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R E P E R E S : S Y N T H E S E S N 4 3 L accompagnement social et professionnel dans les structures d insertion par l activité économique

L accompagnement social et professionnel dans les structures d insertion par l activité économique Des réformes importantes ont modifié les rapports établis entre l Etat et les structures conventionnées pour l insertion par l activité économique (IAE), qui mettent au cœur des conventions la notion d accompagnement socio-professionnel. Dans ce contexte, le service Etudes Statistiques et Evaluation de la DIRECCTE a souhaité lancer une étude pour mieux comprendre la fonction d accompagnement des salariés. L objectif de cette étude est de caractériser les pratiques d accompagnement socioprofessionnel dans le contexte particulier de l IAE (Insertion par l Activité Économique) et de connaître l attitude des salariés face aux pratiques de cet accompagnement. 1/51

L accompagnement social dans l IAE 1 est apparu au début des années 1980, dans le sillage des politiques de la ville et des politiques de l emploi. Face aux phénomènes d exclusion, de délinquance, aux difficultés d insertion professionnelle et sociale des jeunes, différents dispositifs ont été mis en place comme l Insertion par l Activité Économique, les politiques d accès au logement, les missions locales et les PAIO 2. Avec la mise en place de ces nouveaux dispositifs, de nouveaux métiers apparaissent : les éducateurs de rue, l accompagnement social, les médiateurs dans les institutions (les transports en commun, la Caisse d Allocations Familiales, etc.). La massification du problème de l exclusion et les dispositifs qui l accompagnent ont influencé l évolution des modes d intervention, des pratiques et des emplois créant un champ plus vaste, celui de l intervention sociale remplaçant la notion de travail social. Jean-Noël Chopart définit l intervention sociale comme «Toutes les activités rémunérées par des financements socialisés, s exerçant dans un cadre organisé, qu il soit public ou privé, et visant des personnes ou des publics en difficulté d intégration sociale ou professionnelle dans une perspective d aide, d assistance, ou de contrôle, de médiation ou d actions d animation ou de coordination.» p 6. 3 Dans un premier temps, l étude porte sur la trajectoire des salariés en insertion, depuis leur scolarité jusqu à leur embauche au sein d une structure d insertion. Leur trajectoire est faite d abandons précoces de la scolarité, souvent de passage par l apprentissage, de parcours professionnels où les contrats à durée déterminée précèdent les contrats à durée indéterminée et où les métiers se succèdent. Avec la massification du chômage, ces classes sociales ont connu une précarisation croissante et l intervention sociale qui touchait certaines catégories de bénéficiaires de l aide sociale s est élargie aux personnes qui ont perdu leur emploi suite à des restructurations ou à des fermetures d entreprise. Or les structures d insertion par l activité économique accueillent sans distinction ces deux types de public. L intervention sociale n a pas supplanté la solidarité familiale, malgré la fragilisation de celle-ci. La famille est présente quand il s agit d aider un proche dans la précarité ou quand il s agit de renouer des liens avec un jeune qui a rompu avec elle. Dans un deuxième temps, l étude porte sur la fonction d accompagnateur socioprofessionnel. Cet accompagnement socioprofessionnel est d abord un travail d équipe. L encadrement technique et la DRH y participent, bien que cette mission soit essentiellement exercée par les accompagnateurs socioprofessionnels. Bien que le travail administratif soit conséquent, c est bien le face à face et l entretien qui sont au cœur de cette fonction. Par l entretien, l accompagnateur socioprofessionnel va tenter de cerner les difficultés sociales et les compétences professionnelles du salarié en insertion. Dans l entretien, l accompagnateur socioprofessionnel va adopter une posture d assistance, pour l aider à résoudre des difficultés de l ordre de la première nécessité, tenter de le motiver dans son travail et dans la construction de son projet professionnel, l orienter vers des formations ou des métiers qui l intéressent. L intervention sociale et l accompagnement professionnel des structures d insertion par l activité économique est une interaction avec les salariés qui en bénéficient. Les attitudes des salariés en insertion divergent en fonction de leur habitus et de l aide qui leur est proposée et des exigences en matière de construction de projets. C est dans cette relation d aide que se crée un lien que l on ne retrouve pas dans les entreprises dites «classiques». 1 C est en 1987 qu une loi officialise le statut d association intermédiaire. C est en 1988 que la loi de lutte contre les exclusions fixe le cadre légal d intervention de l IAE et l inscrit dans le code du travail. 2 Les missions locales pour l insertion sociale et professionnelle des jeunes (couramment appelées missions locales) sont en France des organismes chargés d aider les jeunes de 16 à 25 ans à résoudre l ensemble des problèmes que leur pose leur insertion sociale et professionnelle. Les missions locales ont fusionné depuis avec les PAIO (permanence d accueil, d information et d orientation des jeunes de 16 à 25 ans). 3 Jean-Noël CHOPART p. 1-24, in «Les mutations du travail social. Dynamiques d un champ professionnel», Sous la direction de Jean- Noël CHOPART, Éditions Dunnod, 2000, 299 pages. 2/51

SOMMAIRE LE CHAMP DE L ENQUÊTE 4 LA TRAJECTOIRE DES SALARIÉS EN INSERTION 4 LE PARCOURS SCOLAIRE 4 UN PASSAGE FRÉQUENT PAR L APPRENTISSAGE 6 MODÈLE PARENTAL TRADITIONNEL," MODÈLE PARENTAL MODERNE, LA PLACE DU JEUNE DANS LA FAMILLE INFLUE SUR SON ORIENTATION PROFESSIONNELLE 7 LA RECHERCHE D EMPLOI 8 LE PARCOURS PROFESSIONNEL 11 TRAPPES À PAUVRETÉ, SOLIDARITÉ FAMILIALE ET INTERVENTION SOCIALE 15 LES DIFFICULTÉS FAMILIALES ET ÉCONOMIQUES ENTRETIENNENT LA PRÉCARITÉ 15 ILLUSTRATION DE LA DÉVIANCE : LES ADDICTIONS 16 SOLIDARITÉ FAMILIALE ET INTERVENTION SOCIALE 18 LES «NOUVEAUX PAUVRES» ET LES ANCIENNES CATÉGORIES DE BÉNÉFICIAIRES D AIDE SOCIALE 21 LE TRAVAIL D INSERTION, AIDE OU ACCOMPAGNEMENT 24 L ACCOMPAGNEMENT SOCIOPROFESSIONNEL 24 UN TRAVAIL D ÉQUIPE 25 LE VOLET SOCIAL DE L ACCOMPAGNEMENT : UN TRAVAIL ADMINISTRATIF 26 LE VOLET PROFESSIONNEL DE L ACCOMPAGNEMENT ET LE PARTENARIAT AVEC LES ENTREPRISES 28 L ACCOMPAGNEMENT SOCIOPROFESSIONNEL : UN DIAGNOSTIC AU TRAVERS DES ENTRETIENS 29 L ACCOMPAGNEMENT SOCIOPROFESSIONNEL : UNE RELATION D AIDE 30 L ACCOMPAGNEMENT PROFESSIONNEL : UN RÔLE D ENTRAÎNEMENT 32 L ACCOMPAGNEMENT PROFESSIONNEL : UN RÔLE D ORIENTATION 33 LES ATTITUDES FACE A L ACCOMPAGNEMENT SOCIO - PROFESSIONNEL 35 LE VOLONTAIRE 35 LE SOLLICITEUR 36 LE DÉBROUILLARD 37 UN COLLECTIF CONTRE LA PRÉCARITÉ 38 CONCLUSION 40 3/51

LE CHAMP DE L ENQUÊTE Cinq structures d Insertion par l Activité Économique 4 ont fait l objet de l enquête. Cinq cadres de direction, deux responsables de ressources Humaines et huit accompagnateurs socioprofessionnels ont fait l objet d un entretien. Cet entretien semi-directif est centré sur les pratiques quotidiennes de l accompagnement socioprofessionnel et le discours qui sous-tend ces pratiques. Vingt-cinq salariés en insertion ont été interviewés. Il s agit d une part de connaître leur parcours professionnel et de comprendre comment ils réagissent face aux difficultés qu ils rencontrent dans la vie quotidienne ainsi que les ressources qu ils mobilisent pour trouver des solutions et d autre part de comprendre leur attitude face aux pratiques de l accompagnement socioprofessionnel. LA TRAJECTOIRE 5 DES SALARIÉS EN INSERTION Selon la définition proposée par Olivier Schwartz 6, les salariés en insertion qui ont été interviewés appartiennent aux classes populaires, certains font partie des franges les plus défavorisées. Leur père est agriculteur, cuisinier, ouvrier du bâtiment... leur mère femme au foyer, aide-soignante, assistante maternelle... Eux-mêmes sont peintre en bâtiment, vendeur, technicien de surface. Dans les structures d insertion par l activité économique, ils exercent les métiers de techniciens de surface, déménageur, cariste et gestionnaire de stocks, d aide menuisier Les classes populaires se caractérisent par une position de dominés dans la sphère économique et sociale, et au-delà de la détention d un bas niveau de capital monétaire, par des modes de vie et des manières d être qui leur sont propres. Cette position dominée dans la sphère économique se traduit par une certaine vulnérabilité des conditions d existence (ces personnes sont davantage exposées au manque de ressources ou à la fragilité économique). Cette position dominée se traduit aussi par une «condition globale de dépossession sociale» 7, par une relégation des individus sur des territoires, des métiers, des statuts, une soumission au destin, une fermeture des possibles. 8 Peu de salariés en insertion sont issus des classes moyennes ou ont fait des études supérieures. Le parcours scolaire 9 A la question relative à leur vécu à l école, les personnes répondent que «ça s est bien passé à l école» mais qu à l adolescence, elles ont souhaité travailler. Généralement, la rupture précoce du parcours scolaire n est pas perçue comme une exclusion mais comme un choix pour le monde du travail en opposition à l institution scolaire, qui ne serait pas adaptée à leur façon d être. Certaines personnes motivent ce choix par un manque d attention, de l ennui. 4 Les structures d insertion par l activité économique accueillent des personnes particulièrement éloignées de l'emploi, notamment, des chômeurs de longue durée, des personnes bénéficiaires des minimas sociaux (RSA...), des jeunes de moins de 26 ans en grande difficulté, des travailleurs reconnus handicapés. 5 La trajectoire étudiée met en avant les déterminismes sociaux tels que BOURDIEU et PASSERON l ont développée dans leur ouvrage. La trajectoire renvoie à des séquences dans une vie où chaque séquence est la cause d une autre séquence, dans une approche continue du temps. «La reproduction, éléments pour une théorie du système d enseignement», in «Séminaire Trajectoires, parcours professionnels», 16 Décembre 2011, GREMTOS Axe B 1. 6 Olivier SCHWARTZ «Peut-on parler des classes populaires?», La vie des idées.fr, 11 septembre 2011, 49 pages. 7 Olivier SCHWARTZ «Peut-on parler des classes populaires?», op.cit. p.18. 8 Richard HOGGART «La culture du pauvre, étude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre», Les Editions de Minuit, 1970, 420 pages. 9 Contrairement à la trajectoire qui privilégie les déterminismes sociaux, le parcours met en avant les séquences qui reflètent des changements forts et radicaux choisis ou subis que l acteur gère sans autre forme de déterminisme en fonction de contextes (travail, famille, logement, vie associative, etc...), «Séminaire Trajectoires, parcours professionnels», 16 Décembre 2011, GREMTOS Axe B 1. 4/51

«Le cycle scolaire ne me convenait pas, je faisais partie de ces gens qui avaient le cerveau mais pas de patience, je faisais partie de ces gens qui s ennuyaient à l école.» Femme de 41 ans, technicienne de maintenance, électroménager, son et multimédia. «Il faut que je bouge, il fallait que je sois à l extérieur, que je ne sois pas entre quatre murs.» Homme de 50 ans, vendeur. D autres mettent en cause les pratiques de l enseignement, les savoirs dispensés, les enseignants. «J avais un problème avec la discipline, depuis tout petit, je n ai jamais aimé l école, Ce qu on enseigne, comment on enseigne, je n ai jamais trouvé cela intéressant. Certains moments, quand j allais à l école, en histoire par exemple, ça m intéressait, je suivais, j avais de bons résultats. Mais sinon, je n ai pas accroché à l école. Je ne suis pas tombé sur des enseignants qui m ont fait aimer l école.» Homme de 23 ans, installateur sanitaire. «Ce qui m embêtait à l école, c étaient surtout les maîtres.» Homme de 54 ans, peintre en bâtiment. «Voilà, on dit que c est l âge bête. A cet âge-là, le jeune veut avoir de l argent, il voit les amis, il veut sortir, aller au restaurant. Et moi, je dis à mon père : «papa écoute, je veux arrêter l école, je veux travailler», et là, j ai quitté l école et j ai travaillé jusqu à l an dernier.» Homme, 30 ans, soudeur. L ennui, le manque d attention, le manque d intérêt, le fonctionnement du système scolaire, disposer d argent, travailler sont autant de raisons qui expliquent le choix de quitter l école dès que l obligation scolaire ne s impose plus. Ce sont les raisons qu invoquent les personnes interviewées pour expliquer l abandon précoce de leur scolarité. Les comportements (le manque d attention, l ennui) qu ont ces personnes en milieu scolaire sont souvent le fait des difficultés d apprentissage scolaire. Les questions relatives à l illettrisme ont été abandonnées au vu des déclarations des salariés en insertion. La question de l auto-évaluation pose des difficultés ; les rares personnes (de nationalité française) à avoir répondu ont toutes dit qu elles ne rencontraient pas de difficultés avec les savoirs de base. Nous avons toutefois constaté qu elles étaient plus à l aise à l oral qu à l écrit, et les difficultés avec les formes académiques d expression apparaissent dans les réponses aux questions de présentation introductives à l entretien. C est la raison pour laquelle nous avons préféré compléter nousmêmes les questions relatives à leur identité dans les questionnaires qui leur ont été proposés en complément des entretiens 10. Une des personnes interviewées n a jamais fréquenté l école. Pour les auteurs de l ouvrage «Ruptures scolaires, l école à l épreuve de la question sociale» 11, il faut prendre en considération plusieurs dimensions qui sont interdépendantes pour comprendre les parcours de ruptures scolaires. Les difficultés cognitives et d apprentissage scolaire des jeunes issus le plus souvent des franges les plus dominées et les plus défavorisées des classes populaires, les formes de socialisation que mettent en œuvre les parents, la situation économique dégradée des familles, l isolement social dans lequel elles vivent, les ruptures familiales, la sélection de l institution scolaire, les sociabilités juvéniles, le cercle des pairs sont autant de conditions qui favorisent les ruptures scolaires. 12 Ces facteurs transparaissent dans les discours des personnes interviewées sur leur parcours scolaire. «Du fait que je n ai pas eu de père derrière et que ma mère était rarement là. Je n ai pas eu de ( ). J ai quitté l école, je suis partie en apprentissage à 16 ans. Je me suis retrouvée enceinte à 17, donc je n ai pas pu passer mon CAP et puis l avenir voulait que je fasse une formation un peu plus tard. 10 cf. annexe 3. 11 Mathias MILLET et Daniel THIN in «Ruptures scolaires, l école à l épreuve de la question sociale» PUF, 2005, 318 pages. 12 Les ruptures scolaires est une notion que les auteurs préfèrent à celle de déscolarisation. La sortie précoce des jeunes de l institution scolaire est de même nature que les absences et la désobéissance des jeunes ou la scolarisation des jeunes dans des dispositifs spécialisés, comme les classes relais ou les instituts médico éducatifs. 5/51

Ma maman en fait, a eu beaucoup de mal avec moi, elle n avait aucune autorité, elle a vite perdu son autorité. Je ne l ai jamais frappée, ce n est pas mon genre. J étais en famille nourricière toute ma vie 7, 24,24. Il y eu un petit clash, j avais beaucoup de respect pour elle, mais voilà elle a perdu son autorité, rapidement, je faisais ce que je voulais. J ai le sens de l observation, je vois les choses, je me suis rendu compte à un moment que j ai eu besoin de tout ça mais (...).» Femme, 41 ans, technicienne de maintenance en électroménager, son et multimédia. Les plus jeunes comme les plus âgés disent avoir fait ce choix seuls. Dans la plupart des cas, les parents prennent en compte la décision de leur enfant de mettre fin à leur scolarité. La plupart des parents incite leur enfant à s engager dans l apprentissage. Certains parents acceptent l idée que le jeune quitte le collège ou le lycée sans diplôme et sans apprentissage. Peu évoquent des conflits ou les discussions qu elles ont pu avoir avec leurs parents au sujet de leur décision ; certains éléments laissent à penser que des conflits ou tout au moins des discussions ont pu émerger autour de cette question. Dans les récits des interviewés, il apparaît toutefois que les parents sont souvent aussi peu dotés scolairement et culturellement, et leurs arguments sont pauvres face à la volonté du jeune de quitter l école. Q : comment s est passé votre scolarité? R : «ben, j ai fait de la primaire à la troisième et ça s est bien passé et c est juste qu à la troisième, je ne voulais plus aller à l école, je voulais travailler, alors j ai arrêté, j ai été jusqu en troisième et après j ai arrêté, j ai cherché du travail et j ai fait des formations.» Q : quand vous avez arrêté l école, quelle a été la réaction de vos parents? R : «ben, mes parents, j en ai parlé avec eux avant de le faire. Mes parents, ils étaient d accord, ils savaient qu au lycée, je n arriverai pas et que ça ne me motiverait pas et que je ne voulais pas continuer pour rien. Et voilà, ils m ont dit oui, on est derrière toi, ils m ont aidé un peu. Ce sont eux qui m ont parlé que l AFPA faisait des formations, des trucs comme çà, vu que mon père avait fait une formation là-bas, ma mère aussi. Alors, ils savaient à peu près. J ai un peu suivi le conseil des parents quoi.» Homme, 23 ans, magasinier. Q : vous étiez donc à l école jusqu en 1ère? R : «oui, après j ai arrêté, c est un âge, qu on dit difficile. À 17 ans, 18 ans, c est un âge, c est un bel âge mais un âge, qu on dit bizarre». Q : comment vos parents ont-ils réagi? R : «Après deux ans, il (le père) a accepté. Maman m a dit : «fais comme tu veux parce que c est à toi de choisir.» Ma mère, elle ne presse pas les enfants, ce n est pas comme mon père, l école, il pousse plus que la maman. La maman, on dit qu elle est différente, même pour tout, ma mère m a dit : «l école, c est toi qui choisis. C est important t as fait l école obligatoire, après si tu veux faire le baccalauréat, si tu veux faire comme ton frère, tu fais. C est toi qui choisis.»» Homme, 30 ans, soudeur. L apprentissage est souvent la voie qui est choisie par les salariés interviewés lorsqu ils décident d abandonner les études. Rares sont les parents qui contestent ce choix. Un passage fréquent par l apprentissage L abandon de la scolarité a amené la majorité des salariés interviewés à opter pour l apprentissage. Et lorsque ces personnes abandonnent l apprentissage, ou qu elles échouent aux examens, les mêmes raisons sont invoquées que celles données pour l abandon de la scolarité, à savoir les difficultés d apprentissage scolaire. Q : Qu avez-vous fait après votre scolarité? R : «J ai travaillé, j ai fait un apprentissage, j ai arrêté l apprentissage après un an.» Q : quand avez vous commencé l apprentissage? 6/51

R : «je l ai commencé à 15 ans.» Q :, comment se déroulait votre apprentissage? R : «une partie chez l employeur et une partie au CFA.» Q : comment s est passé votre apprentissage? R : «après un an, j ai arrêté le CFA.» Q : pourquoi? R : «non, ça ne me plaisait pas, je voulais travailler, aller une fois par semaine au CFA, à l école, ce n était pas ça.» Q : la partie pratique vous convenait-elle? R : «oui, oui, chez l employeur, la partie pratique, c était bien. La partie théorique me plaisait moins.» Homme de 54 ans, peintre en bâtiment. Nous retrouvons les mêmes causes dans l abandon de l apprentissage, à savoir les difficultés à s adapter à l institution scolaire. Modèle «parental traditionnel», «modèle parental moderne», la place du jeune dans la famille influe sur son orientation professionnelle En ce qui concerne le choix du métier, nous constatons des différences dans les comportements familiaux selon les générations et l origine sociale des personnes. Dans le «modèle parental traditionnel» 13, une fois la décision prise de quitter l école, ce sont les parents qui choisissent le métier que l adolescent va exercer, le jeune ayant peu d idées sur le métier qu il souhaite exercer et n étant pas sollicité pour exprimer une opinion sur ce choix. Même s il souhaite exercer un autre métier, celui-ci est imposé par les parents. Chez les personnes âgées de plus de 50 ans qui ont été interviewées, c est souvent ainsi que le métier qu ils ont exercé s est imposé. «À l époque c était comme ça, il n y avait pas à dire non, je ne veux pas. Moi, je voulais faire un autre métier. Mon père m a dit : «non, tu seras serrurier.» et je suis devenu serrurier. Ce métier, peut-être qu aujourd hui, je ne le ferai plus, je ne sais pas, je voulais faire ramoneur. Moi, j aimais ça, être au-dessus, sur le toit, ça me plaisait. Et puis non, ça ne s est pas fait. J ai fait serrurier, c est un métier qui ne me plaisait pas du tout, mais je l ai fait quand même. L école, je n avais pas envie, ça ne m intéressait plus, parce que c était assez spécial. J étais un gamin, les 14 ans d aujourd hui ne sont plus les 14 ans d hier.» Homme, 60 ans, menuisier agencement des grands magasins. On retrouve ce même type d attitude chez des parents dont les enfants sont des immigrés venus récemment en France. Q : vous étiez donc à l école en R., comment s est passé l école? R : «oui, très bien, je suis allé jusqu en (..), je ne sais pas comment ça s appelle en français, après mon père m a pris pour faire la peinture, c était mieux ainsi.» Q : c est donc votre papa qui a décidé pour vous? R : «oui, pour faire la peinture. J ai terminé l école et mon père m a dit : «maintenant en R., c est catastrophique.» Je cherche, je suis resté 5 ans, pour chercher un travail en R., quelqu un m a dit : «tu pars en France, tu trouveras quelque chose. Et comme ça, je me stabilise». J ai travaillé dans la peinture pendant deux années avec mon papa en R.» Q : avait-il une entreprise? R : «oui, oui, c est lui qui m a appris la peinture.» Homme de 28 ans, peintre en bâtiment. Au «modèle parental traditionnel» s oppose «le modèle parental moderne». Dans le «modèle parental 13 Edward SHORTER «Naissance de la famille moderne, XVIIIe-XXe siècle» 1981, seuil, 380 pages. 7/51

moderne», les jeunes interviennent dans le choix de la filière et du métier en accord avec les parents et l institution scolaire. Les parents n imposent pas de voie à leur enfant, des discussions s engagent autour du choix entre les deux parties. Parmi les plus jeunes des personnes interviewées, c est dans ce type de cadre familial qu est prise la décision du métier sélectionné. Q : c est l école qui vous a proposé un CAP? R : «non c est moi-même. Je connaissais quelqu un, ses parents avaient une petite entreprise. Je travaillais un peu avec eux, j aimais bien çà, alors je me suis décidé avec la conseillère au collège. Elle m a tout de suite orienté vers une 3ème professionnelle, tout çà. Elle m a dit : «il ne faut pas rester à l école», de toute façon, au bout d un moment, j n y allais plus, tout çà alors. Par contre au niveau des stages, tout ça, ça se passait nickel, donc je me suis dirigé vers l apprentissage.» Q : vous n aviez pas de problème de discipline, comme vous dites? R : «non, pas en entreprise mais à l école, et aussi, au CFA. Il y avait une semaine de cours par mois, un truc comme çà, là aussi, je n y allais pas. C était compliqué.» Homme de 23 ans, installateur sanitaire. Les parents avaient tendance à imposer une filière et un métier à leurs enfants dans les années 60,70. Les classes populaires ont également vécu le passage d un «modèle parental traditionnel» imposant ses choix à un modèle parental qui tient compte des désirs des enfants. Si dans l ancien modèle, les jeunes pouvaient reprocher à leurs parents les échecs du choix de la filière qui leur était imposée, dans le nouveau modèle, le jeune se perçoit comme responsable des choix qu il a «librement» faits. La recherche d emploi Les plus âgés des salariés interviewés invoquent souvent l aide d un membre de la famille (celui-ci travaillait dans l entreprise) dans leur embauche en entreprise. Quelques jeunes mentionnent également ce type d entraide. Au-delà du cercle du réseau familial, un deuxième cercle de solidarité amicale est mentionné dans les stratégies de recherche d emploi mise en œuvre. Les «camarades» donnent également des adresses d entreprises qui embauchent. Il semblerait qu avec la crise, ce type d entraide soit moins courant. Plus largement, les personnes proches du cercle familial ou amical renseignent les demandeurs d emploi sur des opportunités d embauche dans une entreprise. Q : et après qu avez-vous fait? R : «j étais à Café Satie de 1985 à 1990, j ai travaillé chez Café Satie au port du Rhin.» Q : Cela vous plaisait-il? R : «oui, ça me plaisait.» Q : Etait-ce dans la vente? R : «Non, j étais cariste, j ai passé une autorisation de conduite qui existait à l époque. Quelqu un est venu voir comment je manœuvrai dans l entreprise, c était uniquement valable dans l entreprise. Donc, j ai fait deux ans de cariste, après j ai remplacé quelqu un, à l intérieur de Café Satie. J ai trouvé parce que mon père avait travaillé là-bas étant jeune et mon oncle y travaillait encore quand je suis rentré. Je suis rentré comme ça. J ai fait six mois, un an je crois comme chauffeur livreur, parce qu un salarié est parti en retraite chez Café Satie. Et après j ai remplacé pendant les périodes de vacances, de maladie, les VRP qui vendaient le café dans les restaurants. Puis un machiniste est parti à la retraite, je suis monté à l usine et j ai appris machiniste. J y étais cinq ans au total.» Homme, 50 ans, vendeur. Pour beaucoup de salariés en insertion, s inscrire dans une agence d intérim est devenu une pratique courante, l intérim étant considéré comme un pourvoyeur d emplois. Ce n est pas par choix mais cette voie est considérée comme la seule qui pourvoit à un emploi, fut-il précaire. Q : qu aimeriez-vous faire à la fin de votre contrat? R : «justement là, ce que j aimerais faire, c est d arriver à travailler jusqu à 62 ans mais bon, je sais qu à la fin du contrat, ça va être très dur parce que j aurai 59 ans, à part l intérim, peut-être, on 8/51

arrivera peut-être à trouver mais sinon, ça, je ne sais pas, je ne me projette pas encore comme là. J ai encore deux ans de contrat ici, je vis au jour le jour. Mais disons, j ai encore deux ans à travailler et après dans le pire des cas, je toucherai le chômage, donc on ne sera pas à la rue mais c est vrai (..).» Homme, 57 ans, coffreur. C est ainsi que certains demandeurs d emploi ont trouvé un emploi dans une association intermédiaire, située dans la même rue que plusieurs agences intérimaires. Beaucoup de salariés en insertion de cette association intermédiaire pensent qu il s agit d une agence d intérim, confusion due au fait aussi qu on utilise le terme de missions. Dans leur manière d aborder la recherche d emploi, le comportement des salariés interviewés ne semble pas se distinguer des autres demandeurs d emploi. Ainsi par exemple en 2013 en Alsace 14, 26 % des sortants de Pôle Emploi (catégories A, B, C) ont trouvé un emploi par l intermédiaire de relations personnelles, 26% par une candidature spontanée, 12% par le biais d une agence d intérim, 9% par l intermédiaire de relations professionnelles, et 8% par le biais de petites annonces, soit une large majorité (81%) ayant privilégié les canaux non institutionnels. En ce qui concerne le recrutement dans la structure d insertion, beaucoup de salariés en insertion ont trouvé l offre d emploi par leurs propres moyens (Internet, ouïe dire, etc ) ou par des canaux informels. Là encore, ces observations sont cohérentes avec les résultats d une étude publiée par la DARES sur les personnes salariées des structures de l IAE en 2012, qui montre que 54% des recrutements toutes structures confondues ont été conclus par ce type de mise en relation 15. Quelques salariés en insertion ont trouvé cet emploi par l intermédiaire de Pôle Emploi, certains salariés évoquent d autres intermédiaires comme le référent RSA, l assistante sociale. Certains sont défiants à l égard de Pôle Emploi et se sentent abandonnés par cet organisme. Pôle Emploi les convoque rarement, leur propose rarement des offres d emploi, ils se sentent seuls dans la recherche d emploi. Q : quand vous étiez demandeur d emploi, avez-vous rencontré des difficultés et quels types de difficultés? R : «mais en fait je cherchais du travail. A Pôle Emploi, un exemple, je ne peux pas aller voir et demander chaque jour à la dame qui est conseil, qui s occupe de moi. Pendant trois mois, J allais, au guichet à Pôle Emploi, je demandais un RV. Elle m a dit : «écoutez madame, on est débordé, on est occupé.», j ai dit d accord, ça je le sais. Aujourd hui, j attends deux, trois mois pour un RV. «Vous pouvez passer par Internet.», me dit-elle. J ai envoyé un email, je n ai obtenu aucune réponse pour le RV. Je ne sais pas comment faire pour prendre RV. Je cherche du travail, un exemple j ai de la chance parce que je me suis inscrite à beaucoup de boîtes d intérim ici, en ville.» Q : comment avez-vous trouvé A. J.? R : «par Internet.» Q : c est par Internet, ce n est pas Pôle Emploi qui vous a proposé ce poste? R : «non, j ai tapé boîtes d intérim, quelque chose comme ça et il me sort les adresses.» Femme, 35 ans, professeur des écoles dans son pays, technicienne de surface. Certains salariés en insertion étaient demandeurs d emploi depuis moins de deux ans, alors que d autres le sont depuis plus de trois ans. Cela concerne essentiellement les femmes qui s inscrivent à Pôle Emploi alors qu elles élèvent leurs enfants. Elles restent inscrites à Pôle Emploi, mais les difficultés posées par la garde des enfants et l exercice d un emploi, ainsi que les arbitrages conduisant à privilégier la vie familiale, ne les mettent pas en situation de rechercher activement un emploi. 14 BAUER Perrine, Service ESE «Les sortants des listes de Pôle emploi en 2013 en Alsace» Repères Synthèses n 38, septembre 2014, p.7, 10 pages. 15 AVENEL Marie, REMY Véronique, DARES, «les salariés des structures de l insertion par l activité économique»dares Analyses n 40, juin 2015. 9/51

Q : vous avez fait cette formation et là vous avez rencontré le papa de vos enfants. Vous avez arrêté vos études, en 2003? R : «2004.» Q : qu avez-vous fait? R : «j ai tout abandonné. J ai fait de petits boulots, notamment le ménage chez des particuliers, le ménage, la garde d enfants, pendant 7, 8 mois, avant que j aie mes enfants. Après j ai tout arrêté, j ai fait mes enfants. Je me suis occupée de mes trois enfants. Maintenant ma fille aînée a 5 ans et j ai à nouveau cherché un emploi. J étais toujours demandeur d emploi, après mon 2ème enfant, j ai aussi travaillé 7 mois, dans une société de nettoyage, P., j y ai travaillé 7 mois. Après ça, je suis tombée enceinte de ma seconde fille, et j ai eu des difficultés. Le 1er et le 2ème étaient trop rapprochés. Une fois enceinte de ma dernière fille, je suis tombée malade, je tombe toujours malade quand je suis enceinte, donc j ai tout abandonné, jusqu à ce que j aie accouché. Et avec trois enfants, ce n est pas facile, je voulais rester pour les garder, après je réfléchirai à la recherche d emploi pour avoir une bonne vision de ce que j aimerais faire plutôt que de tâtonner toujours, faire ci, faire ça. J étais toujours demandeur d emploi.» Femme, 47 ans, secrétaire. Pour comprendre la façon dont sont ressenties les périodes de chômage dans le discours des personnes interviewées, on peut faire appel à la notion de chômage total définie par Dominique Schnapper 16. Cette expérience est vécue par les travailleurs manuels, les employées et les cadres modestes qui connaissent un épisode durable de chômage. Ces personnes lorsqu elles sont en chômage sont dans l incapacité de tirer parti de cette période au regard de leur faible insertion sociale et de leur niveau culturel modeste. Le travail représentait le mode privilégié ou unique d expression de soi dans la société et la période de recherche d emploi est vécue comme une période d isolement et de restriction. Aux difficultés financières, s ajoute parfois la dépression chez certaines personnes. «C est en termes d anomie 17 et de marginalisation qu on peut analyser aujourd hui le chômage total, non en termes de révolte ou de mobilisation collective» 18. Q : vous m avez dit qu il vous arrivait d être demandeur d emploi entre deux missions, avez-vous rencontré des difficultés à ce moment-là? R : «des difficultés, ça dépend des difficultés, au début, quand j ai été licenciée, je n étais pas bien. Ça n allait pas, le fait de perdre son travail comme ça, ça n allait pas, du jour au lendemain, c est vrai. J ai fait une dépression, j ai été soignée pour ça. Alors je n étais pas bien, après j ai repris un peu le dessus parce que j ai été hospitalisée aussi. Après, ça allait, ça commençait à venir.» Femme, 37 ans, Technicienne de surface. De manière générale, les salariés interviewés ont tous fait l expérience de la précarité de leur situation professionnelle et de la précarité budgétaire qui l accompagne. Certaines personnes (notamment les immigrés récemment arrivés ou analphabètes) n ont connu que celle-ci. Elles ont du mal à subvenir aux besoins de leur famille. Trait commun de leur appartenance aux classes populaires, elles ont en commun l expérience des limites de leurs moyens budgétaires et le ressenti à l égard des ressources financières est fonction de l appartenance à des franges différentes des classes populaires. R : «oui, en 2010, 2011, je n ai pas fait beaucoup d heures, 40 heures par mois. Les enfants à la garderie, ça me coûte très cher, j ai payé 180 euros la garderie, après ça, il ne me restait plus rien du tout. Je me suis beaucoup plainte au sujet des heures auprès de mon employeuse qui me dit «après, après, vous ferez plus d heures.». Des fois, j ai fait un petit remplacement, mais dans l ensemble, mes heures n augmentent pas, je trouvais que je gagnais juste pour payer la garderie de 16 Dominique SCHNAPPER «L épreuve du chômage», Éditions Gallimard, 1981, 222 pages. 17 Émile DURKHEIM «Le suicide», PUF, 2007,463 pages. Le terme d'anomie chez Émile Durkheim décrit une situation sociale, dans laquelle le recul des valeurs conduit à la destruction et à la diminution de l'ordre social, les lois et les règles ne peuvent plus garantir la régulation sociale. 18 Dominique SCHNAPPER «L épreuve du chômage», p. 114, op. cit. 10/51

mes enfants, c est pour ça que je cherche du travail, je dois encore envoyer 50 euros à ma mère.» Q : A votre famille en G.? R : «oui, 50 euros ici ce n est pas beaucoup, là-bas c est beaucoup, en G., c est 100 000, je me suis dit qu il faut que je cherche du travail et aller chez M H. qui est conseiller RSA. J ai dit franchement, je ne peux pas rester, 11 mois, 18 mois dans une entreprise sans faire beaucoup d heures, cette dame est à Relais Emploi, elle aide les gens qui touchent le RSA à trouver du travail, elle m a aidée pour payer les garderies mais ça ne peut pas continuer. Ils m ont alors versé 380 pour aider à payer les garderies, je dis que c est bien, mais je ne peux pas rester dans cette situation, comme ça.» Q : et votre époux a commencé à travailler dès 2013, à votre arrivée? R : «Non, lui, il travaille depuis longtemps et lui aussi, il travaille dans une boîte d intérim.» Q : il travaille en intérim? R : «oui des fois, il a un petit contrat, quand il a fini, il arrête.» Q : Donc depuis son arrivée, il travaille en intérim, il n a pas été embauché en entreprise? R : «il a déjà travaillé, en 2005, je crois ici, à la B.A.» Q : Il a travaillé à la B.A? R : «oui, deux ans.» Q : et maintenant il travaille en intérim? R : «oui, il travaille en intérim, mais il ne fait pas beaucoup d heures» Q : Fait-il aussi l entretien des locaux? R : «lui, il travaille à Rive Etoile, dans le nettoyage.» Femme, technicienne de surface, 37 ans. Q : Avez-vous rencontré des difficultés pendant votre période de demandeur d emploi, pendant cette période-là? R : «par rapport à quoi?» Q : ça s est passé comment? R : «je touchais le chômage, donc ça allait, j avais 1200 euros net de chômage, donc ça allait. Je gagnais à peu près bien ma vie avant, le chômage, ça allait, je m en sortais entre guillemets.» Homme de 50 ans, vendeur. Le parcours professionnel Rares sont les personnes interrogées qui n ont aucune expérience professionnelle, même si certaines personnes ont une maigre expérience du monde du travail, que ces personnes soient françaises ou immigrées récentes, qu elles soient jeunes ou âgées, ces personnes ont toutes acquis une expérience dans le travail, que ce travail soit légal ou illégal, qu il ait été de courte durée ou de longue durée. Certaines ont fait toute leur carrière dans l intérim, d autres (les jeunes, les personnes analphabètes ou illettrées, les immigrés récemment arrivés) ont enchainé les petits boulots. Q : vous avez alors passé le CAP (de serrurier)? R : «je ne l ai pas fait, je ne l ai pas fini, j ai arrêté avant, j en avais vraiment marre, du métier, je n aimais pas, ce n était pas mon truc, je n aimais pas. Ensuite j étais dans le métier des fleurs, j ai fait fleuriste pendant, 3 ans, 4 ans. J ai fait ensuite un CAP de moquettiste, c'est-à-dire du revêtement de sol, quand j ai fait ce CAP, je devais avoir 22, 23 ans, je pense, un peu plus, je ne sais pas. Là, c était un stage AFPA que j ai fait pendant un an. J ai fait mon stage, j ai passé l examen, j ai obtenu mon examen. Et avec ça après, ben, je suis parti en Allemagne, j ai commencé à travailler en l Allemagne en intérim. C était une société d intérim française, j ai pratiquement travaillé, pendant les 25, 30 dernières années, je n ai fait que l Allemagne, que l étranger. L entreprise d intérim était à Strasbourg. J étais dans une entreprise du bâtiment, je faisais tout ce qui était revêtement de sol dans une entreprise allemande, pour un client allemand. J ai fait ça pendant 5 ou 6 années, le revêtement de sol, en Allemagne pour différents clients. Il (l entreprise utilisatrice) avait deux activités pour les mêmes grands magasins pour lesquels on travaillait et j ai parlé au patron, j ai dit : «écoute, l année prochaine je ne viens plus comme solier 11/51

moquettiste, tu me formes comme menuisier.» J ai travaillé pour lui dans l aménagement de grands magasins, dans la menuiserie. Chez lui, j ai bien travaillé 20, 25 ans. Et ça s est arrêté brutalement, il y a deux ans, trois ans, en 2012 oui quelque chose par-là. Déjà en 2008, ça commençait à merder. Les Français, on n en voulait plus, ils étaient trop chers, ils ont préféré prendre des Polonais, des Turcs, beaucoup moins chers. Mon contrat a pris fin.» Homme de 60 ans, serrurier. Q : et votre formation couture, ça vous plaisait? R : «oui, ça me plaisait, j ai été jusqu à ce que j aie mon diplôme et j ai ouvert un atelier là-bas et je me suis mariée.» Q : vous aviez un atelier de couture là-bas? R : «oui.» Q : Et ça vous plaisait donc? R : «oui, ça me plaisait beaucoup, parce ce que là-bas ce n est pas facile, il faut faire quelque chose, ce n est pas bien de ne rien faire, déjà les copines travaillaient.» Q : Vous aviez votre atelier de couture pendant combien d années? R : «pendant trois ans et après je suis venue en France, la couture africaine et la couture européenne, ce n est pas pareil.» Q : Vous êtes venue ici en 2003? R : «oui, je suis allée à Pôle Emploi chercher mais je n ai pas trouvé dans la couture, ils me disaient : «maintenant, ce n est pas facile de trouver des formations de couture, il n y a presque plus d emploi dans la couture.» Non ici si tu n as pas d expérience dans un domaine, tu ne trouves pas de travail. Ils te demandent si tu as déjà fait du nettoyage, je n ai d expérience dans le nettoyage, elle n est donc pas mentionnée dans mon CV. Donc, c était très difficile de trouver du travail. Après mon accouchement de mon deuxième enfant, je suis allée à Relais Emploi, ils s occupent, ils s occupent des gens qui bénéficient du RSA, après une dame, Madame H. m a aidée jusqu à ce que je trouve du travail, d aide à domicile, en 2009.» Q : Vous avez donc trouvé un emploi chez des particuliers, dans des familles? R : «oui, j ai travaillé en 2010, 2011 mais je n ai pas fait beaucoup d heures, 40 heures par mois, donc elle m a aidée à retrouver un autre travail à A.S, c était en intérim comme remplaçante. J ai fait des nettoyages dans les entreprises, les bureaux. Fin 2011, début 2012, j ai travaillé à A.S, pendant sept mois. J étais trop fatiguée, monter, descendre les escaliers, me fatiguait. J étais très faible, des fois quand je me levais le matin, j avais des vertiges, j étais pendant sept mois, remplaçante, remplaçante, après les petits remplacements, mon contrat était fini, je n ai pas renouvelé le contrat, j ai arrêté.» Q : et quelle a été la durée de travail? R : «Ca dépend, des fois, j ai fait 25 heures par semaine, 20 heures par semaine, des fois 25 heures, ça dépend des personnes que j ai remplacées, j étais là-bas comme remplaçante. Après ça, j ai cherché un travail fixe pour la cuisine, aide cuisine, mais ce n est pas facile de trouver du travail. Mais comme je connais beaucoup de copines, je leur ai demandé, je n ai quand même pa trouvé. Je me suis inscrite au chômage mais malgré tout, je cherchais du travail. J ai une copine qui connaît quelqu un dans le nettoyage des bureaux, pour un contrat d une durée de deux heures et demie, c est peu. Ils vont me couper un mois de chômage alors deux heures et demie, j ai une petite à l école, je dois payer la cantine, et pour l autre la garderie. Je ne peux pas payer ça avec les deux heures et demie. J ai quand même commencé là-bas. Mais je n ai fait qu une journée, j ai demandé à la chef d équipe, si elle ne peut pas trouver un bon travail, deux heures et demi par jour, je voulais un temps partiel, au moins 20 heures ou plus, 24 heures au moins Quand j ai payé le nécessaire pour les enfants, il me reste un peu.» Q : Et là, c était aussi le nettoyage de locaux? R : «oui, et après, j ai travaillé trois jours, et là j ai travaillé ailleurs, c était ici au V.» Q : toujours du nettoyage de locaux, et vous faisiez combien d heures? R : «18 heures par semaine, et il (le chef) m a dit qu en fonction de mes compétences (..).J ai travaillé une semaine, et là il m a renouvelé le contrat de travail chaque mois.» Q : et là, vous avez travaillé combien de temps au V.? 12/51

R : «neuf mois, et tout le temps la dame m a dit : «ils vont t embaucher». Et un jour, l employeur m a dit : «tu sais que tu as remplacé quelqu un qui est en congé maternité, maintenant, elle veut reprendre son poste.» Q : «donc, vous avez travaillé combien de temps au V.»? R : «neuf mois.» Q : et vous avez arrêté le travail en quelle année? R : «c est ça le problème, j ai un peu de problème de lecture.» Q : peu de temps avant votre embauche à la B.A.? R : «J ai arrêté là-bas, j ai été au chômage quatre mois. La personne qui s occupe de moi à Pôle Emploi m a envoyée ici. J ai été 4 mois au chômage.» Femme, 37 ans, technicienne de surface. Nous constatons que les salariés en insertion, même ceux titulaires d un CAP ou d un BEP, ne travaillent pas dans leur spécialité et que d autres ont travaillé dans différents corps de métier. Quelques parcours sont décrits ci-après : Un exemple type d un parcours professionnel d une personne qui a exercé plusieurs métiers : CAP de coffreur puis 5 années à la Légion Étrangère, Puis chômage, Puis 3 ans dans l horlogerie à l emballage et à l expédition, Puis 3 ans dans la vente par correspondance à l expédition, Puis licenciement pour motif économique, Puis intérim en Allemagne, et contrats à durée déterminée (dans une entreprise de taille de pierre comme tailleur de pierre, puis dans une usine de fabrication de plastique, puis dans une fabrique de chocolat,) Puis inscription comme demandeur d emploi et travail dans une structure d insertion par l activité économique pendant 2 ans, Puis en contrat à durée indéterminée dans la chimie, dans la production puis contrat à durée indéterminée pendant 10 ans, Puis licenciement pour motif économique, demandeur d emploi d une durée inférieure à deux ans, Puis contrat à l entreprise d insertion depuis avril 2012. Pour les adultes, qui ont fait toute leur carrière en intérim, (avec un mois, voire deux mois de chômage dans l année), l intérim a été intégré dans leur mode de vie. Un exemple type d un parcours professionnel d une personne qui a travaillé en intérim durant tout son parcours professionnel : Arrêt du CAP de peintre après une année, Puis salarié en Allemagne en qualité de peintre pendant deux ans, Puis service militaire, puis contrat intérim en qualité de peintre pendant 29 ans (carrière entrecoupée de courte périodes de chômage : un, deux mois), Puis accident du travail en 2010, Puis chômage depuis 2012, Puis salarié en insertion depuis juillet 2013. Un exemple type d un parcours professionnel d une personne qui est restée longtemps dans la même entreprise: Coursier chez un prothésiste pendant 8 mois, Puis CAP de vitrier, Puis service militaire, Puis six mois de chômage, Puis 6 mois de remplacement dans une entreprise alimentaire, 13/51

Puis petits boulots pendant quatre ans, Puis 17 ans dans l entreprise alimentaire dans laquelle il a fait un CDD, avec un CDD de deux ans puis en CDI, deux ans en arrêt maladie, Puis licenciement en 2006, Puis deux semaines dans une structure d insertion, Puis quatre mois dans une association, Puis salarié en insertion depuis mars 2013 avec interruption pour suivre une cure. Toutes ces carrières montrent que ces salariés ont connu plusieurs entreprises, ont fait plusieurs métiers et qu ils ont une capacité d adaptation à des environnements différents. Nous constatons dans les entretiens que pour la plupart des personnes interviewées, une longue période de chômage est davantage liée à la situation personnelle (problèmes de santé essentiellement ou autres) qu à des facteurs purement économiques. C est davantage la précarité de la situation professionnelle qu une durée longue de chômage précédant l entrée dans la structure d insertion qui constitue entre elles un point commun. Pour les jeunes, l intérim leur permet d avoir une 1 ère expérience du travail et ils pensent ainsi rentrer dans la vie active. Pour beaucoup, jeunes et adultes, l intérim est devenu aujourd hui, un passage obligé. «J ai fait toutes les agences d intérim, je suis allé dans cette agence d intérim et ils m ont envoyé chez S. en fait. Comme je travaillais chez S., ils m ont arrêté à Pôle Emploi et en fait des fois, j étais inscrit, des fois je n étais plus inscrit vu que je travaillais des fois, des fois pas.» Homme, 23 ans magasinier. Des périodes courtes d emploi succèdent aux périodes de chômage parfois plus longues. On retrouve ce type de situation chez les jeunes et chez les immigrés récemment installés en France. Dominique Schnapper voit le chômage pour les jeunes, comme un rite de passage. «La familiarisation croissante avec le chômage, qui devient quasiment un rite de passage pour les jeunes issus des milieux populaires, tend à dévaloriser la nome du travail comme valeur morale et par conséquent l humiliation liée au non-travail, mais cela ne signifie pas pour autant refus du travail.» 19 C est aussi ce que nous avons constaté, les plus jeunes se plaignent davantage de leurs conditions de vie difficiles que du travail. Dans les discours des plus âgés, les périodes de chômage sont plus courtes et les périodes d emploi plus longues. Ces observations sont concordantes avec les résultats de l enquête menée par la DARES intitulée «les salariés des structures de l insertion par l activité économique», dans laquelle les auteurs mentionnent que 33 % des salariés en insertion n ont connu que des emplois de courte durée. Parmi eux, les moins de 25 ans représentent 36 % et les plus de 50 ans et plus 22 % des salariés qui n ont connu que des emplois de courte durée. 20 «J ai fait une formation pour travailler dans une station rapide en mécanique. On change rapidement les pièces d une voiture. C est comme un CAP mais ça s appelle CCP 21. La formation dure trois mois. C est comme un CAP, seulement, on fait la formation en trois mois. C est court.» Q : c est un contrat? R : «ils ne me l ont pas dit, c est juste écrit CCP. Je l ai fait à l AFPA. Et après, j ai fait des boulots d été dans la CUS et tout ça. J ai aussi travaillé une semaine chez F. pour Noël. C est là que ma conseillère m a dit qu il y avait une formation en tant que magasinier cariste, il y a des tests à 19 Dominique SCHNAPPER «L épreuve du chômage», pp76-77, op. cit. 20 Marie AVENEL, Véronique RÉMY, in DARES ANALYSES «Les salariés des structures de l insertion par l activité économique», mars 2014, n 20, p.3, 16 pages. 21 Un titre professionnel est composé d une ou plusieurs unités représentant chacune, un ensemble cohérent de compétences, aptitudes et connaissances : ce sont les CCP (Certificat de compétence professionnelle). Chaque CCP peut être obtenu indépendamment des autres. Le délai d'obtention du titre complet est de 5 ans à compter de la date d'obtention du 1er CCP. L AFPA propose cette formation qui sera validée par un CCP. Les CCP peuvent être aussi validés sous forme de Validation des Acquis par l Expérience (VAE). 14/51

passer, je les ai passés, je les ai réussis. J ai fait ma formation à ESF, un centre de formation qui est au bord du Rhin. C est une formation complète, c est pour avoir un diplôme.» Q : quand avez-vous commencé la formation à ESF? R : «je l ai fait en 2011 pendant 9 mois. C était un grand parcours, après j ai fait un stage chez Général Motors. Pour valider ma formation Là-bas, j ai appris à gérer les ( ), à voir comment ils travaillent là-bas, à charger les camions, voilà et avant de venir ici, j ai travaillé trois mois en intérim chez S. en tant que magasinier cariste. C est une entreprise de câbles. Eux, ils fabriquent les câbles, et moi, je les prépare sur une palette et je les charge dans un camion et eux ils les livrent partout.» Q : vous avez donc arrêté l école à 16 ans? R : «à 17 ans, j ai dû refaire une année. Je me suis tout de suite inscrit à la sortie du collège. Je ne sais plus si c était en 2010 ou 2011, je me suis inscrit. J ai travaillé chez S., c est moi tout seul qui ai cherché, ce n est pas Pôle Emploi qui m a envoyé là-bas. J ai fait toutes les agences d intérim.» Q : avant d être embauché à la B.A en mars 2013? R : «j étais demandeur d emploi, en 2012, mi 2012, je crois, quand j ai fini chez S.,» Homme, 23 ans, magasinier. Trappes à pauvreté, solidarité familiale et intervention sociale Le discours technique de l administration justifie les aides accordées aux structures d insertion du point de vue de la performance économique par le déficit de productivité induit par l embauche de travailleurs éloignés de l emploi et du point de vue de la performance sociale par la propriété «insérante» du travail dans les structures. Ces points de vue convergent pour considérer l insertion des salariés comme un projet dynamique vers un emploi et regarder les obstacles qui se dressent sur ce parcours comme des freins («périphériques») à l emploi. Au regard des entretiens, nous proposons de caractériser les salariés en insertion moins en fonction du fait qu ils rencontrent ces trappes à pauvreté qu en fonction de la faiblesse de leurs moyens pour y faire face. Les difficultés familiales et économiques entretiennent la précarité La famille nucléaire 22 a connu des changements avec le développement des familles recomposées et des familles monoparentales. Les familles monoparentales dans les classes populaires sont particulièrement mises à l épreuve de la précarité. Les salariés issues de ces familles ou qui sont-elles mêmes dans ce cas, ont aussi connu des ruptures scolaires, des parents peu présents, une parentalité précoce, des violences familiales, des difficultés financières, le chômage ou des petits boulots, un isolement social. Ces difficultés cumulatives ne les empêchent pas de travailler ou de trouver les ressources nécessaires pour sortir de certaines difficultés. L addiction à l alcool ou à la drogue symbolise ce mal être dans toutes ses dimensions. Les addictions sont souvent liées aux difficultés que connaissent les personnes. La consommation de drogue dure ne concerne que quelques personnes et est reliée dans leurs discours aux moments douloureux que la fratrie n a pas forcément vécus et qui peuvent nourrir une conflictualité au sein de la famille. De la même manière, la séparation des couples avec enfant est à la fois le résultat et une source de difficultés pour les personnes que nous avons interviewées, en lien avec des situations personnelles qui ne leur sont pas caractéristiques, mais qui dans leur position sont la source d obstacles, notamment dans leur recherche d un emploi. Le cumul de ces difficultés, par contre, les fragilisent. Leur trajectoire personnelle et leur situation économique est marquée par une instabilité, cette instabilité économique et personnelle est encore plus caractéristique chez les femmes qui ont en charge une famille 22 La famille nucléaire est composée des parents et des enfants qui vivent sous le même toit, elle s oppose à la famille élargie dans laquelle cohabitent sous un même toit, les grands-parents, (quelques fois les oncles et tantes) les parents et les enfants. Edward SHORTER «Naissance de la famille moderne, XVIIIe-XXe siècle» op. cit. 15/51

monoparentale. «C est lui en fait. Il ne veut pas être responsable, il ne fait rien, il ne veut pas de fille, il veut un garçon, c est trop compliqué. Il me tire les cheveux, il est agressif et tout, avec moi, il est comme ça. Il est né comme ça, il a un problème. Il m a laissé chez mes parents au M., et il est parti. C est comme ça qu ils font les hommes là-bas. Ils partent, ils s en fichent. Ils demandent le divorce, ils abandonnent tout. Ici, ils n osent pas le faire ici.» Q : quand êtes-vous revenue en France? R : «Je suis restée là-bas jusqu à l année 2008, je suis revenue toute seule.» Q : quand vous êtes revenue en France, êtes-vous allée voir l assistante sociale pour un hébergement? R : «oui, parce qu avant, j étais hébergée chez ma belle-sœur, mon ex m a suivie en fait, il m a hébergée et ensuite, il m a jetée dehors. J ai dû me réfugier dans un foyer.» Femme, 40 ans, ouvrière. Précarité des situations économiques et personnelles se confondent et s entretiennent, et c est la faiblesse des moyens pour y faire face qui caractérisent les personnes rencontrées. Illustration de la déviance : les addictions Pour Howard S. BECKER, la toxicomanie est un exemple de comportement caractérisant une déviance par rapport à une norme. Il définit la déviance comme une transgression à une norme et de la réponse d autrui face à cette transgression. L attitude à l égard de la déviance par rapport à une norme peut se modifier dans le temps et peut être différente selon les ethnies, les classes sociales. Il semblerait qu aujourd hui fumer de la marijuana ne soit plus considéré par les jeunes des classes populaires (et par une grande partie de la société) comme un acte déviant. 23 Pour beaucoup de plus jeunes que nous avons interviewés, la consommation de d alcool, de la drogue (souvent du cannabis) fait partie de leur expérience. Les jeunes consomment avec leurs pairs. Q : avez-vous été amené à consommer de l alcool, de la drogue? R : «On dit, quand on est jeune, on essaye, maintenant, c est fini, basta. J ai essayé le cannabis, à l âge de 17 ans, à l âge bête, vraiment. Aujourd hui, je fume 3 à 4 cigarettes par jour.» Homme, 30 ans, soudeur. Pour d autres, et c est le cas de quelques jeunes interviewés, cette consommation s enracine dans une problématique familiale (rupture familiale, famille déstructurée, père absent, parent peu présent) et sociale (ruptures scolaires, influence du cercle de pairs) et lorsqu ils ont à faire face à des difficultés, la consommation d alcool ou de drogue est une solution pour eux. Cette consommation leur permet de s évader des difficultés qu ils peuvent rencontrer. Q : avez vous été amené à consommer de l alcool, de la drogue et dans quelles circonstances? R : «avant oui, je fumais et je buvais. De la drogue et de la cigarette. Oui, (rire) j en ai déjà pris.» Q : et avez vous pu arrêter? R : «je ne fume plus, j ai arrêté, euh, j ai arrêté quand ma fille, elle est née, j ai arrêté le joint. Après, je buvais de temps en temps de l alcool, çà fait quelques mois que je ne bois plus d alcool, c est tout. Il y a quinze jours, j ai arrêté la cigarette. Des fois j arrêtais, après, je recommençais, c est une question d envie en fait, moi, c est mental. Je peux arrêter quand je veux. C est juste, moi, quand j ai envie, je fume.» Q : vous avez donc fumé des joints, vous n avez pas pris de drogue dure? R : «si j ai déjà essayé, j ai déjà pris de la cocaïne, comme çà pour m amuser, je ne suis pas toxicomane, voilà, en fait.» 23 Howard S. BECKER «Outsiders, étude de sociologie de la déviance», Métailié, 1985, 248 pages. 16/51

Q : vous prenez de l alcool et ensuite vous vous arrêtez? R : «oui.» Homme, 23 ans, installateur sanitaire. Q : avez-vous été amené à consommer de l alcool, de la drogue, à fumer et en quelles circonstances? R : «dans ma vie, oui bien sûr, oui.» Q : quoi? R : «je bois de l alcool, je fumais de temps en temps, après c est vrai, je ne suis pas accro à ça.» Q : vous parlez de la cigarette ou de la drogue? R : «de la drogue et de la cigarette. Je suis accro de la cigarette. Depuis que j ai 18 ans et demi, j ai commencé à fumer de la cigarette, bon j étais quand même quelqu un de sportif, j ai fait plus de 8 ans de football, après du jour au lendemain, j ai tout arrêté. Je suis tombé dans les mauvaises passes de ma vie voilà quoi. L alcool et plein de choses, quand ça ne va pas, on se réfugie plus ou moins dans des choses qui ne sont pas très, très (.).Puis j ai pris moins de drogue et d alcool, à un stade de ma vie. Pour moi, l alcool c était un moyen d évasion. L alcool et la musique, je suis quelqu un qui aime beaucoup se réfugier, quand ça va mal, quand ça va mal. J aime être solitaire, et voilà, avoir ma musique et cogiter, réfléchir, trouver une solution à un souci, et voilà quoi.» Homme, 21 ans, peintre en bâtiment. L association de la consommation de drogue ou d alcool à un comportement déviant est une norme partagée. Les salariés identifiés comme dépendants à l alcool n ont pas voulu participé à l enquête Quand nous avons pu rencontrer des personnes ayant fait l expérience de la drogue, celle-ci était un discours au passé vécu comme une difficulté surmontée. «Le cycle scolaire ne me convenait pas, je faisais partie de ces gens qui avaient le cerveau mais qui n avaient pas la patience, donc qui s ennuyaient à l école. Du fait que je n ai pas eu de père derrière et que ma mère était rarement là. J ai quitté l école, je suis partie en apprentissage à 16 ans. Je me suis retrouvée enceinte à 17.» Q : dans votre jeunesse, avez-vous été amenée à consommer de la drogue, de l alcool? R : «oui, oui.» Q : avez vous pu arrêter cette consommation? R : «oui, en fait c est ma fille qui m a a fait arrêter, en fait, on imagine dans quel état d esprit j étais, j étais très perdue, je suis assez vite tombée dans les drogues dures.» Q : A quel âge? R : «à moins de 14 ans. J avais commencé un peu à accrocher et quand je suis tombée enceinte de ma fille, j avais vu trop des gens mettre au monde en manque, c est vraiment quelque chose qui m avait traumatisée et ça m a arrêtée net du jour au lendemain. J ai pris beaucoup de poids, j ai essayé de ne pas avoir de suivi psychologique parce que j avais cette fierté mal placée, je voulais m en sortir toute seule. Quand les gens vous soutiennent, on aurait tendance à se laisser aller. J ai eu vraiment besoin de me reconstruire et passer par là, justement pour mes enfants.» Femme, 41 ans, technicienne en maintenance, électroménager, son et multimédia. Les personnes interviewées ont parlé de leur consommation de drogue sans appréhension et ne considèrent pas cette consommation comme une déviance. Toutefois, ils s expriment sur leur consommation de drogue au passé ou comme un problème déjà résolu. Parmi les personnes interviewées, nous avons rencontré une seule personne dépendante d une drogue dure, engagée dans un traitement de substitution, et qui a vu son contrat suspendu pour suivre une cure de désintoxication. Le discours de la majorité des accompagnants et de la direction nous indique également qu il s agit d un comportement incompatible avec un emploi dans une structure d insertion, et aucun salarié connu pour son alcoolisme n a voulu être interviewé. 17/51

Solidarité familiale et intervention sociale Pour faire face à ces difficultés, les personnes rencontrées trouvent des ressources dans le cercle familial. Dans les familles éclatées (les familles monoparentales, les familles recomposées ou les familles déstructurées), les conflits entre le jeune adulte et le parent qui en a la charge sont souvent à l origine de la rupture. Le jeune décide alors de quitter le foyer familial alors qu il n est pas indépendant financièrement. La rupture entre ces jeunes et la famille n est pas définitive, les liens se rétablissent avec l autonomisation des jeunes. Une fois stabilisés dans leur vie d adulte, avec un emploi, un logement, voire une famille, ils retissent à nouveau des liens avec les parents. Ces ruptures se font souvent dans ces familles fragilisées, sur le plan économique, familial, des liens sociaux (des déménagements suite à la rupture familiale sont autant de ruptures de liens familiaux, amicaux et de voisinage). La solidarité familiale est présente dans ces familles comme dans la famille nucléaire traditionnelle, dès lors que la personne connait des difficultés, qu elles soient d ordre financier, social, ou autre. Cette aide va du versement de la caution à l hébergement. Les personnes qui vivent dans la précarité et qui ne bénéficient plus de cette solidarité familiale vivent souvent dans un grand isolement social Certains jeunes qui ont rompu avec leur famille en quittant le domicile familial, retissent à nouveau des liens avec les parents ou avec la famille (élargie), c est d autant plus vrai que le jeune ne quitte pas la ville. Quand il y a rupture définitive des liens avec les parents comme c est le cas chez certains jeunes (ce que nous n avons pu observer), les liens avec leurs pairs se retrouvent renforcés. «C est vrai que c était un peu compliqué et nous avons eu des désaccords ma mère et moi, beaucoup de prises de tête. Après, j ai décidé de quitter la maison, de partir de chez ma mère quoi.» Q : à quel âge? R : «j avais 17 ans. J étais encore au lycée, justement, c est plein de choses qui ont fait que j ai eu plein de soucis, quoi, après je suis allé chez une tante. J ai toujours vadrouillé à droite, à gauche, jusqu à ce que j arrive à trouver une stabilité quoi. Et donc, voilà, j ai eu mon BEP en carrosserie, j ai fait deux ans de BEP et j ai eu mon diplôme. Ensuite, on m a proposé de continuer et de préparer le bac professionnel, donc j ai refait deux ans de bac pro, je n ai pas eu l examen» Q : comment votre maman a-t-elle réagi quand vous avez quitté le domicile familial à 17 ans? R : «elle n était pas d accord, non, elle a réagi et ça a créé encore plus de conflits dans la famille et non, elle n était pas d accord». Q : pendant ce temps, vous avez tout de même poursuivi vos études au lycée? R : «moi, j ai poursuivi les études.» Q : le BEP, l avez-vous préparé chez un employeur? R : «non, je l ai passé au lycée M., dans un lycée professionnel à S., pas en alternance et voilà quoi.» Q : votre maman était-elle d accord pour que vous suiviez cette filière? R : «oui, elle n a pas eu d opposition par rapport à ça, au contraire. Au moins, elle a vu que j avais quand même un projet» Q : auparavant vous naviguiez? R : «oui, je naviguais entre la famille et les amis, des fois, il n y avait personne alors je me débrouillais autrement, et voilà quoi.» Q : avez-vous passé des nuits dans la rue? R : «oui, ça m est déjà arrivé, dans la rue, bon, j étais dans les locaux, dans des voitures avec des amis. Je n étais jamais vraiment dans la rue, le trottoir, le béton. C est vrai, ce n est pas évident non plus, même si on est entouré au minimum d amis, ce n est pas évident. C est une épreuve difficile à passer. Et c est vrai que maintenant en y pensant, je me dis qu avec la patience, on y arrive tôt ou tard, avec la volonté, on y arrive.» Q : avez-vous demandé de l aide à une assistante sociale? 18/51

R : «ben si, j étais inscrit à l Étage 24, c est une association justement qui aide les jeunes qui sont en difficultés quoi, souvent là-bas, j ai eu un entretien avec l assistante sociale, elle m a fait des cartes repas pour que je mange, qui étaient subventionnées par le Conseil Général de Bas Rhin. Et je recevais des aides, des fonds d aide aux jeunes, justement comme j étais sans ressources, et voilà, si, j ai quand même été accompagné un petit peu oui.» Q : avez-vous des frères et sœurs? R : «oui, j ai deux sœurs. Une petite et une grande.» Q : vivent-elles avec votre maman? R : «ma grande sœur vit dans le sud, elle est partie voir mon père, elle a eu un bébé d ailleurs. Elle vivait dans le sud et là, elle va revenir sur Strasbourg, quoi. J ai ma petite sœur qui va au lycée, elle est en train de passer son bac, bac professionnel, elle jongle entre son père et ma mère. On n a pas le même père avec ma petite sœur en fait. J ai le même avec ma grande sœur pas avec ma petite sœur. Et voilà.» Q : votre papa, le voyez-vous encore? R : «non, c est vrai que dans ma jeunesse, je n ai pas eu trop de contacts avec lui. C est très, très compliqué, pendant de longues années on ne s est pas vu, on ne s est pas téléphoné, mes parents se sont séparés quand j étais très jeune, c est vrai qu ils se sont séparés en guerre en fait, en guerre, et après leur conflit a eu des répercussions sur nous automatiquement. Et voilà, je n étais pas en contact avec lui jusqu à je me rebelle contre ma mère, je voulais plus de liberté, et voilà, lui, il est remonté sur Strasbourg chez ma tante et du coup, euh, on se voyait, je le voyais souvent. On a commencé à renouer des rapports ensemble, par la suite, il est reparti dans le sud parce qu il a son travail, sa vie là-bas quoi. Et depuis, je vais là-bas en vacances, quand j ai des congés, on se téléphone régulièrement, c est une bonne relation quoi.» Q : et avec votre maman? R : «pour l instant c est impeccable avec les deux, parce qu en fin de compte, ils ont pris conscience que j ai grandi, que je m assume tout seul, que j ai des responsabilités. Je ne suis plus un gamin quoi. Et ça, ça fait plaisir quoi, ils ne me considèrent plus comme un petit, quoi, ils voient que je suis un homme maintenant.» Q : vous êtes donc soutenu par votre famille? R : «à partir du moment où j ai l envie de réussir, d avancer dans la vie, ils ont vite compris que je ne pourrai que réussir avec leur coup de main. Et voilà c est ce qui est actuellement en train de se produire.» Q : vous m avez dit que vous avez de la famille qui travaille dans le bâtiment, vous les aidiez? R : «j allais sur les chantiers pour voir autre chose un petit peu, ils concluaient des conventions de stage avec moi.» Q : quelqu un dans votre famille possède une entreprise? R : «donc, moi je venais, je regardais, et voilà, si je pouvais donner un coup de main, je donnais un coup de main, ça me permettait justement de retrouver un train de vie, de me lever tôt, de comprendre pourquoi on est fatigué de la journée, de voir ça, parce que j avais perdu tous ces repères-là. A force de ne rien faire, se lever à pas d heure, d être démotivé, ben, ça casse le rythme, et c est sûr que le jour où il aurait fallu que je signe un contrat, je n aurais peut-être pas tenu la route. Donc, ça m a permis de me remettre dans le bain. C était une entreprise de placo.» Homme, 21 ans, BEP carrossier. 24 L Étage lieu d'accueil ouvert en 1981 et le restaurant ouvert en 1984, au centre-ville de Strasbourg, permettent d'établir et de maintenir le contact avec une population de jeunes adultes, souvent sans domicile fixe, dont une bonne partie ne fréquente guère les lieux habituels de l'action sociale. L'Étage constitue actuellement, à Strasbourg, le principal lieu d'accueil et d'accompagnement de jeunes de moins de 25 ans en situation de rupture. Ses interventions vont du champ de l'urgence sociale aux actions de formation (depuis 1982) en passant par des actions d'accompagnement et de mobilisation (en 1991). Depuis une dizaine d années, l Étage a élargi ses services à de nouveaux publics, tout en restant majoritairement tourné vers le public des jeunes adultes. Leurs actions touchent maintenant des familles et des personnes isolées de tout âge notamment dans les dispositifs d hébergement, d accès aux soins ou d appui à la parentalité. 19/51