Besoin de soins en santé mentale versus besoin de soins en pédopsychiatrie. Approche épidémiologique



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Neuropsychiatrie de l enfance et de l adolescence 57 (2009) 494 501 Conférence plénière Besoin de soins en santé mentale versus besoin de soins en pédopsychiatrie. Approche épidémiologique Mental health needs versus child psychiatric needs. An epidemiological approach V. Kovess-Masféty, T. Shojaei, I. Pitrou, F. Gilbert Fondation MGEN pour la santé publique, 3, square Max-Hymans, 75748 Paris cedex 15, France Résumé Objectif de l étude. Évaluer les besoins de soins en santé mentale, en pédopsychiatrie ainsi que leurs déterminants respectifs chez les enfants des écoles primaires dans une région de France. Patients et méthode. L enquête a été réalisée sur un échantillon randomisé de 2341 enfants scolarisés dans des écoles primaires de la région PACA. Les questionnaires utilisés pour mesurer la santé mentale des enfants étaient selon l informant : le Dominique interactif (enfant), le Strengths and difficulties questionnaire (parents) et un questionnaire basé sur le DSM-IV (enseignants). Le recours aux soins (12 derniers mois) et les déterminants sociaux ont été recueillis auprès des parents par autoquestionnaire. Résultats. Le besoin de soins en pédopsychiatrie (troubles avec retentissement rapportés par deux informants) concerne 7,7 % des enfants, celui en santé mentale 21,9 %. Le recours des enfants de la première catégorie est de 13,6 % pour la pédopsychiatrie, 38,4 % pour les intervenants spécialisés en santé mentale. Le besoin de soins en pédopsychiatrie semble être plus fréquent chez les garçons et dans les familles monoparentales. Le besoin de soins en santé mentale serait plus fréquent chez les jeunes enfants (six à huit ans) et moins fréquent dans les catégories socioprofessionnelles élevées. Conclusion. Les volumes des besoins sont très différents. Il semble que moins de la moitié des enfants ayant des besoins en pédopsychiatrie soit en contact avec le système spécialisé, alors que des enfants ayant des besoins moins spécialisés y sont. Une meilleure définition des besoins, des acteurs et structures permettrait une plus grande équité dans l utilisation des ressources. 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Enquête épidémiologique ; Santé mentale ; Pédopsychiatrie ; Enfants de six à 11 ans ; Besoin de soins en santé mentale Abstract Objectives. It is an epidemiological study which evaluates mental health needs and child psychiatric needs among primary school children in a South-East French region together with their respective social determinants. Patients and methods. The survey has been done on 2341 children randomised in primary schools of the PACA region. Three instruments were used: Dominic Interactive for the children, Strengths and Difficulties Questionnaire (SDQ) for the parents and a DSM-IV checklist for teachers. Social determinants and use of care were collected toward parents in a self-administered way. Results. According to the proposed definition, 7.7% of children assessed have child psychiatric needs (child with problems reported by more than one informant and which have been judged as impairing his life), 21.9% have mental health needs (needs are exclusive). Among the first category, 13.6% have been in contact with a child psychiatrist and 38.4% with any mental health specialist provider during the previous year. Child psychiatric needs are more frequent in boys and monoparental families and mental health needs in the youngest (6 to 8 years) and less frequent in highest socioprofessional category. Conclusions. Child psychiatric and mental health quantities of needs are very different (one to five); less than half children having child psychiatric care needs are in contact with the specialised system when many children with lower needs are in contact with it. A better definition of needs as well as the appropriate providers and structures will allow better fit and equity in resources utilisation. 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Epidemiological survey; Mental health; Child psychiatry; 6 to 11 years children; Needs of mental health care; Mental health care planning Auteur correspondant. Adresse e-mail : vkovess@mgen.fr (V. Kovess-Masféty). 0222-9617/$ see front matter 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.neurenf.2008.12.007

V. Kovess-Masféty et al. / Neuropsychiatrie de l enfance et de l adolescence 57 (2009) 494 501 495 1. Introduction La pédopsychiatrie semble aujourd hui en crise dans notre pays au moins autant si ce n est plus que la psychiatrie adulte. Les demandes en pédopsychiatrie ont augmenté considérablement depuis une vingtaine d années grâce aux résultats obtenus mais aussi à cause de la vulgarisation des troubles de la santé mentale chez les enfants. Les parents hésitent alors beaucoup moins à faire examiner leur enfant pour des problèmes de cet ordre. 1.1. L offre de soins en France L offre de soins pour les problèmes de santé mentale des enfants en France est diverse et sa lisibilité n est pas évidente pour le grand public. L organisation des soins dits de pédopsychiatrie est en principe basée sur le secteur historique appelé pour les enfants et adolescents : intersecteur de psychiatrie infantojuvénile. Rappelons qu il existe en France environ 300 intersecteurs et que d après un rapport de la DREES [1], un intersecteur dessert en moyenne 49 000 enfants et adolescents de moins de 20 ans, (de 40 000 jeunes de moins de 20 ans en Corse, Limousin et Auvergne à plus de 55 000 en Alsace, Nord-Pas-de-Calais et Île-de-France). La vocation de l intersecteur de pédopsychiatrie telle que définie par les textes fondateurs est très large et va de la prévention aux soins y compris la réadaptation. Pour ce faire, chaque secteur dispose de ressources en personnel dont la composition est différente de celle d un secteur adulte par la présence accrue de psychologues (6,3 équivalents temps plein [ETP]) en nombre égal au nombre d ETP de médecins (5,8), de personnels éducatifs (6,1 ETP) et de personnels de rééducation (5,8 ETP), et la présence moindre d infirmiers (17,9 ETP) sachant que l hospitalisation est un mode de prise en charge relativement rare pour cette population traitée en grande majorité en extrahospitalier. Le rapport note que le nombre d enfants et d adolescents en contact avec le système de soins spécialisé public français a beaucoup augmenté les dix dernières années étudiées (1990 à 2000). Cependant le renouvellement de la population des enfants et adolescents suivis par les intersecteurs est très important près de la moitié des enfants consultaient en 2000 pour la première fois et 20 % des enfants et adolescents n ont été vus qu une seule fois dans l année 2000. Ce sont les enfants de cinq à neuf ans (39 %) et de dix à 14 ans (30 %) qui sont proportionnellement les plus présents dans les files actives des secteurs et le pourcentage de garçons pris en charge (59 %) est supérieure à celui des filles (41 %). Le recours des enfants et des adolescents aux intersecteurs est très différent suivant les régions et les départements et plus fréquent dans la moitié sud du pays. Le secteur de psychiatrie infantojuvénile n est cependant pas le seul recours pour la prise en charge des problèmes de santé mentale car il existe des structures médicosociales très actives vis-à-vis de cette population comme les Centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP), qui travaillent au plus près du système scolaire et proposent une aide aux enfants qui ont des difficultés d apprentissage pour des raisons psychologiques [2]. Il semblerait cependant que les différences entre ces structures et les CMP ne soient pas aussi tranchées et que de nombreux CMPP accueillent une clientèle proche de celle des CMP. En effet, le rapport note que les secteurs sont très sollicités pour tout problème concernant les enfants et les adolescents et que les demandes qui lui sont faites sont d autant plus nombreuses que les personnels en charge des enfants ne souhaitent pas prendre de risque à cet égard. Il en résulterait que tout enfant ayant un problème de santé mentale, même léger, serait assez facilement référé à son intersecteur spécialisé. À l inverse, les CMPP pourraient recevoir des enfants présentant des troubles sévères et au bout du compte les clientèles ne seraient pas aussi différentes que les sigles le laisseraient supposer. À ces structures, s ajoute l offre constituée par les pédopsychiatres de l enfant et de l adolescent exerçant en libéral ou en pratique mixte. Les pédopsychiatres sont relativement nombreux en France : 1212 avec une densité moyenne à 1,9 qui est dans la moyenne haute de l Union européenne à égalité avec le Royaume Uni ; 28 % n exercent qu en libéral, 38 % à l hôpital et 10,3 % comme salariés tandis que le reste, soit 23,7 %, a une pratique mixte [3]. La répartition des ces pédopsychiatres est très hétérogène : leur densité est élevée dans les régions du sud de la France, en Île de France, Champagne-Ardenne et Lorraine ; moyenne dans les régions Centre, Rhône-Alpes, Poitou-Charentes et en Bourgogne et faible dans le reste des régions. À ces disparités régionales s ajoutent des différences départementales importantes. Ces disparités d accès sont malheureusement souvent parallèles à celles de l accès aux intersecteurs. Au total, malgré des moyens conséquents, le système semble connaître des difficultés ; en particulier des listes d attente de plusieurs mois en diminuent l accessibilité. Cet article, en utilisant les résultats d une enquête de population conduite dans la région PACA, qui est une région bien dotée, tente de proposer une réflexion sur le fonctionnement du système de soins spécialisés en pédopsychiatrie et plus spécifiquement sur la répartition des tâches entre intervenants spécialisés et non spécialisés dans deux systèmes interconnectés, l un dit de première ligne et l autre dit système spécialisé. Il propose une graduation des réponses en fonction de la gravité des problèmes et cela dans la perspective de garder la pédopsychiatrie pour les cas qui en ont le plus besoin. 2. Patients et méthode Cette étude s est déroulée entre novembre 2004 et mars 2005 dans les écoles primaires de la région PACA en collaboration avec la Drass et les académies d Aix-Marseille et de Nice [4]. Elle s est délibérément penchée sur les problèmes de santé mentale les plus fréquemment rencontrés chez les enfants scolarisés en milieu ordinaire. Les problèmes les plus handicapants, comme les déficiences et les troubles graves du développement (par exemple, l autisme ou les psychoses infantiles) ont été exclus de son champ d investigation.

496 V. Kovess-Masféty et al. / Neuropsychiatrie de l enfance et de l adolescence 57 (2009) 494 501 2.1. Échantillon Le recueil des données a été fait à partir d un échantillon représentatif de 2341 enfants. La base du tirage au sort était constituée de l ensemble des écoles primaires publiques et privées, rurales ou urbaines, en ZEP ou non. Ainsi, les services statistiques des deux académies d Aix-Marseille et de Nice ont tiré au sort une centaine d écoles (60 et 40 écoles, respectivement). Au sein de ces écoles, le jour de l enquête, les enquêteurs ont tiré au sort cinq enfants dans chaque niveau scolaire CP, CE1, CE2, CM1, CM2 (25 enfants par école). Les données recueillies ont été pondérées pour tenir compte de la probabilité des enfants à être tirés au sort suivant qu ils étaient dans une petite ou grande école. 2.2. Questionnaires La méthode utilisée ici croisait trois regards : celui de l enfant lui-même, du parent et de l enseignant. 2.2.1. Questionnaire proposé à l enfant Le questionnaire destiné à l enfant était le Dominique interactif (DI) [5]. Il s agit d un autoquestionnaire comportant 94 dessins qui présentent des situations dans lesquelles se trouve un enfant dénommé Dominique qui peut être paramétré comme un garçon ou une fille. Le questionnaire se présente sous la forme d un jeu vidéo au cours duquel un enregistrement sonore lui demandant s il pense avoir été ou non dans la situation présentée défile au fur et à mesure des questions. L enfant clique sur «oui» ou «non» suivant la réponse qu il souhaite donner. Étant donné le manque de maturité cognitive des enfants de cette tranche d âge, cet instrument étudie les symptômes et ne renseigne pas sur la fréquence ni sur la durée de la présence des troubles. En ce sens, il s agit d un outil qui évalue les «profils diagnostiques». Chaque profil diagnostique est évalué à partir d une dizaine de questions mélangées entre elles. En fonction du nombre de questions répondues positivement dans chacun des «diagnostics» considérés, un système de score permet de considérer le diagnostic comme : absent, probable ou presque certain. Par exemple, l anxiété de séparation est évaluée à partir de 15 questions. Un tel diagnostic serait considéré comme absent pour un score de 0 à 9,probable pour un score de 10 ou 11 et presque certain pour un score de 12 à 15.Le DI a été validé en France [6,7] par la comparaison entre les «diagnostics» obtenus par ce questionnaire et les «diagnostics» cliniques portés par une équipe de cliniciens spécialisés sur les mêmes enfants interrogés dans des consultations de pédopsychiatrie. 2.2.2. Questionnaire proposé aux parents Le questionnaire rempli par un des parents comportait une dizaine de pages. Il était remis par l enseignant aux parents par l intermédiaire du cahier de correspondance de l enfant tiré au sort. Il comprenait des questions sur les antécédents médicaux et les accidents de la vie courante de l enfant, le recours aux soins pour l enfant, la relation parent enfant, les caractéristiques sociodémographiques des parents, les événements de la vie familiale, la santé mentale du parent et ses éventuels problèmes avec sa consommation d alcool et permettait d évaluer la santé mentale de l enfant et son retentissement sur sa vie familiale et sociale, à partir d une échelle validée et largement utilisée dans le monde : le Strengths and difficulties questionnaire (SDQ) [8,9]. Le recours de l enfant à un(des) professionnel(s) de santé a été renseigné par le parent. 2.2.3. Questionnaire proposé aux enseignants Le questionnaire rempli par l enseignant pour chaque enfant sélectionné dans sa classe était très court (deux pages). Il comprenait une liste de questions reflétant les critères DSM-IV sur la perception par l enseignant de certains aspects extériorisés de la santé mentale de l enfant : troubles oppositionnels et hyperactivité avec troubles de l attention. Des questions portant sur le retentissement de ces troubles, sur l adaptation scolaire de l enfant, sur son apprentissage et sur ses compétences scolaires, notamment en lecture et en mathématiques par comparaison du niveau avec celui des enfants de la classe y étaient posées. 2.3. Définition des troubles mentaux De façon générale, le DI permet de calculer des diagnostics «probables» de l ensemble des troubles dits intériorisés (quatre) et extériorisés (trois) en classification DSM-IV. En revanche, l instrument utilisé pour les parents (SDQ) ne permet d évaluer que des catégories plus élargies comme troubles émotionnels, troubles du comportement ou des conduites et troubles d hyperactivité avec déficit de l attention. Cependant, les parents évaluent le retentissement de ces troubles sur la vie de l enfant dans les six derniers mois. L instrument proposé aux enseignants ne renseigne que sur les troubles extériorisés et ne couvre pas les troubles des conduites ; en revanche, là aussi, le retentissement est évalué ainsi que les performances scolaires. 2.4. Définition des niveaux «besoin de soins» Ces diverses informations permettent de décrire les différents aspects de la santé mentale, avec ou sans retentissement, en fonction de la source d information (Fig. 1). Nous proposons pour ce travail de considérer trois catégories mutuellement exclusives : le besoin de soins en pédopsychiatrie : un enfant ayant été identifié par au moins deux sources et dont l une d entre elles (parent ou enseignant) a évalué un retentissement fonctionnel important est considéré ici comme ayant un besoin probable de soins en pédopsychiatrie ; le besoin de soins en santé mentale : un enfant ayant été identifié comme ayant un trouble avec retentissement par l un ou l autre seulement des informants (parent ou enseignant) ou identifié par le DI (en ne considérant que la catégorie des «cas») est considéré comme ayant un besoin en santé mentale ;

V. Kovess-Masféty et al. / Neuropsychiatrie de l enfance et de l adolescence 57 (2009) 494 501 497 Fig. 1. Définition du besoin de soins en pédopsychiatrie. les enfants qui n appartiennent à aucune de ces catégories sont considérés comme n ayant besoin de soins ni en santé mentale ni en pédopsychiatrie. 2.5. Définition de l utilisation du système de soins Le recours de l enfant à un(des) professionnel(s) de santé dans les 12 derniers mois a été renseigné par le parent. Tous les professionnels de la santé mentale ont été proposés, médicaux et non médicaux. L utilisation de soins spécialisés en santé mentale est définie ici par une consultation avec un psychiatre/pédopsychiatre, psychologue ou un psychomotricien. 2.6. Statistiques En analyse univariée, nous avons appliqué le test du Chi 2 pour les comparaisons statistiques des variables catégorielles. L analyse multivariée a consisté en une régression logistique qui incluait les variables significatives en univarié. Le seuil de significativité considéré était p inférieure à 0,05. L ensemble des analyses statistiques a été réalisé sous STATA. 3. Résultats 3.1. Participation Environ 20 % (n = 463) des parents ont refusé la participation de leur enfant à l enquête. Parmi les 1767 enfants qui ont participé et pour qui les données du DI sont disponibles, le taux de retour du questionnaire enseignant et parent s élève à 99,4 % et 72,5 % respectivement. Les trois questionnaires ont été complétés pour 1274 enfants (54,4 % de l échantillon initial). 3.2. Les différents niveaux de besoin de soins Selon les définitions proposées, le besoin de soins en pédopsychiatrie est de 7,7 %, le besoin de soins en santé mentale est de 21,9 %, la catégorie pas de besoin de soins est à 70,4 % (Fig. 1). Les volumes de besoin de soins dans les différentes catégories sont donc très différents. Ainsi le besoin de soins en pédopsychiatrie qui impliquerait dans notre proposition la rencontre avec un pédopsychiatre libéral ou travaillant en intersecteur correspondrait à 7,7 % des enfants, tandis que le besoin en santé mentale qui impliquerait, toujours suivant notre proposition un contact avec un psychologue, un pédiatre ou encore un généraliste ou un autre intervenant de l enfance correspondrait à 21,9 % des enfants. 3.3. Utilisation du système de soins en fonction des niveaux de besoin Le Tableau 1 montre le recours déclaré aux différents types d intervenants tel que rapporté par les parents en fonction de notre définition des catégories de besoin. Parmi les enfants qui ont un besoin de soins en psychiatrie, on constate que 13,6 % d entre eux ont été en contact avec un pédopsychiatre l année passée, 29,0 % avec un psychologue. Au total, moins de la moitié (38,4 %) de ces enfants ont été en contact avec un intervenant spécialisé en psychiatrie ou en psychologie. Ces chiffres sont inférieurs à ceux des enfants présentant un besoin de soins en santé mentale qui pour 6,0 % d entre eux ont été en contact avec un pédopsychiatre, 8,5 % avec un psychologue et 14,2 % avec un intervenant spécialisé en santé mentale quel qu il soit. On note les contacts fréquents avec les orthophonistes qui sont pour une partie des enfants un des seuls recours aux soins, en dehors

498 V. Kovess-Masféty et al. / Neuropsychiatrie de l enfance et de l adolescence 57 (2009) 494 501 Tableau 1 Utilisation déclarée et besoin de soins en santé mentale et en pédopsychiatrie (sur les 12 derniers mois). Orthophoniste seul b (%) n = 159 Orthophoniste (total) (%) n = 209 Au moins un psy a (%) n = 155 Psychomotricien (%) n =24 Psychologue (%) n =94 Pédopsychiatre/ Psychiatre (%) n =64 Pédiatre (%) n = 302 Médecin généraliste (%) n = 1040 Aucun besoin 82,4 23,0 3,5 4,8 1,5 8,6 13,4 11,2 Besoin en santé mentale 82,0 28,2 6,0 8,5 1,5 14,2 18,6 13,5 Besoin en pédopsychiatrie 86,0 18,4 13,6 29,0 5,1 38,4 35,7 19,1 Total 82,6 23,8 4,8 7,4 1,8 12,1 16,2 12,3 p 0,67 0,12 < 0,001 < 0,001 0,04 < 0,001 < 0,001 0,08 a Pédopsychiatre/psychiatre, psychologue ou psychomotricien. b Professionnels de santé mentale exclus. des médecins généralistes qui sont consultés par plus de 80 % des enfants et dans une proportion moindre les pédiatres qui concernent près de 20 % des enfants. Un cinquième des enfants qui ne sont vus que par des orthophonistes présentent des problèmes de santé mentale nécessitant une évaluation spécialisée. Cela pose la question d un problème dans l orientation de ces enfants vers le type de spécialiste qualifié dans leur prise en charge. Plus de la moitié des enfants ayant un problème de santé mentale nécessitant un soin spécialisé ou au moins une évaluation n est pas en contact avec ce système. Pratiquement tous les enfants ont été en contact avec un généraliste ou un pédiatre durant les 12 derniers mois, cela souligne l importance de la formation de ces professionnels de santé au dépistage des troubles mentaux chez les enfants et à la prise en charge des problèmes les plus légers. Le pourcentage d enfants ayant été en contact avec les CMPP (question posée sur toute la vie) est de 8,3 % sans différences significatives suivant le sexe de l enfant et la classe d âge. 3.4. Déterminants sociaux des besoins des différents niveaux Une analyse de la répartition de ces catégories par départements ou territoires de santé, tels que définis par la Drass PACA, ne montre pas de différences significatives. En revanche, les besoins en santé mentale sont très différents suivant le zonage scolaire (Tableau 2). Ils sont beaucoup plus élevés en ZEP qu en non-zep (30,6 % versus 20,9 %) alors qu on ne constate pas de différences pour les besoins de pédopsychiatrie (8,0 % versus 7,7 %). Une analyse multivariée des deux types de besoin montre que les besoins de soins en santé mentale sont moins élevés dans la classe des neuf à 11 ans par rapport aux six à huit ans (OR = 0,69 ; IC95 % [0,50 0,94]) et pour les catégories socioprofessionnelles élevées (cadres : OR = 0,36 ; IC95 % = [0,21 0,59]). En revanche, aucun des autres éléments et notamment le territoire ne semblent influencer ce risque, pas plus que le sexe de l enfant (Tableau 3). Concernant les analyses faites sur le besoin en pédopsychiatrie, les résultats sont différents et montrent que le fait d être une fille diminue le besoin en pédopsychiatrie d un facteur 1/2 (OR = 0,48 ; IC95 % = [0,30 0,78]). À coté du sexe de l enfant, on note qu il existe un besoin de soins en pédopsychiatrie plus important quand le parent élève seul son(ses) enfant(s) (OR = 2,34 ; IC95 % = [1,24 4,39]) (Tableau 4). Aucun Tableau 2 Zonage scolaire et besoin en santé mentale et en pédopsychiatrie. Non ZEP (%) n = 1142 ZEP (%) n = 132 Total (%) n = 1274 Aucun besoin 71,4 61,4 70,4 Besoin en santé mentale 20,9 30,6 21,9 Besoin en pédopsychiatrie 7,7 8,0 7,7 p 0,06

V. Kovess-Masféty et al. / Neuropsychiatrie de l enfance et de l adolescence 57 (2009) 494 501 499 Tableau 3 Analyse multivariée : régression logistique du besoin de soins en santé mentale. OR IC95 % p Sexe Masculin 1 1 Féminin 1,19 0,88 1,61 0,25 Âge (ans) 6 8 1 1 9 11 0,69 0,50 0,94 0,02 Lieu de naissance France 1 1 Étranger 1,23 0,59 2,56 0,58 Famille monoparentale Non 1 1 Oui 0,84 0,52 1,33 0,45 Zone d éducation Non ZEP 1 1 ZEP 1,53 0,94 2,48 0,09 Milieu Rural 1 1 Urbain 0,96 0,56 1,63 0,88 Département Alpes de Haute Provence 1 1 Hautes-Alpes 0,89 0,35 2,30 0,82 Alpes-Maritimes 1,36 0,65 2,85 0,41 Bouches-du-Rhône 1,37 0,66 2,86 0,40 Var 1,24 0,59 2,62 0,57 Vaucluse 0,97 0,41 2,28 0,94 CSP parents Employés 1 1 Artisans 0,71 0,45 1,12 0,14 Cadres 0,36 0,21 0,59 < 0,001 Professions intermédiaires 0,64 0,41 1,01 0,05 Ouvriers 0,80 0,44 1,45 0,46 Sans activité (retraités, chômeurs) 1,14 0,70 1,87 0,59 des autres facteurs ne semble avoir un effet sur le besoin de soins en pédopsychiatrie. 4. Discussion Deux points essentiels ressortent de cette étude : les volumes des différentes catégories de besoins sont très différents et il semblerait que moins de la moitié des enfants ayant des besoins en pédopsychiatrie soient en contact avec le système spécialisé alors que des enfants ayant des besoins moins spécialisés y sont. On remarque aussi que les facteurs qui influencent le besoin de soins en santé mentale semblent ne pas être les mêmes que ceux qui influencent le besoin de soins en pédopsychiatrie ; les premiers semblent plutôt des facteurs «sociaux» alors que les seconds sont plutôt des facteurs psychopathologiques. Dans une approche de santé publique, qui est la notre dans ce papier et qui est celle qui a présidé à la mise en place des intersecteurs, on réfléchit à optimiser l utilisation des ressources en fonction des besoins à un niveau populationnel. Cela implique de former et supporter les intervenants dits de «première ligne» : psychologues mais aussi médecins généralistes, pédiatres et autres intervenants de l enfance. Toutes ces personnes doivent Tableau 4 Analyse multivariée : régression logistique du besoin de soins en pédopsychiatrie. OR IC95 % p Sexe Masculin 1 1 Féminin 0,48 0,30 0,78 0,003 Âge (ans) 6 8 1 1 9 11 0,97 0,61 1,57 0,92 Lieu de naissance France 1 1 Étranger 1,79 0,65 4,93 0,26 Famille monoparentale Non 1 1 Oui 2,34 1,24 4,39 0,008 Zone d éducation Non ZEP 1 1 ZEP 0,84 0,35 1,99 0,69 Zone Rurale 1 1 Urbaine 0,91 0,41 2,04 0,82 Département Alpes de Haute Provence 1 1 Hautes-Alpes 0,59 0,12 2,77 0,50 Alpes-Maritimes 0,78 0,22 2,71 0,70 Bouches-du-Rhône 0,85 0,24 2,98 0,80 Var 1,17 0,33 4,14 0,81 Vaucluse 1,17 0,32 4,35 0,81 CSP parents Employés 1 1 Artisans 1,13 0,51 2,51 0,77 Cadres 1,21 0,58 2,52 0,61 Professions intermédiaires 0,59 0,23 1,51 0,27 Ouvriers 1,94 0,83 4,54 0,13 Sans activité (retraités, chômeurs) 1,50 0,69 3,27 0,31 pouvoir faire face aux problèmes les moins sévères et savoir quels enfants envoyer vers les spécialistes. À l extrême, le secteur pédopsychiatrique intervient dans la prévention et a légitimité pour le faire puisque les textes fondateurs le mentionnent parmi ses rôles et on trouve ainsi des ressources très spécialisées impliquées dans la gestion de problèmes qui ressortent de la compétence de l éducation à la santé et des organismes de prévention qui ont un savoir-faire et sont déjà sur le terrain alors que les pédopsychiatres, qui sont des médecins spécialisés, n ont jamais été formés à cela. D un point de vue de l organisation des soins, c est une déperdition de ressources qui participe à l impression de débordement des secteurs qui peuvent d ailleurs se trouver à intervenir dans des domaines où ils ne le souhaiteraient pas et à leur corps défendant. L intersecteur est certes en contact avec ce système de soins de première ligne : il est en contact avec le système scolaire, judiciaire et avec les assistantes sociales de quartier ; en revanche, il est peu en contact avec les généralistes et les pédiatres. Étant donné le système de non-remboursement des psychothérapies par les psychologues libérales, il ne peut facilement renvoyer les enfants souffrant des troubles les moins sévères vers ces

500 V. Kovess-Masféty et al. / Neuropsychiatrie de l enfance et de l adolescence 57 (2009) 494 501 intervenants et n étant pas en contact avec le système des médecins libéraux, il est plutôt en position d attractivité que de redistribution et ne joue de ce fait pas le rôle de plaque tournante. L absence de distinction claire entre le rôle des CMPP et des CMP est de ce point de vue un élément négatif car leur distinction aurait permis de séparer les enfants présentant des troubles d intensité moyenne et de les mettre en contact avec des intervenants moins spécialisés pour réserver les CMP aux enfants ayant des besoins de soins en pédopsychiatrie. On aurait ainsi des établissements de «première ligne» et des établissements spécialisés ayant chacun les personnels et la clientèle qui leur correspond. On peut aussi imaginer une sorte de partition dans ces structures qui correspondrait à un pôle santé mentale et un pôle pédopsychiatrie qui sont couverts dans les faits par ces structures et dans ce cas, des sortes de collaboration pour ces pôles avec des ressources extra-intersectorielles pour que le système de première ligne puisse jouer son rôle et que l intersecteur puisse jouer le sien. Il ne s agit pas ici de définir des pathologies dites lourdes par exemple les psychoses infantiles dont l intersecteur aurait la charge versus des pathologies dites moins lourdes comme les troubles anxieux et dépressifs ou comportementaux qui seraient laissés aux pédopsychiatres exerçant en libéral, notre proposition n est pas de cet ordre là. Elle met dans le même ensemble toute la pédopsychiatrie, quel que soit son mode d exercice, dans le niveau spécialisé versus la psychologie, les pédiatres, les généralistes et autres intervenants libéraux ou non, dans le niveau dit «de première ligne». Cette étude présente des limites qui doivent être prises en compte. Tout d abord, les résultats ne concernent qu une seule région plutôt bien dotée et il est nécessaire de conduire cette enquête dans une région différente pour voir si les résultats y sont ou non semblables. Les instruments, bien que validés, sont des approximations et les définitions opérationnelles des types de troubles sont discutables ainsi que les propositions de ressources pour les prendre en charge. Les critères choisis pour définir les trois catégories de besoin de soins pourraient également être discutés. Par exemple, un enfant qui est évalué comme ayant un problème par un informant seulement est considéré comme n ayant aucun besoin si celui-ci n a pas de retentissement sur le fonctionnement de l enfant. Cependant, il n existe pas de gold standard pour définir qu est-ce qu un besoin de soins et pour être plus précis, il faudrait se référer à des recommandations de bonne pratique qui font défaut. Les définitions que nous proposons ici ont le mérite de se baser sur des critères objectifs et transparents. Il faut aussi rappeler l absence des enfants ayant les troubles les plus sévères (psychoses et déficiences) et qui sont ceux qui demandent le plus de ressources spécialisées. Un problème reste : celui de la définition du seuil au-delà duquel la pédopsychiatrie est nécessaire et en deçà duquel elle ne l est pas. C est bien entendu une vraie discussion à laquelle la réponse ne peut être simple. Notre propos est d ouvrir cette question et de refuser l idée que tout symptôme chez un enfant relève de la pédopsychiatrie. En effet, un des résultats de cette indifférenciation est, d après nous, une trop grande diversité de l accès aux soins spécialisés en pédopsychiatrie alors que l organisation en intersecteur devait précisément servir à garantir l équité d accès. Ainsi, dans certains intersecteurs, l accès est quasi immédiat alors que dans d autres, des listes d attente découragent les parents et cela n est pas fonction du ratio personnel/taille de la population ni des caractéristiques de la population de l intersecteur mais souvent de l organisation des services. C est cette organisation basée sur la mise en place d une certaine hiérarchie des besoins que nous préconisons. Au total, ce papier propose une approche de santé publique appliquée à cette problématique ; en particulier, il tente une proposition de graduation des réponses en fonction de la gravité des problèmes afin en quelque sorte de garder la pédopsychiatrie pour les cas qui en ont le plus besoin. Nous sommes conscients que cette approche très classique en organisation des soins, va en partie à l encontre de la notion d intersecteur infantojuvénile, puisque ce dernier s appuie sur une notion intégrée de l abord des troubles mentaux des enfants revendiquant son rôle de la prévention aux soins et à la réadaptation. Notre point de vue est, qu historiquement dans les années 1960, l éventail complet des taches du secteur était essentiel, dans un univers où le recours à la pédopsychiatrie était rare et très stigmatisant, où les enfants étaient facilement placés en institution et où la prévention et la détection étaient inexistantes. Il nous semble que la situation a évolué depuis cette époque et qu elle demande une mise à plat du ou des rôles des divers intervenants et structures en pédopsychiatrie. 5. Conclusions Il est aujourd hui indispensable de réfléchir à l utilisation optimale et équitable des ressources en santé mentale et en pédopsychiatrie en France. Bien que ce soit difficile à mettre en place, il apparaît nécessaire de trouver une méthode pour hiérarchiser les besoins de soins. Dans cette optique, tout reposera sur la formation des intervenants de première ligne c est-à-dire médecins généralistes, pédiatres, enseignants et psychologues scolaires. Cette formation ainsi que la mise en place de liens étroits entre les niveaux dits de première ligne et les niveaux dits spécialisés en pédopsychiatrie, quelles que soient les modalités d exercice, est le corollaire indispensable à un accès équitable aux ressources. Les informations des enquêtes en population peuvent être un des éléments de cette réflexion et de suivi sur l organisation des soins pour les problèmes de santé mentale des enfants en France. 6. Conflits d intérêts Aucun. Références [1] Coldefy M, Salines E. Les secteurs de psychiatrie infanto-juvénile en 2000 : évolutions et disparités. Études et résultats. 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