LA PRIVATISATION DE L INDUSTRIE ÉLECTRIQUE AU ROYAUME-UNI



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Transcription:

DOSSIER : UN DÉBAT ÉLECTRIQUE LA PRIVATISATION DE L INDUSTRIE ÉLECTRIQUE AU ROYAUME-UNI L ouverture du marché britannique de l électricité a largement précédé les opérations similaires dans les autres pays européens. Un regard rétrospectif sur ce processus, maintenant achevé, peut donc fournir des aperçus instructifs, notamment si l on s intéresse aux effets de cette libéralisation pour les consommateurs particuliers. PAR Guillaume FERNET, CREDIT CONTROL MANAGER EDF ENERGY Cet article a pour but d apporter quelques éléments factuels (1) sur les questions posées par l ouverture du marché britannique de l électricité, précurseur en Europe. Dans un premier temps, on rappellera le processus historique et les principes qui ont guidé cette privatisation, menant à une reconfiguration du système d acteurs intervenant sur le marché de l électricité. Les effets de l ouverture sur le marché des particuliers seront ensuite évoqués, puis on précisera le rôle d une instance originale, Energywatch, créée pour défendre les intérêts de ces consommateurs particuliers face aux opérateurs industriels. LA PRIVATISATION ET SES NOUVEAUX ACTEURS Photo Ashley Coombes - Episcotland Les dirigeants de Scottish Power au siège de l entreprise à Glasgow (Ian Russell deputy chief exec-, Sir Ian Robinson chief exec David Nish finance director) Avant 1990, le marché britannique de l électricité était contrôlé par un monopole pour la production et le transport, et des boards (2) régionaux pour la distribution et la commercialisation. A partir de 1990 s entame un processus de privatisation qui va durer huit ans. Il commence par l implémentation de l Electricity Act 1989 en Angleterre, au Pays de Galles et en Écosse. Pour l Angleterre et le Pays de Galles, douze compagnies régionales d électricité sont créées à partir des anciens boards régionaux, les capacités de production non nucléaire sont séparées entre deux compagnies, National Power (1) Sources : Electricity Association, OFGEM, EnergyWatch (2) Certains noms de compagnies rappellent cet état historique, comme SEEBOARD pour South East Electricity Board, ou encore SWEB pour South West Electricity Board. 40 GÉRER ET COMPRENDRE SEPTEMBRE 2004 N 77

GUILLAUME FERNET Schéma 1 : Le processus d ouverture du marché britannique de l électricité et PowerGen, les centrales nucléaires tombant sous la coupe de Nuclear Electric. Cette désintégration verticale n est pas respectée en Écosse, où l industrie est confiée à deux sociétés intégrées: Scottish Power et Scottish Electric. Le réseau de transport seul demeure un monopole privé: la National Grid Company (NGC). Dans toutes ces compagnies, le gouvernement détient initialement une golden share qu il abandonnera pour certaines au fur et à mesure du processus. Aujourd hui le gouvernement détient toujours une golden share dans National Grid Company, British Energy (propriétaire des actifs nucléaires entre autres), Northern Ireland Electricity, Scottish Power et Scottish and Southern Energy. Les liens entre les différents acteurs sont régulés par l Office of Electricity Regulation qui, fusionnant avec Ofgas, devient, en 1999, l Office for Gas and Electricity Markets (OFGEM). Le marché fonctionne initialement sur le principe du pool (pricing centralisé au plus haut coût marginal de production nécessaire à la demande), qui sera remplacé en 2001 par les New Electricity Trading Arrangements (NETA), qui créent les conditions d un marché libre sans règle centrale, marché sur lequel l électricité s échange comme un bien de consommation, tout en tenant compte des Schéma 2 : OFGEM GÉRER ET COMPRENDRE SEPTEMBRE 2004 N 77 41

DOSSIER : UN DÉBAT ÉLECTRIQUE exigences d équilibre permanent entre l offre et la demande. Ainsi, afin de créer des conditions de concurrence, la chaîne d offre a été décomposée, les relations entre les acteurs étant régulées par OFGEM, le régulateur indépendant. Le schéma ci-dessous traduit cette organisation. À la fragmentation de la chaîne d offre, censée favoriser l établissement de la concurrence, ont toutefois succédé un mouvement de concentration verticale et la création de sociétés présentes dans les différents métiers ceuxci respectant toutefois des règles de séparation très strictes au sein des sociétés intégrées. Ce modèle fait aujourd hui consensus face à l incapacité des marchés (dérivés et futures) à gérer les risques du marché de l électricité. LE MARCHE DES PARTICULIERS Le marché des particuliers s est ouvert progressivement, de septembre 1998 à mai 1999. Il comptait alors vingt-six millions de clients. Cette ouverture s est d abord traduite par une nouvelle répartition du marché entre les fournisseurs: deux ans après l ouverture, près de 40 % des particuliers avaient changé de fournisseur d électricité au moins une fois. Mais, parmi eux, un tiers retournait finalement à son fournisseur historique. Aujourd hui, les opérateurs historiques ont perdu, en moyenne 30 %, de leurs clients et, parmi les cent mille clients qui changent de fournisseur chaque semaine, cinquante mille quittent leur fournisseur historique. Le principal frein au changement est l inertie : un client ayant déjà changé de fournisseur, changera plus facilement. Par ailleurs, un nouveau comportement apparaît, lié à la naissance d offres combi- MIRRORPIX nées : aujourd hui, un tiers des clients achète gaz et électricité auprès du même fournisseur, via des offres combinées. Avant la hausse des tarifs de l hiver 2003-2004, la facture moyenne était tombée à 248 par an (pour une consommation classique de 3 300 kwh), soit une baisse de 116 en réel depuis 1990 (32 %). Le niveau de service n est pas remis en cause, seuls 3 % des clients en sont peu satisfaits. Les modalités de changement de fournisseur sont simples, en théorie. Un simple coup de téléphone au nouveau fournisseur (supplier) suffit. Celui-ci notifie En Grande-Bretagne, le marché des particuliers s est ouvert progressivement de septembre 1998 à mai 1999 (Affiche publicitaire du National Power Billboard - 2000) (3) Ces programmes, adossés à des cartes privatives, donnent aux consommateurs des points en fonction du volume de leur consommation, points qui peuvent ensuite donner accès à des offres de voyages, etc. 42 GÉRER ET COMPRENDRE SEPTEMBRE 2004 N 77

alors cette décision à l ancien fournisseur qui dispose de cinq jours pour reconquérir son client ou bloquer le transfert (par exemple, si la dette du client est supérieure à dix livres). Passé ce délai, le client est engagé pour vingt-huit jours auprès de son nouveau fournisseur d électricité. Dans la pratique les choses sont plus compliquées. Les disputes peuvent conduire par exemple à une double facturation. Quelles méthodes les fournisseurs utilisent-ils pour se faire connaître et gagner des clients? Aux spots télévisés des débuts ont succédé des campagnes d affichage et de porte-à-porte, qui sont de règle désormais dans les stratégies de vente. Bien que moins performant, le mailing est toujours utilisé, notamment pour regagner les clients infidèles (stratégies de win-back). En termes de marketing, si le prix est toujours un facteur déterminant, les offres combinées connaissent, comme on l a dit, un succès croissant (gaz, télécom). L offre d autres produits domestiques demeure marginale, les fournisseurs leur préférant des alliances sur des programmes de fidélisation (3) existant chez de grands distributeurs (Tesco, Sainsbury). Certains fournisseurs ont choisi de développer une marque nationale, tandis que d autres ont conservé les marques régionales historiques, sans que l une ou l autre des stratégies puisse être considérée réellement supérieure à l autre. On observera toutefois avec un brin d étonnement que, si le paysage des fournisseurs d électricité est désormais relativement stabilisé, avec douze fournisseurs actifs en Angleterre et dix en Écosse, 19 % des clients interrogés ne peuvent nommer qu un seul fournisseur (leur fournisseur historique, généralement). UNE INSTITUTION DE PROTECTION DES CONSOMMATEURS : ENERGY WATCH Energywatch est l organisme public qui veille à l intérêt des consommateurs sur les marchés du gaz et de l électricité en Grande-Bretagne. Institué par le Parlement en novembre 2000 (Utilities Act), il est doté d un budget de treize millions de livres, financé par les frais de licences payés par les différents acteurs des marchés de l électricité et du gaz. Il emploie deux cent cinquante-neuf personnes, dont cent soixante et onze conseillers clientèle. C est une institution indépendante, distincte du régulateur (OFGEM). La relation entre ces deux acteurs de la régulation est régie par un mémorandum. Energywatch est chargé de récolter les plaintes des consommateurs, entreprises comme particuliers, et de procurer à ces mêmes consommateurs une information gratuite et fiable pour favoriser un meilleur exercice de la concurrence. Cette information couvre des sujets aussi divers que les modalités de changement de fournisseur (transfert), la comparaison des prix ou la sécurité des installations. De manière générale, Energywatch a le pouvoir et le devoir de publier les informations visant à protéger l intérêt des consommateurs. Ses publications trouvent un écho très fort dans la presse. Ces publications traitent notamment des plaintes des consommateurs qui sont portées à la connaissance d Energywatch ; elles constituent donc un moyen de pression fort sur les compagnies de gaz et d électricité. Elles concernent des problèmes aussi variés que la contestation des comptes clients, les problèmes de transfert ou les frais de connexion au réseau (voir schémas). Elles sont prises en charge par Energywatch si elles touchent à des problèmes liés à la régulation et si les consommateurs n ont pas au préalable trouvé de solution avec leur compagnie de gaz ou d électricité. Energywatch a alors un devoir d enquête et de résolution. Tableau 1 : Energywatch est un corps indépendant, séparé d OFGEM, le régulateur Organisme consultatif auprès des différentes commissions de régulation, Energywatch veille à la protection de l intérêt des consommateurs, en particulier des plus fragiles d entre eux personnes les plus démunies, personnes âgées ou handicapées. Il n agit pas directement pour ces consommateurs, mais en incitant les entreprises à prendre en considération des critères sociaux dans leurs pratiques. On peut considérer qu Energywatch promeut une politique sociale auprès des compagnies, qui la mettent en œuvre à leur manière, sans qu elle résulte d un acte législatif. On Tableau 2 : plaintes des particuliers GUILLAUME FERNET GÉRER ET COMPRENDRE SEPTEMBRE 2004 N 77 43

DOSSIER : UN DÉBAT ÉLECTRIQUE Peter Marlow/MAGNUM PHOTOS L exemple anglais laisse perplexe quant aux vertus d un marché électrique libéral et montre que le client n a pas gagné grand-chose sur le plan financier (Immeubles londoniens de nuit) notera d ailleurs que, par tradition autant que par souci de communication, les entreprises britanniques sont, non seulement des acteurs économiques, mais aussi des acteurs sociaux importants. Enrgywatch enregistre cent dix mille plaintes par an dont quatre-vingt-treize mille sont des plaintes domestiques que l on peut classer comme suit: LE CONSOMMATEUR Y A-T-IL GAGNE? Au total, on peut se demander si cette ouverture à la concurrence a été bénéfique pour les particuliers. Deux éléments de réponse peuvent être apportés : avant la hausse des tarifs de l hiver 2003-2004 (6 à 7 % d augmentation chez la plupart des fournisseurs), la facture moyenne était tombée à 248 par an (pour une consommation classique de 3 300 kwh), soit une baisse de 116 en réel depuis 1990 (32 %). Quant au niveau de service, il n est pas remis en cause : seuls 3 % des clients en sont peu satisfaits. Les plaintes adressées à Energywatch ne représentent, quant à elles, qu un pourcentage encore plus faible. Mais des questions restent ouvertes : le système a-t-il atteint une phase de stabilité ou la répartition des rôles entre les différents acteurs va-t-elle encore évoluer, comme le laissent supposer les mouvements de concentration verticale en cours? Par ailleurs, si la qualité de service ne semble pas avoir été affectée à court terme par l ouverture à la concurrence, en serat-il de même, à plus long terme, si les opérateurs ont retardé certains investissements pour préserver leur compétitivité, comme le suggère Nicolas Ott dans l encart ci-joint? 44 GÉRER ET COMPRENDRE SEPTEMBRE 2004 N 77

LE CLIENT EST-IL ROI SUR LE MARCHÉ ÉLECTRIQUE ANGLAIS? PAR NICOLAS OTT, ÉLÈVE DE L ÉCOLE POLYTECHNIQUE (*) Dans le cadre de mes études, j ai effectué un stage de quatre semaines chez ECS Data & Metering Services. Cette entreprise s occupe du relevé ainsi que de l entretien (remplacement, réparation, etc.) des compteurs électriques à Londres, mais aussi dans le Sud-Est de l Angleterre. Les quatre semaines passées dans cette entreprise ont été divisées en deux phases: durant les quinze premiers jours, j ai effectué la relève des compteurs comme à peu près trois cents employés sur Londres, puis j ai travaillé les quinze derniers jours dans le service qui s occupe d installer, de déplacer des compteurs électriques. Cette expérience m a permis d appréhender la situation du marché de l électricité en Angleterre sous un angle très concret. La libéralisation du marché de l électricité en Angleterre a été fortement marquée par l idéologie libérale, appliquée de façon un peu dogmatique. En effet, la chaîne des services énergétiques (producteurs, distributeurs, services d entretien, relève, etc.) a été volontairement fractionnée, donnant naissance à une multitude d entreprises. La possibilité pour tout client de choisir et de changer de fournisseur (il y en a vingtdeux en Grande Bretagne), ou d entreprise qui effectue la relève, a entraîné une complexification de la gestion de la clientèle. Un nombre invraisemblable d informations (notamment la carte d identité des compteurs) circule entre les différents acteurs du marché, ce qui n est pas sans poser quelques problèmes. La faillite de nombreuses entreprises, qui se créent sur le marché et qui atteignent de cent à deux cents mille clients, révèle la difficulté de gérer une clientèle importante dans cet environnement. Par comparaison, EDF a actuellement plus de trente millions de clients. L exemple anglais laisse perplexe quant aux vertus d un marché électrique libéral et montre que le client n a pas gagné grandchose sur le plan financier. En effet, le découpage de la chaîne de l électricité a créé de nouveaux coûts, minimisant les gains résultant de la libéralisation. Chez ECS, le relevé des compteurs s effectue sans prendre de rendez-vous. Les employés responsables de cette activité ont un planning d une à deux journées avec un certain nombre de compteurs à relever. Ils frappent aux portes en espérant que le client soit présent. Pour éviter de trouver portes closes, les employés travaillent de 7h30 à environ 10h30 et reprennent le travail à 16h00 pour finir à 20h00. Le but est de se présenter chez les gens avant qu ils ne partent au travail ou lorsqu ils en reviennent. L absence de rendez-vous pose tout de même quelques problèmes. Si 60 % des gens ouvrent sans difficulté, 30 % ne vous laissent entrer qu après vous avoir longuement considéré en émettant des doutes quant à votre sincérité et 10 % vous refusent tout simplement l accès au compteur. ( ) Si un employé se voit refuser l entrée, cela vient aussi des horaires auxquels il se présente. À 7h30 certains clients dorment encore ou sont à peine réveillés et ne veulent pas être dérangés dans leur intimité matinale. Ils le font comprendre au releveur de façon plus ou moins distinguée. De même, vers 19h30/20h00, des familles dînent et, là encore, ne souhaitent pas être dérangées. Ce genre de situation ne véhicule pas une bonne image de l entreprise. Pourtant ECS continue à procéder de la sorte pour le relevé, par souci de simplification de la gestion des clients, étant donné que le relevé est effectué tous les trois mois. Il est à noter qu au cours des formations pour les releveurs, il est constamment rappelé que «le client est roi» et qu il ne faut en aucun cas chercher la confrontation, même si l employé est dans ses droits. Cet effort cherche, à mon avis, à contrebalancer le mécontentement mis en évidence ci-dessus. Cela dit, avec le développement des systèmes informatiques, de l Internet, on pourrait envisager une généralisation du contrôle à distance de la consommation des clients. Une connexion du compteur au réseau Internet suffirait pour lire en continu la consommation exacte du client. Afin de garantir la sécurité du client, une visite annuelle (voire tous les deux ans, vu l amélioration des performances de sécurité et de longévité des compteurs électriques) serait effectuée. Cela permettrait, de mon point de vue, d éviter le «désordre partiel» qui existe sur le marché anglais de l électricité. Lorsqu il s agit d installer ou de déplacer un compteur électrique dans une habitation, en revanche, le client est prévenu de la visite d un employé d ECS et un rendezvous est pris. En travaillant deux semaines dans ce service, j ai pu constater la vétusté de certaines installations électriques: fils rouillés, vieux compteurs. La situation actuelle donne le sentiment d un laisser-aller qui a sévi au cours de la dizaine d années suivant la libéralisation du marché de l électricité. ECS s efforce donc de remplacer le parc actuel, afin d augmenter la sécurité des clients. Cet objectif s inscrit dans le programme Health, safety & environmental action plan 2003 de la société. Il m a semblé qu ECS faisait de gros efforts pour garantir une qualité de service minimale (Guaranted Standard Services), non seulement afin d assurer la sécurité des clients, comme on l a dit, mais aussi afin de fidéliser ses clients sur Londres et d en gagner à l extérieur. En effet, actuellement ECS est la seule entreprise dans Londres autorisée à changer les compteurs électriques. Cependant, à partir d avril 2004, British Gas pourra s occuper de ses propres compteurs et même de ceux d EDF Energy, son concurrent direct. C est pour cela qu ECS effectue une campagne de fidélisation en jouant sur la sécurité et la qualité du service qu elle fournit. (*) Extraits du rapport de stage GUILLAUME FERNET GÉRER ET COMPRENDRE SEPTEMBRE 2004 N 77 45