SEMAINE SUR L AGRICULTURE URBAINE 13 septembre 2012 Hepia - Genève La terre ou le foncier? Pression foncière, dimensions réglementaires et socio-politiques Françoise Jarrige Département SESG - UMR Innovation Montpellier SupAgro
Définition du foncier sens premier : «Foncier» qualifie ce qui est «relatif à un fonds de terre, à son exploitation, à son imposition» Propriétaire foncier, propriété foncière, Taxe foncière sens dérivé d'immobilier : le foncier désigne le terrain qui sert de support à une construction immobilière usage courant «le foncier» désigne «un bien relatif à la propriété non-bâtie mais aussi à la propriété bâtie» (signification fiscale) : Les revenus fonciers représentent les revenus du patrimoine immobilier A retenir - du point de vue des sciences sociales - le foncier désigne la terre comme objet de relations sociales d appropriation / de partage, de pratiques, de règles, de politiques en vue de différents types d usages possibles.
Différents statuts économiques du foncier en fonction de ses usages 1. Activité agricole : le foncier désigne la surface cultivée / exploitée = la terre, le sol fertile : ressource à la fois naturelle et construite, support et facteur de la production agricole, aux propriétés exceptionnelles car sa nature vivante permet le maintien du potentiel de production sous réserve de «bonnes pratiques» ressource vivante -résiliente / fragile, à potentiel variable - stock limité 2. Promotion immobilière : le foncier désigne le terrain support d une construction foncier assimilé à un espace, une surface inerte, c est un bien de consommation de la construction immobilière 3. Nature, environnement : le foncier désigne l espace, le sol support de paysage, de biodiversité, de biotopes (niches écologiques, milieux faune/flore ) Buy land! there're not making it any more Mark Twain
Enjeux de développement Un paradoxe : crise du logement, manque de foncier mobilisé pour construire / consommation des terres agricoles par artificialisation (= perte) Mondialisation économique, décentralisation politique (France) nouvelles pratiques politiques : émergence de la gouvernance territoriale «Développement durable» remise en cause des systèmes agricoles intensifs protection de la nature, de l environnement, des paysages, des ressources question de l auto-suffisance alimentaire nécessité de repenser la production agricole et ses structures, la construction de la ville et les impacts de l urbanisme
Questions foncières posées par l agriculture périurbaine Il est question de biens communs - espace, agriculture, alimentation, paysage, nature - de leur valeur, de leurs usages d intérêts économiques de différentes natures - publics ou privés, compatibles ou exclusifs - et de jeux d acteurs de processus de régulation sociaux, économiques ou réglementaires 5
Plan 1. Dynamiques foncières : marché, pression d urbanisation 2. Jeux d acteurs Stratégie des agriculteurs : méthode d analyse Attentes sociales 3. Régulation : les cadres de médiation Conclusion : la terre ressource patrimoniale 6
ECONOMIE FONCIÈRE 7
Les marchés fonciers La segmentation rural / urbain, et ses limites Analyse du marché foncier rural : Quelle est la structure de la propriété foncière? Quels sont les usages du foncier agricole? Quelles sont les caractéristiques du marché foncier rural? Quelles sont les incidences de l urbanisation? Exemple en Languedoc Roussillon Données : Informations de ventes légalement adressées par les notaires à la SAFER (DIA hors zonage U des PLU = zones AU, A, N) informations agrégées au niveau cantonal sur la période 2000-2004
Structure foncière : Une propriété foncière rurale très morcelée parcellaire rural en 2004 (Sources DGI 2003) Surface moyenne cantonale du parcellaire
Natures cadastrales : spatialisation régionale des productions agricoles Proportion cantonale des natures cadastrales 2004 (Sources DGI 2003) Vignes Terres et prés Bois et futaies
MARCHÉ CODIFIÉ Ensemble des notifications et des Rétrocessions SAFER MARCHÉ HORS SEGMENTATION - Transactions < 15 /ha < 1 are MARCHÉ DE l ESPACE RURAL Différenciation en sous marchés selon la destination des biens MARCHÉ DE L ESPACE EN VUE DE SON ARTIFICIALISATION MARCHÉ DE L ESPACE RÉSIDENTIEL ET DE LOISIRS OU DES ESPACES NON PRODUCTIFS MARCHÉ FORESTIER MARCHÉ AGRICOLE MARCHÉ DES COLLECTIVITES AUTRES MARCHÉ DES LANDES, FRICHES ET ETANGS MARCHÉ DE L ESPACE RESIDENTIEL ET DE LOISIRS MARCHÉ DES TERRES ET PRES MARCHÉ DES CULTURES SPÉCIALES ET DIVERS MARCHÉ DES VIGNES
LES DIFFERENTS MARCHES DE L ESPACE RURAL Marché des Vignes 17% Marché Hors Segmentation 2% Marché de l'espace Artificialisé 15% Marché des Collectivités 2% Marché Agricole 1 032 M Marché des Terres et Prés 9% Marché des Cultures 10% Marché Forestier 4% En Valeur Répartition des différents marchés en valeur et en surface de 2000 à 2004 Marché des Maisons à la Campagne 3% Marché des Espaces Non Productifs 31% Marché des Vignes 21% Marché des Espaces de Loisirs 7% Marché des Terres et Prés 16% Marché Hors Segmentation 7% Marché Non Agricole 1 801 M Marché de l'espace Artificialisé 3% En Surface Marché des Espaces de Loisirs 4% Marché des Maisons à la Campagne 3% Marché des Espaces Non Productifs 9% Marché Forestier 12% Marché des Collectivités 2% Marché Non Agricole 57 350 ha Marché Agricole Marché des Cultures 23%
Prix en euros courants par hectare MARCHE FONCIER NON BATI Évolution du prix moyen des marchés fonciers non bâtis de l espace rural Échelle régionale 200 000 180 000 160 000 140 000 120 000 100 000 80 000 60 000 Terrains constructibles acquis par des particuliers (NR, personne physique agricole, retraité agricole, double activité, ménage à double activité, personne physique non agricole, sans profession et retraité non agricole) Terrains constructibles acquis par des pers. privées morales (personne morale agricole et non agricole) Terrains pour zones ou équipements collectifs acquis par des personnes privées (ttes catégories, GFA) Terrains de loisirs 40 000 20 000 0 2000 2001 2002 2003 2004 Terrains pour zones ou équipements collectifs acquis par des Ets publics Terrains à destination agricole certaine Terrains à destination forestière
MARCHE DE L ESPACE RURAL focus sur les communes périurbaines 20 000 18 000 16 000 14 000 12 000 10 000 8 000 6 000 4 000 2 000 0 Intentions de vente (nbr) 37% 37% 35% 37% 38% 2000 2001 2002 2003 2004 En pourcentage des valeurs annuelles régionales Communes Périurbaines Région 30 000 25 000 20 000 Prix moyen ( /ha) 118% 141% 130% 127% 15 000 107% 40 000 35 000 30 000 25 000 20 000 15 000 10 000 5 000 0 Surface totale (ha) 33% 31% 25% 29% 29% 2000 2001 2002 2003 2004 10 000 5 000 0 Communes Périurbaines Région 2000 2001 2002 2003 2004 Communes Périurbaines Région
Démographie et urbanisation : une dynamique forte, localisée en région Dynamiques urbaines en Languedoc-Roussillon entre 1990 et 2000 Source : Abrantes & al. 2010 15
Mutation des usages du sol : moins de cultures pérennes, et artificialisation Changements d occupation du sol en Languedoc-Roussillon entre 1990 et 2000 Source : Abrantes & al. 2010 16
Croisement des dynamiques urbaines et de l artificialisation du sol (1990-2000) Source : Abrantes & al. 2010 17
Dynamiques sociales associées dans la population Maison individuelle et automobile(s) Evolution du rapport à l espace : nouvelles activités récréatives de plein air, recherche de paysage et de cadre de vie En émergence, évolution du rapport à l alimentation : recherche de qualité, traçabilité, proximité, bio 18
STRATÉGIE FONCIÈRE DES AGRICULTEURS 19
Fondements des rapports à la terre dans les systèmes agraires méditerranéens Cultures pérennes et faire-valoir direct majoritaires Agriculteurs propriétaires de tout ou partie du foncier qu ils exploitent Terre agricole : composante du patrimoine familial : économie du ménage agricole transmission facteur de production : économie de l entreprise agricole (outil de production exceptionnel vivant, fertile) NB : suite à l arrachage des vignes, les exploitants agricoles propriétaires restent majoritaires en nombre mais les surfaces en FVD sont devenues minoritaires par rapport au fermage entre 2000 et 2005 en Languedoc-Roussillon (quelle est la stratégie des propriétaires?) 20
Facteurs socio-économiques de la stratégie foncière des agriculteurs 1. Mode de tenure foncière 2. Âge, position dans cycle de vie et carrière perspectives de succession familiale ou non 3. Système de production et perspective des marchés agricoles 4. Pression d urbanisation rentabilité comparée urbanisation / production agricole 21
Stratégie foncière des agriculteurs face à la pression d urbanisation Viticulteur, arboriculteur (FVD) - maintien, agrandissement - vente partielle (décapitalisation) - vente totale et sortie ou relocalisation NB : rente d urbanisation et retraite Maraîcher, céréalier - fermage, - précarité - échanges fonciers Candidats à l installation - succession familiale - investissement de capitaux extérieurs - pour les autres : difficile! 22
Les attentes sociales vis-à-vis de l agriculture Une production agricole en quantité garantie, disponible, à bas prix qualité diversifiée, certifiée traçabilité / risque alimentaire zéro origine, proximité Aménités, diminution des impacts environnementaux négatifs paysages diminution des pollution, qualité de l eau gestion des risques : inondation, incendie Services aux urbains gestion des déchets urbains, épandage usages récréatifs de plein air, espace de loisir
Une nouvelle place, «sous tension», pour l agriculture et les agriculteurs? Nouvelles attentes sociales vis-à-vis de l agriculture Multifonctionnalité et publicisation des espaces agricoles De multiples paradoxes : - niveau d exigence croissant mais à bas prix! - agriculteurs «jardiniers» ou «pollueurs»? - profession vitale, mais considérée comme «assistée»
LES CADRES DE MÉDIATION ENTRE AGRICULTURE ET SOCIÉTÉ UE Etat centralisé Collectivités locales Actions publiques 25
Protection du foncier agricole, développement de l alimentation de proximité : nouveaux objectifs des politiques publiques Face à la consommation des terres agricoles par l urbanisation, aux risques de crises alimentaires et aux nouvelles demandes sociales en matière d alimentation, après la protection de l eau, de l air, de la biodiversité protéger les terres agricoles et restaurer une alimentation de proximité deviennent les projets des politiques environnementales à différentes échelles, selon des principes d action, des outils et un mode de gouvernance variables. Perte de foncier agricole par abandon et urbanisation : - 30 000 ha/ an dans les années 1960, - 60 000 ha/an dans les années 1990, - 75 000 ha/an depuis 2003 (MAAPRAT) (= perte par urbanisation selon Pointereau et Coulon 2009). 26
Sur la protection du foncier agricole : des politiques longtemps à la traîne Une entrée longtemps limitée aux documents d urbanisme - respect de l équilibre rural-urbain et généralisation de la planification spatiale intercommunale (SCoT) (loi SRU 2000) - sanctuarisation des terres agricoles via des classements protecteurs dans les PLU: ZAP (LOA 1999) puis PAEN (LDTR 2005) Le code rural : des outils de gestion du foncier agricole peu adaptés aux enjeux actuels: fermage, contrôle du marché et des structures agricoles, SAFER portée et limites des outils réglementaires de protection du foncier agricole : le zonage, condition nécessaire mais pas suffisante pour maintenir / dynamiser l agriculture périurbaine (ex. SCoT de Montpellier) PAC : 1er pilier : production, réglementation des marchés, soutiens 2ème pilier : mesures agri-environnementales territorialisées, développement rural (FEADER) 27
De nouveaux outils pour le foncier agricole (Grenelle II et LMA 2010) : Généralisation des observatoires du foncier agricole et création des CDCEA (commission départementale de consommation des espaces agricoles) contrôle de la consommation des surfaces agricoles (-50% en 2020) taxe de la rente foncière d urbanisation (5 à 10% de la plus-value) fonds d installation agricole (gestion ASP = MAAPRAT) trames vertes et bleues Questions : volonté politique de mise en œuvre de ces outils localement? pouvoir politique face aux enjeux économiques, difficultés techniques 28
Des exemples innovants - nouvelles initiatives citoyennes en faveur de l agriculture (Terre de liens) Initiative portée par des militants et renforcée par la médiatisation Collecte d épargne solidaire pour l achat collectif de foncier agricole, promotion de l AB et des circuits courts Une structure nationale, 20 associations régionales, et les limites du fonctionnement associatif dans la finance Une levée de fonds qui fait pâlir les SAFER et intéresse les collectivités (au niveau national : capital : 10,84.10 6. 2006-2010 : total collecté :18.106. 5247 actionnaires. 70 fermes acquises ou en cours d acquisition. 180 agriculteurs installés) - des exemples innovants à l étranger : fiscalité (USA / Pays Bas), commission nationale de protection des terres agricoles (Québec) 29
L agriculture devient un objet des politiques locales Un projet politique local où les questions d environnement et d alimentation sont très présentes l intervention publique sur le foncier agricole (au-delà de l urbanisme) : effet d opportunité et/ou volonté forte La maîtrise publique est envisagée ou réalisée via l acquisition du foncier Réflexion nécessairement élargie au-delà du foncier : type d agriculture et d agriculteurs, alimentation de proximité (circuits courts, cantine, bio ) c est plus compliqué qu il n y paraît au 1er abord! Les collectivités avancent à tâtons, peu de références existent 30
Les difficultés des politiques locales en faveur de l agriculture Coût du foncier et du bâti agricoles Maintien de la motivation, du consensus politique (au sein de la population et entre élus locaux) pour l attribution de moyens publics à l agriculture Limites du portage public : quel mode de mise à disposition du foncier aux agriculteurs? Contrat / rétrocession? Critères de choix des candidats : origine géographique, système de production (AB? jardins? Circuit court?...), relations avec les agriculteurs déjà présents, solidité financière des candidats (néo / agrandissement) Ccl : beaucoup de médiatisation (films documentaires), mais peu de démarches concrètes abouties jusqu à maintenant 31
En guise de conclusion : L agriculture comme activité économique, le foncier agricole comme élément du patrimoine commun (mais en propriété individuelle), les agriculteurs comme partenaires incontournables Pour concilier intérêts individuels (des agriculteurs, des propriétaires) et intérêt général : faire évoluer les cadres de négociations, coconstruire l intérêt collectif Des évolutions positives sont en cours au niveau du cadre légal national et en matière de politiques locales, en relation avec la médiatisation des problèmes d environnement et d alimentation 32
Bibliographie Abrantes P. Soulard C. Jarrige F. Laurens L. 2010. Dynamiques urbaines et mutations des espaces agricoles en Languedoc-Roussillon (France). Cybergeo, Espace, Société, Territoire, article 485, mis en ligne le 13 janvier 2010. URL : http://www.cybergeo.eu/index22869.html. Clément C. Jarrige F. Laurens L. Soulard C. 2009. Gouvernance territoriale, publicisation de l espace et patrimonialisation de l activité viticole en zone périurbaine : exemple du Pays de lunel. Communication au XLVIe Colloque de l ASRDLF. Clermont-Ferrand juillet 2009. 21 p. Jarrige F. Jouve A-M. Napoleone C. 2003. Et si le capitalisme patrimonial changeait nos paysages quotidiens? Courrier de l'environnement de l'inra. 2003/06 n.49 :13-28. Thinon P. Jarrige F. Nougarèdes B. Pariset G. 2003. Analyse des espaces agricoles et naturels de la Communauté d Agglomération de Montpellier. Volet agricole du diagnostic de SCOT. Montpellier. 50 p. Jarrige F. 2004. Les mutations d'une agriculture méditerranéenne face à la croissance urbaine. Dynamiques et enjeux autour de Montpellier. Cahiers Agricultures13 :64-74 Duvernoy I. Jarrige F. Moustier P. Serrano J. 2005. Une agriculture multifonctionnelle dans le projet urbain : quelle reconnaissance, quelle gouvernance? Les Cahiers de la Multifonctionnalité, n 8, mai 2005, pp 87-104. Jarrige F. Thinon P. Nougarèdes B. Roubieu N. Augier P. 2005. Exemple d une recherche en partenariat avec la Communauté d Agglomération de Montpellier. Communication au Symposium PSDR, Lyon, mars 2005. 17 p. Jarrige F. 2007. Dynamiques territoriales, dynamiques agricoles et régulations politiques locales. Prospectives des territoires en Languedoc Roussillon. cahier 2 Devenir de l agriculture. Jarrige F. Soulard C. Nougarèdes B. Laurens L. Sabatier B. 2008. Les projets agri-urbains : des innovations territoriales? Exemple du bâti agricole dans l Hérault (France). In Territoires, acteurs et projets : regards sur le canada, la France et ailleurs, Editions de l Université de Montréal (Canada). pp. 91-97. Jarrige F. Thinon P. Delay C. Montfraix P. 2009. L agriculture s invite dans le projet urbain. Le schéma de cohérence territoriale de Montpellier Agglomération. Communication aux Carrefours de l Innovation agronomique de l INRA «Agriculture péri-urbaine». Actes du 5 Mai 2009 INRA, Versailles (2009) 5, 41-51. 33