SEXUALITÉ ET HANDICAP : DROITS, OBLIGATIONS ET RESPONSABILITÉS. Agathe HAUDIQUET, Juriste, Conseillère technique du CREAI Nord/Pas-de-Calais



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SEXUALITÉ ET HANDICAP : DROITS, OBLIGATIONS ET RESPONSABILITÉS Agathe HAUDIQUET, Juriste, Conseillère technique du CREAI Nord/Pas-de-Calais LE CADRE JURIDIQUE DE LA SEXUALITE La sexualité des personnes handicapées n'est pas, en tant que telle, réglementée. Il n'existe donc pas de lois (au sens général du terme) la régissant de manière spécifique. Il faut voir dans le silence du législateur une volonté délibérée de ne pas attribuer aux personnes handicapées mentales un statut propre qui aurait pour conséquence de distinguer leur sexualité de celle des autres personnes, et qui favoriserait une dérive eugénique 1. Ainsi, dans un Etat de droit, une démocratie, l'absence de loi joue un rôle tout aussi important que la loi elle-même. Le silence du législateur sur la sexualité des personnes handicapées mentales ne signifie pas pour autant que les situations problématiques particulières ne seront pas réglées. En effet, un cadre juridique existe, dont l'objet est justement de poser des limites audelà desquelles l'etat de droit serait menacé, et dont le respect est garanti par les tribunaux. Des principes fondamentaux ont ainsi été adoptés non seulement par la France mais également collectivement, par un ensemble de pays, dont la France, dans le cadre de conventions internationales. La sexualité, qui implique le droit d avoir des relations intimes, repose à la fois sur le principe du respect de la vie privée et le principe d intégrité, d'inviolabilité du corps humain, selon lequel "chacun a droit au respect de son corps" 2. Ce sont des principes qui figurent non seulement dans le code civil français 3 mais également dans le pacte international sur les droits civils et politiques de 1966 et surtout dans la convention européenne des droits de l'homme 4 que la France a ratifiés ; la France 1 Eugénisme : "ensemble des méthodes qui visent à améliorer le patrimoine génétique de groupes humains, en limitant la reproduction des individus porteurs de caractères jugés défavorables", définition du Petit Larousse. 2 Article 16-1 du code civil : "Chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable. Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial". 3 Article 9 : "Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du préjudice subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée ; ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé". 4 Article 8 : "Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire

qui a également reconnu la compétence de la cour européenne des droits de l'homme pour statuer sur les violations éventuelles de la convention par la France. La sexualité est étroitement associée à la procréation. Elle entre donc aussi dans le champ d application du droit à la vie et du droit à une vie familiale. Ces droits fondamentaux sont reconnus en droit français et en droit international. La convention européenne des droits de l'homme dispose que : "Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi". Citons également la convention internationale des droits de l'enfant que la France a ratifiée en 1990 en son article 6-1 : "Les parties reconnaissent que tout enfant a un droit inhérent à la vie". L ensemble de ces principes fondamentaux, brièvement évoqués, constitue l'armature juridique de ce que l'on pourrait appeler «le droit à la sexualité» de tout être humain. On ne peut ignorer toutefois les difficultés d'application qu'ils engendrent lorsqu'il s'agit de personnes handicapées mentales. En effet, la personne handicapée mentale est une personne dont la capacité à défendre ses droits est amoindrie ; elle est par conséquent plus exposée aux violations de ses droits. C est pour cette raison que le législateur a décidé de protéger les personnes incapables de le faire elles-mêmes. La protection de la personne handicapée mentale, prévue à l'article 490 du code civil 5, qui porte à la fois sur ses biens et sur sa personne, vise à ce qu elle soit accompagnée dans l'exercice de ses droits. En principe, elle ne dépossède la personne ni de ses droits, ni de ses obligations (responsabilités). Simplement, elle sera assistée (dans un régime de curatelle) ou représentée (dans un régime de tutelle) selon sa capacité à manifester sa volonté. Ainsi, celui qui protége la personne handicapée mentale, tuteur ou curateur, n a pas le droit de faire obstacle à sa sexualité. Les seules limites existantes, valables par ailleurs pour toute personne, fixées par la loi, sont relatives à l'âge et au consentement. Tout d'abord, l'enfant mineur ne peut se prévaloir d'un droit à la sexualité. Il est soumis à l'autorité de ses représentants légaux qui peuvent le lui interdire. Seules les personnes majeures jouissent pleinement de ce droit. D ailleurs le code pénal condamne «le fait, par un majeur, d exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d un mineur de quinze ans» 6 ainsi que les atteintes sexuelles sans violence, contrainte, menace ni surprise sur un mineur âgé de plus de quinze ans dès lors qu elles sont commises par un ascendant légitime, une personne ayant autorité sur la victime ou une personne abusant de l autorité que lui confèrent ses fonctions 7. à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui". 5 "Lorsque les facultés mentales sont altérées par une maladie, une infirmité ou un affaiblissement dû à l'âge, il est pourvu aux intérêts de la personne par l'un des régimes de protection prévus aux chapitres suivants." 6 Article 227-25 7 Article 227-27du code pénal

Ensuite, la personne doit avoir consenti à l'acte sexuel. S il est commis avec violence, contrainte, menace ou surprise, il constitue une agression sexuelle passible de sanctions pénales. Les peines sont aggravées lorsque la victime est une personne vulnérable en raison de son âge, de son infirmité, de sa déficience physique ou psychique, de son état de grossesse ou lorsque l auteur est une personne ayant autorité ou abusant de l autorité que lui confèrent ses fonctions. De même, la personne handicapée mentale a le droit de se marier, avec l'accord du conseil de famille ou du curateur. Si elle n'obtient pas cet accord, elle a encore la possibilité de saisir le juge des tutelles qui examine si le refus des organes de protection est fondé. Elle a le droit d'avoir des enfants et de les élever. Elle ne perd, définitivement ou provisoirement, l exercice de l autorité parentale que si elle est "hors d'état de manifester sa volonté» 8. Par ailleurs, l'incapacité du détenteur de l'autorité parentale peut ne porter que sur une partie des attributs de l'autorité parentale, par exemple, l'administration du patrimoine de l'enfant. Cela signifie que, bien que la personne handicapée, ellemême protégée quant à la gestion de ses biens, ne soit pas capable de gérer ceux de son enfant, ne se voit pas pour autant systématiquement ôter sont droit et son devoir de garde, de surveillance et d'éducation. Dans tous les cas, "la perte des prérogatives liées à l'autorité parentale ne peut intervenir qu'après que des mesures d'information aient permis de constater que les père et mère étaient incapables de les exercer 9 ". En ce qui concerne la contraception, l'avortement ou la stérilisation, sous réserve bien entendu des conditions précisées par la loi, le consentement préalable 10 de la personne intéressée est requis. En règle générale, pour les actes les plus graves, le consentement des organes de protection est en outre exigé. Par exemple, l'ivg d'une personne sous curatelle est autorisée, dans les limites de la loi, dès lors que la personne protégée y consent avec l'assistance de son curateur. L article 223-10 du code pénal avertit que : «L interruption de la grossesse sans le consentement de l intéressée est punie de cinq ans d emprisonnement et de 500 000 F d amende». La personne handicapée mentale, protégée par le droit, est en principe placée dans les conditions les meilleures au regard de ses capacités pour exercer son droit à la sexualité. Elle doit l'être également, en principe, lorsqu'elle se trouve en situation d'usager des services sociaux. Depuis quelques années, le droit des personnes handicapées usagers du service public tend à se développer. 8 Article 373 du code civil 9 TI Saint-Omer 3-5-1989, JCP II 21514 10 En cas d'extrême urgence, où la vie du patient est en danger, le praticien peut être amené à procéder aux actes nécessaires sans avoir préalablement requis son consentement conformément à ses obligations juridiques et déontologiques.

La loi du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des malades mentaux et à leurs conditions d'hospitalisation vise à garantir le respect d'un certain nombre de droits en cas d'hospitalisation psychiatrique : droit à l'information, droit à la correspondance, droit de se livrer à des activités religieuses ou philosophiques, etc Dans le champ du travail social, un certain nombre de dispositions ont été adoptées aux fins d'attribuer à l'usager une place d'acteur dans la structure qu'il fréquente. Le conseil d'établissement, dans le cadre de la loi de 1975 sur les institutions sociales et médico-sociales, fait normalement partie des outils permettant à l'usager et à sa famille de participer à la vie de l'institution. La question de la sexualité n'échappe pas à cette évolution, accélérée par le drame du sida, et s'impose de plus en plus aux services sociaux. La circulaire du 10 décembre 1996 relative à la prévention de l'infection à VIH dans les établissements et services accueillant des personnes handicapées mentales met en avant les droits des usagers, leur intégrité et leur citoyenneté. L'un de ses objectifs est précisément de "reconnaître le droit de la personne handicapée et lui donner sa place en tant qu'usager". Il est affirmé que "la prévention n'a de sens que dans la mesure où elle concourt ainsi à la reconnaissance du droit à la sexualité pour la personne handicapée mentale ainsi qu'à l'affirmation de son droit à l'éducation sexuelle". Il en découle un certain nombre d'obligations pour l'établissement ou le service accueillant en matière d'information, de prévention et de sécurité. Il lui revient tout d'abord de formaliser ses obligations par leur inscription dans le projet d'établissement, le règlement intérieur et/ou une charte. Il est également tenu d'en organiser les conditions d'application. Il se doit d'informer les usagers de manière adaptée sur la sexualité, les MST, les moyens de protection et de contraception, ce qui favorise les risques de contamination. L'usager doit pouvoir disposer, à cet effet, de préservatifs sur demande. La circulaire énonce en outre la possibilité de recourir à une personne-ressource spécifiquement affectée à la prévention du VIH. Elle préconise à cet égard une utilisation accrue des projets individualisés. Rappelons, au passage, que le dépistage du sida est volontaire et anonyme et couvert par le secret médical, et qu'il n'existe ici, pas plus que pour le droit à la sexualité, de régime juridique particulier. Il reste encore beaucoup à faire, semble-t-il, à la lecture du rapport consacré aux MST et aux handicapés mentaux rendu public en février 1998 par le conseil national du sida. Le conseil y dénonce l'occultation de la question de la sexualité pour le problème du sida. Pour lui, "ni le mouvement de la libération sexuelle, ni l'institution de la mixité ne modifièrent le statut de la sexualité dans ces institutions. Le principe de mixité fut souvent naïvement contourné : beaucoup d'établissements choisirent ainsi de cloisonner par étage les hommes et les femmes L'arrivée du sida fut un non - événement ou, tout au moins, un événement marginal. Certains justifient cette situation par les conditions de vie très protégées des handicapés mentaux au regard

des risques de transmission du virus du Sida, alors que l'évolution de l'épidémie, depuis quelques années, tend à invalider cette thèse" 11. Ce rapport présente l'avantage de déclencher des réflexions et des prises de position dans le secteur. Les inspecteurs de l'igas, notamment, ont travaillé sur "les problèmes posés par les pratiques de stérilisation des personnes handicapées. Selon eux, "la liberté et l'autonomie des personnes handicapées et des malades mentaux doivent être promues par un environnement matériel (préservation de l'intimité), juridique (charte et règlement intérieur) et psychologique (formation des professionnels, aide à l'expression) qui favorise leur épanouissement amoureux et érotique" 12. RESPONSABILITES Deux types de responsabilité peuvent être engagés : la responsabilité civile et la responsabilité pénale. La responsabilité civile donne l obligation, pour celui qui a causé un dommage à autrui, de réparer ce dommage. Elle se distingue de la responsabilité pénale qui a pour but de punir l auteur d un acte socialement nuisible. Responsabilité civile et responsabilité pénale ne sont pas exclusives l une de l autre. La 1 ère se base sur l existence d une faute, la 2 nde sur l existence d une infraction. L existence de la faute civile est de plus en plus négligée par le juge qui cherche à étendre le principe de la responsabilité pour autrui, particulièrement dans le secteur social et médico-social, de manière à faciliter l indemnisation de la victime. En revanche, fondée sur le principe de la légalité des délits et des peines, l infraction doit nécessairement être qualifiée. La sexualité de la personne handicapée soulève la question des responsabilités qui pourraient être engagées en cas d agression sexuelle ou de contamination par le VIH. La responsabilité civile des établissements sociaux et de leurs salariés Les établissements sociaux sont susceptibles d engager leur responsabilité civile dans deux hypothèses où la personne handicapée est soit auteur, soit victime. La personne handicapée auteur Si la victime est un tiers, elle a le choix entre plusieurs recours dans la mesure où plusieurs personnes sont attaquables en responsabilité civile, avec des possibilités de cumul par ailleurs. Elle peut, tout d abord, attaquer directement la personne handicapée, auteur de la faute (agression sexuelle ou contamination par le VIH). Il lui revient de prouver que la faute a bien été commise par la personne handicapée et que cette faute a produit un dommage (lien de causalité). 11 In J-Y. Nau, Une étude dénonce la "confiscation" de la sexualité des handicapés mentaux, Le Monde du 15/16-2-1998 12 In V. Larmignot & J. Vachon, La sexualité confisquée, ASH n 2088n, 1998, pp.25-26

Si la personne handicapée fautive était prise en charge, au moment des faits, par un établissement, elle peut également se retourner soit contre le salarié 13, soit contre l employeur (l association) responsable de ses salariés 14. Si elle décide d attaquer le salarié, elle devra prouver la faute de surveillance de ce dernier. Si elle décide d attaquer l employeur, la victime bénéficie du régime de la présomption de responsabilité et, donc du renversement de la charge de la preuve. C est à l employeur de démontrer que son salarié a agi sans autorisation, à des fins étrangères à ses attributions. Par ailleurs, s il estime que son salarié a commis une faute professionnelle, il pourra prendre des sanctions disciplinaires à son égard. Il est à noter que la jurisprudence tend à s orienter vers l élargissement du champ d application de la responsabilité pour autrui. Ce type de responsabilité est définie à l article 1384al.1 : «on est responsable non seulement du dommage que l on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre». Ainsi, l établissement devient responsable des usagers dont il a la charge. Cependant pour que cette responsabilité puisse jouer, il est nécessaire que l établissement assure de manière permanente l organisation et le contrôle du mode de vie de l usager. Le juge a décidé que c était le cas, dans un arrêt de 1991 15, concernant un CAT dont l association gestionnaire a été considérée comme responsable de l incendie d une forêt provoqué par un handicapé mental. La responsabilité du fait d autrui est très intéressante pour la victime car celle-ci n a pas besoin de prouver la faute de surveillance. Le salarié contaminé par le VIH par une personne handicapée, autrement qu à l issue de relations sexuelles, pourra prétendre à une indemnisation de son employeur pour la partie du préjudice non prise en charge au titre de la législation sur les accidents du travail. Si cette contamination résulte de relations sexuelles avec une personne handicapée, il ne pourra valablement attaquer l employeur, s étant placé en situation de faute professionnelle. La personne handicapée victime Si la victime est une personne handicapée usager, la responsabilité civile de l auteur, de l employeur ou de ses salariés peut être engagée dans les mêmes conditions que celles énoncées précédemment. C est le représentant de la personne protégée qui introduira la demande de réparation et l action en justice si elle s avère nécessaire. La responsabilité civile de la personne handicapée 13 Sur la base de l art.1382 du code civil. 14 Sur la base de l art.1384al5 du code civil. 15 Cass. ass. plén., 29-3-1991, JCP, II, 21673.

La question de la responsabilité civile se pose à partir du moment, notamment, où la personne handicapée a commis une infraction sexuelle ou a contaminé autrui et que la victime réclame réparation auprès d elle. Le handicap mental n est pas une cause d exonération de la responsabilité civile. L article 489-2 du code civil prévoit que «celui qui a causé un dommage à autrui alors qu il était sous l emprise d un trouble mental n en est pas moins obligé à réparation». Le législateur considère que la victime a le droit d être protégée contre tout dommage, quel que soit le degré de discernement de l auteur de la faute. Pour cette raison, le tuteur devra souscrire un contrat d assurance au nom de la personne protégée afin de la prémunir contre les conséquences dommageables de ses actes. Ainsi, la personne handicapée sera condamnée à réparer le préjudice subi par la victime, en versant des dommages et intérêts, dès lors que la victime en apporte la preuve. Toutefois, si la personne handicapée mentale fautive est accueillie dans un établissement, le dommage ayant été commis dans l enceinte de l établissement ou pendant des activités menées sous sa responsabilité, la victime se retournera de préférence contre l établissement qui présente de meilleures garanties de solvabilité. D autant que si la responsabilité pour autrui peut être actionnée, la victime n a pas à apporter la preuve de la faute de surveillance. La responsabilité pénale de l employeur et de ses salariés Le salarié peut voir sa responsabilité pénale engagée s il a commis une infraction sexuelle sur la personne handicapée. Rappelons que la sanction sera aggravée pour lui dans la mesure où il fait partie des personnes ayant autorité et que la victime est une personne handicapée, considérée comme particulièrement vulnérable. Par exemple, dans une affaire de viol, il encourt la peine de 20 ans de réclusion criminelle au lieu de 15. La personne morale, telle que l association à but non lucratif, est pénalement responsable depuis la réforme du code pénal en 1994. La responsabilité de la personne morale doit être prévue expressément pour chaque infraction par le code pénal. Ainsi, la personne morale engage sa responsabilité pénale pour le délit de mise en danger d autrui, défini à l article 223-1. C est «le fait d exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement». La responsabilité pénale de la personne morale et celle de la personne physique, complice, peuvent se cumuler.

La responsabilité pénale de la personne handicapée Si une personne handicapée a commis un viol ou une autre agression sexuelle, sa responsabilité pénale est, en principe, engagée. Il en va de même lorsque, sachant qu elle était atteinte du sida, elle a contaminé autrui soit sans intention de nuire (coups et blessures/homicide involontaire), soit dans l intention de nuire (coups et blessures/homicide volontaire). Son handicap l exonère de cette responsabilité seulement si elle «était atteinte au moment des faits, d un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes». Les critères de l irresponsabilité sont le trouble contemporain de l acte et l absence de conscience morale de l acte. Si son discernement est simplement altéré, elle est pénalement responsable. Si la personne handicapée est reconnue irresponsable, elle peut faire l objet d une hospitalisation d office si son état mental est de nature à compromettre l ordre public ou la sûreté des personnes 16. Elle demeure, dans tous les cas, civilement responsable. Si cette cause d exonération ne peut jouer, il reste que l acte demeurant punissable entraîne une responsabilité pouvant être atténuée, le juge tenant compte des circonstances et de la personnalité de l auteur. 16 Art.L.342 et s. du code de la santé publique.