Diagnostic écologique préalable à la réalisation d un éco-quartier Commune de Kaysersberg Parc Naturel Régional des Ballons des Vosges Ligue pour la Protection des Oiseaux Délégation Alsace 8, rue Adèle Riton 67000 Strasbourg tel : 03 88 22 07 35 mèl : alsace.inter@lpo.fr
Introduction La fragmentation des habitats et ses effets sur l'intégrité écologique des espaces naturels est aujourd hui au cœur des préoccupations en termes de préservation de la biodiversité. En effet, les populations animales sont confrontées à de nombreux «verrous écologiques» limitant ou interdisant la circulation des individus et donc le mélange des gènes au sein de leur aire normale de répartition, au point de provoquer des régressions ou disparitions d'espèces. Les infrastructures les plus opaques aux déplacements animaux et végétaux sont le réseau de transport routier, autoroutier et ferroviaire (ligne TGV). Leur maillage se densifie, s'interconnecte et les routes sont de plus en plus larges et artificialisantes et accueillent un traffic toujours plus important. Mais la structure même du paysage a des effets sur la faune. Ainsi, l urbanisation, l intensification des pratiques agricoles sur des surfaces très importantes, les remembrements engendrant la disparition des linéaires de haies, des ceintures de vergers péri-villageoises et des micro habitats tels les murets de pierres sèches ou les mares temporaires sont autant de barrières à la circulation des individus entres leurs différents noyaux de population. Face au constat du morcellement des populations animales et végétales, apparaissent en écologie fonctionnelle les concepts de corridors ou trames vertes. Le terme de corridor désigne ainsi toute liaison fonctionnelle entre des écosystèmes ou entre différents habitats d une espèce ou d un groupe d espèces interdépendantes, permettant sa dispersion et sa migration. Les corridors assurent ou restaurent les flux d individus ou de gènes vitaux pour la survie des espèces et leur évolution adaptative. Ils sont donc indispensables pour le maintien de la diversité animale et végétale, et pour la survie à long terme de la plupart des espèces. Leur composition est variable en fonction du cortège d espèces auxquelles ils sont destinés et des spécificités du paysage local, allant du linéaire de haies à la bande herbeuse. L idée de corridor pour oiseaux semble plutôt devoir être envisagée comme des segments d habitats répartis sur les axes de migration ou de dispersion des oiseaux. Les «corridors de migration locale» seraient des mosaïques d habitats et les corridors de migration contenant des segments d habitats spécifiques. Ces biotopes relais forment ainsi des réservoirs de forte activité biologique venant en renfort de la perte de nature ordinaire constatée dans nos espaces dits naturels. C est dans cet esprit que s inscrit la présente étude, à savoir concilier le nécessaire développement urbain et la préservation, voire l amélioration, de la biodiversité, au sein d un projet de lotissement qui se veut exemplaire.
I. Approche diagnostique. Cette démarche se réalisant en amont du projet permet de définir non seulement l état initial du site considéré, mais également l environnement dans lequel s insère celui-ci. I.1. Ex situ Cette approche permet de comprendre la manière dont s insère le site considéré dans les espaces contigus ainsi que dans une problématique plus globale. La zone qui nous intéresse se trouve sur le ban de la commune de Kaysersberg, au sein de la ceinture de vergers et jardins familiaux traditionnellement en périphérie de l agglomération. Cet espace tampon entre les zones urbaine, viticole et forestière se trouve aujourd hui extrêmement réduite, d une part à cause de l extension urbaine, et d autre part à cause de l uniformisation des espaces agricoles, notamment viticoles. L intérêt écologique de ces espaces tampons est multiple. Non seulement ils constituent les derniers refuges de nombreuses espèces, mais jouent le rôle de corridor écologique essentiel pour l intégrité des espaces naturels et des taxons qui les composent. Dans un espace relativement réduit, nous rencontrons plusieurs types d habitats, depuis l espace urbain de la zone pavillonnaire et ses jardins, la ceinture de vergers, les vignes, la lisière du massif forestier, puis le massif lui-même. Carte des principales unités paysagères.
Ces milieux sont d autant plus intéressants sur la commune de Kaysersberg qu ils sont composés de nombreux microhabitats, agissant comme autant de biotopes abritant une faune et une flore propre à chacun. Ainsi, la présence de vieux arbres fruitiers, de murs de pierres sèches, de biotopes humides ou plus secs, de haies denses et de lisière forestière dans un espace réduit favorise une grande diversité biologique. Lors de l étude de terrain, 40 espèces d oiseaux ont été contactées, dont 5 figurent sur la Liste rouge des espèces menacées en Alsace (ODONAT, 2005). Cet inventaire est bien entendu non exhaustif, car manquent notamment les rapaces nocturnes, les oiseaux hivernants et migrateurs de passage, ainsi que les espèces que nous n aurions pas eu la chance de contacter au moment de l étude qui n a duré qu une journée. Nom vernaculaire Nom scientifique Accenteur mouchet Prunella modularis Corneille noire Corvus corone Rougequeue noir Phoenicurus ochruros Rougequeue à front blanc Phoenicurus phoenicurus Pie-grièche écorcheur Lanius collurio Moineau domestique Passer domesticus Roitelet triple bandeau Regulus ignicapillus Etourneau sansonnet Sturnus vulgaris Alouette des champs Alauda arvensis Liste rouge Alouette lulu Lullula arborea Liste rouge Grive musicienne Turdus philomelos Merle noir Turdus merula Fauvette à tête noire Sylvia atricapilla Mésange bleue Parus caeruleus Mésange charbonnière Parus major Pic épeiche Dendrocopos major Pic noir Dryocopus martius Geai des chênes Garrulus glandarius Pie bavarde Pica pica Pinson des arbres Fringila coelebs Fauvette des jardins Sylvia borin Gobemouche gris Muscicapa striata Pouillot véloce Phylloscopus collybita Bruant jaune Emberiza citrinella Bruant zizi Emberiza circlus Liste rouge Bruant proyer Emberiza calandra Liste rouge Pipit des arbres Anthus trivialis Verdier d Europe Carduelis chloris Chardonneret élégant Carduelis carduelis Rougegorge familier Eritacus rubecula Troglodyte mignon Troglodytes troglodytes Sittelle torchepot Sitta europaea Grimpereau des jardins Certhia brachydactyla Hirondelle de fenêtre Delichon urbica Loriot d Europe Oriolus oriolus Pigeon ramier Columba palumbus Buse variable Buteo buteo Faucon crécerelle Falco tinunculus Faucon pèlerin Falco peregrinus Liste rouge Épervier d Europe Accipiter nisus Tableau des espèces d oiseaux contactées sur le site et ses abords. Le nombre d espèces contactées et la présence d oiseaux figurant sur la Liste rouge indiquent que le secteur considéré et les habitats qui le composent montrent un intérêt du point de vue
de leur richesse biologique. Cela est dû à la structure du paysage et à la diversité des habitats qui le composent. Cet espace revêt également un grand intérêt du point de vue des corridors écologiques. En effet, les zones urbanisées, cultivées et forestières forment des blocs homogènes interdisant la circulation de la faune entre l amont et l aval de la vallée. Or, ce sont les espaces de transition entre ces différentes zones, à savoir la lisière forestière et l ancienne ceinture de vergers et jardins familiaux, qui jouent ce rôle. Les murs de pierres sèches ont également une grande importance, notamment grâce à leur structure linéaire. I.2. In situ Le groupe de parcelles concerné par le projet de lotissement est constitué d anciens vergers vieillissants en voie de fermeture et d un jardin partiellement enfriché, pour la partie supérieure du site. La zone située en contrebas est composée d une friche herbeuse avec quelques arbres de haut jet. Certains habitats présentent un intérêt biologique certain. Il s agit des vieux arbres fruitiers et arbres morts colonisée par le lierre, de la haie située en limite supérieure du site, des murs de pierres sèches, et de la mare alimentée par une source. Mais ce qui rend le site considéré d autant plus intéressant, c est la somme de tous ces micro-habitats, agissant comme autant de facteurs augmentant la biodiversité. Elements à vocation de microhabitat répertoriés sur le site. II. Propositions pour la préservation/amélioration biologique du site. a) Vieux arbres fruitiers et arbres morts recouverts de lierre. Le verger traditionnel et le jardin familial offrent des conditions de vie idéales aussi bien à certaines espèces d animaux sylvicoles qu à des habitants typiques des milieux semi-ouverts. Au total, ce sont 35 espèces d oiseaux que l on peut y rentrer, dont 10 leur sont totalement inféodées. La moitié des espèces qui nichent dans les vergers est cavernicole. C est pourquoi il est important de conserver les vieux arbres creux, mais aussi du bois mort, qu il soit sur pied ou tombé au sol, car ils sont indispensables à de nombreuses espèces d insectes xylophages, proies favorites des pics, grimpereaux, sittelles et autres mésanges. Contrairement à de nombreuses idées reçues, le lierre n est pas néfaste pour les arbres, qui ne servent que de support à son développement. Sa présence offre des abris pour la nidification, permet le développement de nombreux insectes et produit des baies indispensables à la survie des oiseaux en hiver.
b) Haie vive/frutiçaie. Au-delà des arbres fruitiers et de haut jet, la strate arbustive revêt une grande importance pour les oiseaux. D une part, elle est indispensable à la nidification de nombreuses espèces comme le Rossignol philomèle, la Pie-grièche écorcheur, les Fauvettes à tête noire, grisette et des jardins D autre part, la plupart des arbustes fructifie tardivement, offrant ainsi nourriture aux oiseaux hivernants et aux migrateurs de passage. c) murs de pierres sèches. Les murs de pierres sèches constituent des éléments paysagers typiques de cette partie du piémont. Outre leur fonction première de création d espaces cultivables à flanc de coteau, ils jouent un rôle de liaison entre les écosystèmes ont fonction de corridors écologiques. Il est important de conserver ces structures proches de l état naturel, avec des surfaces pionnières et des ourlets. d) biotope humide : source/mare. Il est indéniable que la présence de milieux humides, même temporaires, est un facteur clé pour la biodiversité. En effet, ce sont les milieux de vie de nombreux petits crustacés, insectes, odonates etc. et sont indispensable aux amphibiens dans leur cycle de reproduction. Ainsi, une mare de surface à peine supérieurs à un mètre carré peut servir de site de ponte pour les tritons, salamandres et autres grenouille rousse ou sonneur à ventre jaune, de même que les oiseaux ont besoin de cette ressource en eau et nourriture. La présence d une source alimentant une petite pièce d eau est un élément clé pour la biodiversité du site. Il est donc important de la préserver lors de l aménagement du projet futur. Mais ce biotope peut être encore amélioré et devenir un élément structurant d un éventuel futur aménagement paysager du site. Conclusion Dans le cadre d un projet se voulant exemplaire comme celui-ci, l importance que la démarche se déroule de concert entre les différents acteurs est indéniable. En effet, les notions de biodiversité et le développement urbain ne font pas souvent bon ménage. Or une approche partenariale telle que celle-ci mérite d être développée, car non seulement la biodiversité pourra être préservée, mais peut-être même améliorée. Pour cela, la structure du site, qui fait son identité devra être préservée et incluse dans une approche plus globale à l échelle du territoire, par exemple par la prise en compte des notions de corridors écologiques dans la gestion des espaces communaux. Le Rougequeue à front blanc est un hôte typique des vergers et jardins familiaux.