~ LA RESPONSABILITE CIVILE DE L'ÉCRIVAIN



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Transcription:

LALIVE-P 35 35 ~ LA RESPONSABILITE CIVILE DE L'ÉCRIVAIN PAR PIERRE LALIVE \ HORS COMMERCE TIRAGE À PART DE LA «REVUE DB LA SOCIÉTÉ DES JURISTES BBRNOIS. VOLUME 104 1968 FASCICULE 6 ÉDITIONS ST./EMPFLI & CIE SA, BERNE \

SUR LA RESPONSABILITÉ DE L'ÉCRIVAIN CIVILE (Texte condensé d'tille conference prononcée à Berne, le 4 décembre I967, della/if la Société desjuristes bernois] PAR PIERRE LALIVE Professeur à la Faculté de Droit et it l'institut de I-hutes Etudes Internationales de Genève Introduction Il est permis de supposer que, pour les profanes et, en particulier, pour bien des écrivains, un sujet comme celui-ci serait une occasion de surprise. Peut-on parler de responsabilité juridique à qui se réclame de la liberté de la pensée et des immunités de l'art? Pour le juriste, ilva sans dire que la création littéraire peut avoir des conséquences sociales qui appellent une réglementation. Il ne saurait y avoir de liberté sans responsabilité correspondante, et l'écrivain, à qui l'organisation sociale permet de vivre et de créer, ne peut évidemment se soustraire à l'emprise des règles de droit. Plus que de la surprise, le thème «responsabilité de l'écrivain» va susciter chez beaucoup un réflexe de méfiance. Dans la longue his- 201

PIERRE LALIVE BAND 104 taire de la pensée écrite, combien de régimes politiques, totalitaires ou même libéraux, n'ont-ils pas été tentés de faire des Lettres ou de la Presse un bouc émissaire? En dehors même des persécutions politiques, ou des tentatives vertriistes d'une censure étatique ou privée, on doit citer la tendance permanente de certains secteurs de l' opinion à attribuer à la littérature (au sens le plus large du terme, qui comprend ses manifestations audio-visuelles, ainsi que la presse) une responsabilité dans l' évolution des mœurs, dans la multiplication des divorces, dans l' augmentation de la délinquance, etc. «C' est la faute à Voltaire, c' est la faute à Rousseau!...» Si extrêmes, voire ridicules, que soient parfois les expressions de cette tendance, elles ne doivent pas nous dissimuler la part de vérité qu'elles comportent: qui contesterait la puissance des idées et des mots? Qui nierait que les écrits peuvent avoir d'importantes répercussions sociales? Mais l'influence de l'écrivain ne signifie pas encore sa responsabilité morale, et responsabilité morale n'équivaut pas à responsabilité juridique. C' est de cette dernière responsabilité que nous allons parler ici, et seulement dans certains de ses aspects. Délaissant la responsabilité pénale, ainsi que la responsabilité contractuelle de l' écrivain, nous examinerons la responsabilité délictuelle de quelques types d' écrivains, le critique, l'historien et l'écrivain d'imagination, en négligeant, à regret, ce domaine particulièrement fertile qu'est la responsabilité du journaliste. Même ainsi limité, le thème de cet exposé demeure si vaste que nous devrons nous borner, en réduisant nos exemples au minimum, à quelques indications générales, sans prétendre en aucune façon traiter la question d'une manière approfondie ou exhaustive. Avant d'entrer dans le vif du sujet, il importe de prendre conscience du fait que la grande extension moderne de la responsabilité civile affecte aussi l'activité littéraire. Ainsi que l'a bien montré Savatier, dans son ouvrage classique sur «le Droit de l'art et des Lettres I», les progrès modernes des moyens de reproduction, de diffusion et de transport ont «révolutionné» toute la question de l'in- I Paris, Librairiegënérale de Droitet dejurisprudence, I9J3, noi96 ss. I, I I I fluence et du rayonnement de l'œuvre littéraire. L'écrivain d'aujourd'hui, même de troisième rang, dispose de possibilités de nuire à autrui que n'avaient pas les plus connus des écrivains du passé. En outre, dans nos sociétés modernes, où la censure préalable des livres a généralement disparu et où, d' autre part, un certain sentiment de l' égalité politique et de la dignité de l'homme paraît avoir entraîné «une susceptibilité légitimement accrue des victimes>», les occasions de conflits, donc de mise en cause de la responsabilité de l' écrivain, se sont multipliées. A cet extraordinaire accroissement des risques, on aurait pu penser que viendrait répondre, dans ce domaine aussi, un développement corrélatif de la collectivisation du risque par le système de l'assurance. Mais on sait que, à l'inverse de l'industriel, de l'automobiliste ou du médecin, l' écrivain ne songe guère à sa responsabilité civile ou, s'il y songe, ne va pas jusqu' à contracter une assurance RC (qui présenterait peut-être l'inconvénient, du reste, de le faire soupçonner par la suite d'intentions diffamatoires!). Au demeurant, la multiplication des occasions de dommages, et même des dommages tout court, causés à autrui par l'activité littéraire, n'a pas eu pour résultat un accroissement correspondant des procès. L'insuffisance notoire des mécanismes judiciaires de protection, la lenteur et la timidité de nombreuses décisions de justice, la disproportion flagrante entre les bénéfices d'une certaine littérature à sensation et le montant souvent dérisoire des indemnités pour tort moral (au moins en Europe continentale), détourne dans une large mesure les victimes de se risquer à mettre en cause la responsabilité délictuelle de l' écrivain 3. Concluons ces considérations introductives par une dernière distinction: la responsabilité civile de J'écrivain peut être mise en cause, non seulement par les tiers en général, ce qui est le cas le plus impor- 2 SAVATIER, op. cii., o I99. 3 Ce phénomènebien connu,notamment enmatière depresse, a étésignalépar exemple, en I960, dans les discussionsde la Société Suisse des juristes sur les rapports desprofesseurs ]ÄGGI et GROSSEN; voir enparticulier le rapport de cedernier sur laprotection de lapersonnalitëendroit privé,p.}7 etpassim. 202 2 3

PIERRE LAL1VE BAND 104 I968 SUR LA RESPONSABILITÉ CIVILE DE L'ÉCRIVAIN tant et qui sera seul envisagé par la suite; elle peut l'être aussi par ses confrères du monde des lettres (à l'occasion, par exemple, d'un plagiat, d'une usurpation de nom ou de pseudonyme, voire d'une fausse attribution d'écrit). Elle peut l' être enfin par ses lecteurs, mais à l'évidence dans des limites très étroites, tant ilparaît difficilede concevoir qu'un écrivain cause, par sa faute et de manière illicite, un dommage certain et individuel à l'un de ses lecteurs. Il n'y a pas causalité adéquate entre le dommage subi par le consommateur tombé malade pour avoir dîné dans un mauvais restaurant, sur le conseil d'un guide gastronomique rédigé par un auteur imprudent (ou même, semblé-t-il, de mauvaise foi, stipendié par le restaurateur). On peut hésiter en revanche sur Ia responsabilité du médecin qui, publiant un formulaire de remèdes comprenant des substances toxiques, ferait, par négligence, une erreur en corrigeant les épreuves, et indiquerait comme curative une dose en réalité mortelle+, Même dans les domaines techniques, où l'écrivain a une responsabilité particulière envers la vérité et envers ses lecteurs, ces derniers pourront assez rarement obtenir des dommages et intérêts sur la base de l'article 41 CO - ce qui est assez rassurant, il faut en convenir, pour les juristes qui se risquent à publier des écrits de doctrine! L' écrivain scientifique, en résumé, dans la plupart des sciences exactes et surtout, peut-être, dans les sciences humaines, paraît jouir d'un véritable «droit à l'erreur» (solution d'autant plus nécessaire que le juge n'est pas moins faillible que l'homme de science). Ceci, sous réserve, pourtant, du fait qu'une erreur volontaire est toujours une faute, et une faute grave qui pourra engager la responsabilité de son auteur, même sile dommage était peu important. A l'inverse, une erreur involontaire, par négligence, pourrait engager Ia responsabilité civile de l'écrivain, en particulier si le préjudice était important. Dans tous ces cas, le point délicat sera la démonstration du lien de causalité. 4 SAVATIER, no202; dans uneaffairejugée par le Tribunal dela Seine) le2iju liet I930) S. I93I, 2, 2IJ, un commentateur financier a été condamné à réparer la perte subie par un de seslecteurs,pour avoir recommandé,demauvaisefoi, une valeur boursièremauvaise. 2 4 LA RESPONSABILITÉ DU CRITIQUE Il n' est pas sans intérêt, dans l'analyse d'une éventuelle responsabilité civile, de tenir compte des différences qui séparent les divers genres littéraires, et notamment l'écrivain d'information, l'écrivain d'opinion et l'écrivain d'imagination - étant entendu que toute distinction entre ces genres demeure quelque peu arbitraire et ne peut se traduire en catégories juridiques précises. Pour sa part, le critique (qu'il rende compte de l'activité littéraire, scientifique, sportive ou autre) est un écrivain d'information, en même temps que, souvent, un écrivain d'opinion. Ce fait important apparaît avec une netteté particulière dans le cas du critique littéraire (auquel nous assimilons ici le critique d'art, le critique musical ou dramatique), cas auquel nous voudrions limiter ces quelques observations. Ici encore, les principes généraux de la responsabilité délici:uelle ont leur plein effet, mais doivent être appliqués compte tenu de la situation et de l'activité particulières du critique. Celui-ci semble bien jouir d'une liberté d'expression très large; s'il nuit sciemment à la réputation d'autrui, s'il blesse l'amour propre de ses victimes, cellesci se sont offertes aux coups, après tout, et elles ont pris «les risques du métier». Pour remplir son devoir professionnel, on le sait, le journaliste d'information doit pouvoir aller jusqu'à la diffamation, à condition de rapporter dés faits vrais, dans l'intérêt général. Sa liberté, selon notre jurisprudence, est limitée par la mission même de la presse, qui consiste, selon la formule connue, à renseigner le public objectivement sur des faits d'intérêt générais. Le critique, lui, ne rapporte pas toujours et seulement des faits, vrais ou faux; il ne se borne pas à informer le public sur l'activité littéraire ou artistique. Il exprime aussi des opinions, dont la sincérité ne démontre certes pas l' exactitude. Les jugements de valeur ne sont pas susceptibles de la preuve de la véritéé l 5 Cfpar exemple AT F7I II I9I,JT I945 1566, et Semainejudiciaire I94I,p 58 4 6 Cf ATF 33 II 234, du 20 avril I907, dans l'affaire Czerny contre Frey; JT I907 16I2. 2 5

PIERRE LALIVE BAND 104 On comprend donc aisément que des règles particulières se soient développées ici et que les tribunaux, en s'inspirant toujours du principe de la bonne foi, se soient efforcés de concilier, dans une jurisprudence très nuancée, voire parfois contradictoire, la protection des intérêts personnels des victimes avec cette liberté d' expression du critique qui est indispensable à la vie de l'art et des idées. Le droit à l'expression de la pensée n'est-il pas, lui aussi, un des droits fondamentaux de la personnalité? Dans cette délicate recherche d'un équilibre, la jurisprudence fait, d'une manière générale, la part assez belle à la critique, et ceci à juste titre. Encore faut-il que soient respectées les «règles du jeu», c'est-àdire que l' écrivain reste sur le terrain de l' Art, sans y introduire des éléments étrangers. Sur ce terrain, le critique jouit d'une véritable immunité. Commel' a dit le Tribunal fédéral dans l' arrêt Czerny, déj à cité, «les manifestations artistiques dela personnalité doivent donc être soumises à la critique d' unefaçon enprincipe illimitée,. une critique même blessante et méprisante est licite, à condition qu' elle reste une critique d'art...» Aussi est-ce avec raison que la seconde instance cantonale a rejeté, en cette affaire, la demande de preuves du demandeur qui tendait à établir <dafausseté des critiques du défendeur», car «l'exactitude d'une telle appréciation (sur la.nullité- du jeu d'un acteur) ne peut pas être établie au moyen d'une procédure probatoire; en matière de jugements sur des questions d'esthétique, il n'existe aucun critère objectif dontla valeur soit universelle et universellement reconnue». La première «règle du jeu» consiste en effet à ne pas quitter le terrain de l' Art. Il est permis de juger les talents, mais non d'attaquer les personnes, d'apprécier avec la plus grande sévérité l'activité professiormelle, mais non pas la vie privée. Il n' est ni nécessaire ni licite, sauf circonstances particulières, d'évoquer les idées politiques d'un musicien, les divorces nombreux d'une actrice, ou les démêlés d'un romancier avec son propriétaire...! Avec cette réserve, les intrusions dans la vie privée de l'artiste seront appréciées moins sévèrement ou même admises, si elles résultent 206 en somme du comportement même de la «victime». Telle vedette qui a rernpli les hebdomadaires spécialisés de révélations sur sa vie «sentimentale» sera mal venue de se plaindre du critique (ou du [ournaliste) qui évoque ces faits 7. Deuxième «règle du jeu»: le critique ne doit pas confondre non plus le domaine de l'art et des idées avec celui de l'action. Il peut certes inviter ses lecteurs à s'abstenir d'aller voir une pièce qu'il juge mauvaise, mais il ne doit pas les inciter à s'y rendre pour siffler la pièce ou lancer des œufs pourris sur la scènes! Illui est permis de critiquer vivement le jeu d'un acteur médiocre, mais pas d'inviter expressément la direction du théâtre à le mettre à la porte 9. Enfin, le critique doit éviter, tout comme le journaliste d'ailleurs, certains excès de langage. Et c' est là, on s'en doute bien, la condition qui prête le plus-à controverses et au subjectivisme judiciaire. Le Tribunal fédéral a jugé par exemple= qu'il était licite pour un critique d'écrire d'un artiste qu'il «vieillissait» et que certains le jugeaient «vidé». Pourtant l'on imagine bien le préjudice moral, aussi bien que matériel, qu'un tel jugement peut porter à l'artiste. Commentant l'apparition d'une danseuse de music-hall, un critique parisien écrivait naguère qu'elle «faisait de l'exhibitionnisme» et produisait son corps «jusqu' à l'inconvenance»! Condamné parle Tribunal de première instance, ce critique fut libéré par la Cour d'appel de Paris I I. Libération justifiée, selon les commentateurs, pour qui le plus étonnant en cette affaire est que la danseuse ait songé à se plaindre de cette réclame indirecte! On mesure ainsi combien les opinions peuvent diverger, et combien périlleux est le chemin de la justice en cette matière. Où finit, en effet, la simple polémique un peu vive, et 7 Dans lm arrêt de mai I966, la Cour de Paris a déboutélepeintre Bernard Buffet et sa femme, dans unprocès endiffamation, pour le motif que «I' auteur de/' article incriminé, s'il a commenté sévèrement et sans bienveillancel' attitude des époux Buffet, n'a pas cependant outrepasséles droits admissibles d' une critique à laquellelesplaignants s'étaient eux-mêmes exposéspar lapublicité donnéeà leur»iefamiliale et qu'ils ont pour le moinsfacilitée et autorisée, s'ils ne l' ont suggérée..» 8 Tribunal de la Seine, 20 mars I92S. D. H. I92S 262; citépar SAVATIER, na262. 9 Tribunal de Ia Seine, 9janvier I90S, D. I90S, J.2S. IOfT I93J 1462. II Arrêt du 6janvier I9J3, D.I9J3 I9S; cf. SAVATIER,l1 262. 2 7

PIERRE LALIVE BAND 104 où commencentles «excès de langage»? Tracer des limites est singulièrement difficile et l' on peut penser que bien des magistrats se félicitent de voir les victimes des critiques renoncer, dans bien des cas, à recourir aux Tribunaux. Cette renonciation fréquente - et peut-être trop fréquente sur le plan de la justice abstraite - s'explique aisément; les remèdes judiciaires n' ont d' efficacitéque dans les cas les plus graves; ils sont souvent fort lents et appellent une publicité supplémentaire, qui retarde l' oubli et aggrave souvent le dommage=, Le duel est proscrit pénalement, et d'ailleurs tombé en désuétude et dans le ridicule, même en France. Il ne reste guère aux victimes qu'une possibilité pratique, celle de se faire critique, à leur tour et d' exercer une sorte de légitime défense, dont les tribunaux leur reconnaissent le droit, tout en se réservant d'en contrôler l'exercice. Le plus sage est sans doute, généralement, de hausser les épaules, en mettant les appréciations blessantes au compte de «l'antipathie naturelle du critique contre l'artiste», comme disait Théophile Gautier dans une préface célèbre, l'antipathie de «celui qui ne fait rien contre celui qui fait, du frelon contre l'abeille, du cheval hongre contre l'étalon». Appréciation peu flatteuse, certes, mais critique licite d'une collectivité, voire d'un genre littéraire tout entier... LA RESPONSABILITÉ DE L'HISTORIEN Entre la critique et l'histoire, au moins contemporaine, les distances sont parfois faibles; c' est ainsi que les droits de la critique envers les morts (ou plutôt envers leurs descendants) - sujet que nous n'avons pas le loisir de traiter ici - nous entraînent inévitablement dans le domaine de l'histoire. Examinons donc, maintenant, la situation de l'historien. Comme tout écrivain, l'historien a des devoirs envers la vérité, mais aussi des devoirs à l' égard des intérêts, matériels et personnels, des tiers, notamment à l' égard de leur réputation. A trop respecter le 12 Cf dans le rapport, cité, de J. M. GROSSEN,p. 4}a, le consei!donnëpar l' écrivain JULIEN GREEN. 208 premier devoir, on risque de manquer au second, et vice-versa. Il arrive aussi que, en manquant à la vérité, l'historien lèse en même temps les intérêts personnels d' autrui. On saisit d' emblée les délicates questions de responsabilité civile que peut poser au juriste l'activité de l'historien. Relevons d'abord une distinction de fait: les réclamations surgissent surtout, pour des raisons évidentes, à propos des ouvrages d'histoire contemporaine ou récente. L'historien des Croisades, par exemple, n'a pratiquement rien à redouter de la susceptibilité humaine. D'autant moins que les mêmes hommes qui se fâcheraient d' entendre rappeler que leur fortune est due aux spéculations immobilières peu reluisantes d'un père ou d'un grand-père tireront vanité de ce qu'une lointaine aïeule obtint un soir les faveurs de Louis XV 13! L'histoire moderne comporte davantage d'embûches, ainsi qu'en témoignent d'assez nombreux procès. C'est aussi que beaucoup de ces écrits manquent du recul nécessaire, sont encore chargés de passion politique ou, tout simplement, relèvent du reportage beaucoup plus que de l'histoire. Combien voyons-nous paraître aujourd'hui de ces compilations journalistiques hâtives, qui suivent de près l'événement? Ceci sans parler des nombreux écrits pseudo-historiques, où se dissimulent parfois à peine la calomnie et le «règlement de comptes» politique. L'extraordinaire prolifération de ces écrits «historiques», au sens large, suscités par l'engouement des lecteurs, donne une actualité et une dimension nouvelle au problème de la responsabilité de l'historien. Et les exemples de litiges à ce sujet, trop nombreux pour être cités ici, emplissent aujourd'huiles pages des quotidiens. Quoi qu'il en soit de la difficulté, et de l'opportunité qu'il peut y avoir à distinguer, dans le domaine historique lui-même, diverses variétés - histoire objective, histoire passionnée, histoire anecdotique, sans parler de l'histoire romancée que nous évoquerons à propos de l' écrivain d'imagination -, l'ordre juridique impose à celui qui se donne pour historien certaines obligations. Elles peuvent se résu- 13 On s'ennoblit, remarque SAVATIER,nO 25}, de descendred'nn grand coquinhistorique! 2 9

PIERRE LALIVE BAND r04 mer (comme dans le cas de l' écrivain d'information) dans la notion de bonnefoi, mais avec cette «coloration particulière» due à la nature propre de ce genre d' écrit. L'historien doit être sincère, poursuivre un but légitime (et ne pas assouvir, par exemple, une vengeance privée, sous prétexte de relater l'évènement) et employer des moyens légitimes. Au nombre de ces derniers moyens, on peut compter la diffamation, soit le fait d' écrire du mal d'autrui, pour autant qu' elle soit justifiée par le but et en proportion avec celui-ci. Enfin, l' écrivain d'histoire doit faire preuve de prudence, et ne rien affirmer sans avoir procédé aux vérifications convenables (plus soigneusement encore que le journaliste, puisqu'il dispose de plus de temps). Son devoir envers la vérité sera apprécié d'autant plus strictement que les intérêts qu'il risque de léser sont importants, et que l'atteinte à l'honneur d'autrui, par exemple, apparaîtrait grave. Pour n'avoir pas respecté ces principes, un historien de la Commune de Paris fut condamné, à la fin du siècle dernier, à des dommages-intérêts envers les descendants du chirurgien Dolbeau, Relatant les délations qui avaient livré à la répression versaillaise beaucoup de «Communards», l'auteur décrivait la vie d'un hôpital où travaillait le chirurgien Dolbeau, et rendait ce dernier responsable de la dénonciation et de la fusillade d'un blessé. Une enquête sérieuse, demandée par la famille, avait établi l'inanité de cette accusation infâmante, que l'historien avait cependant maintenue dans une seconde édition sans tenir compte de ces protestations 14. L'exemple offre de l'intérêt aussi en ce qu'il démontre que l'intention de nuire aux descendants, à l'honneur de la famille, n'est pas une condition nécessaire de la responsabilité civile, dès lors que l'auteur a manqué aux exigences de la bonne foi et d'une information objective. On imagine les difficultés que peut poser à la Justice l'application de tels principes. Comment distinguer ce qui relève desfaits de ce qui relève de l'interprétation subjective de l'historien? Si celui-ci jouit d'une large liberté, du point de vue juridique, et d'un véritable «droit à l'erreur», encore ne doit-il point commettre une erreur «inexcusable». 210 14 Cour de Paris, IO mars I897. D.97, 2, IJJ; SAVATIER, no2jj. Ceci conduit à se demander - question fondamentale - qui va décider de l'erreur ou de la vérité historiques? Les juges songeraient-ils à s'arroger cette prérogative exorbitante? Soyons rassurés! Les juristes sont peu tentés de s'engager dans cette voie. Comme l'a dit le Tribunal de la.seiners: «Les tribunaux n' ont pas à trancher des questions d'histoire; et il appartient aux lecteurs seuls de se faire une opinion à ce sujet.» On seraittenté detransposerici, au domainehistorique, l'observation quefaisaitle T ribunalfédéral enmatière esthétique, en laquelle, disait-il, «il n' existe aucun critère objectif dontla valeur soituniverselle etuniversellementreconnuete». Il arrive pourtant que les tribunaux se voient contraints de mettre la main, si l' on peut dire, dans le guêpier des controverses historiques et de décider si l'historien a manqué à la vérité, s'ill'a fait de bonne foi, et si son erreur a causé un dommage en engageant la responsabilité de l'auteur. Tel fut le cas dans la célèbre affaire Branly contre Turpain, qui occupa les tribunaux français pendant une dizaine d' années, à la suite de la publication, en 1939, dans un almanach populaire, d'une petite histoire de la TSF, où avait été omise, volontairement, toute mention du nom de Branly. Ce savant irascible réclama alors en justice le franc symbolique en dommages-intérêts, ainsi que la publication du jugementi7 Cette espèce, véritablement classique, pose donc le problème de l' omission illicite comme source de responsabilité délictuelle, problème d'une complexité et d'un intérêt tout particuliers dans le cas de l'historien. Y avait-il ici, pour ce dernier, abus du droit de se taire? Existait-il, pour l'historien Turpain, un devoir juridique d'agir, soit celui de mentionner le nom de Branly dans un article, d'ailleurs de vulgarisation scientifique, sur l'histoire de la TSF? On mesure d'emblée les conséquences que peut avoir la réponse des juges à une question de ce genre, sur toute l'activité des histors jugementdu2j avril I9J7, SAVATIER, no2jó. 16 ATP 33//2J4,jT I907/ ÓI2. 17Sur cette affaire, voir notamment SAVATIER, no2j7 ss.; TAHA, L'omission i/licite commesourcedela responsabilitéciviledé/ictue/le,thèse GenèveI9Óó,P. IÓÓ;CARBONNIER, Lé Silenceet la Gloire, D.I9JI, Chr.p.II9. 211

PIERRE LALIVE BAND 1 4 riens, mais encore de tous les écrivains d'information en général. Allons-nous voir les magistrats décider à l'avenir quand un exposé, dans une science quelconque, peut être considéré comme «complet» et quand, au contraire, une omission devient illicite et engage la responsabilité de son auteur? La jurisprudence va-t-elle se charger d' établir la liste des «gloires nationales» dont le nom ne saurait être omis d'un exposé «objectif»? Imaginons l'embarras des magistrats! De cet embarras, l'affaire Branly contre Turpain témoigne assez, puisque les trois juridictions successivement saisies adoptèrent des points de vue différents. Le Tribunal civil de Poitiers (dans un jugement du 5 février 1941) donna raison à Branly en distinguant, selon une doctrine classique, l'abstention pure et simple de l'abstention dans l'action. Personne ne pouvait, certes, reprocher à Turpain de ne pas aborder le sujet de l'invention de la TSF, mais, pour le Tribunal, s'il abordait ce sujet, «il avait le devoir élémentaire de eiter, fût-ce en les critiquant, ceux dont les noms sont connus et toujours nommés normalement comme ayant participé au développement de la TSF». Son silence révélait la volonté de nuire et engageait la responsabilité de l'auteur. Au contraire, la Cour d'appel de Poitiers, le 2 février 1943, libéra Turpain pour des motifs que nous jugeons, pour notre part, convaincants. Elle commença par constater, avec une louable modestie, qu'elle ne possédait pas «les connaissances techniques suffisantes pour trancher une controverse d'ordre purement scientifique», et que seule une assemblée de savants serait qualifiée en la matière. Et l'arrêt de poursuivre: «En n'ayant pas cité volontairement le nom de Branly, Turpain ne peut être considéré comme ayant manqué à une obligation née de la probité intellectuelle, dès lors qu'il s'était formé à lui-même l'opinion, peut-être erronée, mais paraissant sincère, que Branly n'aurait pas été l'un des auteurs de la TSF. S'il est possible qu'il ait cédé à cette opinion par ambition personnelle, dans le désir excusable de surestimer ses propres découvertes, rien ne permet de supposer qu'il ait agit de mauvaise foi... ou avec l'intention de nuire...» 212 Enfin la Cour de Poitiers remarquait que l' on ne pouvait pas faire grief à Turpain de n'avoir pas indiqué les motifs pour lesquels il se refusait à tenir Branly pour l'inventeur du radio-conducteur car «un article succinct de vulgarisation ne comportait pas les développements scientifiques nécessaires à l'exposé d'une semblable controverse». En outre, «les réputations les mieux établiespeuvent êtrediscutées librement». Le combatayant continué entre les héritiers des deux côtés, la Cour de Cassation devait y mettre un terme, le 27 février 195I, en cassant l'arrêt de la Cour de Poitiers. Elle considérait tout d'abord, et ceci avec raison, que la responsabilité de l'historien ne peut pas être écartée pour la seule raison qu'il agit sans intention de nuire et sans mauvaise foi, et poursuivait: «L'abstention, même non dictée par la malice et l'intention de nuire, engage la responsabilité civile de son auteur lorsque le fait ornis devait être accompli, soit en vertu d'une obligation légale, réglementaire ou conventionnelle, soit aussi dans l' ordre professionnel, s'il s'agit notamment d'un historien, en vertu des exigences d'une information objective... Les juges devaient recheroher si, en écrivant une histoire de la TSF dans laquelle les travaux et le nom de Branly étaient volontairement omis, Turpain s'était comporté comme un écrivain ou un historien prudent, avisé et conscient des devoirs d' objectivité qui lui incombaient.» Sansentrer dans les détails des controverses qu' a suscitéescette décision, remarquons seulement que, siles principes posés sont justes, leur application in casu pour justifier une condamnation du défendeur paraît très discutable et dangereuse. Des considérations humaines et d' espèceont sans doute influencé la juridiction française suprême 18. 18 Dans un arrêt du 2J octobrei9 JJ, le Tribunal civil de Nantes a considéréavec raison commeune faute, engageantla responsabilité de l' histories au sens des articles IJI!2-I JI!J CCF, lefait, pour un certain Bernard Roy, des'abstenir de mentionner lesactivités anti-allemandesdes mouvements de resistance à Nantes, alors qu'il relatait avec sévérité certains agissementsdecesmouvements lors dela libération. On remarquera quel'omissionportait ici sur unfait beaucoupplus «objectif» que dans l' affaire Branly, la paternité d'une invention étant, assez souvent,plus une affaire d' opinion que la constatation d' unfait brut et incontestable. - D. I9JJ.J. 6J6. - Thèse TAHA,p.I67. 213 _L

PIERRE LALIVE BAND 104 Dans un arrêt du 23 janvier 1965'9la Cour de Paris a jugé que «ne constitue pas une faute le fait pour deux professeurs de n'avoir pas, dans un ouvrage analysant les travaux de divers théoriciens des crises économiques, mais dont les auteurs ne prétendaient pas faire œuvre d'historiens, mentionné les travaux d'un économiste, alors qu'ils citaient un autre auteur dont les théories auraient été postérieures et identiques à celles du premien. On se gardera de raisonner a contrario et de penser que Ia décision eût différente si les auteurs avaient prétendu «faire œuvre d'historiens 20». En résumé, on peut dire que l'historien, tout comme l' écrivain d'information en général, n'engage en principe pas plus sa responsabilité par ses silences que par ses écrits. Encore faut-il qu'il fasse preuve d'un minimum d'objectivité et n'abuse pas de son droit de se taire. Ici comme en d'autres domaines, les tribunaux se montrent soucieux de protéger la liberté d'expression et l'intérêt général de la société à être informée, mais ils n'hésiteront pas à agir contre la mauvaise foi et la volonté de nuire - dans une jurisprudence souvent casuistique, qui paraît concilier assez harmoniéuseinent, jusqu'ici, les exigences d'une saine justice et celles de la science historique ou de l'art littéraire. LA RESPONSABILITÉ DE L'ÉCRIVAIN D'IMAGINATION Dans cette catégorie, large et nécessairement imprécise, nous rangeons le romancier, l'auteur dramatique, le scénariste, etc. - abstraction faite, ici aussi, de tout jugement de valeur sur la qualité de 1'«écrivain» ou sur celle de l'imagination (cette dernière qualité, ou son absence, pouvant d'ailleurs avoir des incidences juridiques). 19 D. S. H. I9óJ. J.Somme. Ó2,thèse TAHA,p.IÓ8. 20 Dans un arrêtrendu au début denovembrei9ój, la IIe chambrede la Cour d'appel de París a apporté de nouveaux éléments à lajurisprudence sur les droits et devoirsde l' bisiorien, enconsacrantledroit pour l' historien defaire mention de condamnationspénales couvertespar l' amnistie ou lagrâce: «S i le rappel par un bistorien du comportement depersonnes mêlées aux évènementsqu'il retrace ne pouvait être fait aux motifs que la condamnation pénale quececomportementa entraînéesetrouverait amnistiée, toute étudehistorique sérieuse serait impossible». 214 Plus encore que les précédents, le thème de cette dernière partie de notre exposé est si vaste et si riche qu'il fournirait aisément, à qui voudrait lui rendre justice, matière à un cycle de conférences. Sans répéter ce que nous avons dit, jadis, sur «le Romancier et la Protection des Intérêts personnels o», nous nous bornerons à un petit nombre d'indications, et nous ne retiendrons, parmi une abondante jurisprudence, étrangère surtout, que trois exemples principaux - pour illustrer trois aspects divers de notre sujet - soit un exemple suisse, un exemple français et un exemple allemand. L'exemple suisse est celui du «Banquier sans visage», pièce de M. Walter Weideli, dont le personnage central était le célèbre ministre des finances de Louis XVI,] acques Necker. Pour diverses raisons, pas toutes juridiques, cette pièce devait soulever pas mal de controverses à Genève, au début de 1964. Elle pose pour nous d'intéressants problèmes, tels celui des frontières entre la fiction et l'histoire, ou celui du droit à l'honneur des descendants d'un personnage célèbre. Comme le rornancier qui met en scène un personnage historique, l'auteur dramatique ne prétend point faire œuvre d'historien ou de 'savant. Il entend généralement faire œuvre d'imagination. Il conviendrait toutefois de distinguer, plus précisément, selon qu'il s'agit d'un roman ou d'une pièce «historiques», au sens étroit, ou d'ouvrages inspirés de l'histoire, ou encore d'ouvrages de fantaisie bâtis sur un pur prétexte historique, etc. Ces distinctions, il faut l'avouer, manquent de netteté, sans être pourtant dénuées de toute valeur sur le plan juridique, où il pourra se révéler utile, à un tribunal par exemple, de considérer les caractéristiques propres à chaque ouvrage littéraire, ses intentions avouées et l'impression d'ensemble qu'il produit sur le lecteur ou l'auditeur. Dans quelle catégorie fallait-il ranger le «Banquier sans visage»? Si son caractère historique semblait quelque peu renforcé du fait qu'il s'agissait d'une œuvre de circonstance, commandée officiellement à l'occasion de l'anniversaire de l'entrée de Genève dans la Confédéra- 21 Mémoires publiés par la Faculté de Droit de Genève, noi2, I9J6; voir aussi, sur ce thème, C. JEANNOT, La Notion d'«intérêts personnels» et l' Ecrivain, thèse Neuchâtel I960, enparticulier, chap. VII, p. I24 ss. 215

PIERRE LALIVE BAND 104 tian, il n' en teste pas moins qu'il y avait là essentiellement, voire uniquement, une œuvre de ftction - ainsi que le reconnaissait du reste un communiqué de presse publié par la famille Necker, le 5 mars 1964. Résulte-t-il de cette qualification que, des deux devoirs généraux qui s'imposent à l' écrivain (soit le respect de la vérité et le respect des intérêts personnels d'autrui), seul le second incombe à l'écrivain d'imagination? Celui-ciri'a-t-il aucuneobligation envers la vérité? Ce n'est pas tout à fait le cas, à tout le moins lorsqu'il met en scène un personnage appartenant à l'histoire. Le Tribunal de la Seine, dans un jugement du 2 août 1877, rendu sur une demande des descendants du Maréchal Villiers de l'isle Adam Càpropos d'un roman historique), a considéré que l'auteur d'un tel ouvrage «n'est point soumis aux mêmes obligations Cque l'historien), et... est libre de mêler la fiction aux réalités et... n' outrepasse les immunités de la fiction que s'il imprime à un personnage connu un caractère absolument opposé à la Vérité historique=». A supposer cette condition réalisée - et les tribunaux ne peuvent que se montrer très larges, vu la variété des interprétations de ce qu'est la «vérité historique» - il faudra surtout, pour que triomphe une action en responsabilité dé!ictuelle, que les demandeurs établissent l'existence d'un dommage à leurs intérêts personnels, à leur réputation; il ne suffit pas que soit atteinte la réputation du personnage historique en cause! La preuve de ce dommage, l'examen de la jurisprudence le prouve, n'est pas facile à apporter, surtout si le personnage ne relève pas de l'histoire contemporaine ou récente, mais il n'est pas impossible qu'elle soit fournie. De l'avis des membres de la famille Necker, la situation juridique pouvait être résumée comme suit: le «Banquier sans visage» contient à l'égard de Jacques Necker des excès dans l'expression, puisque le personnage central y est qualifié d' «usurier», de «voleur», et même d' «assassin». En outre, «l'ensemble de l'œuvre est conçu dans un esprit de dénigrement». Si grande que soit la liberté de l'artiste, dans une œuvre d'imagination, à l'égard d'un personnage historique, elle n'est pas sans limite, et cette liberté devient illicite et abusive lors- 216 22 Tribunal dejaseine, 2 août I8ïï,Pataille ïï. 2Iï. qu' elle atteint l'honneur d'un nom encore porté et, par là, les intérêts personnels des descendants. A l' évidence, le point le plus délicat de cette argumentation concerne la réalité du dommage subit par les descendants du personnage historique. A ce sujet, le communiqué publié par la famille exposait le raisonnement suivant: a) Le public sera enclin à tenir pour réels les vices prêtés par l'auteur dramatique au personnage de Necker -le spectateur ou lecteur moyen n' étant pas touj ours capable de démêler la fiction de la réalité. Ce risque serait d' autant plus grand que les représentations de la pièce ont reçu un patronage officiel; b) Par association d'idée, le public va reporter les vices prêtés au «Banquier sans visage» sur tous les porteurs actuels du nom de Necker. Et ici encore, le caractère «officiel» des représentations va accroître le risque, chez les spectateurs moyens, d'une «transposition de ce jugement de valeur immérité». Pour ces motifs, les auteurs du communiqué demandaient, par l'intermédiaire d'un avocat, la cessation de ce qu'ils jugeaient être une atteinte, illicite à leurs intérêts personnels, au sens de l'article 28 du Code civil. On sait que l'affaire s'est arrangée, l'auteur ayant consenti à certaines modifications de son texte. La justice suisse ne s'est donc pas prononcée, ce que l'on peut regretter, égoïstement, pour la science du droit! La solution eut, sans aucun doute, été difficile pour nos tribunaux, car il semble bien que l'on se trouve ici en présence d'un de ces cas-limite, où l'impressionnisme ou le subjectivisme judiciaires risquent bien d'être décisifs. En définitive, en ce qui concerne le roman ou le drame «historiques», c'est la «loi du genre» qui permet, voire commande à l'écrivain de prendre des libertés considérables avec la vérité. Alexandre Dumas père - qui eut bien des démêlés avec la justice de son temps - ne disait-il pas, à ce propos: «On peut violer l'histoire, à condition de lui faire un enfant!» Passons à un exemple français, et au cas, plus classique, de l'atteinte au nom, et à l'honneur, par l'activité d'un romancier. Il y a quelques 16 2.17

PIERRE LA LIVE BAND 104 années, on l'a sans doute oublié déjà, Françoise Sagan publiait son roman «Dans un mois, dans un an». L'un des personnages, baptisé André J olyet, s'y trouve dépeint sous les traits d'un«quinquagénaire sec ayant une expression sarcastique et de faux gestes de jeune homme»; il est doté, au surplus, d'une réputation quelque peu gênante. Or, l'annuaire des téléphones de Paris révélait l'existence d'un seul abonné nommé Jolyet, lequel était [ournaliste financier et... quinquagénaire. N'appréciant pas cette homonymie - malgré la différence des prénoms - ce dernier demanda la suppression de son nom dans le roman et des dommages-intérêts. Il perdit son procès, le tribunal jugeant qu'aucune confusion n' était possible. Ne tirons pas de conclusion trop absolue de ce seul exemple. D'autres décisions de justice, fort nombreuses, et tout aussi soucieuses de protéger la liberté créatrice contre l'excessive susceptibilité de certains, imposent pourtant au romancier, à l'auteur dramatique, au scénariste de films, le devoir de prendre un minimum de précautions z 3. L' écrivain doit procéder à certaines vérifications élémentaires, et, en l'espèce, même si aucune confusion n'était possible, l'auteur avait certainement commis une légère imprudence. En la matière, le «leading case» demeure, aujourd'hui encore, la célèbre affaire Duverdy-Zola, Dans son roman «Pot-Bouille», paru en 1882, Emile Zola avait rnis en scène un certain Duverdy, avocat à la Cour, et habitant le quartier Choiseul. Or, il existait à Paris un seul avocat de ce nom, demeurant précisément à la rue de Choiseul, et qui somma Zola, dès laparution duroman en feuilleton, de supprimer son nom. Zola s'y étant refusé énergiquement, au nom de ses doctrines littéraires, il fut condamné, ainsi que le journal, à faire disparaître le nom de Duverdy, que le roman exposait au ridicule-s. Cette décision nous paraît entièrement justiíiée-s. Non seulement Zola n'avait pris aucune précaution pour éviter des confusions sus- 23 N' est certainement pas suffisante l' adjonctionde la clauserituelle,' «oo. toute ressemblanceentre lespersonnagesde ceroman oudecefilm seraitfortuite et lefruit d'une pure coïncidence,etc. oo.» 24Cf P. LALIVE, op.cit.,p. Il-I2. 25 N'en déplaise au préfacier de «Pot-Bouille» dans l'édition de Ia Pléiade, M. H. MITTERAND, qui n'a rien compris aux problèmesjuridiques posés. 218 ceptibles de porter atteinte à l'honneur de personnages vivants; mais, fidèle à sa conception du roman naturaliste et voulant faire «du document humain» (l'expression est de lui), il affirmait prendre ses noms de préférence dans les milieux où ses personnages vivaient. Ceci, disait-il Iui-même, afin «de compléter par la réalité du nom la réalité de la physionomie». Trop d'indices concordants excluaient en l'affaire qu'il pût s'agir d'une simple coïncidence. On sait que Zola protesta de toutes ses forces et que le débat fit rage dans les journaux parisiens - ce qui fit une excellente publicité au roman. Zola suggéra avec ironie la création d'une censure préalable des noms, et exprima l'intention d'appeler désormais ses héros les «sans-nom»: «... l'illusion y perdra certainement un peu; mais, comme l'a énergiquement jugé le tribunal, périsse la littérature, pourvu que la propriété sacrée du nom patronyrnique soit respectée! En vérité, le métier d' écrivain devient bien difficile.» Le grand écrivain français exagérait. La réalité est toute différente. Les tribunaux protègent libéralement les écrivains contre les plaideurs professionnels ou téméraires, contre les hypersusceptibles qui se reconnaissent partout et voudraient obtenir l'amputation ou la suppression d'une œuvre littéraire. Encore faut-il que, de son côté, l'écrivain ait fait ce qu'il fallait pour éviter autant que possible de léser les tiers (dans leur droit au portrait, physique ou moral, dans leur droit au nom ou àl'honneur) en donnantpar exempleleurnomà un personnage grotesque ou odieux, dans des conditions rendant laconfusion possible, voire en commettant une véritable diffamation en se servant dumasque du romancierpourridiculiser des ennemis personnels. Avec cette dernière hypothèse, nous arrivons à un geme littéraire bien connu, celui du roman à clé. Les exemples en sont nombreux, bien qu'il ne soit pas aisé de déterminer quand une œuvre appartient à cette catégorie; car il est très rare aujourd'hui qu'un romancier publie en annexe de son ouvrage, comme cela arrivait au XVIIe ou au XVIIIe siècle, une liste des «clés» permettant de découvrir qui était visé à travers les personnages de la fiction! Il arrive pourtant que le doute ne soit pas permis. Ce fut le cas pour le roman «Méphisto» de l'écrivain Klaus Mann, dont le héros, dé- 219

PIERRE LA LIVE BAND 104 peint comme un arriviste, un vaniteux, un traître par excellence, était manifestement inspiré par le célèbre acteur allemand Gustav Gründgens, ex-bea\,--frèredu romancier. Ce dernier avait du reste admis l'existence d'une ressemblance, contestant pourtant qu'il s'agît d'un portrait, et insistant sur la part de l'exagération littéraire dans le roman. La plainte du fils adoptif de l'acteur fut rejetée, en Ì965, par le tribunal de Hambourg, qui constata pourtant que «Ia description détaillée de la carrière du héros... révélait nettement à tous ceux qui connaissent l'histoire du théâtre des années 1930une identité entre le personnage du roman et Gründgens-e», Examinant ce cas à la lumière de la Constitution de la République fédérale allemande sur les droits de la personnalité, le Tribunal insiste sur la liberté dont jouit l'auteur d'une œuvre littéraire, liberté plus large que celle d'un historien ou d'un biographe. Il considère que le roman est une œuvre d'art, que le public a le droit de connaître 27. Cesarguments ne sont guère décisifs en eux-mêmes, et l' on sait que la liberté de l'art ne justifie pas toute atteinte au droit de la personnalité. Mais le jugement contient d'autres raisons, plus pertinentes: Gründgens était déjà mort à l' époque du procès, et il ne'pouvait donc être question que des droits personnels de ses proches. Or, le demandeur, son fils adoptif, qui ne portait du reste pas le nom de Gründgens, n'était pas lésé dans ses intérêts; en outre, les évènements relatés par le roman remontaient loin en arrière et les lecteurs d'aujourd'hui n'étaient plus au courant des faits. A en juger par cette affaire - assez représentative d'une jurisprudence non moins riche que celle de la Franœ-ê -les tribunaux alle- 26 Pour un autre exemple de roman à clé, voir le casde «La ville asphyxiée», de MONT PEZATet Z1WÈS, Courd' Amiens, 6juillet 1932, S. 1932.2.234, citédans P. LAL1VE, Le romancier et la protection des intérêts personnels, page 21ss., ainsi que celui du roman «Eiienne und Luise», d'ernst PENZOLDT, OLG Nüremberg, Uftta 3 (1930) 213. 27 Sur les romans inspirés de faits de la chroniquejudiciaire, voir le cas du romancier EDOUARD ROD, dans l'affaire Maradan contre Pbilipona, ATF 189!,p.17!, ainsi que l'affaire Chaperon, Cour de Besançon, 2 décembrei897, D.92. 2. 21!; cf. P.LAL1VE, p. 17-19; C. ]EANNOT, thèse citée,p.129. 28 Voir parexemple KG BerlinJW 1921,1!!1; LG Berlin Uftta 4 (19P)!4!; KG Berlin Uftta 16 (1944) 143. 220 mands reconnaissent à l'écrivain d'imagination une large liberté d'expression. Eneffet, les intentions de Klaus Mann n'étaient peutêtre pas absolument pures, en cette affaire, et son rornan «Méphisto» peut bien être considéré comme un «roman à clé» _: tout comme le célèbre «les Büddenbrooks» de son père Thomas Mann, dont on sait le scandale qu'il provoqua au début du siècle, en raison des fortes ressemblances existant entfe les personnages du.roman et certaines grandes familles de Lübeck. CONCLUSION Si incomplet qu'il soit, ce bref tour d'horizon a montré, nous l'espérons, la variété des situations dans lesquelles les écrivains, petits ou grands, d'information, d'opinion ou d'imagination, peuvent engager leur responsabilité civile. Il a tenté de mettre en lumière la tâche délicate de la justice, qui s'efforce de maintenir un équilibre entre des intérêts opposés: celui de la liberté de penser et d' écrire, qui est l'un des droits fondamentaux de l'homme (reconnu par exemple par la Convention européenne des droits de l'homme) en même temps qu'un des droits de la personnalité au sens de l'article 28 CCSet, d'autre part, celui de la personnalité et de la respectabilité de chaque individu. Que les écrivains ne craignent pas de voir l'ordre juridique freiner ou paralyser la création littéraire! Très nuancée, casuistique, voire parfois subjective, la jurisprudence des principaux pays montre les juristes soucieux d'assurer aux écrivains les conditions générales de liberté et de sécurité sans lesquelles aucune activité, intellectuelle ou matérielle, ne peut se poursuivre normalement. Ainsi que l'a dit le Tribunal fédéral, dans le célèbre arrêt Kaspar contre Hodler=, «Il ne faut pas que, par une protection mesquine et étroite de la personnalité, le développement artistique, spirituel, religieux ou autre de la Société soit entravé sans motifs plausibles...» Toutefois, la liberté d'expression garantie à l'écrivain n'est, bien entendu, pas sans limite, et, surtout, elle doit être exercée de bonne 29 ATF70 II 127,134. 221

PIERRE LALIVE BAND 104 foi. Qu'il soit médiocre ou génial, l'écrivain ne mérite cette liberté que s'il agit en écrivain et s'il ne sacrifie pas les intérêts légitimes d'autrui à des préoccupations extra-littéraires (dessein de vengeance, de scandale ou de lucre, par exemple). En définitive, sa responsabilité juridique n'est qu'un aspect de sa responsabilité d'homme. Ce survol de la jurisprudence paraît bien démontrer, tout comme le ferait une étude plus approfondie, que la moralité du Droit ne contredit pas, ici au moins, ce que l'on pourrait appeler la moralité de l'art. VERSCHIEDENES Mitteilung der Obergerichtskanzlei Das Obergericht des Kantons Bern hat gewählt: Fürsprecher THEODOR JENZER, Staatsanwalt des Mittellandes, zum Stellvertreter des Generalprokurators ; Fürsprecher VINZENZVONSTEIGER,stellvertretender Prokurator, zum Staatsanwalt des Mittellandes ; Fürsprecher RICHARD FEUZ, Kammerschreiber am Obergericht, zum stellvertretenden Prokurator. Das Obergericht des Kantons Bern hat am 3.Mai 1968 zu Fürsprechern patentiert (alphabetische Reihenfolge): Anliker Peter, von Bern und Rohrbach; Brönnimann Hans, von Zimmerwald; Chopard François, von Sonvilier; Göttler Ingeborg, von Mellingen AG; Knabe Peter, von Belp; Koch Eduard, von Hämikon LU; Meuter Hans Rudolf, von Vinelz; Probst Niklaus, von Bern und Finsterhennen; Righetti Fabio, von Rorschach SG; Weibel Herbert, von Schüpfen; Zellweger Martin, von Grüningen ZH.