milliards de dollars (admettons), advenant une hausse de 1 % des taux d intérêts, coûterait 1,2 milliard de plus aux Québécois. Comme on va le voir plus loin, ce sont là des affirmations qui ne représentent pas la réalité et qui n ont d autre but que d intimider la population. Ce qu on nous sert, sous toutes les couleurs (Livre bourgogne, Rapport Ménard, Manifeste pour un Québec lucide, Éloge de la richesse, etc.),
INTRODUCTION 11 c est une nouvelle version du coup de la Brinks. C est pourquoi il nous a semblé important de disséquer le monstre de la dette pour en parler plus sereinement, en connaissance de cause. * * * Le discours dominant au sujet de la dette met souvent celle-ci en relation avec les taux d intérêts, le produit intérieur brut (PIB) ou le taux de croissance de l économie. Jamais n avons-nous lu une analyse sérieuse des actifs qui accompagnent la dette ni même une tentative de montrer à quoi l argent ainsi emprunté avait bien pu servir. En conséquence, cette dette apparaît toujours comme un fléau épouvantable, une aberration complète et une menace constante. Ce que nous savons de la dette est aussi marqué par les aléas du discours économiste, qui nous propose une évaluation souvent univoque de la dette. On y parle de recettes fiscales et de croissance économique, mais jamais on ne discute des fruits totaux de cette croissance et de ce que l on pourrait faire avec ceux-ci. Les fruits de la croissance sont partiellement recueillis par l État à travers une fiscalité dont l un des principes de base, chez nous, consiste à demeurer «neutre». La neutralité fiscale réside dans le fait de ne pas privilégier quiconque dans le système, c est-à-dire de ne pas redistribuer réellement les fruits de l activité économique. Il y a donc là une acceptation tacite du fait que la propriété privée justifie l accumulation du capital et de ses revenus. En conséquence, on ne doit pas interférer, sauf pour corriger quelques déséquilibres trop flagrants. Remarquons que cette attitude est contraire à l esprit de l économie libérale fondamentale, pour qui toutes les transactions, y compris celles qui sont liées au travail, se font sur un marché libre (dans lequel il y a des options intéressantes) où la firme (l entreprise ayant plus d une activité) demeure une faille du marché, dans la mesure où l entreprise, en faisant des contrats à long terme et en organisant systématiquement la surveillance du processus de travail afin d éliminer les frais de transaction,
12 LA DETTE: RÈGLEMENT DE COMPTES constitue une mesure de remplacement pour un système qui ne fonctionne pas comme on le décrit. Les coûts de transaction sont un exemple de ces disfonctionnements corrigés partiellement par la constitution des firmes. Notons que l ensemble des lois régissant l entreprise, par leur nombre et leur importance, agit comme un constat de la déficience des marchés à fonctionner selon les prescriptions des économistes, ce qui n empêche pas ces derniers de continuer d en clamer l existence, haut et fort. Plusieurs économistes, proches des pouvoirs politiques, sont entrés en lice pour participer à la grande offensive anti-état et anti-services publics. Car on a réussi à imputer aux services publics la responsabilité de la dette. Les citoyens, quant à eux, seraient coupables d une surconsommation de services publics. La dette est devenue un instrument de terrorisme économique et intellectuel aux mains de la droite. Les mêmes arguments sont utilisés partout dans le monde au sujet de la dette du tiersmonde, par exemple. Au Québec, on nous sert la terreur sur fond de bataille des générations. Nous ne devrions pas laisser les jeunes avec une dette, nous dit-on. On omet toutefois de se demander si nous ne laisserions pas aussi quelques actifs en compensation... Il est bien évident que ce soi-disant conflit des générations fait l affaire de quelques-uns, les mieux nantis, dont le but est d éliminer l État et d attribuer au secteur privé les services sociaux non rentables, afin de réaliser des profits. Ainsi, il importe de résister aux pressions idéologiques, de considérer la dette pour ce qu elle est et ne pas nous laisser impressionner par les arguments fallacieux des millionnaires qui viennent nous dire où est notre bien en ne pensant, évidemment, qu au leur. Pourquoi une dette? Lorsque des actifs sont construits pour plus d une génération, il est non seulement normal mais dans la logique de notre système fiscal que la dette qui en découle soit elle aussi étalée sur plus
INTRODUCTION 13 d une génération. On ne peut donc pas séparer la dette des actifs qu elle a servi à construire. Un des principes du budget d un État est que les bénéficiaires d une décision en paient le prix. Tout le système des règlements d emprunts dans les municipalités est basé sur ce principe. Par exemple, si le gouvernement veut construire une infrastructure qui va durer 25 ans, il emprunte sur 25 ans et la dette s épuise avec le bien. Ainsi, ceux qui ont remboursé la dette étaient là pour jouir du bien en question. Si nous collectons l argent avant de construire le bien, les gens qui l auront payé ne pourront pas nécessairement en profiter. Cela constituerait donc une injustice intergénérationnelle, au profit des générations futures. Chaque fois que nous construisons, avec nos impôts actuels, un actif qui doit durer, notre génération fait un cadeau aux générations à venir. En revanche, construire en contractant une dette peut être, sur le plan de l équité intergénérationnelle, beaucoup plus juste. Les dettes publiques ne sont donc pas toujours inutiles et certainement pas toujours injustes. Évidemment, les dettes sont assorties d intérêts, ce qui augmente le coût des biens publics qu elles servent à payer. Cependant on peut penser que la perte de ceux qui auraient fourni les fonds préalablement à la construction est aussi à prendre en compte. Les contribuables, ayant payé plus d impôts à l avance pour accumuler les fonds nécessaires à la construction d un actif, n ont pas reçu le rendement financier ou social sur ces fonds. Ils ont donc subi une perte. Cette perte est réelle et possède une valeur, tout comme le loyer de l argent représenté par l intérêt. Par ailleurs, nous devons considérer la destination des sommes empruntées. L idéologie dominante aime à dire que les dettes ont servi à payer les dépenses courantes. En 40 ans, le Québec s est doté d infrastructures importantes, dont la valeur n a jamais été correctement comptabilisée. Le fait que l État n ait pas de bilan comptable laisse croire, en effet, que ces investissements ne sont que des dépenses. Le piège est grossier et permet, après coup, d attribuer la dette à un niveau de vie excessif que se seraient donné certaines générations.
14 LA DETTE: RÈGLEMENT DE COMPTES L horreur de la dette et la diminution de l État Le caractère urgent de la diminution de la dette publique ne prend pas ses racines dans une quelconque science des équilibres économiques. Il émerge directement du projet de diminution des États (des services publics et de la planification économique), qui est celui du capitalisme impérialiste actuel, qu on appelle la mondialisation. Ce capitalisme est un système où le détournement de sens est roi. Ainsi, il peut paraître, aux yeux de certains, que la présence de l État augmente. Il faut bien reconnaître que, par exemple, son appareil répressif aurait tendance à croître. Mais ce sont en fait les fonctions au service de l entreprise qui augmentent, tandis que les fonctions sociales diminuent et se privatisent peu à peu. Les fonctions économiques, quant à elles, tendent tout simplement à disparaître. Le discours dominant sur la dette promet le bonheur en s appuyant sur quelques chiffres lancés dans le vide. Par exemple, bien qu ayant lu des dizaines de pages et entendu des heures de commentaires sur le fait que la dette publique est beaucoup trop élevée, qu elle atteint des proportions incontrôlables, nous n avons jamais lu une ligne expliquant quel serait le niveau correct d une dette et comment on pourrait y parvenir. De fait, ceux qui crient le plus fort contre la dette sont aussi ceux qui proposent des projets coûtant des milliards, dont le seul avantage est de faire rentrer de l argent des impôts dans des poches privées (exemple : le déménagement du Casino de Montréal et tout ce qui l accompagne). En Europe, on peut trouver une indication d un niveau de dette jugé acceptable dans les conditions accompagnant le traité de Maastricht. Ces conditions fixent le déficit annuel à 3 % du PIB et le niveau de la dette autour de 60 % du PIB. Notons cependant que 60 % du PIB, comme nous le verrons plus loin, constitue un taux relativement élevé, surtout si l on considère que les pays d Europe n enregistrent pas de passifs liés aux régimes de retraite.
INTRODUCTION 15 Dans les pays du tiers-monde, la Banque mondiale force les pays à privatiser leurs services publics avant d avoir accès à l aide promise. Cette aide crée ensuite de nouvelles dettes qui ne font qu augmenter la pression et forcer d autres privatisations. Dans nos pays dits développés, la dette sert de plus en plus de levier idéologique pour faire accepter aux citoyens les décisions qu on a prises pour eux. Cependant, en «dégraissant» l État, on privatise les services publics, ici aussi bien qu en Afrique. Pendant ce temps, malgré les beaux discours et les sacrifices (le déficit zéro, les faibles hausses de salaire dans la fonction publique et l acceptation par certains employés de l État d arrangements dont ils ne sont pas encore revenus, comme de laisser le patron se servir dans leur fonds de pension), la dette continue d augmenter pour produire plus de terreur et plus de privatisation. Avant de plonger dans le vif du sujet, disons encore que la dette du tiers-monde et celle des pays industrialisés sont étonnament semblables à bien des égards. D abord, toutes deux ont augmenté en flèche depuis les années 1980. De plus, elles ne semblent pas avoir servi véritablement à augmenter la production des pays, alors que pour le tiers-monde, par exemple, c était l un des buts proclamés de l augmentation de la dette. Enfin, tant au sud qu au nord, la dette est utilisée pour remettre une partie de la gestion des pays entre les mains d organismes internationaux qui représentent, directement ou indirectement, la communauté des affaires. Rappelons-nous que l OCDE, il n y a pas si longtemps, a signalé au Canada qu il était surendetté. Nous devions diminuer les protections sociales pour faire baisser la dette. Certes, la pression semble moins sensible dans les pays développés, car elle vient souvent de l intérieur, mais elle sert, exactement comme dans les pays du tiers-monde, à forcer la privatisation des services publics et la réduction du soutien social. En regardant comment le système fonctionne ouvertement au tiers-monde, nous aurons donc des indications sur sa façon de fonctionner en sous-main chez nous.
16 LA DETTE: RÈGLEMENT DE COMPTES Comprendre la dette Dans le maelström idéologique que nous venons de décrire, notre but est de mettre à plat les caractéristiques de la dette pour que les citoyens puissent se faire une idée, au-delà des slogans. Nous commencerons donc par voir de quoi se compose la dette du Québec. Nous discuterons ensuite de ses origines, en autant que celles-ci puissent être clairement retrouvées. Une chose demeure certaine : les discours actuels ont tendance à les situer dans des dépenses excessives des gouvernements. Nous tenterons de débroussailler ce terrain et laisserons ensuite le lecteur ou la lectrice se faire une opinion. Il faudra aussi rappeler que les Québécois, en tant que citoyens du Canada, sont responsables d une portion de la dette fédérale. Cette dette se paie à même les impôts que nous versons à Ottawa. Nous la payons tellement bien d ailleurs qu elle diminue au détriment de celles des provinces. Enfin, nous regarderons quelques avenues possibles pour la dette, ce qui nous amènera à poser la question des générations, qu on relie toujours à la dette, tel que nous l avons évoqué plus haut. Le but du présent ouvrage est de rendre claire la question de la dette. Nous voulons ouvrir un véritable débat, qui se situe au-delà de la peur et des chiffres catastrophiques lancés à la tête du public, afin de susciter une réflexion citoyenne et des prises de décisions collectives éclairées.