Emblèmes de France, l art au service des valeurs républicaines - EXPOSITION ITINERANTE LECTURE D ŒUVRE - PHOTOGRAPHIE Méthodologie Nous vous proposons ici une démarche parmi d autres qui peuvent être appliquées lors d une lecture d œuvre La notice de l œuvre Cette notice est obligatoire dans une lecture d œuvre. C est en quelque sorte la carte d identité de l œuvre. Ainsi, il est important de la renseigner de la façon suivante : - L auteur - Le titre de l œuvre - La date de réalisation - la technique - les dimensions - le lieu de conservation - informations diverses Le contexte artistique et historique Si l œuvre présente un intérêt historique et/ou artistique, il est intéressant de la replacer dans le contexte de l époque. En effet, ces évènements ont pu amener un questionnement de l artiste et donc avoir une incidence sur la réalisation de l œuvre. - Noter les évènements historiques. - Noter les évènements qui sont propres à la vie de l artiste comme des rencontres, des voyages - Noter les évènements artistiques majeurs de l Histoire de l Art se rattachant à la date de réalisation : exposition qui a fait scandale, écrit d un critique d art - Noter si l œuvre appartient à un courant artistique. Analyse de l œuvre L analyse de l œuvre correspond à une description de l illustration. Nous vous conseillons de partir d une description très générale et peu à peu de faire remarquer les détails. La composition - Observer le sujet et le décrire le plus clairement possible. Où se déroule la scène? Qui sont les personnages? Que font-ils? Etc - Définir l angle de vue. A hauteur du sujet? En plongée? En contre plongée? Vue frontale ou de dos?
- Définir le champ et le hors champ. Que voit-on et qu est ce qui est suggéré? - Définir l échelle du plan. S agit-il d un plan large? Moyen? Gros plan? Le sujet de l œuvre est-il centré ou décentré? - Etude des détails (lieux, monuments, écrits, symboles, vêtements ) qui contribuent à comprendre et situer la scène. Les couleurs et la lumière - Quel est le choix de l auteur? Noir et blanc? Couleur? - En quoi ce choix participe-t-il à la construction de l image? - La lumière semble-t-elle naturelle ou artificielle? Participe-t-elle à l ambiance de la photographie? - La lumière guide-t-elle le regard du spectateur vers un élément important du cliché? L expression ou la sensibilité de l artiste L œuvre permet-elle de définir la «marque» de l artiste ou son influence? Interpretation de la photographie Il est intéressant de composer une double interprétation. Tout d abord, l interprétation doit reprendre les ressentis de l artiste et/ou de la critique, et conjuguer, à la fois, les éléments d analyse et le contexte historique de l œuvre. Enfin, l interprétation peut également prendre en compte son propre ressenti de façon à apporter une vision personnelle et subjective de l œuvre. La thématique Quel est le thème de l œuvre? L inspiration La photographie illustre-t-elle quelque chose de voulu/souhaité ou est-ce le fruit du hasard (pris sur le vif)? L artiste s est-il inspiré d un évènement d actualité? L œuvre dénonce-t-elle quelque chose? L artiste répondil à une commande? La critique Si l œuvre fut publiée / exposée, quelle a été la réaction des critiques? Du public? La photographie est-elle une œuvre phare d un courant? Lequel et pourquoi? Notre ressenti Lire et apprécier une œuvre suppose de commencer par un temps d observation. L œuvre atteint son objectif si elle fait naître des questions, des sentiments (positifs ou négatifs), des émotions.
Emblèmes de France, l art au service des valeurs républicaines - EXPOSITION ITINERANTE La notice de l œuvre Premier vote des femmes AUTEUR : Robert DOISNEAU (1912-1994) TITRE DE L ŒUVRE : Premier vote des femmes DATE DE RÉALISATION : 29 avril 1945 TECHNIQUE : Photographie argentique noir et blanc LIEU DE CONSERVATION : Agence GAMMA RAPHO LECTURE D ŒUVRE - PHOTOGRAPHIE Le contexte artistique et historique Robert Doisneau (1912-1994) est l un des principaux ambassadeurs français de la photographie dite Humaniste. Diplômé de l école Estienne (école supérieure des arts et industries graphiques), il commence la photographie au début des années 1930. A la Libération, dans une reconstruction économique et sociale difficile, Robert Doisneau donne à voir des clichés mettant en avant le quotidien, les petits moments de vie et les difficultés des Français. Ce courant de la photographie Humaniste prend son essor entre les années 1940 et 1960. Aux côtés de Robert Doisneau, on compte aussi Henri Cartier-Bresson,Willy Ronis Selon Philippe Soupault, poète français, les photographes humanistes n ont de cesse de «donner à voir l infiniment humain». Le travail de Robert Doisneau est conséquent, son œuvre se compose d environ 450 000 négatifs. Dans le contexte de la fin de la guerre, entre le régime de Vichy qui se délite et la montée en puissance de la figure du Général de Gaulle, la reconstruction démocratique passe, en partie, par l égalité des droits. En 1944, grâce aux associations suffragistes, les femmes ont acquis le droit de vote et le droit d éligibilité. Elles vont exercer ce droit pour la première fois aux élections municipales d avril et de mai 1945. Ces élections sont les premières organisées depuis la Libération. Repères: 1939-1945 : Seconde Guerre mondiale 21 avril 1944 : Ordonnance signée du Général de Gaulle, «les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes». 29 avril et 13 mai 1945 : Elections municipales 1944-1946 : Gouvernement provisoire 1946-1958 : Quatrième République
Analyse de l œuvre La composition Nous ne possédons que peu d informations sur cette photographie, mise à part la date de prise de vue et le titre du cliché. L analyse qui va suivre se basera donc uniquement sur ce que nous montre le cliché, le «visible». Nous assistons à une scène dans un bureau de vote. Cinq femmes et une enfant attendent pour émarger, glisser leur bulletin dans l urne et récupérer leur carte nouvellement tamponnée. Ce sont trois hommes qui occupent le rôle d assesseurs. Le décor (la frise d animaux), les lavabos de petite taille et les bancs en bois que l on aperçoit au premier plan, laissent penser que nous sommes dans une école primaire ou un espace d accueil de jeunes enfants. On imagine le photographe à quelques mètres seulement des personnages puisque l angle choisi est à hauteur de sujet. Le hors-champs suggère que d autres femmes sont présentes dans l espace et attendent également leur tour. Robert Doisneau prend assez de recul pour centrer l objectif sur l intérêt de la scène : le vote ; d où l intérêt d un plan moyen. Il paraît inutile de faire un gros plan sur un des personnages et ignorer le reste de la scène. A l inverse, un plan trop large perdrait l intérêt de l action. Le noir et blanc Si la photographie couleur existe depuis la fin du XIX e siècle, ce n est qu à partir de la seconde moitié du XX e siècle qu elle se démocratise. La couleur était plus chère et plus compliquée à développer, les pellicules devaient être envoyées au laboratoire. Alors que l on pouvait développer le noir et blanc soi-même. Le choix du noir et blanc chez Robert Doisneau résulte bien, avant tout, d une contrainte technique. Cependant, ce procédé apporte une esthétique particulière, et «force» le spectateur à être attentif et à scruter davantage le cliché pour l appréhender. Au contraire, la couleur apporte une réalité et une immédiateté. Le regard est alors plus distrait. Le noir et blanc serait donc pédagogique. Dans le cliché présent, le noir et blanc n est pas perturbant puisque cohérent avec l époque présentée et ce que l on pourrait en attendre. La période de la Seconde Guerre mondiale est dans l imaginaire commun un évènement daté, mais pourtant bien connu et étayé par une iconographie importante, notamment grâce à la photographie. Celle-ci devient un témoin à part entière. Le noir et blanc suggère également une forme de familiarité. Le spectateur peut facilement s identifier puisque les protagonistes sont de parfaits anonymes. De même, l allure et les vêtements des femmes renvoient à nos propres clichés de famille. La lumière La photographie est assez sombre, il y a peu de contrastes. La seule source de lumière provient certainement d une ouverture située dans le hors champ. Cette lumière suit le groupe des femmes. L expression ou la sensibilité de l artiste Cette photographie incarne bien l œuvre de Robert Doisneau. Elle illustre la grande et la petite Histoire, en mettant en scène des anonymes. Et c est surtout là que se situe l expression du photographe, il ne faut pas voir dans ses clichés une forme d engagement politique ou idéologique, il se saisit seulement de moments, parfois mis en scène, pour raconter une histoire. La dimension humaine reste le fil rouge de son œuvre.
Interprétation de la photographie Cette photographie fixe sur la pellicule un moment historique. En donnant le droit de vote à 12 millions de femmes, c est quasiment un siècle d inégalité qui prend fin. Si le statut de la femme progresse doucement, 1944 marque un moment fort, les femmes ne sont plus seulement des femmes, elles deviennent des citoyennes. Il y a trois points forts à souligner dans ce cliché. Tout d abord, le mot «évolution» apparaît assez rapidement. A la fois dans le sujet même de la photographie : l acquisition du droit de vote et dans le détail de la frise animale évolutive à l arrière-plan. L idée d une progression est doublement visible. En effet, l égalité électorale s inscrit dans le processus d émancipation de la femme vis-à-vis de l homme. Par exemple, en 1924, les programmes scolaires sont uniformisés, et un baccalauréat unique est créé. En 1938, la femme mariée gagne sa capacité juridique. En 1944, des droits fondamentaux restent encore à obtenir : la liberté d exercer une profession sans l autorisation de son mari, l accès légal à la contraception et à l interruption volontaire de grossesse, l égalité professionnelle, etc Le contraste des générations, avec la présence de la petite fille, souligne ensuite le caractère positif de cet évènement. C est aussi la promesse qu une relève est assurée pour la poursuite de l acquisition des droits. Car si 1944 est une date clé, le statut de la femme n en reste pas moins précaire. Son intégration dans le corps électoral reste marquée par sa condition sexuelle, dans une société hautement patriarcale. L aptitude des femmes à avoir une opinion politique est souvent mise en doute, en premier lieu par une presse, réduisant l autonomie des femmes à l influence masculine. Ce mépris est alimenté par l idée qu il est difficile pour les femmes de se forger une réflexion politique, surtout dans les milieux modestes, où l accès à l information reste complexe. Enfin, la photographie, comme un clin d œil, montre que ce sont les hommes qui accueillent les femmes dans le bureau de vote et qui, en tant qu assesseurs, recueillent l acte symbolique du glissement du bulletin dans l urne. La coïncidence qu il n y ait pas non plus d hommes aux côtés des femmes lors de la photographie, accentue cette dualité. Toutes les femmes se sont mobilisées, on devine sur la photographie des femmes de différents milieux sociaux. D autres clichés immortalisant cet évènement, confirment que la mobilisation fut plurielle : on voit des religieuses, des bourgeoises, des femmes plus modestes aller aux urnes. Pour conclure, la photographie est assez émouvante. Pour toutes les raisons expliquées ci-dessus, le moment est très symbolique et annonce un véritable changement pour les femmes et leur condition. Robert Doisneau a su saisir un instant de vie, comme il les aimait, mais également un moment solennel fort. Pour aller plus loin La photographie engagée. Artistes similaires : Robert Capa, Henri Cartier-Bresson, Willy Ronis, Brassaï, Izis, Édouard Boubat