Calcul des pensions alimentaires entre époux et après divorce pour cause déterminée Analyse annuelle de décisions de jurisprudence



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Transcription:

CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE Calcul des pensions alimentaires entre époux et après divorce pour cause déterminée Analyse annuelle de décisions de jurisprudence Nathalie Dandoy Introduction Cette chronique de jurisprudence, amorcée en 2001 (1), se propose de rechercher la justification des montants de pensions alimentaires octroyées dans une série de décisions de jurisprudence qui ont été publiées ou qui nous sont régulièrement adressées par nos correspondants. Elle constitue par ailleurs aussi l occasion d aborder certaines questions de droit soulevées dans ces litiges relatifs au calcul des pensions alimentaires. Compte tenu du rythme annuel de la chronique, des références et des renvois vers les chroniques précédentes sont inévitables, tout en veillant, bien entendu, à garantir à la présente analyse une pertinence autonome. SECTION 1. Les pensions alimentaires octroyées en exécution du devoir de secours A. Conditions d octroi : l incidence de la faute dans le chef de l époux qui réclame une pension alimentaire La cour d appel de Gand (2) semble suivre la jurisprudence amorcée par la cour d appel de Bruxelles (3) selon laquelle, lorsque le divorce est prononcé de façon définitive aux torts de l époux qui, durant l instance en divorce, a réclamé une provision alimentaire sur base du devoir de secours, le juge statuant en appel sur les mesures provisoires peut tenir (1) Rev. trim. dr. fam., 2001, pp. 593-638; Rev. trim. dr. fam., 2002, pp.587-610; Rev. trim. dr. fam., 2004, pp. 29-63. (2) Gand (11 e ch.), 16 octobre 2003, R.A.G.B., 2004, p. 483. (3) Bruxelles, 25 avril 2000, Div. Act., 2001, p. 18, note A.-M. Boudart, E.J., 2000, p. 130; Bruxelles, 9 juin 2000, E.J., 2000, p. 132, note J. Gerlo; Bruxelles, 28 novembre 2002, NjW, 2003, p. 241.

884 CALCUL DES PENSIONS ALIMENTAIRES compte de la faute avérée de cet époux et lui refuser, pour ce motif, tout secours alimentaire durant l instance. La cour d appel de Gand considère ainsi qu une épouse ne peut plus faire valoir de droit à une provision alimentaire à partir de la date du constat d adultère effectué à sa charge et qui a entraîné le prononcé du divorce à ses torts. La cour d appel de Liège (4) s en tient, par contre, à une position plus classique, qui consiste à considérer que le président qui statue sur les mesures provisoires ne peut connaître du fondement de la demande en divorce et que le devoir de secours est dû indépendamment des torts respectifs des époux jusqu à la dissolution du mariage. La cour motive longuement sa position et ses arguments nous paraissent convaincants. Ouvrir la possibilité de tenir compte de la faute de l époux qui réclame une provision alimentaire durant l instance en divorce entraînerait des situations inéquitables selon que la procédure en divorce serait ou non aboutie au moment où doit statuer le juge des mesures provisoires, ce qui conduirait les parties à des tactiques procédurières selon leur intérêt à voir progresser, ou traîner, la procédure en divorce. Pour répondre à cette objection, d aucuns pourraient être tentés de tenir compte d un fait fautif dès lors qu il est établi, même s il n a pas encore fondé le prononcé du divorce, introduisant par là l appréciation, dans le chef du juge dont ce n est pas la compétence, des faits susceptibles d entraîner le divorce. Par ailleurs, la cour soulève l incertitude quand au moment à partir duquel le secours devrait, dans cette hypothèse, être supprimé : le moment du prononcé du divorce? celui où la décision qui prononce le divorce est devenue définitive? le moment où le fait qui a entraîné le divorce est établi (5)? Enfin, la cour d appel de Liège rappelle que l introduction d une procédure sur pied de l article 223 du Code civil, tout comme l introduction d une procédure en divorce, entraîne la suspension du devoir de cohabitation, de sorte que ce ne sont plus les torts éventuels d un époux qui empêchent l exécution en nature du devoir de secours, mais bien l autorisation judiciaire de résider séparément, ce qui explique que l absence des torts par rapport à la rupture n est pas exigée dans ces deux hypothèses (6). (4) Liège, 18 février 2003, Rev. trim. dr. fam., 2004, p. 343. (5) Ce qui est le cas dans la décision de la cour d appel de Gand du 16 octobre 2003, op. cit. (6) Contrairement aux demandes de secours alimentaire formulées sur la base des articles 213 et/ou 221 du Code civil, c'est-à-dire des demandes d'aliments sans demande corollaire de résider séparément. Voy. P. Senaeve, «Het magisch getal 223 over dringende voorlopige maatregelen, onderhoudsgeld en het organiseren van de feitelijke scheiding», E.J., 1996, p. 89.

CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE 885 Par contre, la cour n exclut pas de tenir compte de la situation de concubinage dans le chef de l épouse, non pas en termes de droit ou non à une provision alimentaire, mais en termes d évaluation de sa situation de besoin par rapport au niveau de vie auquel elle a droit, puisque la prise en charge par le concubin constitue une donnée économique qui influence la situation financière personnelle de cette épouse. B. Compétence rationae materiae du président du tribunal de première instance La compétence du président du tribunal de première instance siégeant en référé en matière de mesures provisoires naît à partir de l introduction d une procédure en divorce au fond (article 1280 du Code judiciaire). La cour d appel de Bruxelles (7), siégeant précisément en référé, a accepté d examiner prima facie l apparence de fondement de la demande en divorce, pour répondre à l objection de l époux qui prétendait que son épouse avait introduit une demande en divorce avec légèreté, dans le seul but d obtenir l octroi d avantages financiers injustifiés. La cour souligne d abord le principe selon lequel le président qui statue sur la base de l article 1280 du Code judiciaire est compétent pour statuer sur les mesures provisoires indépendamment de la validité, de la recevabilité ou du bien-fondé de la demande en divorce. Seul l usage manifestement abusif de la procédure en divorce pourrait permettre au président de se déclarer incompétent. Ce contrôle de la recevabilité ou du fondement de la demande en divorce ne peut, dès lors, qu être marginal. La cour constate en l espèce que bien que les faits allégués pour fonder la demande en divorce sur pied de l article 231 du Code civil soient quelque peu vagues, ils apparaissent néanmoins vraisemblables et suffisamment objectifs pour pouvoir être précisés en cours d instance. C. Durée du devoir de secours Le devoir de secours cesse avec le mariage. Une incertitude subsistait cependant quant au sort à réserver à une pension alimentaire convenue dans le cadre d une séparation de corps par consentement mutuel lorsque cette séparation de corps était suivie par un divorce pour cause déterminée. En effet, il était permis de se poser la question de savoir si la pension fixée dans le cadre de la convention préalable à la séparation de corps était de nature purement conventionnelle et donc soumise aux seules éventuel- (7) Bruxelles (3 e ch.), 3 juin 2003, cette Revue, p.1074.

886 CALCUL DES PENSIONS ALIMENTAIRES les conditions de suppression et/ou modification prévues dans les conventions et le cas échéant pouvait perdurer au-delà du divorce, ou si, au contraire, elle se fondait sur une base légale, à savoir le devoir de secours, lequel cesse dès la dissolution du mariage. La Cour de cassation (8) a considéré que la pension alimentaire convenue entre les époux lors de la séparation de corps par consentement mutuel se fondait sur le devoir de secours. On peut donc en déduire que le devoir de secours est maintenu en cas de séparation de corps, même par consentement mutuel, sauf lorsque cette séparation est prononcée aux torts d un des conjoints, qui en perd alors le bénéfice (9). Dans cette conception, il paraissait logique alors que puisque le divorce entraîne la dissolution du mariage, la pension alimentaire fondée sur le devoir de secours, même si elle était fixée par conventions, devenait caduque, et devait, le cas échéant, être remplacée par une pension alimentaire après divorce. La caducité des clauses relatives à la pension alimentaire due pendant la séparation de corps ne porte cependant pas atteinte aux autres clauses prévues dans les conventions préalables à la séparation de corps, lesquelles peuvent continuer à sortir leurs effets. D. Appréciation du niveau de vie En vertu du devoir de secours, les époux ont le droit de partager le même niveau de vie, jusqu à la dissolution du mariage. Certaines décisions limitent cependant le niveau de vie auquel le créancier d aliments peut prétendre à celui mené par les époux au temps de leur vie commune (10). D autres décisions soulignent, par contre, le caractère évolutif de l ampleur du devoir de secours, au gré de l évolution de la situation financière de chacun des époux (11). La provision alimentaire due en vertu (8) Cass., 19 décembre 2003, Rev. trim. dr. fam., 2004, p. 323, J.L.M.B., 2004, p. 635, NjW, 2004, p. 626, note G.V., R.G.D.C., 2004, p. 389, note J. Gerlo. Voy. également Anvers, 17 décembre 2003, NjW, 2004, p. 628 et J.P. Soignies-Le Rœulx, 29 janvier 2004, inédit. (9) J. Gerlo, «Echtscheiding na scheiding van tafel en bed. Enkele problemen», note sous Cass., 19 décembre 2003, op. cit., p. 392. L auteur relève que ni l article 308 du Code civil ni aucun autre article du même code n énonce explicitement que le devoir de secours est maintenu en cas de séparation de corps par consentement mutuel. Cependant, il estime que quel que soit le fondement de la pension alimentaire prévue dans les conventions, ces conventions règlent les conséquences d une séparation de corps et que dans la mesure où la séparation de corps disparaît suite au prononcé d un divorce, les clauses relatives à la pension alimentaire deviennent caduques (p. 394). (10) Bruxelles (3 e ch.), 13 décembre 2001, J.L.M.B., 2004, p. 200; Mons (17 e ch.), 9 avril 2003, inédit. (11) Bruxelles (16 e ch.), 16 janvier 2002, inédit; Mons (17 e ch.), 8 octobre 2003, inédit.

CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE 887 du devoir de secours peut ainsi, le cas échéant, être revue à la baisse si la situation financière de l un ou l autre époux se dégrade (12). La Cour de cassation vient encore très clairement de rappeler ce principe : la pension alimentaire fixée en exécution du devoir de secours doit être déterminée «de manière à permettre à l époux bénéficiaire de mener le train de vie qui serait le sien s il n y avait pas eu de séparation» (13), donnant tort au demandeur en cassation qui prétendait que la cour d appel de Mons, dont l arrêt faisait l objet du pourvoi, aurait dû limiter l appréciation du niveau de vie des époux à la période de la vie commune. Le niveau de vie n est pas nécessairement équivalent aux revenus cumulés des époux. Il peut éventuellement être supérieur si les époux bénéficient d avantages en nature qui influencent leur qualité de vie, telle l occupation gratuite d un logement par exemple. Ce niveau de vie peut également être inférieur à la somme de leurs revenus si les époux affectaient une partie de ces revenus à de l épargne et ne la consacraient donc pas à leurs dépenses quelles qu elles soient. Le tribunal de première instance de Mons (14) a ainsi évalué le niveau de vie des époux en tenant compte d un certain niveau d épargne, fixé par le juge à 10 000 euros par mois (15). Le magistrat est cependant attentif à l augmentation des dépenses dans le chef de chaque époux suite à la séparation et veille à ce que les revenus disponibles après déduction de l épargne leur permettent encore de conserver chacun leur train de vie particulièrement aisé en l espèce. Le juge constate en effet que la déduction de 10 000 euros pour l épargne leur laisse encore un niveau de revenus supérieur aux dépenses qu ils vantent. (12) Mons (17 e ch.), 8 octobre 2003, op. cit. (13) Cass., 9 septembre 2004, cette Revue, p.1030. On peut donc en conclure que les époux continuent à partager le même niveau de vie après la séparation, c est-à-dire qu ils partagent leurs ressources, mais aussi l inévitable baisse de niveau de vie résultant de l augmentation des frais due à la séparation du ménage commun en deux ménages distincts (voy. aussi «Calcul des pensions alimentaires entre époux et après divorce pour cause déterminée Analyse annuelle de jurisprudence», Rev. trim. dr. fam., 2004, p. 37). (14) Civ. Mons, 23 avril 2004, Div. Act., 2004, p. 105 (la revue Divorce mentionne erronément qu il s agit d une décision en référé. Cette décision émane d une chambre du tribunal qui statue en appel d une décision du juge de paix). (15) La décision énonce que «pour apprécier le train de vie que les parties auraient adopté sans la séparation il convient de tenir compte, d une part, du fait que leurs dépenses vont augmenter eu égard au dédoublement des frais et, d autre part, des sommes qui auraient été dépensées même en dépenses de luxe. Il sied donc de faire la part des choses entre l argent qui aurait été dépensé et celui qui aurait été épargné».

888 CALCUL DES PENSIONS ALIMENTAIRES 1. Manque d information E. Appréciation des revenus Les cours et tribunaux se heurtent encore fréquemment au manque d informations de la part des parties en ce qui concerne leur situation financière. Plusieurs solutions s offrent aux magistrats, telles une expertise lorsque le niveau des revenus le permet et que la complexité de la structure des revenus le requiert, ou plus simplement la production de documents conformément à l article 877 du Code judiciaire (16). De façon plus radicale, mais à notre avis à juste titre, la cour d appel de Bruxelles déboute l époux demandeur d un secours alimentaire, particulièrement réticent à communiquer l ampleur de ses revenus, parce qu il «celait manifestement une partie de ses revenus, et ne donnait aucune précision quant à ses charges et n établissait dès lors pas qu il se trouvait dans les conditions pour obtenir une provision alimentaire» (17). À l inverse, la cour d appel de Mons accorde à une épouse le montant du secours réclamé, étant donné qu il paraît évident qu elle se trouve dans «une situation de besoin» par rapport au niveau de vie qu elle connaissait avec son mari, et que l époux ne communique aucun élément susceptible de permettre à la cour d évaluer ses revenus, cet époux faisant même défaut à l audience des plaidoiries (18). Le juge peut également évaluer ex aequo et bono les revenus d un époux, sur la base des bribes d éléments dont il dispose (19). 2. Évaluation des revenus «obscurs» L évaluation de la hauteur réelle des revenus pose difficulté lorsqu il apparaît qu elle ne peut être déduite de la seule lecture des avertissementextraits de rôle, soit qu une partie des revenus est manifestement occulte (16) Bruxelles (3 e ch.), 13 décembre 2001, J.L.M.B., 2004, p. 200. Dans cet arrêt, la cour confirme la condamnation des parties à produire une série de documents réclamés par le premier juge et visant à connaître la hauteur des revenus des deux parties, et ajoute la condamnation à produire une série de documents visant à savoir si l épouse partage ses charges avec son compagnon (certificat de composition de ménage, preuve du paiement des loyers, et des charges); Bruxelles, 16 janvier 2002, inédit, où la cour ordonne à l époux la production des relevés de toutes les dépenses effectuées dans une certaine période au moyen de ses cartes de crédit, les extraits de compte de tous ses comptes bancaires, les déclarations des successions dont il est héritier ainsi que tous les contrats de bail relatifs aux immeubles dont il est propriétaire, même en indivision. Liège, 23 mars 2004, inédit. (17) Bruxelles (3 e ch.), 2 octobre 2003, inédit. (18) Mons (17 e ch.), 8 septembre 2004, inédit. (19) Mons (2 e ch.), 18 février 2003, cette Revue, p.1050.

CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE 889 (revenus au noir, avantages en nature, etc.) soit que les revenus proviennent en partie de capitaux dont le rendement n est pas dévoilé, ou qui ne sont pas toujours exploités à leur valeur, éventuellement de façon délibérée, soit que la fonction de dirigeant de société permet à l une ou l autre partie de s attribuer volontairement un certain montant de revenus nettement inférieur aux possibilités de l entreprise. Or, afin de déterminer le montant de la pension alimentaire entre époux, il est nécessaire d apprécier les revenus de chacun afin de pouvoir les comparer, puisque les deux époux ont le droit de bénéficier du même niveau de vie. Plusieurs décisions prennent la peine d évaluer concrètement des revenus parfois difficilement décelables, même si d autres continuent de faire aveu d impuissance face à la nébulosité de la situation financière des parties, ce qui est regrettable alors qu il reste souvent possible de fixer le niveau approximatif des revenus, ne fût-ce qu à titre provisionnel, à partir des dépenses du couple par exemple, ou des dépenses personnelles de l époux concerné (20). En ce qui concerne les gérants de société, la cour d appel de Liège, qui disposait d un rapport d expertise requis par le président du tribunal de première instance, constate que ce rapport contient encore des zones d ombre, parce que l expert n a pas pu constater ou vérifier certains transferts de sommes entre l époux et les sociétés dont il est le gérant. La cour retient comme base d évaluation le montant évalué par l expert, en l espèce environ 83 500 francs par mois et y ajoute la valeur forfaitaire d avantages en nature et d économies de frais dont bénéficie l époux en sa qualité de gérant de sociétés, pour fixer les revenus mensuels à 125 000 francs (21). La cour d appel de Bruxelles a quasiment doublé la rémunération «officielle» d un gérant de société compte tenu d autres ressources directes et indirectes dont il dispose assurément en tant que gérant de société. La cour s appuie sur les décomptes de frais importants établis par les documents comptables de la société (voiture, voyages, représentation) alors que la société ne compte que deux personnes actives, à savoir l époux et sa compagne, et sur le chiffre d affaires important que génère la société. La cour considère que «si la prudence justifie sans doute que la totalité du bénéfice ne soit pas distribuée, aucun élément n indique en l espèce que des investissements importants doivent être prévus dans cette société qui est (20) Voy., dans la précédente chronique, les développements à ce sujet ainsi que plusieurs exemples significatifs de cas de jurisprudence : Rev. trim. dr. fam., 2004, p. 21. (21) Liège, 27 avril 2004, inédit.

890 CALCUL DES PENSIONS ALIMENTAIRES une société de services. Il faut donc considérer qu une partie du bénéfice qui a été reporté, pour des raisons fiscales ou autres, constitue en fait un revenu différé certain, à concurrence de 50 000 F par mois» (22). Le statut d indépendant permet également de générer des avantages financiers par la déduction fiscale de charges courantes parmi les charges professionnelles. Deux décisions relèvent ce type d avantages et le chiffrent en termes de rémunération indirecte. La cour d appel de Mons majore ainsi les revenus déclarés de 32 267 F d un avantage évalué par la cour à 10 000 F par mois (23). La cour d appel de Bruxelles évalue de façon forfaitaire à 1 860 euros les revenus d un exploitant d une entreprise de bâtiment alors que l avertissement-extrait de rôle mentionnait un revenu mensuel net de 1 660 euros, après avoir constaté à la lecture des pièces comptables que de nombreux frais privés étaient inclus dans les charges professionnelles (24). À propos de revenus occultes soupçonnés par l épouse dans le chef de son époux, la cour d appel de Liège admet l existence de tels revenus sur la base, d une part, d un courrier émanant de l époux lui-même qui avoue effectuer des vols en montgolfière «uniquement si cela peut lui rapporter beaucoup d argent» et, d autre part, de la publicité relative à ces activités de vols en montgolfière présente dans les annuaires téléphoniques. La cour évalue ainsi globalement les revenus de l époux à 1 500 euros par mois, alors qu il prétendait ne percevoir que des allocations de chômage de 670 euros par mois (25). La possession par un époux d importants capitaux peut également poser des difficultés au niveau de l appréciation des revenus réels que cet époux en tire ou devrait en tirer. La cour d appel de Bruxelles a considéré que l épouse qui était propriétaire d une maison sise sur un terrain de 1 hectare 17 ares à Lasne, susceptible par sa taille et sa situation d être valorisé par une vente de deux lots de terrains à bâtir à concurrence de 150 000 euros, devait réaliser une partie de ce patrimoine immobilier afin d en tirer quelque revenu que la cour évalue à 4 pour cent, soit 6 000 euros par an ou 500 euros par mois (26). Le président du tribunal de première instance de Mons retient ce même pourcentage de 4 pour cent comme taux annuel de rentabilisation (22) Bruxelles, 24 octobre 2001, J.L.M.B., 2004, p. 193. (23) Mons (17 e ch.), 9 avril 2003, inédit. (24) Bruxelles (3 e ch.), 4 septembre 2003, inédit. (25) Liège, 18 novembre 2003 (F. c. O.), inédit. (26) Bruxelles (3 e ch.), 8 avril 2004 (T. c. L.), inédit.

CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE 891 de capitaux, «peu importe que certains capitaux ne produisent que des intérêts à terme non encore échu, il sera tenu compte pour évaluer les revenus mobiliers des parties des intérêts qu ils eussent pu promériter à partir de leurs capitaux s ils les avaient placés en bon père de famille» (27). 3. Revenus virtuels dans le chef du créancier Il est généralement admis en jurisprudence (28) que comme c est légalement le cas en matière de pension après divorce, il soit tenu compte, pour fixer la pension alimentaire en exécution du devoir de secours, des facultés du créancier d aliments de se procurer par lui-même quelque revenu. La prise en compte de ces facultés n implique cependant guère, en jurisprudence, la comptabilisation explicite d un revenu virtuel dans le chef du créancier, mais conduit plus souvent à limiter le montant de la pension alimentaire (29), voire à la limiter dans le temps (30), voire encore de combiner ces deux limitations (31). 4. Avantages en nature Un avantage en nature, tel l occupation à titre gratuit d un logement dont un époux dispose de la jouissance ou même de la propriété, ne constitue pas à proprement parler un revenu, mais influence directement les besoins de cet époux en termes de niveau de vie. La cour d appel de Bruxelles a par exemple fixé le secours alimentaire à 300 euros durant la période où l épouse était logée chez un tiers, puis à 700 euros pour la période durant laquelle cette épouse a dû payer un loyer. L avantage constitué par l occupation gratuite d un logement est dans cette décision aisément évaluable à 400 euros par mois (32). La cour d appel de Liège semble également avoir tenu compte de l occupation gratuite par une épouse d un logement appartenant à ses parents, puisque la cour émet (27) Civ. Mons, 23 avril 2004, Div. Act., 2004, p. 105. Voy. également Bruxelles (16 e ch.), 16 janvier 2002, inédit, décision dans laquelle la cour considère que les capitaux dont dispose l épouse sont censés produire un revenu de 5 % l an et évalue les revenus de cette épouse sur cette base. (28) Voy. la chronique précédente, op. cit., p. 33. (29) Liège, 16 février 2004 (S. c. S.), inédit. La cour d appel de Liège, dans un arrêt du 21 octobre 2003, inédit, supprime le secours alimentaire de 10 000 F accordé en première instance car l épouse ne fournit aucun effort pour chercher un emploi alors que son âge (36 ans), sa bonne santé et sa bonne qualification professionnelle auraient dû lui permettre d en trouver un depuis la séparation des parties. (30) Bruxelles (3 e ch.), 8 avril 2004 (V. c. V.), inédit; Civ. Bruxelles (réf.), 15 juillet 2004, cette Revue, p.1116. (31) Bruxelles (3 e ch.), 8 avril 2004 (T. c. L.), inédit. (32) Bruxelles (3 e ch.), 8 avril 2004 (V. c. V.), inédit.

892 CALCUL DES PENSIONS ALIMENTAIRES des doutes quant à la réalité des loyers prétendument payés par cette épouse à ses parents, mais sans qu un calcul permette d évaluer cet avantage (33). 5. Avantage économique lié à la constitution d un nouveau ménage Le fait de pouvoir profiter des revenus d un concubin contribue également à diminuer les besoins de l époux concerné en termes d atteinte d un certain niveau de vie. Un arrêt de la cour d appel de Mons a débouté une épouse de sa demande de secours alimentaire, considérant qu au vu des revenus de son concubin, «il n apparaît pas qu elle se soit trouvée dans un état de besoin quelconque, ni que son train de vie ait connu une baisse sensible par rapport à celui qu elle connaissait durant la vie commune» (34). Il est cependant requis que la relation affective nouée par cet époux se traduise par un partage effectif des ressources et des charges. La cour d appel de Mons rappelle qu il incombe au mari d apporter la preuve de ce que son épouse est effectivement entretenue par un tiers, en tout ou en partie, pour pouvoir être déchargé de tout ou partie du secours alimentaire envers elle. Le constat d adultère établi à charge de l épouse ne suffit pas à prouver qu elle est effectivement entretenue par son amant (35). 6. Allocations sociales Les revenus à caractère social posent enfin également des difficultés d évaluation, dans la mesure où ils sont susceptibles d évoluer en fonction du montant de pension alimentaire qui sera versé à l allocataire social, s il s agit de revenus à caractère résiduaire (36). Dans une espèce soumise à la cour d appel de Liège, l épouse était susceptible de bénéficier d allocations pour personnes handicapées, mais le montant de ces allocations allait dépendre, selon un courrier de l administration de l intégration sociale, de la pension alimentaire qui serait payée par le mari. La cour fixe donc le montant du secours alimentaire sans tenir compte de cette possibilité de revenus, en soulignant cependant (33) Liège, 30 mars 2004, inédit. La même critique peut être faite à propos d une autre décision de la cour d appel de Liège, 27 avril 2004, inédit. (34) Mons (17 e ch.), 9 avril 2003, inédit. On peut regretter, dans cette décision, la référence à la vie commune des époux ainsi que l absence de référence au montant des revenus du concubin. (35) Mons (2 e ch.), 8 octobre 2002, Rev. not., 2003, p. 114. (36) D. Taelleman (dir.), Union désunion, les implications de la situation familiale sur le droit de la sécurité sociale, Actes du colloque organisé à Louvain-la-Neuve le 30 septembre 2004 par la Conférence du Jeune Barreau de Nivelles, Bruylant, Bruxelles, 2004.

CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE 893 que la situation pourrait être revue lorsque le montant des allocations serait connu (37). F. Prise en compte des charges Dans la chronique de jurisprudence précédente, nous avions déjà souligné la différence entre les magistrats qui étaient attentifs aux charges des parties et ceux qui les écartaient dans leur ensemble, sauf les charges fiscales, sociales et celles relatives aux enfants, et nous avions déjà rejoint l argumentation de ceux qui considèrent que chaque époux doit disposer d un budget similaire et doit pouvoir faire des choix personnels en termes d affectation de ce budget (38). Outre la cour d appel de Mons, d autres juridictions balaient à présent les catalogues de charges établis par les parties (39). Certaines tiennent cependant tout de même compte des charges de logement, considérant que les parties ne peuvent pas toujours aisément diminuer le montant de cette charge et étant donné la part importante du coût du logement dans le budget d un ménage (40). Ce point de vue paraît compréhensible, mais ne dispense alors pas le magistrat de vérifier l importance de cette dépense par rapport aux budgets des deux époux. Dans un arrêt récent, la Cour de cassation a énoncé que la pension alimentaire fixée en exécution du devoir de secours devait être déterminée en tenant compte des besoins de celui qui les réclame (41). Ce besoin ne se limite cependant pas à la satisfaction des dépenses courantes de l époux, mais doit lui permettre d atteindre le même niveau de vie que son conjoint (42). Le détour par l examen des charges n est donc d aucune utilité. Il nous semble qu il faut cependant admettre la prise en compte de charges de nature exceptionnelle, c est-à-dire celles auxquelles un époux ne peut absolument pas échapper et qui amputent sensiblement son budget au point qu il ne bénéficie plus, à budget égal, du même «niveau de vie» ou de (37) Liège, 16 février 2004 (D. c. H.), inédit. (38) Rev. trim. dr. fam., 2004, p. 35. (39) Liège, 5 février 2003, inédit; Bruxelles, 3 juin 2003, inédit; Gand (11 e ch.), 16 octobre 2003, R.A.B.G., 2004, p. 483; Liège, 16 mars 2004, inédit; Civ. Bruxelles (réf.), 15 juillet 2004, cette Revue, p.1116; Mons (2 e ch.), 3 décembre 2002, inédit; Mons (17 e ch.), 2 avril 2003, inédit; Mons (17 e ch.), 9 avril 2003, inédit; Mons (2 e ch.), 16 septembre 2003, inédit; Civ. Mons, 23 avril 2004, Div. Act., 2004, p. 105. (40) Bruxelles (3 e ch.), 22 mai 2003, cette Revue, p.1060; Bruxelles (3 e ch.), 3 juin 2003, cette Revue, p.1074; Bruxelles (3 e ch.), 9 septembre 2003, inédit; Liège, 23 mars 2004, inédit; Bruxelles (3 e ch.), 8 avril 2004 (T. c. L.), inédit; Bruxelles (3 e ch.), 8 avril 2004 (V. c. V.), inédit. (41) Cass., 26 avril 2004, cette Revue, p.1025. (42) Ibid.

894 CALCUL DES PENSIONS ALIMENTAIRES la même «qualité de vie» que son conjoint. Nous pensons par exemple à des dépenses de soins de santé particulièrement lourds (43). Lorsque le magistrat tient compte des charges respectives des époux, la participation financière d un concubin dans le budget d un des époux est examinée en termes de diminution des charges de cet époux (44). Relevons en particulier un arrêt de la cour d appel de Liège qui évalue la part des charges supportées par la compagne du mari au prorata des ressources respectives des compagnons. Le volume des charges vantées par le mari est diminué par la cour de cette part censée être assumée par sa compagne (45). G. Calcul de la pension. La Cour de cassation vient de rappeler que la pension doit être calculée afin de permettre à l époux bénéficiaire de mener le train de vie qui serait le sien s il n y avait pas eu séparation (46). Alors que les chroniques précédentes (47) déploraient l absence généralisée de motivation de la condamnation d un époux à payer tel montant de pension alimentaire à l autre, plusieurs décisions ont depuis lors pris la peine non seulement d effectuer un calcul précis de la provision alimentaire, mais également de l expliquer dans les termes du jugement ou de l arrêt. Deux de ces décisions font l objet d une publication dans cette Revue (48). (43) N. Dandoy, «Critères de calcul des pensions alimentaires : tentatives de précision de la part de la Cour de cassation (arrêts des 16 avril 2004 et 26 avril 2004 et 9 septembre 2004)», note sous Cass., 26 avril 2004, cette Revue, p.1033. Sur les mêmes questions, mais à propos du calcul des contributions alimentaires pour les enfants, voy. J.-L. Franeau, «La méthode Renard étendue aux familles recomposées», note sous J.P. Binche, 2 octobre 2003, Rev. trim. dr. fam., 2004, p. 699. (44) Bruxelles (3 e ch.), 13 décembre 2001, J.L.M.B., 2004, p. 200; Liège, 16 février 2004 (D. c. H.), inédit; Liège, 16 février 2004 (S. c. S.), inédit.nous avons écrit plus haut que la participation d'un concubin peut aussi être prise en compte en termes d'avantages qui majorent les ressources de l'époux qui vit avec un tiers. (45) Liège, 16 février 2004 (D. c. H.), inédit. (46) Cass., 9 septembre 2004, cette Revue, p.1030. (47) Rev. trim. dr. fam., 2001, p. 612-616; Rev. trim. dr. fam., 2002, p. 597; Rev. trim. dr. fam., 2004, p. 38. (48) Mons (2 e ch.), 18 février 2003, cette Revue, p.1050 et Mons (17 e ch.), 2 avril 2003, cette Revue, p.1055. Une décision similaire du tribunal de première instance de Mons a également fait l objet d une publication dans la revue Divorce Actualités : Civ. Mons, 23 avril 2004, Div. Act., 2004, p. 105. On pourrait aussi citer Mons (2 e ch.), 11 mars 2003, inédit (cette décision faisait l objet du pourvoi en cassation qui a donné lieu à l arrêt du 9 septembre 2004, op. cit.); Mons (2 e ch.), 16 septembre 2003, inédit; Mons (17 e ch.), 8 octobre 2003, inédit.

CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE 895 Le raisonnement, en réalité assez simple et donc praticable, à bon entendeur consiste à calculer le niveau de vie des époux s il n y avait pas eu séparation, c est-à-dire à cumuler leurs revenus respectifs actuels, majorés d éventuels avantages en nature et diminués de charges incompressibles, telles le coût global des enfants. On obtient le niveau de vie du couple, dont chaque époux a droit à la moitié. On compare ensuite ce niveau de vie personnel de chacun avec les ressources effectives dont il dispose, éventuellement diminuées du coût des enfants supporté individuellement par chaque parent. La différence constitue le montant de la pension alimentaire (49). Il pourrait y avoir une discordance entre les revenus actuels d un époux et ses mêmes revenus «s il n y avait pas eu de séparation». En effet, si l un des époux bénéficie de revenus de remplacement à caractère social, des allocations de chômage par exemple, ces revenus augmentent en raison de la séparation, le bénéficiaire passant de la catégorie «cohabitant» à la catégorie «isolé». Il ne nous paraît cependant pas contradictoire de tenir compte des revenus actuels de cet époux, à savoir le montant des allocations de chômage au taux isolé, afin d évaluer le niveau de vie qui serait le sien s il n y avait pas eu de séparation, même si, alors, le couple n aurait pu compter que sur les allocations au taux cohabitant. En effet, la Cour de cassation énonce que l objet du devoir de secours consiste à permettre aux époux de continuer à bénéficier, non pas des mêmes revenus que s ils vivaient ensemble, mais du même niveau de vie. Dès lors, la prise en compte des allocations de chômage, pour continuer à suivre notre exemple, au taux actuel, c est-à-dire «isolé», permet aux deux époux de conserver à peu près le même niveau de vie que s ils vivaient ensemble avec les allocations au taux «cohabitant» puisque l augmentation des allocations de chômage après la séparation permettra de couvrir ou de réduire les frais supplémentaires, et donc la baisse inévitable de niveau de vie, qu induit la séparation d un seul ménage en deux (50). Dans la décision de la cour d appel de Mons du 2 avril 2003 (51), le calcul se traduit comme suit : Revenus professionnels de l époux : 2 036 euros (82 120 F) Revenus immobiliers communs : 546 euros (22 008 F) (49) Mons (2 e ch.), 18 février 2003, cette Revue, p.1050 : décision particulièrement claire tant au niveau de l explicitation des principes que de l élaboration du calcul de la provision alimentaire. (50) Voy. également les développements, accompagnés d un exemple chiffré, à propos de cette question particulière dans la note qui accompagne des arrêts de la Cour de cassation des 16 avril 2004, 26 avril 2004 et 9 septembre 2004, cette Revue, p.1042, n 14. (51) Mons (17 e ch.), 2 avril 2003, cette Revue, p.1055.

896 CALCUL DES PENSIONS ALIMENTAIRES Revenus de l épouse : 0 Soit : 2 581 euros (104 128 F) (le couple n a pas d enfants à charge ni ne fait état de charges incompressibles particulières). Chaque époux a donc droit à 2 581 euros : 2 = 1 291 euros (52.064 F). Or, l épouse ne dispose d aucun revenu propre, son mari doit donc lui verser une provision alimentaire de 1 291 euros par mois. La cour lui octroie une partie du secours en nature, sous la forme de l occupation gratuite de l un des immeuble du couple, à concurrence d une valeur de 372 euros (15 000 F) et un complément sous forme de pension alimentaire en argent de 919 euros (37 064 F), ce qui lui donne au total des ressources disponibles de 1 291 euros (52 064 F), soit exactement autant que son époux. Cette décision ne tient cependant pas compte de l incidence fiscale. Or une pension mensuelle de 919 euros ou 11 025 euros par an est imposable dans le chef du créancier à concurrence de 80 %, soit 8 820 euros par an, ce qui donne en l espèce un impôt annuel approximatif (52) d au moins 883,5 euros (compte tenu du fait que l épouse ne dispose d aucun autre revenu) ou, réparti par mois, de 73 euros par mois, de sorte que l épouse ne dispose pas réellement de 919 euros par mois, mais de 846 euros par mois, alors que le paiement de la pension de 919 euros par l époux va générer dans son chef un avantage fiscal encore supérieur à la charge fiscale de son épouse puisque ses revenus sont supérieurs. Le tribunal de première instance de Mons (53) adopte le même type de calcul, mais tout en affinant encore ce raisonnement à plusieurs niveaux. Tout d abord, le tribunal constate une différence entre, d une part, les revenus mensuels cumulés du couple, soit 18 718 euros, et, d autre part, le montant mensuel de leurs dépenses. Il en déduit qu une partie des revenus était épargnée et il fixe cette part d épargne à 10 000 euros par mois, ce qui laisse aux époux un disponible de 8 718 euros, somme supérieure aux dépenses qu ils prétendent effectuer chaque mois après la séparation. Le calcul de la pension au profit de l épouse est effectué sur la base de ces 8 718 euros : Le couple n a pas d enfants à charge ni ne fait état de charges exceptionnelles. Chaque époux doit donc pouvoir disposer de la moitié de 8 718 euros, soit 4 360 euros. Or, l épouse dispose de ressources propres de 3 580 euros. La différence entre, d une part, le niveau de vie auquel elle a (52) Approximatif car il ne tient pas compte des centimes additionnels ni de l imposition de l immeuble commun. (53) Civ. Mons, 23 avril 2004, Div. Act., 2004, p. 105.

CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE 897 droit, soit 4 360 euros, et, d autre part, ses revenus personnels, soit 3 580 euros, s élève donc à 780 euros nets. Le tribunal relève ensuite que cette somme doit être nette dans le chef de l épouse. Il tente donc d évaluer la somme dont disposera réellement l épouse après imposition de l ensemble de ses revenus, sur la base d une pension alimentaire évaluée à 1 100 euros bruts (dans l idée d approcher une pension de 780 euros nets). Le disponible après impôt dans le chef de l épouse s élève à 4 337,6 euros alors qu elle devrait pouvoir bénéficier de 4 360 euros, ce qui semble satisfaisant pour le président. L époux est donc condamné à payer une pension alimentaire de 1 100 euros. Nous avons relevé d autres décisions qui tentent d opérer un calcul de la provision alimentaire, qui cependant ne nous ont pas entièrement convaincue. Dans un arrêt du 16 septembre 2003 (54), la cour d appel de Mons établit le niveau de vie des époux s il n y avait pas eu séparation. Les revenus de l époux sont évalués ex æquo et bono par la cour à 2 113 euros, en tenant compte, d une part, de l avantage fiscal découlant de la déduction du paiement des pensions (55) alimentaires et, d autre part, du fait que l époux vit en ménage avec une compagne qui dispose de revenus (56). Les revenus de l épouse s élèvent à 790 euros. La cour cumule ces deux revenus, soit 2 903 euros et en déduit le coût de l enfant commun (57), soit 560 euros au total, de sorte que la somme globale dont disposent les époux pour leur entretien personnel s élève à 2 343 euros, soit 1 171,5 euros chacun. Pour calculer la pension due à l épouse, la cour compare la part à laquelle elle a droit, soit 1 171,5 euros et ses revenus propres, soit 790 euros et constate une différence de 381,5 euros. Or, lorsque l on procède à la vérification de ce calcul, on constate que l épouse dispose alors, pour son entretien personnel, de 790 euros (54) Mons (2 e ch.), 16 septembre 2003, inédit. (55) Il s agit apparemment, dans ce cas d espèce, des contributions alimentaires ainsi que du secours alimentaire. (56) Se pose d emblée la question de savoir s il convient, à ce stade du calcul, de tenir compte de l avantage économique qu'un époux retire de sa situation de concubinage, qui n aurait pas pu se produire s il n y avait eu séparation. La question mériterait d être posée à la Cour de cassation, laquelle a énoncé le principe de recourir à la fiction de la continuation de la vie commune pour calculer le niveau de vie auquel les époux ont droit dans le cadre du devoir de secours. (57) Ce coût de l enfant ne résulte pas de la méthode Renard, mais est déduit à partir du montant des contributions alimentaires tel que déterminé par le premier juge.

898 CALCUL DES PENSIONS ALIMENTAIRES 151 euros (sa part contributive) + 381,5 euros (la pension alimentaire pour elle-même), soit 1 020,5 euros, tandis que l époux dispose de 2 113 euros 409 euros (sa contribution à l entretien de l enfant) 381,5 euros (la pension pour son épouse), soit 1 322,5 euros. Par contre, si, des revenus de l épouse, on déduit sa part contributive, on obtient : Ressources disponibles de l épouse : 639 (790 151 de part contributive); Donc, 1 171,5 euros 639 euros = 532,5 euros de pension alimentaire. Vérification : Épouse : 790 151 (part contributive) + 532,5 (secours) = 1 171,5 euros Époux : 2 113 409 (part contributive) 532,5 (secours) = 1 171,5 euros. Reste encore, cependant, à corriger le montant dégagé de 532,5 euros de pension alimentaire en fonction de l imposition fiscale dans le chef de l épouse. Une autre décision de la cour d appel de Mons (58) constate que les revenus de l époux ont diminué depuis la séparation des parties, mais considère, à raison, que l épouse doit participer à cette baisse de niveau de vie dans le chef de son époux. L incidence de cette baisse de revenus aboutit cependant à un résultat qui ne parvient pas à équilibrer les niveaux de vie respectifs des époux. Le calcul de la cour est le suivant : Avant la séparation, l époux disposait d un revenu de 1 811 euros et l épouse de 1 200 euros. Le coût de leur enfant s élève à 319 euros (59). Le niveau de vie au moment de la séparation était donc de 3 011 euros 319 euros = 2 692 euros : 2 = 1 346 euros par époux. Étant donné qu elle perçoit une contribution alimentaire de 140 euros du père, elle supporte directement 179 euros de contribution à l entretien de l enfant à supposer que le père n héberge par l enfant et ne supporte donc aucun coût direct. L épouse dispose donc pour faire face à son entretien personnel de 1 200 euros 179 euros = 1 021 euros, alors qu elle devrait bénéficier de 1 346 euros, soit une différence de 325 euros (60). Cependant, la cour constate que les revenus de l époux ont baissé de 1 811 euros à 1 423 euros par mois, soit une diminution de l ordre de 21 % (58) Mons (17 e ch.), 8 octobre 2003, inédit. (59) Coût de l enfant calculé via la méthode Renard. (60) Il est à noter que contrairement à la décision du 16 septembre 2003, la cour d appel de Mons, dans cette décision, soustrait des revenus de l épouse sa contribution à l entretien de l enfant pour évaluer les ressources dont elle dispose pour son entretien personnel.

CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE 899 de sorte qu elle réduit le niveau de vie des époux de 21 % et calcule la pension alimentaire sur cette nouvelle base de niveau de vie. Or, si les revenus de l époux ont diminué de 21 %, le niveau de vie global du ménage n est pas réduit d autant puisque les revenus de l épouse sont restés constants. À notre avis, il eût été plus simple de calculer la pension alimentaire d emblée sur la base des nouveaux revenus de l époux, plutôt que de faire le détour par les revenus perçus durant la vie commune puisque cette référence à la vie commune n est d aucune utilité. Le calcul aurait été le suivant : Revenus actuels de l époux : + 1 423 euros Revenus de l épouse : + 1 200 euros Coût de l enfant : 319 euros Niveau de vie du ménage : = 2 304 euros Part de chacun : 2.304 : 2 = 1 152 euros Or l épouse bénéficie de 1 200 (319 (coût de l enfant) 140 (contribution payée par le père)) = 1 021 Donc, la pension = 1 152 euros 1 021 euros = 131 euros L épouse dispose donc de 1 200 179 (part contributive) + 131 (secours) = 1 152 euros. L époux dispose de 1 423 140 (part contributive) 131 (secours) = 1 152 euros. Reste encore à appliquer la correction fiscale en fonction de l impact dans le chef de l épouse du bénéfice de la pension alimentaire sur le montant de son imposition. Ces deux décisions ont au moins le mérite de motiver le montant de pension alimentaire octroyé à un époux à charge de l autre, et de permettre la discussion, voire la critique à ce niveau, ce qui s avère impossible lorsque le montant de pension alimentaire est fixé de façon tout à fait forfaitaire sans que le moindre calcul soit possible, même en effectuant des projetions ou des suppositions, ce qui est encore le cas de la majorité des décisions analysées dans le cadre de cette chronique. Enfin, plusieurs décisions ne dévoilent pas les arcanes de l opération (calcul ou intuition?) qui a conduit le juge à fixer tel montant de pension alimentaire, mais il est possible d y retrouver une certaine logique par rapport à l équilibre des niveaux de vie entre les époux.

900 CALCUL DES PENSIONS ALIMENTAIRES Par exemple, dans un arrêt du 22 mai 2003 (61), la cour d appel de Bruxelles se réfère à un calcul précis établi par le juge de paix et le président statuant en référé, mais y relève diverses erreurs et fixe finalement la pension alimentaire de manière forfaitaire à 800 euros alors qu un calcul précis aboutit à 898 euros. Cependant, la cour relève que l époux débiteur doit faire face à d importants frais de santé, et notamment d hospitalisation (mais sans évoquer l existence ou non d une assurance hospitalisation), de kinésithérapie et de pharmacie, lesquels peuvent, il est vrai, grever quelque peu son budget compte tenu de la quote-part du patient, ce qui pourrait éventuellement justifier que la provision alimentaire soit réduite. Mais ces dernières considérations ne sont qu extrapolations Dans un autre exemple, la cour d appel de Bruxelles (62) fixe forfaitairement le secours alimentaire à 40 000 F par mois alors que le calcul qui consiste à accorder à chaque époux la même somme pour son entretien, déduction faite du coût de l enfant, aboutit à la somme de 47 500 F au profit de l épouse, sans aucune ressource. Les époux ont cependant un enfant à charge pour lequel on ne connaît ni le montant des allocations familiales ni le temps d hébergement respectif entre les parents, de sorte qu outre la contribution alimentaire de 8 000 F payée par le père, il convient peut-être de diminuer encore les revenus de celui-ci du montant de sa contribution directe à l entretien de l enfant, c est-à-dire lorsqu il supporte certains coûts lors de ses périodes d hébergement. Dernier exemple (63), la cour d appel de Bruxelles (64) compare dans un premier temps les revenus des deux époux et constate une disparité entre ces revenus qui justifie un secours alimentaire de 148,5 euros, alors que l écart entre les revenus est de 131 euros, mais sans doute la différence entre ces deux montants peut-elle être expliquée par les conséquences fiscales du versement de cette pension. L aspect original de cette décision réside dans le fait que les contributions alimentaires pour les enfants sont évaluées dans un second temps, sur la base de l évaluation du coût global des enfants, réparti à parts égales entre les parents puisque leurs revenus ont été «égalisés» grâce au secours alimentaire (65). (61) Bruxelles (3 e ch.), 22 mai 2003, cette Revue, p.1060. (62) Bruxelles (3 e ch.), 3 juin 2003 (T. c. G.), cette Revue, p.1074. (63) On pourrait encore citer Bruxelles, 4 septembre 2003 (3 e ch.), inédit. (64) Bruxelles (3 e ch.), 9 septembre 2003, inédit. (65) Le coût global des enfants est évalué à 1 830 euros, dont à déduire les allocations familiales de 700 euros, de sorte qu il reste un solde à financer par les parents de 1 134 euros. Le père n héberge pas du tout ses enfants. Il assumera donc sa part du coût exclusivement en argent et la mère exclusivement en nature. Le père est condamné à payer à la mère une somme totale de 600 euros de contributions alimentaires, la mère supportant, en nature, les 500 euros restants du coût des enfants.

CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE 901 H. Modalités de paiement de la pension 1. Occupation gratuite de l immeuble conjugal Toute séparation a un coût qui, bien souvent, ne pourra être assuré que moyennant de profondes modifications dans le cadre de vie et dans les habitudes et les choix de dépenses. Cette réorganisation n est pas nécessairement déjà réalisée au contraire lorsqu un époux réclame à l autre un secours alimentaire, de sorte que le paiement de pensions alimentaires peut paraître trop lourd à supporter dans le budget d un époux qui doit encore faire face à des engagements financiers pris durant la vie commune. Le secours alimentaire exécuté en nature offre alors une solution qui peut satisfaire tant le créancier que le débiteur et qu applique fréquemment la jurisprudence (66). On sait que l autorité de chose jugée accordée à une ordonnance présidentielle qui accorde une partie du devoir de secours sous la forme de l occupation gratuite de l immeuble conjugal porte à controverses (67). La cour d appel de Mons, saisie au niveau de la liquidation du régime matrimonial, a admis cette autorité et a pris la peine de rechercher, à travers le montant du secours alimentaire accordé durant l instance en divorce, la part de gratuité de l occupation attribuée alors à l épouse. La cour rétablit a posteriori le calcul qui aurait dû être opéré durant l instance en divorce. Elle calcule que l épouse avait à cette époque droit à un secours de 21 701 F. Or, le président lui avait accordé, d une part, l occupation gratuite de l immeuble conjugal et, d autre part, une pension alimentaire de 17 000 F. La cour en déduit que l occupation de l immeuble à titre de secours s élevait à 9 737 F. Or, la valeur locative de l immeuble étant de 16 875 F, l épouse doit à son mari une indemnité d occupation équivalant à la différence. Cette décision démontre l intérêt et l importance d énoncer précisément la valeur de l occupation gratuite (68). (66) Mons (17 e ch.), 2 avril 2003, cette Revue, p.1055; Mons (2 e ch.), 23 juin 2003, J.L.M.B., 2004, p. 1188; Liège, 7 octobre 2003, inédit; Liège, 18 novembre 2003 (M. c. L.), inédit. (67) Voy. Y.-H. Leleu, «Occupation gratuite d un immeuble indivis pendant l instance en divorce : clarification jurisprudentielle», note sous Cass. (1 re ch.), 27 avril 2001, Rev. trim. dr. fam., 2003, p. 613 et J.-L. Renchon, «À propos de la question controversée de l occupation gratuite par un des époux du logement familial pendant la procédure en divorce : une interprétation controversée de l arrêt de la Cour de cassation», note sous Cass. (1 re ch.), 27 avril 2001, Rev. trim. dr. fam., 2003, p. 619. (68) Ce que font par exemple la cour d appel de Liège dans un arrêt du 18 novembre 2003 (M. c. L.), inédit et la cour d appel de Mons dans un arrêt du 2 avril 2003, cette Revue, p.1055.

902 CALCUL DES PENSIONS ALIMENTAIRES Par contre, la cour d appel d Anvers (69) a refusé de reconnaître cette autorité de chose jugée, considérant que le juge de la liquidation n était pas lié par la décision du juge des référés qui avait expressément jugé que le paiement par l époux de l emprunt hypothécaire ne donnera pas lieu à comptes dans le cadre de la liquidation-partage. 2. Limitation dans le temps Nous avons déjà évoqué le fait que certaines décisions ont limité le secours alimentaire dans le temps lorsque le créancier d aliments disposait de facultés à pourvoir seul à la restauration de son niveau de vie (70). SECTION 2. La pension après divorce 1. Fondement de la pension A. Conditions d octroi Nous avions relevé dans la chronique précédente un arrêt de la cour d appel de Liège (71) qui accordait une pension après divorce non sur la base du constat d une disparité entre le niveau de vie connu par les époux durant la vie commune et les ressources propres du créancier, mais uniquement sur la base du caractère indemnitaire de la pension (72), alors que ce caractère ne vise pas autre chose qu à «indemniser» l époux de la perte du devoir de secours. D autres arrêts de la cour d appel de Liège, ainsi qu une décision du tribunal de première instance de Liège ont depuis lors souligné ce caractère indemnitaire de la pension. Si, dans deux de ces décisions, l impact de ce caractère indemnitaire est peu perceptible sur le montant de la pension (73), dans la troisième, la fonction indemnitaire telle qu interprétée par la cour d appel semble réellement donner un droit autonome à une pension après divorce indépendamment des critères énoncés par (69) Anvers, 25 juin 2003, NjW, 2004, p. 88. (70) Voy. supra et notamment Bruxelles (3 e ch.), 8 avril 2004 (T. c. L.), inédit; Bruxelles (3 e ch.), 8 avril 2004 (V. c. V.), inédit; Civ. Bruxelles (réf.), 15 juillet 2004, cette Revue, p.1116. (71) Liège, 1 octobre 2003, Rev. trim. dr. fam., 2004, p. 163. (72) Rev. trim. dr. fam., 2004, p. 41. (73) Liège, 27 novembre 2003 (L. c. D.), inédit (la pension après divorce est fixée à 300 euros par mois, ce qui permet à l ex-épouse de bénéficier à peu près du même niveau de vie que durant la vie commune, déduction faite du coût des enfants tel qu il est permis de le déduire de l arrêt) et Civ. Liège, 2 octobre 2003, J.L.M.B,.2004, p. 657 (la décision n accorde aucune pension après divorce, considérant à la fois que les parties bénéficient de revenus équivalents et que le mariage fut de très courte durée).