CINQUIÈME SECTION DÉCISION SUR LA RECEVABILITÉ

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Transcription:

CINQUIÈME SECTION DÉCISION SUR LA RECEVABILITÉ des requêtes n os 49637/09, 49644/09, 49654/09, 49666/09, 49674/09, 49683/09, 49688/09, 49694/09, 49698/09, 49700/09, 49703/09, 49720/09, 49725/09, 49731/09, 49741/09, 49749/09, 49788/09, 49796/09, 49800/09, 49806/09 et 49992/09 présentées par J. H. et 23 autres contre la France La Cour européenne des droits de l homme (cinquième section), siégeant le 24 novembre 2009 en une chambre composée de : Peer Lorenzen, président, Renate Jaeger, Jean-Paul Costa, Karel Jungwiert, Rait Maruste, Mirjana Lazarova Trajkovska, Zdravka Kalaydjieva, juges, et de Claudia Westerdiek, greffière de section, Vu les requêtes susmentionnées introduites les 24 juillet 2009, 31 juillet 2009 et 9 septembre 2009, Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

2 DÉCISION J. H. et 23 autres c. FRANCE EN FAIT Les requérants sont des ressortissants de diverses nationalités (voir Annexe). Ils sont représentés devant la Cour par M e A. Bitton, avocat à Paris. A. Les circonstances de l espèce Les faits de la cause, tels qu ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit. Durant la Deuxième Guerre mondiale, les parents des requérants (père, mère ou les deux) furent arrêtés, internés, puis déportés dans des trains de la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) vers des camps de concentration desquels ils ne revinrent pas. En vertu du décret du 13 juillet 2000 instituant une mesure de réparation pour les orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites, les requérants furent indemnisés pour la perte de leurs parents, soit par le versement d une somme en capital de 27 000 euros (EUR), soit par le versement d une rente viagère de 468,78 EUR mensuels. Estimant que la mort de leurs proches leur avait causé un grave préjudice moral, qui n avait pas été réparé par l indemnisation qui leur avait été versée, les requérants adressèrent à des dates différentes une demande d indemnisation de ce préjudice à l Etat et à la SNCF. Ceux-ci refusèrent d y faire droit. Les requérants saisirent alors plusieurs tribunaux administratifs en 2007 d une demande tendant à voir condamner solidairement l Etat et la SNCF à des dommages et intérêts en réparation des préjudices qu ils avaient subis. L un de ces tribunaux, avant de statuer sur la demande qui lui était soumise, décida de demander l avis du Conseil d Etat en vertu de l article 113-1 du code de justice administrative. Le 16 février 2009, celui-ci rendit un avis sur le rapport de la Section du contentieux (voir la partie «droit interne pertinent») dans lequel il reconnut que la responsabilité de l Etat français pouvait être engagée pour les faits dénoncés par les requérants, mais que ceux-ci avaient été indemnisés de leurs souffrances aussi bien sur le plan matériel que moral. Suivant cet avis, les tribunaux administratifs considérèrent notamment que tous les chefs de préjudice invoqués par les requérants avaient été indemnisés sur la base les différents textes adoptés par la France à ce sujet depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (voir la partie «droit interne pertinent»). Compte tenu de l avis rendu précédemment par le Conseil d Etat et sur lequel les juridictions administratives de première instance se fondèrent, les requérants ne saisirent pas les cours administratives d appel, puis le Conseil d Etat d un recours en cassation contre leurs jugements.

DÉCISION J. H. et 23 autres c. FRANCE 3 B. Le droit interne pertinent 1. L avis rendu le 16 février 2009 par le Conseil d Etat Le code de justice administrative se lit comme suit : Article L113-1 «Avant de statuer sur une requête soulevant une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, le tribunal administratif ou la cour administrative d appel peut, par une décision qui n est susceptible d aucun recours, transmettre le dossier de l affaire au Conseil d Etat, qui examine dans un délai de trois mois la question soulevée. Il est sursis à toute décision au fond jusqu à un avis du Conseil d Etat ou, à défaut, jusqu à l expiration de ce délai.» Il est précisé que ces avis, rendus sur demande des juridictions administratives du fond ne sont pas juridiquement contraignants. Toutefois, en pratique, les tribunaux administratifs et les cours administratives d appel se conforment aux avis rendus par le Conseil d Etat. Les extraits de cet avis se lisent comme suit : «[La responsabilité de l Etat] est engagée en raison des dommages causés par les agissements qui, ne résultant pas d une contrainte directe de l occupant, ont permis ou facilité la déportation à partir de la France des personnes victimes de persécutions antisémites. Il en va notamment ainsi des arrestations, internements et convoiements à destination des camps de transit qui ont été, durant la seconde guerre mondiale, la première étape de la déportation de ces personnes vers des camps dans lesquels la plupart d entre elles ont été exterminées. (...) Pour compenser les préjudices matériels et moraux subis par les victimes de la déportation et leurs ayants droit, l Etat a pris une série de mesures, telles que des pensions, indemnités, aides ou mesures de réparation [dont le décret du 13 juillet 2000]. (...) Prises dans leur ensemble et bien qu elles aient procédé d une démarche très graduelle et reposé sur des bases largement forfaitaires, ces mesures, comparables, tant par leur nature que dans leur montant, à celles adoptées par les autres Etats européens dont les autorités ont commis de semblables agissements, doivent être regardées comme ayant permis, autant qu il a été possible, l indemnisation, dans le respect des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l homme et des libertés fondamentales des préjudices de toute nature causés par les actions de l Etat qui ont concouru à la déportation. La réparation des souffrances exceptionnelles endurées par les personnes victimes de persécutions antisémites ne pouvait toutefois se borner à des mesures d ordre exclusivement financier. Elle appelait la reconnaissance solennelle du préjudice

4 DÉCISION J. H. et 23 autres c. FRANCE collectivement subi par ces personnes, du rôle joué par l Etat dans leur déportation ainsi que du souvenir que doivent à jamais laisser, dans la mémoire de la nation, leurs souffrances et celles de leurs familles. Cette reconnaissance a été accomplie par un ensemble d actes et d initiatives des autorités publiques françaises. Ainsi, après que le Parlement eut adopté la loi du 26 décembre 1964 tendant à constater l imprescriptibilité des crimes contre l humanité, tels qu ils avaient été définis par la charte du tribunal international de Nuremberg, le Président de la République a, le 16 juillet 1995, solennellement reconnu, à l occasion de la cérémonie commémorant la grande rafle du «Vélodrome d hiver» des 16 et 17 juillet 1942 la responsabilité de l Etat au titre des préjudices exceptionnels causés par la déportation des personnes que le «gouvernement de l Etat français» de l époque avait considéré comme juives. Enfin, le décret du 26 décembre 2000 a reconnu d utilité publique la Fondation pour la mémoire de la Shoah afin, notamment de développer les recherches et diffuser les connaissances sur les persécutions antisémites et les atteintes aux droits de la personne humaine perpétrées durant la seconde guerre mondiale ainsi que sur les victimes de ces persécutions.» 2. Dispositions en vue de la reconnaissance du préjudice subi Entre 1945 et 2000, la France a pris une série de mesures visant à la reconnaissance des souffrances subies par les déportés et leurs familles. Ainsi, une ordonnance du 20 avril 1945 a accordé le bénéfice de l adoption par la Nation aux orphelins de guerre, aux orphelins de morts en déportation, de résistants ou de militaires tués, aux victimes civiles et aux enfants victimes civiles. Cette ordonnance a également attribué la qualité de pupille de la Nation aux orphelins de déportés politiques, lorsque le père ou la mère ont été déportés de France pour motif politique ou racial. La loi du 9 septembre 1948 définissant le statut et les droits des déportés et internés politiques dispose que «La République française, reconnaissante envers ceux qui ont contribué à assurer le salut du pays, s incline devant eux et devant leurs familles, détermine le statut des déportés et internés politiques, proclame leurs droits et ceux de leurs ayants cause». Cette loi a prévu le versement d un pécule aux déportés ou à leurs ayants cause. Le décret du 29 août 1961 a également prévu la répartition de l indemnisation versée à la France par l Allemagne et «visant à réparer le préjudice moral subi». De même, la loi du 26 décembre 1964 a constaté l imprescriptibilité des crimes contre l humanité, notamment ceux commis durant la Seconde Guerre mondiale. Enfin, le décret du 26 décembre 2000 a reconnu la Fondation pour la mémoire de la Shoah comme étant d utilité publique.

DÉCISION J. H. et 23 autres c. FRANCE 5 3. Dispositions relatives à la réparation du préjudice subi Le décret du 13 juillet 2000 instituant une mesure de réparation pour les orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites se lit comme suit : Article 1 «Toute personne dont la mère ou le père a été déporté à partir de la France dans le cadre des persécutions antisémites durant l Occupation et a trouvé la mort en déportation a droit à une mesure de réparation, conformément aux dispositions du présent décret, si elle était mineure de vingt et un ans au moment où la déportation est intervenue. Sont exclues du bénéfice du présent décret les personnes qui perçoivent une indemnité viagère versée par la République fédérale d Allemagne ou la République d Autriche à raison des mêmes faits.» Article 2 «La mesure de réparation prend la forme, au choix du bénéficiaire, d une indemnité au capital de 27 000 EUR ou d une rente viagère de 468,78 EUR par mois.» Le décret n o 2004-751 du 27 juillet 2004 instituant une aide financière en reconnaissance des souffrances endurées par les orphelins dont les parents ont été victimes d actes de barbarie durant la Deuxième Guerre mondiale se lit comme suit : Article 1 «Toute personne, dont la mère ou le père, de nationalité française ou étrangère, a été déporté, à partir du territoire national, durant l Occupation (...) et a trouvé la mort en déportation, a droit à une mesure de réparation, conformément aux dispositions du présent décret, si elle était mineure de vingt et un ans au moment où la déportation est intervenue. (...) Sont exclues du bénéfice du régime prévu par le présent décret les personnes qui perçoivent une indemnité viagère versée par la République fédérale d Allemagne ou la République d Autriche à raison des mêmes faits.» Article 2 «La mesure de réparation prend la forme, au choix du bénéficiaire, d une indemnité au capital de 27 440,82 EUR ou d une rente viagère de 457,35 EUR par mois.»

6 DÉCISION J. H. et 23 autres c. FRANCE GRIEFS Invoquant l article 1 du Protocole n o 1, les requérants se plaignent de ne pas avoir obtenu de réparation intégrale de leurs préjudices. Ils précisent que l indemnisation financière qu ils ont obtenue sur le fondement du décret du 13 juillet 2000 ne couvrait que le préjudice matériel né de la perte de leurs parents et non leur préjudice moral. Invoquant les articles 1 du Protocole n o 1 et 14 de la Convention combinés, les requérants se plaignent d une discrimination dans leur droit au respect de leurs biens en raison du caractère forfaitaire de l indemnisation perçue. Ils considèrent notamment que le versement d une somme identique aux orphelins ayant perdu un de leurs parents et à ceux ayant perdu leurs deux parents est discriminatoire. Invoquant les articles 6 et 13 de la Convention combinés, les requérants se plaignent de ce que le versement des indemnisations n a été effectué que suite au décret du 13 juillet 2000, date, selon eux, tardive. EN DROIT 1. Les requérants estiment que l indemnisation qu ils ont perçue pour le décès de leurs parents ne couvre pas leur préjudice moral. Ils invoquent l article 1 du Protocole n o 1 dont les dispositions se lisent comme suit : «Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu ils jugent nécessaires pour réglementer l usage des biens conformément à l intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d autres contributions ou des amendes.» La Cour constate d emblée que les requérants n ont pas saisi ni les cours administratives d appel compétentes, ni le Conseil d Etat d un recours contentieux contre les jugements des tribunaux administratifs. Elle n estime toutefois pas nécessaire de trancher la question de savoir si les voies de recours internes ont été épuisées en l espèce puisque la requête est irrecevable pour les raisons suivantes. La Cour remarque également que les requérants ne présentent pas de grief relatif à l absence d indemnisation pour les faits commis par la SNCF. Leur seul grief est dirigé contre l Etat français. La Cour constate d abord que, selon les termes mêmes du décret du 13 juillet 2000, les requérants ont bénéficié d une «mesure de réparation» pour la perte de leurs parents, d un montant unique de 27 000 EUR ou d un montant mensuel de 468,78 EUR. Ce décret ne précise pas si cette somme

DÉCISION J. H. et 23 autres c. FRANCE 7 est destinée à compenser le seul préjudice matériel né de la disparition des parents, comme le soutiennent les requérants, ou s il couvre l ensemble de leur préjudices. Quant aux principes généraux, la Cour rappelle qu elle a déjà estimé que la Convention n impose pas aux Etats l obligation générale de réparer les préjudices causés par le passé dans le cadre global de l exercice du pouvoir d Etat. Cependant, dès lors qu un régime d indemnisation est mis en place par un gouvernement ou avec l accord d un gouvernement, et quelle que soit la nature des prestations fournies dans le cadre de ce régime, des questions liées notamment à l application de l article 1 du Protocole n o 1 peuvent survenir. En revanche, il convient de souligner qu en principe aucune contestation des critères d indemnisation n est en soi possible (voir, mutatis mutandis, Woś c. Pologne, n o 22860/02, 72, CEDH 2006-VII). En l espèce, la Cour observe que dans son avis du 16 février 2009, le Conseil d Etat a expressément affirmé que l ensemble des mesures mises en œuvre par la France devait être regardé comme ayant permis l indemnisation des préjudices de toute nature causés par les actions de l Etat qui ont concouru à la déportation. De même, tous les tribunaux administratifs saisis par les requérants confirmèrent, suite à la position du Conseil d Etat, que l ensemble des mesures prises par l Etat français avait eu pour effet, eu égard à leur portée, de répondre à chacun des préjudices invoqués par les requérants, quelle qu en soit la nature. La Cour rappelle également sa jurisprudence constante selon laquelle il ne lui appartient pas de se substituer aux juridictions internes. C est au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et tribunaux, qu il incombe d interpréter la législation interne (voir, parmi beaucoup d autres, Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, 19 décembre 1997, 31, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII). Le rôle de la Cour se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets d une telle interprétation (voir Rodriguez Valin c. Espagne, n o 47792/99, 22, 11 octobre 2001). La Cour observe, à l instar des juridictions administratives, que les mesures mises en œuvre par l Etat pour réparer les préjudices subis ne se limitent pas à une seule indemnisation financière, mais que l Etat français a pris d autres mesures solennelles, tant normatives que politiques, visant à reconnaître son rôle dans la déportation et les préjudices subis par les requérants. La Cour est consciente de l immensité du préjudice subi par les requérants du fait de la déportation et des atrocités commises à l encontre de leurs parents. Toutefois, elle constate, à l instar des juridictions internes, que l ensemble des mesures mises en place par la France inclut le préjudice moral qu ils ont subi. Il s ensuit ce grief doit être rejeté comme étant manifestement mal fondé, en vertu de l article 35 3 et 4 de la Convention.

8 DÉCISION J. H. et 23 autres c. FRANCE 2. Les requérants estiment que le versement d une indemnisation dont le montant est identique aux orphelins de père ou de mère et aux orphelins de père et de mère est discriminatoire. Ils invoquent les articles 1 du Protocole n o 1 et 14 de la Convention combinés qui se lit comme suit : «La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l origine nationale ou sociale, l appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.» La cour constate qu en réalité les requérants se plaignent de l insuffisance de l indemnisation accordée à ceux qui ont perdu leurs deux parents. Elle considère que ce grief se confond avec celui tiré de l article 1 du Protocole n o 1. Eu égard à la conclusion à laquelle elle est parvenue concernant le premier grief, la Cour considère que celui-ci est également manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l article 35 3 et 4 de la Convention 3. Les requérants se plaignent de l ineffectivité du recours en indemnisation ouvert par le décret du 13 juillet 2000 en raison de sa tardiveté. Ils soulignent que cette indemnisation est intervenue cinquante-cinq ans après la fin des combats et invoquent les articles 6 et 13 de la Convention qui se lisent comme suit : Article 6 «Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...)» Article 13 «Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l octroi d un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l exercice de leurs fonctions officielles.» La Cour considère que le grief tiré de la tardiveté de l indemnisation se confond avec celui tiré de son insuffisance. Partant, elle considère qu il est également manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l article 35 3 et 4 de la Convention.

DÉCISION J. H. et 23 autres c. FRANCE 9 Par ces motifs, la Cour, à l unanimité, Décide de joindre les requêtes ; Déclare les requêtes irrecevables. Claudia Westerdiek Greffière Peer Lorenzen Président