le dualisme, 1 philosophie de la psychologie et des sciences cognitives séance 2

Documents pareils
«Je pense, donc je suis» est une grande découverte

Suis-je toujours le même?

3 thèses : Problématique :

Méthode universitaire du commentaire de texte

PEUT- ON SE PASSER DE LA NOTION DE FINALITÉ?

Que peut nous apporter une réflexion sur nos désirs?

Peut-on assimiler le vivant à une machine?

Doit-on douter de tout?

COMMENT DÉCOUVRIR SA VOCATION

Nature et formes du don : résumé

Faut-il tout démontrer?

La protection de vos données médicales chez l assureur

Sur «Quelqu un peut-il connaître une même chose mieux qu un autre?» de Thomas d Aquin

GUIDE INVESTISSEURS. Donnez du sens à votre argent

Service public d éducation et d information juridiques du Nouveau-Brunswick

d utilisation de la doctrine sociale de l Eglisel

Un écrivain dans la classe : pour quoi faire?

«POUR NOUS IL L A FAIT PÉCHÉ» Sur II Corinthiens V, 20 - VI, 2

> Tome 1 : La raison et le réel. Cours-PH Cned Académie en ligne

Chacun peut-il penser ce qu il veut? - Chacun : concerne l individu, pas la collectivité - Peut-il : a) a-t-il la capacité? b) a-t-il le droit?

Il y a un temps pour tout «Il y a un temps pour tout et un moment pour chaque chose», dit l Ecclésiaste signifiant ainsi à l homme qui veut accéder à

Plan et résumé de l intervention de Jean-Philippe Dunand

Relation entre deux variables : estimation de la corrélation linéaire

Bien comprendre et bien choisir votre complémentaire santé

Cela lui fut imputé à justice. Lecture de l épître de Saint-Paul aux Romains, chapitre 3, versets 27 à 31 et chapitre 4 versets 1 à 25 :

LE COMBINATORIALISME ET LE RÉALISME NOMOLOGIQUE SONT-ILS COMPATIBLES? Max KISTLER

Chapitre 1 : Notions. Partie 9 - Rente viagère. Qu est-ce q u u n e «r e n t e v i a g è r e»?

Traduction 1

Comment peut-on violer les lois de la nature? L argument compatibiliste de David Lewis

Pascal Engel. Si l une des marques de l époque moderne a été le désenchantement. vis à vis des valeurs, et en particulier vis à vis des valeurs de la

POURQUOI DIEU PERMET-IL LE MAL? Masson Alexis -

Il y a trois types principaux d analyse des résultats : l analyse descriptive, l analyse explicative et l analyse compréhensive.

«Longtemps, j ai pris ma plume pour une épée : à présent, je connais notre impuissance.»

Garde des enfants et droit de visite

COMMENT PARLER DES LIVRES QUE L ON N A PAS LUS?

Est-ce que les parents ont toujours raison? Épisode 49

I. Une nouvelle loi anti-discrimination

Objet : Nouvel exposé-sondage ES/2011/6, Produits des activités ordinaires tirés de contrats avec des clients

ATELIER DROIT DES CONTRATS, DE LA CONSOMMATION ET DU COMMERCE ELECTRONIQUE

Accord négocié régissant les relations entre la Cour pénale internationale et l Organisation des Nations Unies. Préambule

Un Certain chemin de vie

Entraînement, consolidation, structuration... Que mettre derrière ces expressions?

Qu est-ce que l interprétation?

LA PNL. Programmation Neuro Linguistique

DE ENTE ET ESSENTIA L ÊTRE ET L ESSENCE

JOURNEES COLOMBIENNES

30 mai Interpellation du groupe socialiste

Politique d enregistrement du.bzh

Séance 1 : 1 ère séance concernant cet album.

Rappel sur les bases de données

Descartes Discours de la méthode

Document d information

L état de mort cérébrale: approche transculturelle

Ne vas pas en enfer!

GESTION DE RISQUES Août 2007

Sergiu Celibidache: La musique n est rien

Colloque AJAR du 5 décembre 2013 Le conseil constitutionnel et l assurance

Interview avec Pascale Garnier, docteur en sociologie et professeur en sciences de l'éducation à l'université Paris 13

Quelques exemples de croyants célibataires

France métropolitaine, juin 2008 SUJET 7. Série ES, France métropolitaine, juin 2008

Be selective. Swiss Invest. En Suisse, votre capital évolue comme vous le souhaitez.

LES GAZ D ECHAPPEMENT DES MOTEURS DIESEL CANCEROGENES

CHAPITRE 4. APPLICATION DE LA NOTION D ETABLISSEMENT STABLE

Y A-T-IL COUPLE? Introduction. Pour qu il y ait couple, il faut du temps

Commentaires. Michael Narayan. Les taux de change à terme

Une nouvelle assurance soins de santé pour tous

Consignes pour les travaux d actualité Premier quadrimestre

Une stratégie d enseignement de la pensée critique

Théories criminologiques II (CRM 3701)

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE Echelle des traitements 2015 Valable dès le Office du personnel de l'etat Indexation de 0.

Création d un groupe de réflexion, de formation, de prière et de service missionnaire pour les jeunes professionnels

Fonction éducative, fonctions psychologiques, deux réalités d une intervention. Jérôme THONON 1

Synthèse «Le Plus Grand Produit»

Consultation sur le référencement entre assureurs de dommages et carrossiers. Commentaires présentés à L Autorité des marchés financiers

Épargne vs investissement : épargner autrement

Primaire. analyse a priori. Lucie Passaplan et Sébastien Toninato 1

Fiche d animation n 1 : Pêle-mêle

LE CONTENU DES MODALITÉS DE SERVICE

PRÉPARATION TERMINALE AVANT UNE ÉCHÉANCE MAJEURE

Briller dans la communauté

QUATRIÈME OBJECTIF: VOUS AVEZ ÉTÉ CONÇU POUR SERVIR DIEU

Contradicting Beliefs and Communication. J.-M. Tallon, J.-C. Vergnaud, & S. Zamir CNRS-EUREQua

Stratégie de la surveillance des assurances en Suisse

COUPLE ET PROBLÈMES SEXUELS

Intérêts fixes VS intérêts dégressifs Quelle est la différence?

Fonds d investissement Tangerine

Comment Dieu s adresse-t-il à moi?

Si on parlait de culture

POLITIQUE D ENREGISTREMENT EN.PARIS 1

Accès des gouvernements aux données du secteur privé

La complémentaire santé éthique

UN CERTAIN ÉVANGILE SOCIAL

La responsabilité civile délictuelle et les quasi-contrats

Le Québec, terre de traduction

Conseil canadien de la magistrature Voies de fait et autres infractions contre la personne n entraînant pas la mort

Les obstacles : Solutions envisageables :

Modulo Bank - Groupe E.S.C Chambéry - prérequis à la formation - doc. interne - Ecoute active.doc Page 1

Evaluation des risques et procédures d audit en découlant

NOTIONS DE PROBABILITÉS

Transcription:

le dualisme, 1 philosophie de la psychologie et des sciences cognitives séance 2 M. Cozic

Descartes (1596-1650)

pourquoi Descartes? (i) D. élabore et défend une théorie sophistiquée et systématique de l esprit/la pensée: le dualisme cartésien (ii) cette théorie cherche à maintenir deux intuitions fortes sur l esprit et le corps: (1) intuition d hétérogénéité: l esprit est vraiment une chose à part du corps et (2) intuition d interaction: le corps (et le monde physique) agit sur l esprit et l esprit agit sur le corps (iii) la théorie cartésienne est le point de départ des débats classiques sur le corps et l esprit (Leibniz, Malebranche, Spinoza, etc) (iv) la théorie cartésienne reste une référence incontournable dans la philosophie de l esprit contemporaine

1. Le dualisme cartésien: doctrine

qu est-ce qu une substance? (1) la substance comme porteur de propriétés : Descartes, Réponses aux Secondes Objections, Abrégé géométrique, Clas. Garnier, pp. 587-8 V. Toute chose dans laquelle réside immédiatement, comme dans son sujet, ou par laquelle existe quelque chose que nous concevons, c est-à-dire quelque propriété, qualité, ou attribut, dont nous avons en nous une réelle idée, s appelle Substance... Exemple : je peux attribuer à mon lit une longueur et une largeur : il est le porteur de telle longueur (x cm) et de telle largeur (y cm)

qu est-ce qu une substance? (2) la substance comme chose qui existe par elle-même (Principes (par. 51), une chose qui est de soi capable d exister, Méditations III). exemple: moi, une pierre, Dieu Idée : il y a un couple ontologique substance/propriété marqué par une asymétrie profonde : les substances existent par elles-mêmes tandis que les propriétés existent par les substances. substances particulières vs. types (ou genres) de substance supposons qu un être appartienne à une substance S (au type de substance S). Il y a des propriétés qu il a nécessairement en tant qu il appartient à la substance S : ce sont des propriétés que tout ce qui relève de la substance S possède. D. appelle une propriété de ce genre un attribut principal.

l esprit et le corps chaque type de substance a un attribut principal, qui constitue la nature ou l essence de ce type de substance. Les autres propriétés d une substance peuvent se concevoir comme des modes de cet attribut caractéristique. Les autres propriétés présupposent l attribut principal. Descartes, Réponses aux Secondes Objections, Abrégé géométrique, Clas. Garnier, pp. 587-8 VI. La substance, dans laquelle réside immédiatement la pensée, est ici appelée Esprit.... VII. La substance, qui est le sujet immédiat de l extension et des accidents qui présupposent l extension, comme de la figure, de la situation, du mouvement local, etc., s appelle Corps.

l esprit et le corps, suite qu est-ce que le corps? qu est-ce que l esprit? Descartes, Principes, I,53 : Mais, encore que chaque attribut soit suffisant pour faire connaître la substance, il y en a toutefois un en chacune, qui constitue sa nature et son essence, et de qui tous les autres dépendent. A savoir l étendue en longueur, largeur et profondeur, constitue la nature de la substance corporelle ; et la pensée constitue la nature de la substance qui pense. Car tout ce que d ailleurs on peut attribuer au corps, présuppose de l étendue et n est qu une dépendance de ce qui est étendue ; de même, toutes les propriétés que nous trouvons en la chose qui pense, ne sont que des façons différentes de penser.

l esprit et le corps, suite qu est-ce que le corps? qu est-ce que l esprit? Descartes, Principes, I,53 :...Ainsi, nous ne saurions concevoir, par exemple, de figure, si ce n est en une chose étendue, ni de mouvement, qu en un espace qui est étendu ; ainsi l imagination, le sentiment et la volonté dépendent tellement d une chose qui pense, que nous ne les pouvons concevoir sans elle. Mais, au contraire, nous pouvons concevoir l étendue sans figure ou sans mouvement, et la chose qui pense sans imagination ou sans sentiment et ainsi du reste.

formes de la pensée Descartes, Principes, I,9 : Ce que c est que penser. Par le mot de penser, j entends tout ce qui se fait en nous de telle sorte que nous l apercevons immédiatement par nous-mêmes ; c est pourquoi non seulement entendre, vouloir, imaginer, mais aussi sentir, est la même chose ici que penser.

résumons Descartes reconnaît l existence de deux types de substance : l esprit (ou l âme ou la substance pensante) et le corps (ou la substance corporelle ou matérielle). Chacune de ces deux substances a un attribut caractéristique : (1) l attribut principal ou caractéristique du corps est l étendue (2) l attribut principal ou caractéristique de l esprit est la pensée question: quelles relations entretiennent ces deux substances?

l interactionnisme Descartes accepte la thèse du sens commun selon laquelle un état ou événement mental peut être causalement responsable d un état ou événement physique dans la philosophie classique, on appelle cette thèse la thèse de communication des substances dans la philosophie de l esprit contemporaine, que nous suivrons, on dit que le dualisme cartésien est interactionniste par contraste, on appelle épiphénoménaliste la thèse selon laquelle l esprit et le corps n ont pas d interaction causale.

2.

l argument dualiste Descartes, Méditations métaphysiques, VI, "De l existence des choses matérielles et de la réelle distinction entre l âme et le corps de l homme." Clas. Garnier, pp. 487-8 :...parce que je sais que toutes les choses que je conçois clairement et distinctement peuvent être produites par Dieu telles que je les conçois, il suffit que je puisse concevoir clairement et distinctement une chose sans une autre, pour être certain que l une est distincte ou différente de l autre, parce qu elles peuvent être posées séparément, au moins par la toute-puissance de Dieu ; et il n importe pas par quelle puissance cette séparation se fasse, pour m obliger à les juger différentes.

rappels épistémologiques qu est-ce qu une conception claire et distincte (CDD)? Descartes, Principes, I, 45 45 Ce que c est qu une perception claire et distincte.... J appelle claire celle qui est présente et manifeste à un esprit attentif ; de même que nous disons voir clairement les objets lorsque étant présents ils agissent assez fort, et que nos yeux sont disposés à les regarder ; et distincte, celle qui est tellement précise et différente de toutes les autres, qu elle ne comprend en soi que ce qui paraît manifestement à celui qui la considère comme il faut.

rappels épistémologiques, suite Descartes, Principes, I, 45 46. Qu elle peut être claire sans être distincte, mais non au contraire. Par exemple, lorsque quelqu un sent une douleur cuisante, la connaissance qu il a de cette douleur est claire à son égard, et n est pas pour cela toujours distincte, parce qu il la confond ordinairement avec le faux jugement qu il fait sur la nature de ce qu il pense être en la partie blessée, qu il croit être semblable à l idée ou au sentiment de la douleur qui est en sa pensée, encore qu il n aperçoive rien clairement que le sentiment ou la pensée confuse qui est en lui. Ainsi la connaissance peut être claire sans être distincte, et ne peut être distincte qu elle ne soit claire par même moyen.

rappels épistémologiques, suite Fiabilité de la CDD: toutes les choses que nous concevons clairement et distinctement sont vraies Pourquoi? (Méditation, IV) 1. Dieu existe 2. Dieu est parfait 3. un être parfait ne peut être trompeur

l argument dualiste, reprise Descartes, Méditations métaphysiques, VI...Et partant, de cela même que je connais avec certitude que j existe, et que cependant je ne remarque point qu il appartienne nécessairement aucune chose à ma nature ou à mon essence, sinon que je suis une chose qui pense, je conclus fort bien que mon essence consiste en cela seul, que je suis une chose qui pense ou une substance dont toute l essence ou la nature n est que de penser...

l argument dualiste Descartes, Méditations métaphysiques, VI... Et quoique peut-être (ou plutôt certainement comme je le dirais tantôt) j aie un corps auquel je suis très étroitement conjoint ; néanmoins, parce que d un côté j ai une claire et distincte idée de moi-même, en tant que je suis seulement une chose qui pense et non étendue, et que d un autre j ai une idée distincte du corps, en tant qu il est seulement une chose étendue et qui ne pense point, il est certain que ce moi, c est-à-dire mon âme, par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement et véritablement distincte de mon corps, et qu elle peut être ou exister sans lui

une reconstruction de l argument P1 : concevabilité de l âme sans le corps CCD(X Y ) Descartes, Méditations métaphysiques, I, Clas. Garnier, p. 412 : Je supposerai donc qu il y a (...) un mauvais génie, non moins rusé et trompeur que puissant, qui a employé toute son industrie à me tromper. Je penserai que le ciel, l air, la terre, les couleurs, les figures, les sons et toutes les choses extérieures que nous voyons, ne sont que des illusions et tromperies, dont il se sert pour surprendre ma crédulité. Je me considèrerai moi-même comme n ayant point de mains, point d yeux, point de chair, point de sang, comme n ayant aucun sens, mais croyant faussement avoir toutes ces choses.

une reconstruction de l argument de quoi puis-je être certain si toutes ces croyances peuvent êtres produites en moi par un mauvais génie? réponse: je peux être certain du fait que j existe mais qu est-ce que ce je qui existe pendant qu il est trompé? réponse: une chose qui pense

une reconstruction de l argument Descartes, Méditations métaphysiques, II Mais qu est-ce donc que je suis? Une chose qui pense. Qu est-ce qu une chose qui pense? C est-à-dire une chose qui doute, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent. Certes, ce n est pas peu si toutes ces choses appartiennent à ma nature. Mais pourquoi n y appartiendrait-elle pas? Ne suis-je pas encore ce même qui doute presque de tout, qui néanmoins entends et conçois certaines choses, qui assure et affirme celles-là seules être véritables, qui nie toutes les autres, qui veux et désire en connaître davantage, qui ne veux pas être trompé, qui imagine beaucoup de choses, même quelque fois en dépit que j en aie, et qui en sens aussi beaucoup, comme par l entremise des organes du corps?...

une reconstruction de l argument Descartes, Méditations métaphysiques, II...Y a-t-il rien de toute cela qui ne soit aussi véritable qu il est certain que je suis, et que j existe, quand même je dormirais toujours, et que celui qui m a donné l être se servirait de toutes ses forces pour m abuser? Y a-t-il aussi aucun de ces attributs qui puisse être distingué de ma pensée ou qu on puisse dire être séparé de moi-même?

une reconstruction de l argument Descartes, Principes I, 8 :...examinant ce que nous sommes, nous qui pensons maintenant qu il n y a rien hors de notre pensée qui soit véritablement ou qui existe, nous connaissons manifestement que, pour être, nous n avons pas besoin d extension, de figure, d être en aucun lieu, ni d aucune autre telle chose qu on peut attribuer au corps, et que nous sommes par cela seul que nous pensons ; et par conséquent, que la notion que nous avons de notre âme ou de notre pensée précède celle que nous avons du corps, et qu elle est plus certaine, vu que nous doutons encore qu il y ait au monde aucun corps et que nous savons certainement que nous pensons.

fiabilité modale de la concevabilité P2 fiabilité modale de la concevabilité: si nous pouvons concevoir clairement et distinctement X sans Y, alors il est possible que X existe sans Y. CCD(X Y ) (X Y ) voir ci-avant, la fiabilité de la CDD

nécessité de l identité P3 possibilité et identité: si X peut exister sans Y, alors X et Y sont distinctes on peut voir P3 comme affirmant la nécessité de l identité: si deux choses sont identiques, alors elles le sont nécessairement. (X = Y ) (X = Y ) par contraposition, si deux choses peuvent être différentes, alors elles sont différentes : (X Y ) (X Y ) dans l Abrégé, Descartes fait de P3 une définition: Deux substances sont dites être distinguées réellement, quand chacune d elles peut exister sans l autre.

Descartes, Principes de la philosophie, I, 60 :...il y a des distinctions de trois sortes, à savoir, réelle, modale, et de raison, ou bien qui se fait de la pensée. La réelle se trouve proprement entre deux ou plusieurs substances. Car nos pouvons conclure que deux substances sont réellement distinctes l une de l autre, de cela seul que nous en pouvons concevoir une clairement et distinctement sans penser à l autre ; pour ce que, suivant ce que nous connaissons de Dieu, nous sommes assurés qu il peut faire tout ce dont nous avons une idée claire et distincte.

Descartes, Principes de la philosophie, I, 60 : C est pourquoi, ce que nous avons maintenant l idée, par exemple d une substance étendue et corporelle, bien que nous ne sachions pas encore certainement si une telle chose est à présent dans le monde, néanmoins, pour ce que nous en avons l idée, nous pouvons conclure qu elle peut être ; et qu en cas qu elle existe, quelque partie que nous puissions déterminer de la pensée, doit être distincte réellement de ses autres parties. De même, pour ce qu un chacun de nous aperçoit en soi qu il pense, et qu il peut en pensant exclure de soi ou de son âme toute autre substance ou qui pense ou qui peut être étendue, nous pouvons conclure aussi qu un chacun de nous ainsi considéré est réellement distinct de toute autre substance qui pense, et de toute substance corporelle.

résumé (P1) CCD(X Y ) (P2) CCD(X Y ) (X Y ) (P3) (X Y ) (X Y ) (X Y ) L argument de Descartes est le précurseur des arguments modaux pour le dualisme (et contre le matérialisme). Nous verrons plus tard l argument modal le plus célèbre aujourd hui, l argument des zombies.

S. Kripke, Naming and Necessity, 1980, trad.fr. P. Jacob et F. Récanati, La logique des noms propres, pp. 133-4 : Descartes et d autres à sa suite ont soutenu qu une personne (ou un esprit) est distincte de son corps, puisque l esprit pourrait exister sans le corps. Il aurait pu tout aussi bien défendre la même conclusion à partir de la prémisse selon laquelle le corps aurait pu exister sans l esprit. La réponse que je trouve parfaitement inadmissible est celle qui consiste à admettre sans réserve la prémisse cartésienne tout en rejetant la conclusion. Soit "Descartes" un nom ou un désignateur rigide d une certaine personne ; soit "B" un désignateur rigide de son corps. Alors, si Descartes était identique à B, comme cette identité serait une identité entre deux désignateurs rigides, elle devrait être nécessaire ; auquel cas Descartes ne pourrait pas exister sans B, ni B sans Descartes.