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Transcription:

D.1 Les «mardi de la dette» sont un cycle de réunions, organisé par Attac Deux-Sèvres, avec trois objectifs : 1. Décrypter le discours «moralisateur», et non économique, sur la dette publique (la dette privée n est pas stigmatisée) ; 2. Remettre en avant les propositions sur la régulation de la finance mondiale et l interdiction des paradis fiscaux ; 3. Lancer le collectif sur l audit citoyen de la dette publique. Orwell disait : «dans les temps de tromperie universelle, dire la vérité devient un acte révolutionnaire». C est ce que nous allons essayer de faire, à notre modeste échelle. Merci à tous ceux qui nous aidé à monter ces réunions. D.2 Comme la dette publique cristallise aujourd hui les débats, il est important de considérer l ensemble des dettes pour mieux en comprendre l origine. 1

Si on additionne les dettes publiques et privées (c'est-à-dire celles des Etats et des collectivités publiques avec celles des banques, des ménages et des entreprises), les pays les plus endettés au monde sont le Royaume-Uni et l Irlande, montrés en exemple jusqu à il y a peu par nos moralisateurs, éditorialistes et autres «déclinologues» en vue (voir par exemple leurs discours sur le «tigre celtique»). Cet endettement faramineux est certes lié au sauvetage des banques, mais aussi à un fort taux d endettement des ménages. Très près de l Allemagne, figure, parmi les pays les moins endettés de la zone euro, la Grèce (!). L Italie et le Portugal ont un taux d endettement total inférieur à la moyenne des 17 pays de la zone euro. La dette publique japonaise est bien plus forte que celle de la Grèce et de l Italie, dans le collimateur des spéculateurs. La France a une dette dans la moyenne de celle de la zone euro, sauf pour les entreprises, plus forte. Les Etats-Unis ont une dette publique et une dette des ménages supérieures à celles de la zone euro. En volume, cela représente une part importante de l endettement mondial. D.3 Depuis la seconde guerre mondiale, la dette totale des Etats occidentaux s est accrue modérément jusqu au début des années 80. Aux Etats-Unis, le taux d endettement total dépasse largement celui atteint lors de la crise de 1929. Depuis le début des années 80, bien avant la crise financière donc, la croissance de l endettement s est accélérée : avec la crise, cette croissance s est encore accrue depuis 2007. Ainsi, il y a lien temporel évident entre endettement et mise en œuvre du programme néolibéral, d abord par Reagan et Thatcher, puis par la quasi-totalité des gouvernements de la planète. 2

Dans notre exposé, nous allons décrire les mécanismes de l endettement, qu il soit public ou privé, et montrer que ces évolutions sont étroitement liées à la prise de contrôle des économies par les marchés financiers et les grandes entreprises, avec bien évidemment les gouvernements élus à la manœuvre (toutes les évolutions économiques que nous décrivons sont le résultat de décisions politiques). D.4 Graphique gauche : aux Etats-Unis, l endettement public a presque atteint le niveau record du début des années 30. Graphique droite : la croissance de l endettement public s observe dans tous les pays occidentaux. Il a triplé ces vingt dernières années : l endettement exponentiel est une réalité récente. D.5 L accroissement de la dette publique est rendu possible par des décisions politiques, qui interdisent à la plupart des Etats d emprunter directement auprès de leur banque centrale. Le «robinet» de crédits pouvait jusqu en 1973 couler entre la Banque de France et l Etat : à partir de cette date, le gouvernement de Georges Pompidou (un banquier ) oblige l Etat à se financer auprès des banques commerciales. Le Traité de Maastricht s inspire de cette mesure et rend la BCE indépendante, ce qui est confirmé dans le Traité de Lisbonne adopté en 2008. Mais le mécanisme de la dette a bien d autres origines, à commencer par le déséquilibre entre capital et travail, à l origine des dettes publiques comme des dettes privées. 3

D.6 Entre le point haut des années 70 et aujourd hui, la part des salaires dans la richesse créée (VAN) a baissé de plus de 7 points, soit 1.300 milliards. Avec la baisse ou la stagnation des salaires, le taux d endettement des ménages augmente pour maintenir ou accroître le niveau de consommation. D.7 Avec la baisse ou la stagnation des revenus d une majorité de la population, les Etats-Unis innovent pour que la machine à consommer puisse continuer à tourner. La croissance de la consommation, dans un contexte de déflation salariale, se fait par le crédit, notamment dans l immobilier, mais aussi pour les dépenses de consommation courante (cartes de crédit). Globalement, l endettement privé pallie à la stagnation des revenus pour maintenir l activité par la consommation : c est pour cela qu il augmente plus fortement depuis 30 ans, avec le déploiement des politiques néolibérales partout dans le monde. D.8 Pour les biens de consommation, les prix doivent être bas : c est pourquoi les délocalisations de la production vers les pays à bas coûts salariaux s accélèrent. La machine à consommer fait tourner la machine à produire en Asie! La vie à crédit des américains, et maintenant des européens, n a pas seulement des conséquences sur la dépendance des Etats vis-à-vis des institutions financières. Elle a aussi des implications géopolitiques majeures car les Etats sont également détenteurs de dettes souveraines. Ainsi, la Chine et le Japon détiennent près de la moitié de la dette américaine. 4

Pour le dire plus simplement, les Etats occidentaux vivent à crédit en drainant l épargne asiatique, qui manque alors pour le développement de leurs pays et le bien-être de leurs populations. Cette situation instable tient car les chinois vendent leur production à crédit aux américains en leur permettant de s endetter sur le dos de leurs épargnants (et au détriment de leur population). Les physiciens qualifient ceci «d équilibre instable» : tout déséquilibre de cette situation entraîne un basculement profond (par exemple, il est possible de faire tenir une bille sur une demi-sphère ; mais c est très instable ). D.9 Le transfert des richesses ne s est pas réalisé au profit des investissements (préparer l avenir, transition écologique, financement des services publics universels ), dont la part dans la valeur ajoutée baisse de 5 points sur la même période, mais au profit des dividendes versés aux propriétaires du capital, qui captent aujourd hui 200 milliards supplémentaires par rapport à la répartition observée dans les années 70, (soit 10 points de PIB), durant lesquelles ne régnait pas spécialement un régime de «communisme de guerre» (présidences de Pompidou et de Giscard d Estaing). D.10 Graphique gauche : les données macroéconomiques que nous venons de présenter se traduisent bien évidemment dans les statistiques sur l évolution des revenus des ménages. Les plus-values et les revenus du patrimoine augmentent infiniment plus vite que les revenus salariaux ou les transferts sociaux. Graphique droite : ainsi, comme les plus riches sont détenteurs du patrimoine et des actifs financiers, leurs revenus explosent alors que ceux de la majorité de la population stagnent ou régressent. 5

D.11 L enrichissement accru des plus riches est également lié à l évolution de la fiscalité : elle est de plus en plus favorable aux entreprises (graphique gauche) et aux plus riches (graphique droite), sous prétexte de concurrence. D.12 La fiscalité, des ménages comme des entreprises, est devenue profondément injuste, puisqu elle est dégressive en fonction de la fortune ou du chiffre d affaires. L accumulation de gigantesques fortunes ne favorise pas la consommation ni l activité. Au contraire, les modes vie qui en découlent sont profondément mauvais pour l environnement, d autant qu ils sont pris comme exemples par les classes moyennes bombardées de publicités (lire à ce sujet l excellent livre de Hervé Kempf, «comment les riches détruisent la planète»). L injustice fiscale est le fruit de décisions politiques prises depuis le début des années 80, au motif que les riches seront incités à investir, comme l a théorisé le chancelier Helmut Schmitt dans son désormais fameux théorème : «les richesses d aujourd hui sont les investissements de demain et les emplois d après-demain». On a vu le résultat D.13 La course vers le moins disant fiscal a non seulement creusé les inégalités, mais aussi appauvrit les services collectifs et creusé les déficits. 6

Ce graphique, issu de la statistique publique (INSEE), est extrêmement important, car il permet de tordre le cou à une légende colportée dans les discours politiques visant à culpabiliser les populations sur l origine des déficits et de la dette publics : ce ne sont pas les dépenses publiques qui augmentent, mais les recettes qui diminuent! D.14 La diminution des recettes est le résultat des cadeaux fiscaux accordés aux plus riches : ce sont eux qui sont à l origine des déficits publics, et non l augmentation des dépenses dont on nous rebat en permanence les oreilles! Chaque année, les cadeaux fiscaux creusent les déficits de près de 150 milliards : sans les mesures fiscales prises en France depuis 2000, le déficit budgétaire aurait permis de respecter les critères de Maastricht. Notons que ce graphique n est pas le fruit d une obscure manipulation gauchiste : il a été construit à partir des données du rapport d un député UMP. D.15 «Les arbres ne montent pas au ciel» : cette formule d Alan Greenspan, Président de la réserve fédérale américaine durant la dernière décennie, visait à décrire la précarité de la situation actuelle, et «l exubérance irrationnelle des marchés». Avant même la dernière crise financière, démarrée en 2007, les évolutions récentes du système capitaliste expliquent l explosion de la «crise de la dette» : Le recours des Etats aux marchés financiers (interdiction de faire appel aux Banques centrales depuis 1973 en France, depuis 1992 dans l UE, consolidé par l article 123 du Traité de Lisbonne), comme nous l a bien montré la petite vidéo de Monsieur Quelques minutes, notamment l effet à la hausse des taux d emprunt et l accroissement du service de la dette ; 7

La stagnation ou la baisse des salaires réels, sous l effet combiné du chômage de masse, de la «création de valeur» pour l actionnaire et de la compétition internationale organisée par les Traités de libre-échange, ont conduit les Etats et les institutions financières à endetter fortement les ménages et les entreprises pour maintenir l activité économique et financière ; La baisse des recettes de l Etat (15,4% du PIB en 2007, contre 22,5% en 1982), du fait de politiques fiscales favorables aux grandes entreprises et aux plus riches, par exemple ; En faveur des grandes entreprises (taux nominal : de 45% à 33% de 1990 à 2010) ; En faveur des privilégiés (par exemple ; l ISF amendé ; le rabotage des tranches fiscales ; la baisse du taux effectif de l impôt, inférieur à 20% pour le «Top 1%») ; En faveur du développement des niches fiscales, qui atteignent 145 milliards en France en 2010 ; Ironie de l histoire : la rémunération croissante des titres de dettes publiques et le produit des cadeaux fiscaux permettent aujourd hui aux détenteurs de capitaux de spéculer sur ces titres de dettes (cela revient à manger la main qui vous nourrit ). Dit autrement, une logique implacable s est donc mise progressivement en place. Les ménages les plus riches bénéficient d allègements fiscaux conséquents, que ce soit en matière d impôts sur le revenu, d une imposition moindre de leur patrimoine et des revenus de ce dernier. Ils dégagent ainsi des liquidités qu ils peuvent prêter à l État qui en a justement besoin à cause de ces allègements fiscaux, et qui leur verse une rétribution pour cela. Ils touchent donc un double "dividende" : moins d impôts et plus de rente. 8

Avec la crise, les choses s aggravent, mais toujours sur le même mode, car les conclusions politiques ne sont pas tirées : La baisse des recettes des Etats est amplifiée par la baisse de l activité, elle-même liée au resserrement du crédit, à la hausse du chômage et à la baisse de la consommation des ménages ; L injection de liquidités par les Etats ne conforte pas le financement de l économie (crédit aux entreprises et aux investissements publics) mais alimente des bulles spéculatives (QE 1 et QE2 des Etats-Unis sur les marchés des matières premières par exemple) ; L endettement s est fortement accru du fait de l injection massive de fonds aux banques depuis 2008, sans contrôle public sur l affectation des ressources allouées ; La flambée des taux d intérêt, et donc de la rémunération des détenteurs de capitaux, accroît encore plus les dettes publiques. D.16 La crise financière, hélas, ne touche pas seulement le petit monde de la finance, mais l ensemble de l économie et tous les peuples : d abord du fait de la baisse d activité, liée à la contraction du crédit aux entreprises et aux ménages ; puis à cause des dépenses pour sauver les banques, dont il faut ensuite rembourser les intérêts (!) ; enfin par l austérité, qui n est rien moins que de tendre la facture de la crise aux populations. La perte de croissance due aux marchés financiers frappe tout le monde : ainsi, le «manque à gagner» dans la zone euro et aux Etats-Unis atteint 1.500 milliards entre 2008 et 2011. Cela représente 7 points de PIB de ces pays réunis! 9

D.17 Aux Etats-Unis, le taux de chômage réel (inscrits + découragés) dépasse 17% de la population active, le plus haut niveau depuis la grande dépression des années 30! Dans l eurozone, le chômage vient d atteindre 10% de la population active, et il dépasse 20% en Espagne, en Grèce ou au Portugal. D.18 Dans la plupart des pays occidentaux, la crise s est traduite par une croissance record de l endettement public et des déficits budgétaires. En France par exemple (source : Antoine Math, chronique internationale de l IRES n 127, novembre 2010), le taux d endettement s est accru de plus de 20 points depuis 2007, et les déficits publics ont triplé sur la même période. Ces évolutions s expliquent par un effet ciseaux : la contraction de l économie a provoqué d une part la baisse des recettes fiscales (entre 2007 et 2009, la TVA a baissé de 7,5 milliards, l IS de 30 milliards et l IR de 2,8 milliards ) ; elle a conduit d autre part à une augmentation des dépenses de 27 milliards (stabilisateurs sociaux, plan de relance, sauvetage des banques ). Combien le contribuable a-t-il payé le sauvetage des banques? C est une question complexe car les interventions sont variées : les garanties apportées par les Etats, qui n apparaissent pas comme des dépenses ; les aides directes (DEXIA) ; la reprise des actifs toxiques ; les transferts financiers (par exemple, les 22 milliards du livret A ont été mis à la disposition des banques françaises). 10

Selon la Commission UE, les Etats européens ont dépensé, en 2009, 230 milliards pour le secteur bancaire (environ 130 milliards pour recapitaliser les banques, sans réelles contreparties, et 100 milliards pour la reprise des actifs toxiques dans des «bad bank»). Et c est ainsi que les dettes privées des banques sont devenues des dettes publiques des Etats, à charge au contribuable de s en débrouiller. D.19 Une autre façon de soutenir le secteur bancaire est la «planche billets». En Europe, la BCE prête aux banques à taux très bas (moins de 1%) : ces sommes sont ensuite prêtées aux Etats ou aux entreprises à des taux bien supérieurs, voire usuraires pour les «mauvais élèves». Aux Etats-Unis, la planche à billets tourne à plein régime : ce sont les deux «quantitative easing» (QE 1 et QE 2). Avec les QE, la réserve fédérale reprend les actifs toxiques des banques en échange de dollars. Ces liquidités ne servent pas seulement à la recapitalisation des banques, mais aussi et surtout à spéculer sur les marchés (ainsi, la hausse du prix des matières en 2010 est essentiellement liée à une bulle spéculative alimentée par les liquidités des QE), et accessoirement à verser de confortables rétributions aux dirigeants et aux traders de ces banques. D.20 Les revenus financiers sont aussi le produit des placements sur les dettes publiques (bons du trésor) : la spéculation fait des ravages, et les Etats endettés (et/ou faisant l objet de la défiance des marchés) doivent acquitter des taux d intérêt exorbitants. Ces taux d intérêt (rémunération des créanciers) expliquent pour une part importante l accroissement de la dette publique. 11

Ces divergences créent des importants déséquilibres macroéconomiques au sein de la zone euro, car la monnaie n étant plus une variable d ajustement (taux de change fixe), seules les outils budgétaires et le coût du travail restent aux mains des Etats : dans un contexte de «concurrence libre et non faussée», c est vers le moins disant social, fiscal et écologique que les décisions politiques sont prises. D.21 Les fameux «plans de sauvetage», initiés pour «sauver» la Grèce (en attendant les autres «PIIGS»), visent en fait à rendre solvable ce pays vis-à-vis des banques, avec l aide publique des Etats de l UE (FESF, garanties de crédit ). La socialisation des pertes bancaires se poursuit donc. Les banques européennes détiennent pléthore de titres de dettes de pays européens provoquant l un après l autre la défiance des marchés, par un «effet dominos» sans fin. Après leur renflouement par les contribuables, le secteur financier, ainsi que les multinationales intéressées par le statu quo fiscal qui leur est favorable, se tournent vers les peuples une seconde fois afin de payer la facture par des plans d austérité (baisse des salaires et des pensions, démantèlement et privatisation des services publics, hausse des impôts à la consommation ). Début 2010, le regard des spéculateurs s est tourné vers la Grèce, jugée incapable d honorer ses créanciers par les marchés financiers. Plutôt que de constater le défaut de paiement et d aider directement ce pays via la BCE, les Etats européens ont conditionné leur aide et celle du FMI à des plans d austérité (le peuple grec en est au cinquième «mémorandum»!), qui, bien évidemment, n ont fait qu empirer la situation en provoquant une sévère récession. 12

Cette situation a déchaîné la spéculation à deux niveaux : une flambée des taux d intérêt sur la dette grecque, mais aussi l émission de CDS (Credit Default Swap), assurances censées couvrir le défaut de paiement, et dont la valeur s est envolée (c est la prochaine crise bancaire : en effet, les CDS émis doivent être couverts en cas de faillite des Etats, et cela plombera le bilan des banques plus sûrement que les subprimes). D.22 Pour faire passer la pilule aux peuples, on culpabilise les citoyens avec un discours qui érige en dogme le remboursement de la dette. Et pour quiconque ne se plie pas à la règle, les agences de notation sont là pour faire respecter l orthodoxie. Sur les «marchés libres», les agences de notation font la pluie et le beau temps. Les taux d intérêt dépendent étroitement des notes octroyées aux Etats par ces trois agences de notation (Fitch Ratings, Moody s et Standard & Poor s), qui détiennent 94% du marché. Ainsi, tout le financement des Etats et de l économie dépend d agences privées, hors de tout contrôle démocratique. Les critères de «bonne gestion» décernés par ces acteurs sont bien sûr loin d évaluer des notions aussi «naïves» que l intérêt général ou le bien-être des populations. Pour résumer : les banques privées sont renflouées par les contribuables. Cela creuse les déficits publics. Les Etats empruntent alors à des taux croissants aux banques renflouées de quoi les sauver, ce qui creuse encore plus les déficits. Notons que les détenteurs des titres de dettes publiques sont les institutions financières et les riches contribuables qui ont bénéficié des baisses d impôt à l origine des déficits. 13

L escroquerie ne s achève pas là : il faut maintenant socialiser les pertes privées devenues publiques et les faire payer ensuite aux populations, via les fameux plans d austérité et les privatisations de ce qui reste de secteur public, une affaire juteuse pour qui sait cueillir ces fruits mûrs! C est la stratégie du choc, titre d un livre remarquable de Naomie Klein : la canadienne défend la thèse que c est pendant les périodes de chaos que le système avance ses pions pour mater les peuples ; son livre fait référence à l après 11 septembre, lorsque le gouvernement Bush a voulu faire une OPA sur le pétrole du Moyen- Orient et justifier une augmentation massive des dépenses militaires, tout en renforçant le contrôle social aux Etats-Unis (Patriot Act) sous prétexte de lutte contre le terrorisme. Mais une autre solution est possible! Nous allons maintenant l exposer, en nous appuyant sur l histoire récente dans d autres régions du monde qui ont eu affaire au FMI et à ses désormais fameux (et totalement inefficaces) plans d ajustement structurel, l autre mot politiquement correct pour «thérapie de choc» dans les pays émergents et «plan d austérité» en Europe. D.23 Entre les années 1970 et 2000, de nombreux pays en développement ont dû faire face à un endettement important. En échange de son «aide», le FMI et la Banque Mondiale ont imposé aux Etats des plans d ajustement structurel (PAS). Ces PAS ressemblent à s y méprendre aux plans d austérité que la «troïka» (Commission UE, BCE et FMI) veut imposer aux grecs et à tous les peuples européens. 14

Un document du FMI du 22 novembre 2010, «Lifting Euro Area Growth : Priorities for structural Reforms and Governance)», vend la mèche : «Les pressions des marchés pourraient réussir là où les autres approches ont échoué. Lorsqu elles font face à des conditions insoutenables, les autorités nationales saisissent souvent l occasion pour mettre en œuvre des réformes considérées comme difficiles, comme le montrent les exemples de la Grèce et de l Espagne.» D.24 Des pays s en sont néanmoins sortis, notamment en Amérique latine Après la déconnexion peso / dollar du début des années 2000 et la dévaluation du peso, pour empêcher des mouvements de panique bancaire, des retraits massifs des déposants dans les banques, le gouvernement argentin a décidé de placer les dépôts dans un «corralito» : très concrètement, les argentins ne pouvaient retirer leur argent qu en quantité limitée, un maximum 250 pesos par semaine. Face à la colère populaire et à l effondrement de l économie, trois gouvernements se succèdent en Argentine en quelques mois, sans prendre les décisions qui s imposent. Fin 2001, Nestor Kirchner décide le défaut partiel de la dette vis-à-vis de ses principaux créanciers, dont le FMI.Aujourd hui, la croissance de ce pays est l une des plus fortes du sous-continent, sans passer par la case austérité. Une autre politique que l austérité est donc possible. Une commission équatorienne, composée d experts indépendants du monde entier, a travaillé sur un audit public de la dette du pays. 15

Elle a identifié des tranches de dettes dont elle propose le non remboursement au gouvernement : des dettes «illégales» (lorsque le contrat signé est jugé contraire au droit, national ou international), de dettes «odieuses» (lorsque le gouvernement qui les a contractées, en son temps, n'était pas démocratique), et enfin des dettes «illégitimes» (par exemple lorsque l'on vole au secours, sans condition, de banques privées). Sur ces bases, les comités d audit citoyens de la dette publique qui se montent partout en Europe (et aux Etats-Unis) ont du pain sur la planche. En France, les premiers travaux identifient deux blocs à examiner de près : d une part les plans de sauvetage des banques en 2008, et d autre part les avantages fiscaux concédés aux ménages les plus aisés et aux entreprises, ce qui constitue en temps de crise «une fiscalité violemment anti-redistributive». NB sur le «défaut» : depuis 1975, en 35 ans, 70 États ont fait défaut (deux tous les ans en moyenne). Pour sa part, la France fait défaut environ deux fois par siècle. La dernière fois, c était en 1943 D.25 L appel pour un audit citoyen de la dette a été initié par de nombreuses associations, partis politiques et syndicats : signez, camarades citoyens! 16