Troubles neurovisuels et troubles des apprentissages

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Entretiens d Orthophonie 2010 Université de Versailles St-Quentin, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, Service des Urgences Médico-chirurgicales, Troubles neurovisuels et troubles des apprentissages C. Cavézian*, S. Chokron** * PhD, Fondation Ophtalmologique A. de Rothschild, ERT TREAT Vision, 25 rue Manin, 75019 Paris, Tél. : 01 48 03 66 67 - Fax : 01 48 03 68 59 email : ccavezian@fo-rothschild.fr ** PhD, DR2 CNRS, Fondation Ophtalmologique A. de Rothschild, ERT TREAT Vision & Service de Neurologie, 25 rue Manin, 75019 Paris, Tél. : 01 48 03 66 72 - Fax : 01 48 03 68 59 email : schokron@fo.rothschild.fr Introduction En dehors des atteintes des voies visuelles antéchiasmatiques (i.e., de l œil au chiasma optique), les troubles visuels peuvent s observer après une atteinte des voies visuelles rétrochiasmatiques (i.e., du chiasma aux aires cérébrales associatives). On parle alors de troubles neurovisuels (ou «cerebral visual impairment» dans la littérature anglo-saxone). Brièvement, les troubles neurovisuels correspondent aux altérations du champ visuel, de l intégration ou du traitement de l information visuelle, résultant d une atteinte neurologique. Bien que ce type de déficit soit essentiellement connu chez l adulte, un nombre croissant d études décrit des troubles neurovisuels chez l enfant. Par ailleurs, ces différentes études suggèrent que de tels troubles ne sont pas sans conséquence sur le développement de l enfant que ce soit au niveau de son développement comportemental, cognitif, émotionnel, ou encore au niveau de ses acquisitions scolaires. Sans pour autant remettre en question les troubles des apprentissages, nous allons voir qu effectivement, de par leur nature, les troubles neurovisuels sont à-mêmes d altérer la qualité des acquisitions scolaires de l enfant. Les troubles neurovisuels : sémiologie et corrélat neuro-anatomique Comme évoqué précédemment, les voies visuelles rétro-chiasmatiques débutent au niveau du chiasma optique et s étendent jusqu aux aires associatives (pariétales et temporales). Depuis le chiasma optique, l information transite via les bandelettes optiques pour atteindre le Corps Genouillé Latéral (CGL), relais thalamique, puis via les radiations optiques pour atteindre le cortex visuel primaire (ou aire V1) localisé à la pointe du lobe occipital. Dans ce circuit, l information visuelle ne subit qu un traitement simple et conserve une organisation rétinotopique (i.e., la disposition de l information au niveau rétinien est retrouvée au niveau du CGL et de V1). Par conséquent, les troubles observés après une lésion de ces voies concernent la vision élémentaire, se traduisant donc par une cécité pour tout ou partie du champ visuel (selon la localisation et l étendue de la lésion). Au-delà de V1, l information visuelle subit un traitement de plus en plus sophistiqué selon deux voies distinctes d un point de vue anatomo-fonctionnel : la voie dorsale, ou occipito-pariétale (sous-tendant les traitements permettant la localisation et l action sur le stimulus), et la voie ventrale, ou occipitotemporale (sous-tendant les traitements permettant l identification du stimulus). Une lésion d une de ces voies aboutira ainsi à des troubles plus complexes, autrement dit des troubles de la cognition visuelle. Les troubles de la vision élémentaire Lorsque les bandelettes optiques, le CGL, les radiations optiques, ou V1 primaire sont atteints par une lésion, cela se manifeste par une cécité pour tout ou portion du champ visuel. ENTRETIENS DE BICHAT 2010-11

Les troubles observés varient de la cécité corticale (i.e., perte de toute sensation visuelle malgré l intégrité de l œil) au scotome (i.e., perte de sensation visuelle pour une petite portion du champ visuel) (1). Parmi les troubles intermédiaires, on rencontre la vision tubulaire (i.e., réduction concentrique du champ visuel), ou son contraire la vision périphérique (i.e., perte du champ visuel central, alors que le champ visuel périphérique est préservé), l hémianopsie latérale homonyme (i.e., perte du champ visuel contra-lésionnel), et la quadranopsie (perte d un cadran visuel). Ces différents troubles peuvent exister en tant que tel chez l enfant. Toutefois, ils peuvent aussi s observer de façon successive chez un même patient. Typiquement, la littérature rapporte plusieurs cas d enfants souffrant initialement d une cécité corticale qui régresse progressivement (avec ou sans entraînement) en vision tubulaire, puis hémianopsie ou quadranopsie, voire enfin, en scotome. Les troubles de la cognition visuelle Les atteintes des voies ventrales et dorsales vont pour leur part s accompagner de troubles plus complexes touchant l exploration et l attention visuelle, l organisation et la représentation de l espace, la reconnaissance visuelle, ou la coordination visuo-motrice. Parmi les différents troubles de l exploration et de l attention visuelle pouvant exister, des cas de syndrome de Balint et de négligence spatiale unilatérale ont été décrits chez l enfant. Dans le syndrome de Balint, le patient manifeste une triade de symptômes que sont : la paralysie psychique du regard (i.e., impossibilité à déplacer/orienter volontairement le regard), la simultagnosie (i.e., difficulté à reconnaître des objets lorsqu ils sont présentés simultanément alors que la capacité à les reconnaître lorsqu ils sont présentés individuellement est préservée), et l ataxie optique (i.e., difficultés à diriger des actes volontaires sous le contrôle de la vision). Le syndrome de Balint s observe consécutivement à une lésion pariétale bilatérale, mais chacun des symptômes peut exister en tant que tel lors de lésions moins étendues. La négligence spatiale unilatérale, le plus souvent gauche, se caractérise par des difficultés à réagir à, ou à agir sur, des stimuli présentés du côté opposé à la lésion cérébrale. Ce déficit, où le patient se comporte comme si une moitié de l espace n existait pas, peut s observer dans les activités visuelles et manuelles (e.g., recherche et barrage de cibles), mais aussi au niveau locomoteur (e.g., tendance à ne tourner qu en direction du côté non négligé). Les troubles de l organisation et de la représentation de l espace, évalués à travers des tâches de production et copie de figures géométriques, d agencement de cubes, de puzzles et de tâches d imagerie mentale (i.e., «visualiser une représentation» pour pouvoir répondre à une question sur les caractéristiques de l objet), ne sont pas systématiquement évoqués dans la littérature. En particulier, les troubles de l imagerie mentale sont rarement présentés alors qu il sont fréquemment observés dans la pratique clinique, les enfants pouvant manifester des difficultés à comparer deux objets (une échelle est plus grande qu un tabouret) ou encore à donner une caractéristique typique d un objet (e.g., la couleur d une balle de tennis). En revanche, il existe quelques données relatives à la représentation visuo-spatiale des nombres/quantités (i.e., entre autres, les nombres, ou quantités, sont représentés selon une ligne orientée de gauche à droite). En effet, différents auteurs ont montré que certaines difficultés arithmétiques seraient liées à une altération de la représentation des nombres (voir section 3.2.). Les troubles de la reconnaissance visuelle (dénommés agnosie visuelle chez l adulte) font suite à une atteinte de la région occipito-temporale et ne sont pas liés à une altération des aptitudes verbales. L enfant manifeste des difficultés à interpréter ce qui est vu, la reconnaissance à partir d une autre modalité sensorielle (e.g., le toucher) restant possible. Les difficultés de reconnaissance les plus fréquentes concernent les images et les objets (2). Toutefois, ces difficultés peuvent aussi concerner les visages et parfois même le matériel orthographique. Enfin, les troubles neurovisuels peuvent aussi concerner la coordination visuo-motrice. En 12 - ENTRETIENS DE BICHAT 2010

dehors de l ataxie optique évoquée plus haut, il est à noter que certaines difficultés manuelles résultent non pas d une altération du geste à proprement parler, mais sont liées à une altération de la vision qui ne permet plus d ajuster correctement le geste. Typiquement, les enfants dont l altération du geste est liée à un trouble neurovisuel verront leurs performances se dégrader lorsque la vision intervient, mais s améliorer lorsque l entrée visuelle est réduite ou supprimée. Pour finir, il est à noter qu un trouble qui s observe très fréquemment chez les enfants souffrants de troubles neurovisuels est le trouble oculomoteur. Bien que le lien exact entre trouble neurovisuel et trouble oculomoteur reste encore très discuté et peu évident, un grand nombre d enfants neurovisuels présentent des difficultés de fixation ou de poursuite visuelle, ou un déficit de la stratégie du regard (3). Etiologies et corrélats neuroanatomiques L ensemble des troubles neurovisuels qui viennent d être évoqués résulte le plus souvent d une atteinte des régions cérébrales postérieures (i.e., lobe occipital, régions occipito-pariétale ou occipito-temporale). Néanmoins, les atteintes du champ visuel s observent aussi lors de lésion sous-corticale (en particulier thalamique). Une récente étude rétrospective (4) a montré que les deux principales étiologies des troubles neurovisuels sont un épisode hypoxique péri-natal (36% des enfants) et la naissance prématurée (moins de 33 semaines d aménorrhée ; 30% des enfants). Or, la principale atteinte cérébrale consécutive à ces deux étiologies est la leucomalacie péri-ventriculaire (i.e., nécrose de la substance blanche péri-ventriculaire), qui concerne souvent les cornes postérieures des ventricules latéraux c'est-à-dire en regard des régions temporo-pariéto-occipitales. Néanmoins, les atteintes neurologiques ne sont pas systématiquement observées chez l enfant souffrant de troubles neurovisuels (tout comme cela est aussi le cas chez l adulte ; peut-être en lien avec les limites des outils de l imagerie cérébrale morphologique). Troubles neurovisuels et apprentissages scolaires Etant donné que la vision peut être considérée comme «le socle des apprentissages» (2), et étant donné les caractéristiques des troubles neurovisuels, il n est pas surprenant que ce type de déficit soit à même d altérer les capacités de lecture, d écriture, de calcul, et praxique de l enfant sans pour autant que l on puisse imaginer que le déficit d une de ces fonctions doive systématiquement être considéré comme étant la conséquence de troubles neurovisuels. En d autres termes, si l on conçoit aisément qu un trouble de l attention, l analyse et/ou la mémoire visuelle peut être responsable d un ou plusieurs troubles des apprentissages (de la lecture, du calcul...) ou d acquisitions élémentaires (geste), on ne peut faire l hypothèse que les troubles d apprentissage de la lecture, du calcul ou d acquisition du geste sont tous dans l ensemble et de manière générale dus à des troubles neurovisuels. La lecture Concernant la lecture, l identification correcte des lettres, syllabes, et mots repose non seulement sur une bonne vision fovéale (portion de la rétine avec la meilleure acuité), mais aussi sur l utilisation des informations visuelles périphériques (pour programmer le déplacement des yeux sur le mot suivant). Par conséquent, une altération du champ visuel telle qu un scotome central ou une hémianopsie latérale homonyme, est susceptible d altérer les capacités de lecture de l enfant soit à travers une altération de la qualité de la vision centrale, soit à travers une altération du balayage visuel requis lors de la lecture (e.g., difficultés à programmer le mouvement des yeux vers le mot suivant en cas d hémianopsie latérale homonyme droite). D autre part, les capacités d apprentissage de la lecture dépendant aussi des capacités attentionnelles de l enfant, des troubles attentionnels comme la négligence spatiale unilatérale ou la simultagnosie vont aussi s accompagner d une altération de la lecture. Ainsi, dans le cas de la négligence spatiale unilatérale, il n est pas rare d observer des phénomènes de dyslexie ENTRETIENS DE BICHAT 2010-13

de négligence et paralexie où le patient va «négliger» les mots présents dans l espace négligé, et parfois tenter de rajouter des mots pour que le texte lu conserve du sens. Dans le cas de la simultagnosie, la capacité à regrouper (correctement) les lettres vues peut être altérée et grandement ralentir la lecture. Enfin, un autre trouble susceptible d entraver la lecture est le déficit de reconnaissance du matériel orthographique. Dans un tel cas, qui peut s observer après récupération d une cécité corticale, l enfant peut développer un trouble de l apprentissage de la lecture évoquant l alexie agnosique que l on rencontre chez l adulte (1). Le calcul Le développement des aptitudes au calcul semble se dérouler en trois étapes (5) : i) l acquisition de la séquence verbale des mots-nombres (i.e., réciter la séquence verbale des nombres sans être capable d utiliser ces nombres pour décrire des quantités); ii) l établissement d un lien entre la séquence verbale et les quantités qu elle représente ; et iii) l acquisition du concept de relation entre les nombres (i.e., la différence entre 2 nombres aboutit à un 3 e nombre). Dans ce modèle, la mémoire de travail visuo-spatiale et la représentation visuospatiale des nombres/quantités sont importantes dans les étapes 2 et 3. A priori, les troubles neurovisuels ne vont donc altérer que certains aspects du maniement des nombres et des aptitudes logicomathématiques. Par exemple, l enfant peut être capable de manipuler la séquence verbale des nombres mais ne pas réussir à comparer des quantités (e.g., indiquer lequel de deux nombres est le plus grand). En fait, le lien entre aptitudes visuospatiales et aptitudes au calcul semble particulièrement fort puisqu il a été montré que les aptitudes à comparer deux nombres (qui reposent sur des capacités visuo-spatiales) peuvent prédire les aptitudes logicomathématiques (qui impliquent les aptitudes verbales d une manière plus prononcée). Les praxies Les différents modèles de l action volontaire montrent qu une réponse motrice fait intervenir la vision non seulement pour l élaboration du mouvement, mais aussi pour le contrôle du mouvement en cours d exécution (pour ajuster au mieux le mouvement). Dans ce contexte, la vision a un rôle important dans le contrôle postural, l acquisition de la marche, et la réalisation d activités manuelles et un trouble neurovisuel est donc susceptible d altérer ces diverses activités. Ainsi, des troubles moteurs du type akinésie ou hypokinésie ont été rapportés notamment chez l enfant souffrant de négligence spatiale unilatérale (e.g., l enfant aura tendance à ne pas utiliser spontanément le bras du côté négligé bien qu il soit capable de l utiliser sur commande verbale). Dans le cadre des activités manuelles, et en dehors de l ataxie optique (trouble de la coordination visuo-manuelle par excellence), certaines dyspraxies (i.e., dyspraxie spatiale, dyspraxie constructives) sont à concevoir comme la résultante d un trouble neurovisuel plutôt que comme un trouble du geste à proprement parler. D ailleurs, plusieurs auteurs ont montré qu une prise en charge de type visuelle/neurovisuelle est plus pertinente qu une prise en charge praxique pure (2). Pour finir, une activité manuelle que les troubles neurovisuels sont particulièrement susceptibles d altérer, du fait du rôle primordial de la vision dans cette activité, c est l écriture. Ainsi, des altérations de l écriture de type micrographie, des difficultés à suivre la ligne ou à lier les lettres entre elles. De plus, dans le cas de la négligence spatiale unilatérale, des altérations de l écriture évocatrices de dyslexique sont parfois observées (e.g., la répétition de jambage des lettres «m» et «n»). Dans l ensemble, il a été montré que la qualité de l écriture de l enfant dépendait de ses capacités d intégration visuo-motrice. Conclusion Alors qu au cours de la deuxième moitié du XX e siècle les troubles visuels périphériques étaient considérés comme une source majeure d entrave aux acquisitions scolaires, les études actuelles suggèrent que les troubles de la cognition visuelle (i.e., les troubles neurovisuels) sont plus délétères que les troubles ophtalmologiques (6). Ceci s explique sans doute par le 14 - ENTRETIENS DE BICHAT 2010

fait que les troubles ophtalmologiques sont aujourd hui dépistés de façon très précoce (dépistage systématique à l entrée au CP), mais aussi du fait des progrès en néonatalogie et pédiatrie qui conduisent à une augmentation du taux de survie des enfants prématurés ou grandement malades. Ces deux phénomènes conduisent d une part à réduire l impact des troubles ophtalmologiques et d autre part à une augmentation du nombre d enfants souffrant de troubles neurovisuels. Or, étant donné la variété des troubles neurovisuels, il n est pas surprenant qu ils soient à même d entraver les acquisitions scolaires. Pour autant, la caractérisation des troubles neurovisuels chez l enfant et de leurs liens exacts avec les troubles des apprentissages restent encore à définir clairement. RÉFÉRENCES 1 - Chokron S. (2002). Les troubles neurovisuels d'origine centrale. In Traité de Neuro-Ophtalmologie Clinique, Paris: Masson, pp 172-179. 2 - Mazeau M. (2005). Neuropsychologie et troubles des apprentissages : du symptôme à la rééducation. Edition Masson, Paris. 3 - Dalens H., Solé M., & Neyrial M. (2006). Les pathologies neuro-visuelles chez l enfant cérébrolésé. Journal Français d Ophtalmologie, 29(1) : 24-31. 4 - Khetpal V. & Donahue S.P. (2007). Cortical visual impairment: Etiology, associated findings, and prognosis in a tertiary care setting. J AAPOS, 11(3) : 235-239. 5 - Krajewski & Schneider (2009). Exploring the impact of phonological awareness, visuo-spatial working memory, and preschool quantity number competences on mathematical achievement in elementary school. Journal of Experimental Child Psychology, 103 : 516-531. 6 - Watson C.S., Kidd G.R., Homer D.G., Connell P.J., Lowther A., Eddins D.A., Krueger G., Goss D.A., Rainey B.B., Gospel M.D., & Watson B.U. (2003). Sensory, cognitive, and linguistic factors in the early academic performance of elementary school children: The Benton-IU project. Journal of Learning Disabilities, 36(2) : 165-197. ENTRETIENS DE BICHAT 2010-15