Le système qualité comme processus communicationnel dans l automobile :



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Transcription:

Université RENNES II UFR Arts-Lettres-Communication Master 2 Professionnel Métiers de l information et de la communication organisationnelles Le système qualité comme processus communicationnel dans l automobile : Le cas de PSA Peugeot-Citroën Rennes DRAMBA Mihaela Sous la direction du Prof. Christian LE MOENNE Année Universitaire 2009 2010

Université RENNES II UFR Arts-Lettres-Communication Master 2 Professionnel Métiers de l information et de la communication organisationnelles Le système qualité comme processus communicationnel dans l automobile : Le cas de PSA Peugeot-Citroën Rennes DRAMBA Mihaela Sous la direction du Prof. Christian LE MOËNNE Année Universitaire 2009 2010 2

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Remerciements Je tiens à remercier Erika Louis-Roy, responsable communication et relations extérieures à PSA Peugeot-Citroën Rennes, et Yann Martin, responsable qualité, qui ont accepté de me rencontrer. Mes remerciements s adressent également à mon directeur de mémoire et les autres professeurs d information-communication grâce à qui j ai appris énormément ainsi que ma famille et mes amis pour leur soutien. 4

SOMMAIRE INTRODUCTION... 7 I. QUAND LA QUALITE DEVIENT NORME : LE CAS DE PSA RENNES... 19 I.1. Investir dans la qualité : construction, normalisation, évolutions... 19 I.1.1 L entreprise évolutive...20 I.1.2. Former, participer, s engager...24 I.1.2.1. L entreprise participative...24 I.1.2.2. Formes d institution, formes de contrôle...26 I.1.3. L arrivée du client. Décloisonnement de l usine?...31 I.2. Amélioration continue : quel développement chez PSA Rennes?...34 I.2.1. Réorganiser le site de production...35 I.2.1.1. Le plan Convergence et ses effets sur le système de production...35 I.2.1.2. Le lancement, un réinvestissement dans les normes...36 I.2.1.3. Evolutions : qualité, innovation, kaizen...39 I.2.2. Agir ensemble pour la qualité?...40 II. QUALITE : (RE)AGIR AUX EVENEMENTS...45 II.1. Anticipation et résolution des problèmes...45 II.1.1. Une structuration temporelle et collective des activités...46 II.1.2. Des outils pour comprendre et agir...49 II.2. Instituer un comportement routinier : l apprentissage des crises...52 II.2.1 Routines prévisionnelles...52 II.2.2. Expériences capitalisées...55 II.3. Le discours performatif au travail...59 III. MISE EN COMMUNICATION DE L ORGANISATION : L ENTREPRISE ETENDUE... 66 III.1 Processus qualité, une cartographie de l information...66 III.1.1. Traçabilité et circulation de l information...67 III.1.1.1. Inscrire, tracer et échanger...67 III.1.1.2. Systèmes informationnels...69 5

III.1.2. Traduction et normalisation sémiotique. Le sens de l information...71 III.2 Les compétences communicationnelles à l œuvre...75 III.2.1. Un retour à l oralité?...75 III.2.2. Manager les défauts, manager le social...78 III.3. Relations avec les fournisseurs ou brouillage des frontières...80 III.3.1. Echanges entre partenaires?...81 III.3.3. Quand l écrit et les TIC effacent des frontières...83 CONCLUSION...87 BIBLIOGRAPHIE...94 ANNEXES...101 6

Introduction La thématique de la qualité dans le domaine de la communication des organisations et surtout de la gestion n est pas nouvelle. Dans les années 90 la qualité a fait couler beaucoup d encre : elle était proclamée le nouveau modèle gestionnaire, le modèle miracle qui va assurer la pérennité de l entreprise et va accroître sa productivité et sa performance. Mais nous ne nous proposons pas de la traiter du point de vue d une communication «des organisations» mais plutôt d une communication organisationnelle, c est-à-dire d une communication organisante. Et pour rendre compte de la qualité comme communication organisante nous nous pencherons sur le secteur qui avait été précurseur en France dans les années 70-80, le secteur industriel et plus précisément l automobile. Notre attention est portée vers l usine PSA Peugeot-Citroën de Rennes, exemple local en matière de qualité 1. En effet, la qualité (qualité totale, normes ISO 9001, assurance qualité ) représente le pivot central de l automobile et de l usine PSA Peugeot-Citroën de Rennes en particulier. A Rennes, la qualité n est pas un simple outil de production, mais elle est devenue une vraie culture (cf. entretiens). Dans ce sens, elle est davantage un «outil» du management et de l organisation du travail. Au fond, le «zéro défaut» serait-il un objectif quantitatif ou plutôt un principe qualitatif visant à guider les actions des salariés, à orienter leur comportement routinier et leur conduite face aux événements imprévus? Frederik Mispelblom Beyer 2 rappelle qu à l origine de la qualité totale il existe un substrat technique auquel on a greffé une philosophie gestionnaire et une certaine vision des relations organisationnelles. Elle se base sur le développement de la statistique et de divers outils techniques permettant de détecter, classifier et traiter les défauts de production. Dans les années 1970, confrontées à la concurrence japonaise et à un environnement économique et social en mutation, les entreprises françaises adoptent une autre vision de la qualité, celle de la satisfaction client. La maîtrise de la qualité s étend à l ensemble de l entreprise, autant au management qu à la division du travail. La qualité devient le moteur d une nouvelle organisation du travail. 1 Pour nous la «qualité» regroupe le management par la qualité, la qualité totale ainsi que les normes qualité et les procédures et pratiques afférentes. Dans ce mémoire le terme «qualité» sera employé pour ces notions sauf précision pour distinguer entre les concepts. Dans le titre, nous l avons appelé «système qualité» parce qu il conjugue ces concepts tout en étant plus que la somme de ces éléments. C était aussi pour pouvoir mieux souligner le caractère processuel donné par l information et la communication. 2 Cf. MISPELBLOM BEYER, Frederik. Au-delà de la qualité : démarches qualité, conditions de travail et politiques de bonheur. 2e édition augmentée. Pars : Editions de la Découverte & Syros, 1999. 303 p. 7

A l usine La Janais, le groupe Peugeot-Citroën, éprouvant entre autres des problèmes de non-qualité, a commencé dès 1979 à introduire les principes et techniques de la qualité totale même si cela a été plutôt fait à titre expérimental. En 1983 un grand projet de restructuration du site, le Plan Mercure, a renforcé ce mouvement. Son objectif était d accroître la compétitivité de Citroën en appliquant les principes organisationnelles japonais : production à «juste à temps», «zéro stock» et «zéro défaut». C est également l époque des cercles qualité : en 1980 ils étaient en nombre de 17, en 1989 ils étaient près de 450. L adhésion du personnel était primordiale pour la gestion de la qualité. Les cercles de qualité n avaient pas seulement un rôle technique de mise en relation avec les technologies et de résolution des problèmes mais également un rôle institutionnel, c est-à-dire d expliquer et de légitimer les changements, de susciter l engagement des salariés pour la qualité. Aujourd hui, les cercles de qualité n existent plus. Par quels moyens suscite-t-on maintenant l adhésion et la formation des salariés à la qualité? Il n existe plus une démarche de grande ampleur puisque le site rennais est déjà parmi les meilleurs du groupe en termes de qualité. S agirait-il davantage d une «routinisation» de la sensibilisation à la qualité? Ce mémoire a comme but d appréhender la qualité comme un phénomène communicationnel. Mais quelles relations existent entre la qualité et la communication? Question pas évidente autant pour les profanes que pour les professionnels de la communication (cf. entretien responsable communication). Dans le monde du travail de l usine La Janais les choses sont simples en apparence : le service communication «fait de la com» tandis que le service qualité a ses propres fonctions. La séparation fonctionnelle tayloriste perdurerait-elle encore? Ou s agirait-il d une question de légitimité et d assignation de territoires? Certes, la qualité, la communication sont profondément liées à la notion de pouvoir, des sphères d influence, des zones d incertitude ; mais ce n est pas notre but de les analyser selon le modèle crozierien. Il ne faut pas oublier ici que le service communication n a pas obtenu depuis longtemps son indépendance : jusqu au début des années 2000 il était rattaché à la Direction des Ressources Humaines (DRH). 8

Pourtant, il serait intéressant de prendre en compte dans notre étude les interactions entre les services puisqu elles apportent des éléments pouvant éclaircir cette séparation nette des services ou plutôt le cloisonnement, la réduction de la communication à la fonction «officielle» de communication (journal interne, animations dans l usine, affichage). Cela soulève la question : où est la communication dans l usine? Est-elle faite seulement par l équipe de cinq personnes du service communication? ou bien elle touche également d autres niveaux? Mais pourquoi ce cloisonnement? Ne dit-on que la communication et la qualité sont des processus transversaux? En effet, cette transversalité nous permet de rapprocher ces deux pratiques. La communication est souvent relayée par les cadres ou les responsables d unité. La qualité est un devoir qu aucun employé ne peut pas y échapper, ni même les chargés de communication. Cette caractéristique n est pas leur seul point commun. En fait, la qualité et la communication en tant que phénomènes de masse, structurants et structurés sont nées au sein des entreprises industrielles dans un moment critique : le modèle tayloriste n était plus en adéquation avec la réalité marchande et sociale. Leur essor correspond à une crise des modes managériaux. Christian Le Moënne précise que «l explosion du conseil en communication ( ) résulte certainement de cette perte de repères des dirigeants d entreprise confrontés à des problèmes qu ils ne savaient ni bien analyser, ni bien résoudre, et qui étaient finalement assez extérieurs à ce qui constituait jusque-là le cœur de leur culture» 3. Quant à la qualité, elle s est imposée en France par l importation du modèle japonais censé résoudre les problèmes auxquels les entreprises se confrontaient. Il s agit du contexte d instabilité économique déclenchée par la crise du pétrole de 1973 et l effondrement de la demande. Elles se donnent donc comme solutions face à l incertitude qui fait sentir davantage son poids dans le monde organisationnel. Les deux seront des réponses organisationnelles et managériales au temps de crise de notre société. C est dans ce contexte-là que l information joue davantage un rôle essentiel. L automatisation, les systèmes d information, la numérisation ont peu à peu conquis l automobile. Daniel Bell affirme que 60% des activités industrielles sont en réalité des 3 In : LE MOËNNE, Christian. «Communication "by smiling around" et crise managériale». In Réseaux, marsavril 1994, n 64, p.35 9

activités d information. En fait, ces dernières prennent diverses formes : écrits, cahiers de chargé, référentiels, présentations, etc. et structurent l organisation qui se disloque dans l espace. Toutes ces traces ne viseront-elles pas à introduire une certaine prévisibilité de la productivité et un certain contrôle sur les activités, sinon sur les aléas? C est le modèle de la firme Japonaise qui avait introduit l idée de coordination horizontale, de partage de l information afin d assurer une coordination au plus juste, une réactivité accrue de l entreprise et de fait, une bonne qualité de produits et de services. Ainsi, le développement de la culture qualité en usine nous semble étroitement lié à la circulation de l information. D ailleurs, selon la philosophie de Kaoru Ishikawa, l idéal de qualité totale ne serait atteint que dans une organisation transparente ayant comme fondement la traçabilité des activités et la fluide circulation des informations. Dès lors, on pourrait dire que la qualité engendre ou se base sur des processus communicationnels. Les dispositifs qualité ne seront-ils que des dispositifs d informationcommunication? Ainsi, on est amené à poser la problématique suivante : en quoi les normes qualité agissent-elles comme des référentiels d action et de mise en communication de l organisation? Une seconde problématique viserait à étudier les référentiels et normes qualité comme dispositifs performatifs face aux aléas et aux recompositions organisationnelles. Notre hypothèse est que les normes, référentiels, standards qualité ont la capacité d engendrer des liens organisationnels et communicationnels. Comme on l a déjà remarqué, la qualité est l affaire de tous dans l usine rennaise. Pourtant, tout en prenant en compte l ensemble des salariés qui travaillent dans l esprit qualité, nous allons nous attarder également sur le service qualité de l usine. Comment et pourquoi le service qualité communique-t-il et produit-il de l information? A ce stade, il nous paraît important de définir notre conception de la communication. Ce qui nous intéresse notamment dans cette étude est son aspect organisationnel. Notre postulat est que la communication n appartient pas uniquement au service communication, mais qu elle est un processus transversal et complexe qui organise l entreprise. Elle n est pas circonscrite dans une vision mécaniste, techniciste ou commerciale, elle devient l un des fondements de l organisation. Autrement dit, l idée structurante de ce mémoire est que les processus informationnels et communicationnels se trouvent au cœur des processus 10

managériaux, que les ajustements, l (auto)adaptation de l organisation reposent sur la codification et la normalisation. Par communication organisationnelle nous comprenons le processus d explicitation, de construction, de traduction des normes qui régissent l organisation, sa structuration ou le travail. Ce sont les normes qui donnent l ossature à l entreprise. On peut y inclure les divers types de procédures, de référentiels, d écrits normatifs. Dans ce sens, les normes qualité décrivent et structurent les formes organisationnelles. Elles offrent du sens au travail et donnent les objectifs de l action collective. Mais ce type de communication s appuie également sur deux autres : la communication managériale qui encadre et mobilise les salariés et la communication institutionnelle qui légitime, institue les valeurs, les décisions, les activités diverses. C est pourquoi, nous nous pencherions sur plusieurs dimensions de la qualité : la formation et les compétences des salariés, les écrits et la circulation de l information, la politique du management et l organisation du travail. Pour saisir ces problématiques nous nous sommes appuyés sur le concept de norme et les théories de la régulation et des conventions et sur le concept de l organisation come écrit. Les normes qualité sont des normes techniques, des artefacts, qui se concrétisent dans des pratiques et procédures, dans des textes et des objets. Les normes techniques sont des négociations, des compromis, telle la norme ISO 9001 4 qui donne les orientations du management qualité au niveau de l entreprise entière. Ainsi, elle a été révisée plusieurs fois, la dernière version datant de 2008. Hormis ce standard qui ne dépend pas du secteur d activité ou de la taille de l entreprise, il existe des normes internationales plus spécifiques à l automobile. Notons ici par exemple la norme ISO/TS 16949 : 2009 pour la chaîne d approvisionnement qui comprend également les exigences de management de l ISO 9001 : 2008. Celle-ci répond à l environnement particulier de l automobile, à la dislocation des sites et à la mondialisation et impose donc, un standard commun à tous les fournisseurs en vue d une optimisation de la qualité. Comment ces normes sont traduites au niveau de l usine? Elles affectent tous les niveaux : de la conception jusqu à la production et à l après-vente. Elles se cristallisent dans 4 Les normes ISO 9000 ont été conçues dans les années 80 (la première version datant du 1987) afin d assurer une base normative au management qualité et d unifier les démarches qualité dans tous les pays et tout type d entreprise. 11

des règles et des politiques du management, dans des normes écrites et des pratiques procédurales. Mais, les normes qualité «en interne» dépassent largement une simple traduction des normes ISO. Elles sont crées dans le groupe PSA selon les projets organisationnels et réactualisées perpétuellement au niveau du site de production. On a affaire à une formalisation de l organisation où les règles et les procédures sont (re)construites en fonction des objectifs fixés. Au niveau de l organisation, les règles en qualité dirigent certainement les actions des acteurs. Cependant, les acteurs ont leur propre marge d autonomie qui fait qu ils agissent également sur les normes ; les traductions des normes dans les écrits aux divers niveaux se feraient par des conventions entre les acteurs, des négociations en fonction de contextes particuliers et de normes générales. Ainsi, pour nous, l action précède les normes mais en même temps ces dernières influent sur les activités des gens. On doit faire ici la distinction entre normes écrites et normes non-écrites, entre normes formelles et normes informelles. Selon Gilbert de Terssac ces normes ne sont pas antagonistes mais complémentaires puisque les exécutants retravaillent les règles en fonction des contraintes implicites de production 5. Ainsi, il nous paraît important de prendre en compte autant l explicite que l implicite des normes écrites dans les situations de travail. Dans ce cas, la traduction des normes de qualité en référentiels et ensuite en standards de travail révèle autant un langage que des constructions et des principes de contrôle. La multitude des écrits qui résultent du travail en qualité, la circulation des informations que cela présuppose nous offrent une image de l entreprise comme texte, comme un ensemble de traces où le processus de traçabilité est fondamental. La mémoire par les traces viserait à offrir de la permanence et de la stabilité à l entreprise processuelle. Autrement dit, le texte met en ordre l organisation. Ici, on rejoint l idée de James R. Taylor qui fait une distinction entre la conversation, mode éphémère de communication, et le texte, mode symbolique et permanent. Cela signifie que la conversation est désordre tandis que l écrit est ordre. Dans les entreprises à forte 5 Cf : TERSSAC, Gilbert (de). Autonomie dans le travail. Paris : PUF, 1992. 279 p. 12

composante rationnelle-légale, toutes les conversations, comme par exemple les réunions, débouchent toujours sur des textes. Mais si les écrits sont de l ordre de la permanence, cela ne signifie pas qu ils restent inchangés. Les écrits changent tout comme l organisation change. Ainsi autour de ce «script commun» qui est susceptible d être modifié, des opérations de mise en forme ou bien des investissements de forme 6 se cristallisent et font évoluer continuellement l organisation selon les projets. Les investissements de forme codifient les relations et aident à créer un collectif et lui offrent de la stabilité. Ces formes conventionnelles se basent sur l engagement des acteurs et permettent la coordination de l action. Il faudrait préciser que pour nous les écrits forment un réseau qui forme l organisation ; ils sont des intermédiaires 7 ainsi on ne prend pas seulement en compte les «papiers» comme écrits mais tous les objets communiquant et reliant les gens, comme par exemple le kan-ban ou les panneaux électroniques indiquant les degrés de qualité pour chaque atelier. L analyse des écrits et leur circulation permettrait de passer de l individuel au collectif, de dépasser les logiques d action des individus particuliers et d avoir une vision étendue de l organisation, tout en prenant en compte les niveaux méso et macro. Si pour Karl E. Weick les engagements individuels se trouvent à la base des formes organisationnelles, on pourrait dire dans notre cas que ce sont les engagements du type fournisseur-client qui ré-accomplissent, redisent les faits organisationnels. Et les conventions créées autour de la satisfaction client représentent le cadre commun d interprétation de l action. Donc, le principe d action général est la qualité, qui converge dans les discours avec la rentabilité, la compétitivité, le coût et les délais, la résolution de problèmes, l engagement etc. Ce sont des acteurs hétérogènes qui «bricolent» afin de «satisfaire le client». Ainsi, ils essaient de faire sens des normes qualité qui formalisent leurs habitudes, leurs pratiques. On pourrait même avancer ici l idée que le management qualité aurait comme objectif l ordre puisqu il coordonne les salariés afin d assurer un flux continuel de production. 6 Notion développée par Laurent Thévenot dans son article «Les investissements de forme», in Conventions économiques, Cahiers du CEE, 1986, n 29, p.21-72. Il a observé que la production dépend, hors les ressources matérielles et humaines, de procédures et de conventions. Il a interprété les prescriptions tayloriennes comme des établissements de règles, des investissements de forme nécessaires à ce type de production. Thévenot définit l investissement comme «une opération comme l établissement, coûteux, d une relation stable pour une certaine durée». Donc, la caractéristique principale d un investissement est la stabilité qu il offre. 7 Ce concept est emprunté à la théorie de la traduction (Latour & Callon). 13

Il contrôle, anticipe pour que l organisation ne soit pas débordée par les événements d exception. Sous cette optique, la qualité côtoie la gestion de risques et de crises. Notre vision sur cette question a été influencée par les sciences cognitives et les théories de l action organisée et la construction collective du sens (sensemaking). Cette dernière s appuie sur la transformation de la complexité du monde réel, qui nous dépasse, dans une complexité que l on peut saisir. Selon Karl E. Weick, «face à une interruption, les gens semblent chercher d abord des explications qui leur permettent de continuer l activité interrompue et de rester en action» 8. Toutes ces normes écrites permettent en effet aux salariés de continuer leur travail parce qu ils leur donnent des cadres d action. Il s agit ici également d un travail continu de prévision et d anticipation des interruptions, des pannes, des dysfonctionnements. Cette conception de l action organisée rejoint la notion d organisation processuelle : le sens visé par les documents qualité serait d offrir des systèmes d action collective qui se maintiennent et se renouvellent perpétuellement. Méthodologie La rédaction de ce mémoire a supposé de notre part une démarche en trois temps. Il nous a paru nécessaire d approfondir les théories de la qualité. En même temps, le terrain nous a permis d appréhender ce phénomène sous une lumière particulière et enfin, les observations recueillies nous ont conduit à des modèles et théories utilisés pour dénouer les problématiques perçues. C est dans l aller-retour entre le terrain et la théorie que notre réflexion s est développée et que nous avons construit notre objet d étude. Les questions qui se trouvent à la base de ce mémoire ont été donc suscitées par le terrain. De même, nous avons essayé de vérifier nos intuitions en interrogeant les gens et les écrits. Faute de temps et de moyens, nous n avons pas pu réaliser une observation participante. Cependant, nous avons eu l occasion de visiter les bureaux du service qualité, organisés en open-space, et également l atelier de montage. Cette expérience nous a permis de voir à l œuvre la qualité : tâches, gens, dispositifs, documents. En effet, nous avons conduit quatre entretiens, le choix de l échantillon a été fait par rapport à notre sujet de recherche. Ainsi, ce qui comptait était de bien choisir ses 8 In : préface de Karl E. Weick à l ouvrage : VIDAILLET, Bénédicte (dir.). Le sens de l action. Karl E. Weick : sociopsychologie de l organisation. Paris : Vuibert, 2003. p.1 14

«informateurs». Entre les entretiens libres (l enquêteur indique seulement les thèmes et laisse l enquêté développer librement les sujets) et directifs (l enquêteur pose des questions exactes), nous avons choisi la voie du milieu : le semi-directif. Ainsi, la grille des questions est restée assez souple et a permis aux interviewés de manifester leurs pensées et leurs représentations. Afin de faciliter une certaine réflexion sur leurs actions (tout en étant conscients des limites de cette approche), nous leur avons expliqué les objectifs, les thèmes et les conditions de recherche avant l entretien. Les entretiens ont été réalisés sur le lieu de travail, sauf l entretien avec le responsable qualité fournisseurs qui a été fait par téléphone. Les interactions avec les interviewés nous ont permis d appréhender leur monde et d arriver à une compréhension plus approfondie de notre problématique étant donné les différents points de vue des acteurs : la responsable communication et le responsable qualité ; le responsable qualité fournisseur et le manager de la part des fournisseurs. Chaque acteur est venu avec sa propre vision sur la qualité comme processus communicationnel, avec son vécu, ses expériences et son rôle dans l organisation du travail. Pourtant, tous ces angles se complètent. L entretien avec le responsable ligne produit nous a paru intéressant parce qu il s agissait d une part, d avoir l avis d un manager et d autre part, de laisser la parole à une catégorie centrale dans l automobile et le système qualité : le fournisseur. En fait, cette interview a fonctionné comme entretien complémentaire proposant un autre point de vue et également, étant chronologiquement la première, elle a eu une fonction exploratoire du monde automobile et de la qualité (qui explique une certaine généralité des thématiques de l entretien). Cet échange en présentiel a été complété par un premier échange par mail. Afin de conserver l anonymat de cette personne, nous avons procédé à l effacement des données potentiellement sensibles lors de la transcription. La divergence des points de vue a été même pour nous une réelle provocation : il nous a fallu nous ajuster en fonction de notre interlocuteur. Par exemple, l entretien avec le responsable qualité a été un rendez-vous entre deux mondes : l un ayant une approche communicationnelle et l autre une approche plus technique de la qualité. Hormis le fait que nous devrions obtenir des informations et ses opinions, ses représentations sur les thèmes abordés, nous avons dû saisir et pénétrer dans son monde. Pour cela nous avons essayé de poser des questions concrètes qui pouvaient aider à établir un «terrain d entente». Toutefois, ces expériences nous ont été particulièrement utiles puisque la recherche se construit au fur et à mesure qu on interagit avec l objet d étude. 15

De même, nous avons pu expérimenter certains obstacles qui peuvent apparaître lors des démarches d un chercheur. Il s agit ici de la réticence face à notre objet de recherche : selon certains acteurs, qualité et communication ne font pas bon ménage, elles n appartiennent pas au même registre, au même monde organisationnel. D où le réel besoin de justifier ce rapprochement dans la présente introduction. Cependant, cela nous a permis d observer sur le vif la réduction de ce qui est la communication aux missions spécifiques de la direction communication. Nous avons également constitué un corpus de textes comprenant d un côté des documents de travail et de l autre côté des discours institutionnels, officiels. Cette dernière catégorie contient des pages des sites institutionnels PSA et PSA Rennes, des articles des journaux internes Planète PSA et Planète Rennes et des plaquettes de présentation de l usine La Janais. Ces textes ont autant une valeur informative que représentative et institutionnelle. Ils sont aussi des «espaces de communication» qui révèlent, entre autres, la place de la qualité dans les processus organisationnels. Plus intéressants peut être pour notre problématique, les documents de travail sont en effet un échantillon des écrits qui circulent dans l organisation et structurent les relations au travail et les relations client-fournisseur : référentiel qualité fournisseurs, présentation du management qualité fournisseurs, exemples de résolution de problèmes, fiches qualité. Ces documents réalisés au cours des activités nous offrent la possibilité de mieux saisir la constitution des normes d action. Ils ont été aussi utiles pour mieux appréhender comment les acteurs gèrent les risques et les dysfonctionnements. Donc, nous avons saisi ces textes comme «des actes, des projets, qui ont la consistance du passage à l écrit, de la stabilisation des formes et des rapports humains qui vont au-delà de l interaction et se développent dans des durées qui dépassent les individus» 9. Issus des situations de communication, ces écrits formalisés participent à l institution des formes plus stables, à la normalisation des relations, des habitudes et des situations exceptionnelles. Ces recherches documentaires ont été complétées par des articles de journaux régionaux (Ouest-France, Le Télégramme) ou industriels (Usine nouvelle), des documents d archive qui ont permis d observer la construction de l engagement qualité dans le temps 10, des descriptions de poste et compétences provenant des sites d emploi et de réseaux sociaux professionnelles (Viadeo) qui nous ont permis d appréhender les dimensions qualité et 9 In : DELCAMBRE, Pierre. «Quels corpus pour la recherche sur les pratiques de communication dans les entreprises et les organisations?». In Sciences de la Société, mai/octobre 2000, n 50/51, p. 74 10 Documents présentés dans les annexes de la thèse de doctorat de B. Parent : Communication, système d information et changements organisationnels, Une étude de cas dans l industrie automobile. 16

communicationnelles d une part dans la gestion des ressources humaines de PSA et d autre part dans les présentations faites directement par les employés. Plan Tenant compte de notre questionnement du départ, nous avons reparti notre étude en trois grands chapitres. Une première partie posant les bases de la qualité comme processus organisationnel. Il s agit de voir quelles modifications le système qualité a engendré dans l entreprise en insistant sur l organisation du travail et le développement des compétences et la formation des salariés. Ensuite, dans la deuxième partie nous allons approfondir le rôle de la qualité dans les recompositions organisationnelles. Ainsi, nous allons nous attarder sur la construction des normes d action dans des situations de dysfonctionnement. Enfin, la troisième partie développe davantage les aspects communicationnels de la qualité. Cette dernière opère une mise en communication de l usine entière à travers ses dispositifs, ses écritures. De plus, l écrit travaille aussi les frontières de l entreprise : comment les écrits qualité structurent les relations entre les clients et les fournisseurs? Comment ils modélisent les frontières de l organisation? 17

Première partie Quand la qualité devient norme : le cas de PSA Rennes 18

I. Quand la qualité devient norme : le cas de PSA Rennes Cette partie rend compte du rôle de la qualité dans les recompositions organisationnelles. Il s agira de comprendre comment et pourquoi la qualité est un référentiel de pilotage de l action collective au niveau global de l organisation. En quoi structure-t-elle l organisation et entre-t-elle dans la culture organisationnelle? Le développement de la qualité comme norme dans l industrie de process est lié aux évolutions des modèles organisationnels et aux processus de normalisation industriels et techniques. L avènement du management qualité est accompagné de fortes restructurations de l organisation du travail et de l usine. Autant ces changements que la construction d une culture qualité seront envisagés dans les discours et dans les pratiques. On a affaire à une réorganisation autour des notions de «flux», de «coopération» et de «client». I.1. Investir dans la qualité : construction, normalisation, évolutions On a toujours pensé la production comme un mécanisme mobilisant des ressources. Mais c est assez récemment qu on a accepté l idée que les ressources ne se réduisent pas aux hommes ou aux matériaux. Laurent Thévenot 11 parle de normes, de conventions, de standards comme outils complémentaires à la production, qui se réaliserait par des investissements de forme. L hypothèse que nous tenterons d étudier dans cette partie est que la qualité est devenue la norme à PSA Rennes à travers un investissement de forme complexe, processus continuel qui perdure encore. Ce sont les investissements, les engagements qui ont permis la construction, la diffusion et l évolution d une culture qualité. Comment cette culture a-t-elle été instaurée? Pourquoi a-t-on investi en elle? Pourquoi agit-on au nom de la qualité? En quoi est-elle devenue un vecteur de mobilisation? Ne serait-elle pas devenue un argument dans les discours managériaux pour mettre en acceptabilité le changement? 11 Cf. THEVENOT, Laurent. «Les investissements de forme». In Conventions économiques, Cahiers du CEE, 1986, n 29, p.21-72 19

I.1.1 L entreprise évolutive 12 Le management de la qualité totale débute chez PSA Rennes, comme nous l avons déjà présenté dans l introduction, à travers l implantation du Plan Mercure (1984). Ce dernier est en effet un projet de renouvellement du site et se traduit dans des investissements dans l automatisation des ateliers, les dispositifs de transmission de l information et les nouveaux modèles de management. Ces changements sont présentés comme nécessaires au développement de l entreprise, voire à sa pérennité. Raymond Raverel, Directeur Général et membre du Directoire de Citroën, déclare en juin 1980 dans le journal d information interne : «A l heure actuelle, nous sommes placés dans une situation nouvelle et l avenir de l industrie automobile française fabricants d équipements, fournisseurs et constructeurs dépendra largement de sa faculté d adaptation aux contraintes qui lui seront imposées. Le niveau de production dépend du marché, donc du client, qui cherche la meilleure prestation qualité prix, et les techniques de production sont un des éléments essentiels de ce challenge international» 13. L idée centrale des discours est que l usine doit s adapter à son environnement. Le principe qui guide la nouvelle organisation serait celui de l entreprise évolutive et innovante puisqu elle doit se transformer en fonction de l environnement, anticiper ses changements, autrement dit, elle devient processus, transformation. Et tout cela se ferait dans le but de s améliorer continuellement. A ce moment-là, c était le bon rapport qualité-prix qui constituait le véritable atout sur le marché automobile. Et Citroën se confrontait déjà aux problèmes de non-qualité 14. Le plan Mercure a été l aboutissement des recherches de solutions pour régler la crise qui risquait de submerger l entreprise : «le plan Mercure définit une organisation industrielle qui permet d adapter en permanence les moyens de production aux fluctuations du marché. Cette organisation se compose de principes fédérateurs et de méthodes précises, spécifiques et 12 Terme entré récemment dans la littérature gestionnaire et reliant le changement organisationnel aux notions de flux et systèmes informatiques. A ce titre, on mentionne l ouvrage L EAI au service de l entreprise évolutive, de Georges Abou-harb et François Rivard. Dans notre mémoire ce terme désigne le principe «évolutionniste» et évolutif des politiques gestionnaires qui mettent au centre de l organisation la nécessité du changement pour assurer la performance et qui traduit en effet, au niveau managérial, la réalité de l organisation processuelle. 13 In : Citroën Information, juin 1980. D après PARENT, Bertrand. Communication, système d information et changements organisationnels, Une étude de cas dans l industrie automobile. Thèse de doctorat en Sciences de l Information et de la Communication. Université de Rennes 2, 2004. 14 Xavier Karcher, Directeur Général membre du Directoire, souligne dans une note adressée aux cadres en juin 1980 l importance que le problème qualité a prise dans la stratégie du groupe : «ce problème est toujours d actualité pour Citroën, son personnel, ses fournisseurs et surtout ses clients». On en a organisé des séminaires et des audits internes. 20