Constructions, négociations et dérives des identités régionales dans les États des Grands Lacs africains : approche comparative

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Constructions, négociations et dérives des identités régionales dans les États des Grands Lacs africains : approche comparative Sous la direction de Bogumil JEWSIEWICKI et Léonard N'SANDA BULELI Chaire de recherche du Canada en histoire comparée de la mémoire (Université Laval, Québec), Réseau Démographie, Agence universitaire de la Francophonie, Unité d'enseignement et de recherche sur l'histoire de la mémoire, Institut pédagogique supérieur, Bukavu, R D Congo

2 Constructions, négociations et dérives des identités régionales dans les États des Grands Lacs africains : approche comparative

Constructions, négociations et dérives des identités régionales dans les États des Grands Lacs africains : approche comparative 3 Table de matières 1. Introduction : de la mémoire, de l identité et de l imaginaire, plaidoyer pour un espace public de la négociation. Par Bogumil JEWSIEWICKI 2. État de la question sur le conflit Katangais-Kasaïen dans la province du Katanga (1990-1994). Par Donatien DIBWE dia Mwembu 3. Les identités régionales et ethniques dans l Ouest de la République démocratique du Congo (Bas-Congo et Kwango-Kwilu). Par Ernest KIANGU Sindani 4. Migrations, enjeux identitaires et conflit dans la région des Grands-Lacs africains. Cas de l Est de la République démocratique du Congo. Par Léonard N SANDA BULELI Page 5 9 49 93 5. Conflit identitaire en Ituri : Rapport préliminaire. Par Noël OBOTELA RASHIDI 127 6. Analyse comparée des discours régionaux au Congo. Par Pascal NYUNDA ya RUBANGO 7. Négociations identitaires et réconciliation au Burundi : Initiatives prises. Par Melchior MUKURI 8. Nationalism, Historiography and the (re) construction of the Rwandan past. Par Thomas TURNER 9. Commentaires d Erik KENNES sur «l État de la question sur le conflit Katangais- Kasaïen dans la province du Katanga (1990-1994)» 10. Commentaires de Christian THIBON sur «Les Migrations, enjeux identitaires et conflit dans la région des Grands-Lacs africains. Cas de l Est de la République démocratique du Congo» 11. Commentaires d Isidore NDAYWEL sur «Les identités régionales et ethniques dans l Ouest de la République démocratique du Congo (Bas-Congo et Kwango-Kwilu)» 12. Commentaires de Marc LE PAPE sur «Traitements de l Histoire nationale au Burundi et au Rwanda». 139 163 193 203 209 213 219 13. Annexes 223 14. Notice biographique des auteurs 237

4 Constructions, négociations et dérives des identités régionales dans les États des Grands Lacs africains : approche comparative

Constructions, négociations et dérives des identités régionales dans les États des Grands Lacs africains : approche comparative 5 INTRODUCTION : DE LA MÉMOIRE, DE L IDENTITÉ ET DE L IMAGINAIRE, PLAIDOYER POUR UN ESPACE PUBLIC DE NÉGOCIATION Bogumil Jewsiewicki Ce projet, dont le présent volume constitue une première réalisation, est issu de la rencontre de plusieurs personnes et institutions. Il propose aux intellectuels de la région de l Afrique centrale un lieu d échange, un espace de négociation bénéficiant des éclairages critiques du regard universitaire. Si nous implantons ce lieu sur la Toile, tout autant pour le rendre accessible que pour y faciliter les échanges, la démarche universitaire n est qu une première phase. Lors de la rencontre où ont été présentés les textes qui composent ce dossier, Christian Thibon a attiré l attention sur le rôle qu a joué le téléphone mobile dans les négociations politiques au Burundi. Quand la méfiance entre les acteurs politiques est grande, il y a un avantage certain de commencer à se parler sans devoir se voir, sans que les interlocuteurs ne sachent où se trouvent les uns et les autres. Désormais, l Internet est relativement accessible dans la région concernée, sans que l on puisse parler de véritable démocratisation d accès. Il s agit néanmoins d un espace de circulation de l information, des opinions, de la propagande, espace qui est le plus accessible de tous pour ceux qui savent lire. Il existe toujours une barrière économique, technologique et institutionnelle à la capacité de fréquenter la Toile. Sans aucun doute les femmes s y retrouvent nettement moins nombreuses que les hommes ; les villageois l ignorent, à l exception de quelques entrepreneurs politiques ou religieux. Cependant, l espace électronique est de loin plus accessible que l espace de l imprimé, la barrière économique à l entrée y est plus basse que pour la radio, sans parler de la télévision. Enfin, l oralité postscripturale 1, qui organise la communication publique dans les espaces urbains constitue plus un avantage qu un handicap dans la fréquentation de l espace électronique. Par contre, dans cette région où la tradition intellectuelle de la communication «moderne» est largement issue de la formation à l école missionnaire, la Toile n ayant pas le prestige de l écrit, son usage peut, pour cette raison, être perçu comme un inconvénient; mais pour la même raison la Toile redevient un avantage puisque s y exprimer peut être moins intimidant. Cette longue entrée en la matière consacrée à en justifier le lieu trahit un malaise, une crainte que le débat proposé par ce dossier ne soit pas pris au sérieux. Relevons le défi de démocratiser l espace d échange et profitons de la multiplicité des lieux physiques et symboliques de son opération afin de surmonter le préjugé initial de sa faible légitimité. Au moment où le visiteur y accédera, le dossier sera simultanément accessible sur plusieurs sites web, celui de l Agence universitaire de la Francophonie, le site www.anamnesis.fl.ulaval.ca de la Chaire de recherche du Canada sur l histoire comparée de la mémoire et, prochainement, le site de l Unité d enseignement et de recherche sur l histoire de la mémoire, Institut pédagogique supérieur, Bukavu, R D Congo et celui du Centre d'études des crises et des conflits internationaux (CECRI) de l Université catholique de Louvain. Le Forum auquel vous êtes invités à participer est animé par le Dr. Léonard N Sanda Buleli, fondateur et directeur de cette UER sur l histoire de la mémoire. L environnement du site anamnesis vous invite à une démarche comparative qui dépassant la région vise à universaliser une perspective plutôt qu à singulariser 2 l expérience unique. Soyons clairs, universaliser l unique ne signifie pas dissoudre le premier dans le second, mais plutôt saisir l universel comme perspective afin de révéler tout autant ce qui leur est commun (partagé par toutes les expériences humaines) que ce qui est unique au second. Le défi actuel du pluralisme culturel il serait plus juste de parler de la pluralité des hommes et des femmes dans leurs singularités autant que dans leur universalité peut être relevé sur la Toile. Le recours à la tradition intellectuelle de travail critique en français peut aider à bien nous en servir. Une condition s impose, reconnaître de quel lieu la parole est dite, celui de citoyen ou celui d intellectuel critique, universitaire ou non. On peut, on devrait, être l un et l autre, mais à tour de rôle et non dans la confusion puisque chacune de ces postures a ses exigences qui ne sont pas nécessairement compatibles au même moment. 1 B. Jewsiewicki, «Vers une impossible représentation de soi», Les temps modernes, n os 620-621, p. 101-114. 2 Voir B. Jewsiewicki, «Cheri Samba. Universalizing a Unique Perspective», in Prince Claus Funds, Humor & Satire. 2005 Prince Claus Awards, La Haye, 2005, p. 67.

6 Constructions, négociations et dérives des identités régionales dans les États des Grands Lacs africains : approche comparative Revenons maintenant au point de départ de ce dossier afin que le lecteur sache dans quelles conditions et par qui ce lieu de parole a été formé. En 2004, fut formulée l idée d un projet de recherche sur la dynamique identitaire au Congo. Cette initiative de Bernard Lulutala Mumpasi (alors professeur de démographie à l Université de Kinshasa et membre du Réseau Démographie de l AUF) a été relayée par Pascal Kapagama du Groupe d études et de recherches sur les sociétés africaines (Université Laval, Québec) et appuyée par le Réseau Démographie de l AUF. Invité à m y joindre, je me suis trouvé devenir son animateur puisque, entre temps, Bernard Lututala est devenu recteur de l Université de Kinshasa. Pour permettre au projet de démarrer, Richard Marcoux et le Réseau Démographie ont offert un soutien financier complété par les apports du projet «Séminaire virtuel - Mémoires historiques ici et ailleurs : regards croisés» et de la chaire que je dirige. Dans la région même, Donatien Dibwe dia Mwembu qui anime le projet «Mémoires de Lubumbashi», Kiangu Sindani de l Université de Kinshasa et Melchior Mukuri de l Université du Burundi, tous anciens boursiers postdoctoraux de l AUF et de la Chaire, ont accepté d y participer. Ce fut également le cas d Augustin Nsanze (ancien chercheur associé à ma Chaire et au CELAT). Les moyens financiers restreints n ont pas permis d assurer la participation des deux derniers à la rencontre. Léonard N Sanda, qui terminait alors son doctorat à l Université Laval, est devenu depuis professeur à l Institut supérieur pédagogique de Bukavu. C est à titre de boursier postdoctoral de l AUF et de la Chaire qu il assure actuellement la coordination du projet dont le centre de gravité régional sera placé à Bukavu à partir de mars 2006, quand il y rejoindra son UER «Histoire de la mémoire». L amitié de quelques collègues dispersés à travers le monde nous a apporté leur participation, soit en personne, dans les cas de Remy Bazenguissa, Isidore Ndaywel è Nziem, Nyunda ya Rubango, Marc Le Pape, Christian Thibon et Thomas Turner, soit en délégant un chercheur dans le cas d Alphone Maindo du centre dirigé à l Université Paris I par Richard Banegas. Pour terminer, le hasard nous a été favorable. Noël Obotela et Marcel Ngandu (ce dernier co-auteur avec Dibwe d un livre sur le conflit Katangais-Kasaiens paraissant alors aux Éditions L Harmattan 1 ), étaient alors présents en Belgique invités respectivement par le Musée royal de l Afrique centrale de Tervuren et par l Université catholique de Louvain. Le CECRI de l Université catholique de Louvain s est présenté comme lieu idéal pour tenir la rencontre, tout d abord par la présence en ce centre de Valérie Rosoux 2, dont les travaux sur la place de la mémoire dans les relations internationales nous apportent une dimension indispensable, ainsi que par l orientation du Centre. Nous y avons bénéficié d un accueil intellectuel et humain des plus précieux. Plusieurs collègues de l UCL se joignaient également au groupe au gré de leur disponibilité. Enfin, et sans le moindre préjugé pour son importance, la collaboration de la Section Histoire du temps présent du Musée royal de l Afrique centrale s est traduite tout autant par la participation de Gauthier de Villers et d Erik Kennes qui a rédigé l un des commentaires que par la présentation du dernier volume des Cahiers africains/afrika Studies, dirigé par Danielle de Lame et Donatien Dibwe dia Mwembu, Tout passe. Instantanés populaires et traces du passé à Lubumbashi. Le parti pris de l entreprise a été simple, présenter diachroniquement, par région, en quelques descriptions analytiques, la situation des conflits et négociations identitaires qui s y déroulent depuis 1990. La comparaison faisait déjà partie du projet initial proposé par Bernard Lututala. Nous en avons fait l élément central de la démarche en insistant sur la «comparaison entre» plutôt que sur la «comparaison à», trop hiérarchisante 3. Les moyens matériels très limités nous ont d abord restreint à porter le regard sur trois régions, le Katanga, le Sud-ouest et l Est du Congo. La collaboration avec Melchior Mukuri et l amitié de Thomas Turner nous ont valu deux textes sur le Burundi et sur le Rwanda ; nous avons attendu jusqu à la dernière minute un texte promis par Augustin Nsanze, malheureusement trop occupé par ses obligations professionnelles actuelles. Pendant la rencontre, Noël Obotela et Alphonse Maindo avaient promis chacun un texte sur le Nord- 1 Vivre ensemble au Katanga, Paris, L Harmattan 2005. 2 Ancienne boursière postdoctorale du CELAT, Université Laval. 3 Voir François Hartog, Anciens, modernes, sauvages, Paris, Galaade, 2005, p. 197, s appuyant sur Gérard Lenclud. Il est difficile de signaler ici la littérature sur la comparaison, rappelons seulement le récent numéro de la revue Genre Humain (42, 2004) De la comparaison à l histoire croisée.

Constructions, négociations et dérives des identités régionales dans les États des Grands Lacs africains : approche comparative 7 est du Congo; seul Noël Obotela nous l a fait parvenir, et Maindo, revenu à Kisangani, n a pas pu être joint. Seulement au moment où les trois rapports ont été déposés, et pas avant, j ai adressé une demande pressante à Nyunda ya Rubango de faire l analyse d un échantillon de discours politiques dont il était question dans ces rapports. Par amitié, il a accepté de relever cette tâche. Je crois que le lecteur doit lui en être reconnaissant. L évolution interne de ce projet a donc fait que, formulé d abord à partir de Kinshasa, il a été implanté à côté de celui lancé à Lubumbashi depuis 2001, «Mémoire de Lubumbashi» ayant déjà produit plusieurs manifestations locales et quelques publications 1. À présent, Bukavu se trouve être son lieu d implantation puisque l UER dirigé par Léonard N Sanda lui servira de centre de gravitation et d animation. Une section sur le forum du site www.anamnesis.fl.ulaval.ca est réservée au présent projet, elle sera administrée par Léonard N Sanda. À dessein, aucun cadre théorique n a été proposé au départ. Après la réception des rapports, nous avons disposé de trois semaines pour leur lecture et analyse, c est au cours de cette période que les commentaires, qui figurent en fin de ce dossier ont été préparés. J ai alors fait circuler un dossier composé principalement de quelques textes de Jürgen Habermas sur l espace public et sur le patriotisme constitutionnel, ainsi que quelques analyses critiques qui leur ont été consacrées 2. Hérold Toussaint a très justement attiré l attention sur le potentiel de ce dernier concept pour la transition politique en Haïti 3 ; j estime que les analystes et acteurs politiques congolais gagneraient à en prendre connaissance. Aboutissement d une série de rencontres, du bricolage tant qu entre amis qu au niveau institutionnel, ce projet n a pu se mettre en place en moins d un an que grâce au capital des relations qui se trouvaient à son aval, mais surtout grâce à la confiance et aux appuis reçus tout d abord au sein de l Agence universitaire de la Francophonie. Tant la recteur de l Agence, Michèle Gendreau- Massaloux, que le responsable du Réseau Démographie, Richard Marcoux, et le Bureau Amérique du Nord, plus particulièrement Lucie Parent, ont cru en nous et nous ont aidés. Nous avons également bénéficié dans le quotidien, et c est la condition de pouvoir progresser, de l appui du Centre interuniversitaire d études sur les lettres, les arts et les traditions (Université Laval), tout particulièrement de l amitié de son coordonnateur Gervais Carpin. N eut été la souplesse qu offre le programme de la Chaire de recherche du Canada, la réalisation de cette entreprise en si peu de temps aurait été impossible, de même que la création d une infrastructure numérique dont le site web anamnesis réalisé par Tristan Landry. Le projet est maintenant entre les mains des citoyens et des intellectuels critiques de la région. De l extérieur nous ne pouvons que l accompagner contribuant d une part à la nécessaire distinction entre les positions de citoyen et d intellectuel critique à chaque fois que quelqu un y prend la parole de manière responsable. D autre part, les voix extérieures, dont le lieu d énonciation n est forcement pas citoyen, devraient contribuer à maintenir et à enrichir tout autant la diversité et le pluralisme des positions critiques que l éclairage comparatiste. La posture historique ou mémorielle, tout comme la posture citoyenne et critique, ne peuvent pas être confondues. Toutes sont nécessaires, mais aucune ne détient de vérité entière et chacune, par l éclairage qu elle apporte à l autre, par le rappel des responsabilités et des obligations en jeu, enrichit l espace public où l opinion publique 1 Ukumbusho - Mémoires de Lubumbashi : images, objets, paroles, Femmes-Mode-Musique. Mémoires de Lubumbashi et Le travail hier et aujourd hui. Mémoire de Lubumbashi, Paris, L Harmattan, respectivement 2001, 2002 et 2004, coll. «Mémoires lieux de savoir. Archive congolaise». 2 Voir parmi les plus accessibles : Jürgen Habermas, De l éthique de la discussion, et Écrits politiques, tous deux Paris, Flammarion, 1992, coll. «Champs», Stéphane Haber, Jürgen Habermas, une introduction, Paris, Découverte, 2001, coll. «Pocket» et Habermas. L usage public de la raison, sous la direction de Rainer Rochlitz, Paris, PUF, 2002, coll. «Débats philosophiques» 3 Cette conférence intitulée «Pourquoi lire Jürgen Habermas à l Université d État d Haïti», prononcée le 20 octobre 2004 à l Université Laval, peut être entendue sur l audiothèque du site www.anamnesis.fl.ulaval.ca. Hérold Toussain y avait séjourné dans le cadre du programme «Mobilité des professeurs-cherchers invités du Sud», de l AUF.

8 Constructions, négociations et dérives des identités régionales dans les États des Grands Lacs africains : approche comparative travaille entre les champs d expérience et l horizon d attente autour des lieux de mémoire et sous l influence des cadres sociaux de la mémoire et de l imaginaire. ***

Constructions, négociations et dérives des identités régionales dans les États des Grands Lacs africains : approche comparative 9 ÉTAT DE LA QUESTION SUR LE CONFLIT KATANGAIS-KASAÏEN DANS LA PROVINCE DU KATANGA (1991-1994) 0. INTRODUCTION Donatien DIBWE dia MWEMBU «Aucune étude sérieuse de l évolution politique au Congo ne peut laisser de côté le difficile problème du «tribalisme «, ou de ce que l on peut encore appeler «l ethnicité «. C est l un des problèmes majeurs qui met en question l existence même de l entité congolaise» (Crawford Young) 1 Cette citation de C. Young, vieille de 26 ans environ, est toujours d actualité. Elle met en relief la place qu occupe le problème identitaire dans le comportement des leaders politiques et, partant dans l évolution politique de la République démocratique du Congo. De façon générale, le continent africain est en crise. Depuis les indépendances, l Afrique traverse une série de violences politiques, économiques, sociales, morales et même culturelles. Mutineries, rebellions, coups d Etat militaires, conflits inter ethniques ou frontaliers, intolérance politique et religieuse, exclusion de l autre, etc.., sont le lot de la vie quotidienne. L Afrique semble perpétuer son étiquette de terra incognita, de par le comportement énigmatique de ses dirigeants, entraînant ainsi son gros point d interrogation tant son devenir est incertain. Cette rupture brutale de l équilibre de la société dans un contexte de violence chronique semble donner raison à ceux-là mêmes qui, au lendemain des années 1960, prétendaient que l Afrique était mal partie, que son indépendance était ratée 2. Cette crise est en fait la résultante de l absence de l intégration sociale, politique et économique des populations ou des pays en présence. Dans certains états africains, l ethnicité et le régionalisme rendent malaisée la cohabitation entre différents groupements sociaux. Le génocide ruandais vécu en 1994 et les troubles entre Hutu et Tutsi observés aussi bien au Ruanda qu au Burundi ont pour origine le nationalisme ethnique, un problème d identité. Ethnicité et régionalisme sont là des termes identitaires qui, en eux-mêmes, ne sont pas vecteurs de germes séparatistes. Mais leur utilisation fait (re)naître l égoïsme, l égocentrisme, l exclusion, la haine de l autre, l intolérance. Ces identités apparaissent le plus souvent lorsque la souveraineté d un groupe est en danger ou lorsque les intérêts des groupes en présence sont menacés. La cohabitation des différents groupes sociaux est le plus souvent entachée des conflits dans le contrôle des espaces économiques et politiques. Les conflits en question peuvent concerner deux ethnies au sein d un même espace géographique ou deux espaces géographiques différents. La République démocratique du Congo, sorte de sous-continent africain, n échappe pas à cette crise. De par sa position géographique, il partage des frontières avec neuf pays des mondes anglophone, francophone et lusophone avec leurs problèmes particuliers. La région des grands lacs, par exemple, constitue un volcan en activités tant les problèmes de contrôle des espaces politique et économique entre les deux ethnies hutu et tutsi n auront pas trouvé d issue heureuse et définitive. En outre, 45 ans après son indépendance, la République démocratique du Congo en général et la province du Katanga en particulier se trouvent enlisés dans une période de turbulence politique chronique avec comme corollaires des profonds bouleversements économiques, sociaux, culturels et moraux aux conséquences néfastes. Dans le cas qui nous concerne, l ethnicité et le régionalisme se révèlent des stratégies identitaires qu un individu ou un groupe d individus de même provenance utilisent pour accéder au pouvoir et s y maintenir. C est pourquoi la résurgence des identités collectives apparaît le plus 1 Crawford YOUNG, Introduction à la politique zaïroise, 2è Edition, Presses Universitaires du Zaïre, Kinshasa, 1979, p. 107. 2 Il suffit, pour s en rendre compte, de lire G. BALANDIER, Crises et mutations en Afrique, in Le Monde diplomatique, mars 1964, p. 4; R. DUMONT, L Afrique noire est mal partie, Edition du Seuil, Paris, 1962; A. De MEISTER, L Afrique peut-elle partir?, Edition du Seuil, Paris, 1965, etc..

10 Constructions, négociations et dérives des identités régionales dans les États des Grands Lacs africains : approche comparative souvent à l approche des échéances électorales. C est à ce moment aussi que l on assiste à des jeux d alliances ethniques ou régionales et aussi à des jeux de divorces et des conflits interethniques ou inter provinciaux. Le début des années 1990 fut marqué au Congo par le discours du 24 avril du président Mobutu qui mettait un terme au monopartisme et ouvrait ainsi une nouvelle ère, celle du multipartisme intégral. Mais, cette période de transition politique que la population congolaise croyait pacifique fut longue et conflictuelle à cause des violations répétées des accords conclus entre le pouvoir et l opposition. Elle fut, entre autres, caractérisée par la résurgence des identités collectives tribales, ethniques et régionales. Attisées par le pouvoir décadent de Mobutu devenu allergique à l unité du pays, ces identités débouchèrent sur des conflits inter ethniques sanglants un peu partout au Congo, notamment dans les provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu, du Kasaï Oriental et du Katanga. Le premier grand conflit que la province du Katanga connaît fut non pas inter ethnique mais inter provincial. Ce conflit sanglant avait pour base la gestion des espaces économiques et politiques et, partant la création d une bourgeoisie katangaise. Le pouvoir politique en place a procédé à la fois à la dékasaïnisation et à la katangaïsation des postes de responsabilités dans tous les domaines de la vie quotidienne. En d autres termes, les postes de responsabilités jadis occupés par les originaires des provinces du Kasaï étaient arrachés à ces derniers et redistribués aux originaires du Katanga. Un conflit sanglant opposa les Katangais originaires de la province du Katanga aux Katangais originaires des provinces du Kasaï Occidental et Oriental. Ce conflit, communément appelé épuration ethnique, fait couler beaucoup d encre et de salive. Notre objectif n est pas d exhumer ici la mémoire des tensions qui ont secoué la province du Katanga au cours de la dernière décennie du XX siècle. Nous voulons rendre compte des débats autour de ces conflits, de la recherche de la réconciliation, etc., des avancées ou des blocages enregistrés dans le processus de la négociation, etc. Notre communication est axée autour de quatre points essentiels. Le premier point justifie la présence nombreuse des originaires des provinces du Kasaï dans la province du Katanga. Le deuxième point présente un bref aperçu historique du conflit katangais-kasaïen depuis la période coloniale. Le troisième volet, le plus important, traite des débats autour du conflit, de la recherche des voies et moyens pour la réconciliation entre les deux communautés antagonistes. Le dernier point, conséquence du conflit, montre le caractère de façade de l identité katangaise. Nous clôturerons cette étude par une conclusion. 1. Qui sont les Katangais originaires des provinces du Kasaï? Les Kasaïens du Katanga constituent une communauté hétérogène aussi bien horizontalement que verticalement. Cette communauté est interethnique et composée, pour le Kasaï Oriental, des Luba-Kasaï, des Songye, des Tetela, des Kanyoka et, pour le Kasaï Occidental, des Luluwa, des Kuba, des Salampasu, des Kete, etc... Elle renferme deux catégories de personnes : celle des immigrés, des gens venus du Kasaï pour diverses raisons, et celles des natifs, gens nés sur place et qui ne sont Kasaïens que de nom. La présence nombreuse et permanente des Kasaïens au Katanga comme d'ailleurs la notion même de «Kasaïens» datent de la période coloniale. Elle est d'abord liée à l'organisation territoriale du Congo belge. En effet, à partir des années 1910, le Congo belge fut divisé en quatre provinces : le Katanga (1910), la Province Orientale (1913), l'équateur (1917) et le Congo-Kasaï (1918). Les territoires de Kanda-Kanda, Kabinda, Mpania Mutombo, Kisengwa et Tshofa faisaient alors partie de la province du Katanga et composaient, avec les territoires de Kabongo, de Mato et de Mutombo Mukulu, le district du Lomami créé en 1912. Cette dernière entité territoriale était considérée comme la plus peuplée du Katanga et, partant, le réservoir de la main-d œuvre à destination du Haut-Katanga industriel 1. En 1927, par exemple, sur une population totale du Katanga évaluée à 977.320 personnes, le district du Lomami en comptait à lui seul 499.578 habitants, soit 51% de la population totale. De ces 499.578 personnes, les territoires de Kanda-Kanda, Kabinda, Mpania Mutombo, Kisengwa et Tshofa disposaient de 398.100 personnes, soit 41% de la population totale du Katanga et 80% de celle 1 L. MOTTOULLE, «Contribution à l'histoire des recrutements et emplois de la main-d'oeuvre indigène dans les territoires du Comité Spécial du Katanga», in Bulletin CEPSI, nº 14(1950), p.13-26 (p.24).

Constructions, négociations et dérives des identités régionales dans les États des Grands Lacs africains : approche comparative 11 du district du Lomami 1. Le recrutement de la main-d œuvre à destination du Haut-Katanga industriel a commencé en 1912 dans le district du Lomami. La plupart des recrues du Lomami étaient composées des habitants des territoires de Kanda-Kanda, Kabinda, Mpania Mutombo, Kisengwa et Tshofa. De 1923 à 1930, la proportion des originaires de ces cinq territoires recrutés dans le district du Lomami et cédés au Haut-Katanga industriel par la bourse du travail du Katanga/Office Central du Travail au Katanga était en moyenne de l'ordre de 91% de l'ensemble des recrues 2. Ces cinq territoires furent détachés de la province du Katanga et rattachés à celle du Kasaï à l'issue de la grande réforme territoriale opérée en 1933. À partir de cette année, le Congo belge fut divisé en six provinces à savoir Léopoldville, Orientale, Équateur, Kivu, Katanga et Kasaï. La province du Katanga vit sa population passer de 1.199.968 habitants en 1932 à 877.350 habitants à la fin de 1933, soit une perte de 322.618 habitants (27%) rattachés désormais à la nouvelle province du Kasaï. Comme on le voit, ces anciens «Katangais» originaires des territoires de Kanda-Kanda, Kabinda, Mpania Mutombo, Kisengwa et Tshofa ont changé d identité et sont devenus des «Kasaïens», donc des originaires de la province du Kasaï par l'arrêté royal du 25 juin 1933. Le facteur le plus important qui justifie la présence nombreuse des Kasaïens au Katanga demeure sans conteste l'industrialisation. En effet, l'avènement de l'industrialisation dans le Haut- Katanga, région faiblement peuplée, a amené les colonisateurs à mobiliser les populations congolaises et celles des colonies voisines et à les agglomérer autour des mines. A elle seule, la population du Haut-Katanga ne pouvait pas satisfaire les besoins toujours croissants en main-d œuvre, liés à la fois à la naissance et à l'essor des entreprises coloniales. La première raison réside dans la pauvreté démographique de la région elle-même. À titre d'exemple, la densité de la population du Katanga, toujours en dessous de la moyenne du pays, est passée de 2,08 habitants au Km² en 1938 à 2,50 habitants en 1948, à 3,33 habitants en 1958, à 5,04 habitants en 1970 et à 7,79 habitants au Km 2 en 1984 3. Au cours des années 1910, les premiers recrutements de main-d œuvre opérés sur le territoire du Haut-Katanga avaient non seulement érodé considérablement la population locale, mais également poussé une fraction importante des villageois à traverser la frontière pour se réfugier en Rhodésie du Nord (actuelle Zambie). En outre, l'érosion démographique et la mobilité de la population ont eu un impact néfaste sur les activités agricoles de la région. Aussi, a-t-on dû déplorer des cas de famine vers les années 1911-1912 et en 1918 4. Il en résulta donc un cercle vicieux. Les recrutements excessifs de la main-d œuvre dans le Haut-Katanga ont perturbé la croissance harmonieuse de la population et la production agricole dans les milieux ruraux. Cette situation a entraîné à son tour la famine qui a eu un impact néfaste sur le rendement des travailleurs dans les foyers industriels. Pour diverses raisons liées autant à la technologie de l'exploitation minière qu'à la recherche du moindre coût du travail, la main-d œuvre était migrante au début. Les employeurs la recrutaient pour une période relativement courte, ne dépassant pas 12 mois, puis la renvoyaient dans son village natal. À la longue, avec l évolution de la technologie, le système de main-d œuvre migrante se révéla antiéconomique. A partir de l année 1925, certains employeurs adoptèrent la politique de stabilisation de la main-d œuvre africaine, communément appelée politique de peuplement du Haut-Katanga industriel. L'Union Minière du Haut-Katanga entreprit des missions de recrutement au Maniema, au Rwanda et au Kasaï. Interrompue par la grande crise économique mondiale des années 1930, cette 1 Rapports aux Chambres, 1927-1958. Les territoires de Kanda-Kanda, Kabinda, Mpania Mutombo, Kisengwa et Tshofa font partie du Kasaï Oriental. 2 MUTEBA Kabemba Nsuya, «Le recrutement de la main-d'oeuvre dans le district du Lomami à destinationdu Haut-Katanga industriel (1912-1933)». Mémoire de licence en Histoire, UNAZA, Campus de Lubumbashi, Lubumbashi, 1973, p.60 bis. 3 Rapports aux Chambres, 1927-1958; cf. aussi KABEYA Lusangu, «Histoire de la population autochtone du Zaïre (1925-1959)», travail de fin de cycle, UNILU, Lubumbashi, 1986, p.15-16; voir aussi INSTITUT NATIONAL DE STATISTIQUE, Recensement scientifique de la population 1984, Zaïre. Un aperçu démographique, Kinshasa, Ed. Saint Paul, 1991. Au cours de la même période, la densité de la population du Zaïre était respectivement de 4,37 hab/km 2 ; 4,78 hab.; 9 hab. en 1970 et 12,7 hab. au Km 2 en 1984. 4 LWAMBA Bilonda, «Histoire du mouvement ouvrier au Congo belge (1914-1960). Cas de la province du Katanga», thèse de doctorat en Histoire, UNILU, Lubumbashi, 1985, p. 28.