10 mai 2012 L ACCES A LA JUSTICE SUPPRIMER LES CONDITIONS FINANCIERES D ACCES AU JUGE Le libre accès à la justice pour tout justiciable est, en principe, l un des éléments constitutifs de l Etat de droit. C est ce que pose le droit à un recours effectif, principe de valeur constitutionnelle découlant de l article 16 de la Déclaration des droits de l homme et du citoyen, mais aussi principe posé par l article 13 de la Convention européenne des droits de l homme. La gratuité du droit d ester en justice en est l une des garanties. Le principe de gratuité de la justice a été posé par la loi du 30 décembre 1977 instaurant la gratuité des actes de justice devant les juridictions civiles et administratives. Il a été repris, en des termes nuancés, par l article L. 111-2 du code de l organisation judiciaire qui dispose que «la gratuité du service de la justice est assurée selon les modalités fixées par la loi et le règlement». Ce principe fondamental semble aujourd hui remis en cause par l institution de différentes taxes subordonnant l accès à la justice, ce que certains syndicats d avocats et de magistrats ont qualifié de véritable «péage juridictionnel». La création de ces taxes ne peut être abstraite de la question du financement de l aide juridictionnelle, véritable serpent de mer régulièrement débattu depuis qu il est établi que la loi du 10 juillet 1991 relative à l aide juridique a montré ses limites. I. Les conditions financières d accès à la justice Il existe désormais trois dispositifs taxant les justiciables : le droit de plaidoirie, la contribution à l aide juridique et le droit dû en appel. A. Le droit de plaidoirie Le droit de plaidoirie sert à financer en partie à hauteur d un tiers - le régime de retraite de base des avocats. Il est régi par la loi du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale. Son produit est géré par la Caisse nationale des barreaux français. Ce droit est versé par le client à son avocat. Il est exigible, y compris en référé, devant les juridictions de l ordre judiciaire et administratif, Cour de cassation et Conseil d Etat compris 1 : - En matière civile, tant gracieuse que contentieuse ; - En matière pénale, audience au fond, sur l action civile ou publique ; - En matière administrative. 1 Source : Caisse nationale des barreaux français.
2 En revanche, ce droit n est pas dû devant 2 : - Le conseil des Prud hommes, y compris en cas de départage ; - Le tribunal de police pour les contraventions des quatre premières classes ; - Le tribunal et la cour régionale des pensions militaires ; - Les juridictions statuant en matière de sécurité sociale et de droit électoral ; - Le Conseil d Etat et la Cour de cassation pour les affaires dispensées du ministère d avocat ; - Les instances portées devant les juridictions d instruction. De la même façon, ce droit n est pas dû dans le cadre des missions d assistance et de représentation accomplies dans le cadre de l aide juridictionnelle totale : - En matière civile, pour les procédures de rétention d étrangers dans les locaux ne relevant pas de l administration pénitentiaire et pour les procédures de prolongation du maintien en zone d attente ; - En matière pénale, pour les procédures de comparution immédiate et certaines procédures impliquant les mineurs devant le juge des enfants et le tribunal pour enfants ; - En matière administrative, dans le cadre des recours contre certaines mesures d éloignement lorsque l étranger est placé en rétention administrative ou assigné à résidence. Un décret du 23 novembre 2011 a fixé le montant de ce droit à 13 euros. Il était, depuis 1995, de 8,83 euros. L'article 74 de la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 a exclu le droit de plaidoirie du champ de l aide juridictionnelle de droit commun. Saisi d une question prioritaire de constitutionnalité par le Conseil d Etat sur ce point particulier, le Conseil constitutionnel a jugé cette disposition, eu égard au faible montant du droit, conforme à la Constitution, en particulier au regard du droit à un recours effectif 3. Le droit de plaidoirie reste donc à la charge des bénéficiaires de l'aide juridictionnelle. B. La contribution pour l aide juridique La contribution pour l aide juridique 4 a été créée par l article 54 de la loi de finances rectificative pour 2011 du 29 juillet 2011. D un montant de 35 euros, elle est mise à la charge, depuis le 1 er octobre 2011, des justiciables engageant une action devant les juridictions civiles, commerciales, sociales, rurales, prud homales, sociales et administratives. Cette contribution n'est cependant pas due lorsque la partie est bénéficiaire de l'aide juridictionnelle ou par l Etat, et dans le cadre de certaines procédures : - les procédures devant le juge des libertés et de la détention ; - les procédures devant le juge des enfants ; - les procédures tendant à demander une ordonnance de protection dans le cadre de violences conjugales ; - les procédures devant le juge des tutelles ; - les procédures de traitement des situations de surendettement des particuliers ; - les procédures de redressement et de liquidation judiciaires ; - les procédures d omission des listes électorales ; 2 Arrêté du 23 novembre 2011. 3 Décision n 2011-198 QPC du 25 novembre 2011. 4 Codifiée à l article 1635 bis Q du code général des impôts.
3 - les recours introduits devant une juridiction administrative à l'encontre de toute décision individuelle relative à l'entrée, au séjour et à l'éloignement d'un étranger sur le territoire français ainsi qu'au droit d'asile ; - les affaires pénales. Lorsque l'instance est introduite par un auxiliaire de justice, elle doit être acquittée par voie électronique, et, lorsque l'instance est introduite sans auxiliaire de justice, elle est acquittée par le justiciable sous la forme d'un droit de timbre (mobile ou dématérialisé). Le décret du 28 septembre 2011 précise que le non-paiement de cette taxe est cause d irrecevabilité de la demande. En outre, l'exercice d'une voie de recours ne constituant pas la poursuite d'une même instance, la contribution est due lorsqu un appel est interjeté et dans le cas d un pourvoi en cassation. Néanmoins, le montant de la contribution est compris dans les dépens. Le produit de la contribution est affecté au Conseil national des barreaux. L objectif de cette contribution est de financer la réforme de la garde à vue issue de la loi du 14 avril 2011 instituant la présence de l avocat en garde à vue. Le coût de cette réforme en année pleine était estimé par le gouvernement au printemps 2011 à 104 millions d euros, somme couvrant les charges résultant de l octroi de l aide juridictionnelle à davantage de prévenus. Lors de sa création, le rendement attendu de cette contribution était de 87,5 millions d euros en année pleine. Cette somme est à rapprocher du budget de 336 millions d euros de l aide juridictionnelle voté dans la loi de finances pour 2012 (avec une hypothèse de 948.000 admissions à l aide). Toutefois, comme le relève l Union syndicale des magistrats, il existe une incertitude quant à l intégration dans ce chiffre du produit la contribution pour l aide juridique. Si ce produit est intégré au montant total de 336 millions d euros alloués au budget de l aide juridictionnelle, cela reviendrait en réalité à un désengagement de l Etat dans la prise en charge des plus justiciables, puisqu il ne contribuerait en réalité au financement de l aide juridictionnelle qu à hauteur de 251 millions d euros, contre 312 en 2011. C. Le droit dû en appel L'article 54 de la loi n 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009 a institué un droit d'un montant de 150 euros 5 dû par les parties à l'instance d'appel lorsque la constitution d'avocat est obligatoire devant la cour d'appel. Ce droit est acquitté par l'avocat postulant pour le compte de son client, soit par voie de timbres mobiles, soit par voie électronique. Il n'est pas dû si la partie est bénéficiaire de l'aide juridictionnelle. Cette taxe a été créée pour financer en partie la réforme de l appel, en particulier la suppression des avoués, dont le coût global est estimé à 304 millions d euros. Elle est entrée en vigueur le 1 er janvier 2012. Son produit, 41,5 millions d euros attendu en 2012, est affecté au fonds d'indemnisation de la profession d'avoués près les cours d'appel, créé par l'article 19 de la loi du 25 janvier 2011 portant réforme de la représentation devant les cours d'appel. Initialement prévue pour s appliquer entre le 1 er janvier 2011 et le 31 décembre 2018, cette taxe a finalement été prorogée par la loi de finances pour 2012 jusqu au 321 décembre 2020, afin de tirer les conséquences du retard pris dans la création de ce fonds. Le droit est acquitté par l'avocat postulant pour le compte de son client soit par voie de timbres mobiles, soit par voie électronique. Il n'est pas dû par la partie bénéficiaire de l'aj. 5 Codifié à l article 1635 bis P du code général des impôts.
4 II. Redonner un accès démocratique au juge La gratuité de la justice est aujourd hui largement battue en brèche, ce à quoi le Conseil constitutionnel n a rien trouvé à redire. Il importe néanmoins de rétablir les conditions d un accès libre et équitable au juge, notamment en réfléchissant à une source pérenne de financement de l aide juridictionnelle. A. Des conditions financières contestables par nature L institution quasi concomitante de deux taxes d accès aux juridictions en sus de l augmentation du droit de plaidoirie pose nécessairement la question de l effectivité du droit à faire entendre sa cause par un juge. Ainsi, hors les cas d'exonération, il faut donc constater que tout justiciable doit s'acquitter ab initio d'un montant total de : - 48 euros en première instance (35 + 13) ; - 198 euros en appel (150 + 35 + 13) Ces taxes limitent par nature l accès à la justice, en particulier pour les personnes dont les revenus sont certes supérieurs au plafond de l aide juridictionnelle mais néanmoins restreints. Il en résulte nécessairement que les justiciables hésiteront à faire valoir leurs droits. Par exemple, un salarié ne pouvant bénéficier de l aide juridictionnelle ne pourra pas, s il ne peut pas verser les 35 euros, engager une action contre son employeur pour non-paiement des salaires. De la même façon, l intimé en appel devra verser un droit de 150 euros, même si l appel dirigé contre lui est dilatoire. Le collectif pour la justice 6 s est également interrogé sur le fait de savoir si ce système n aurait pas des effets pervers dans les procédures où le ministère d avocat n est pas obligatoire : les justiciables seraient incités à demander l assistance d un avocat et l aide juridictionnelle là où aujourd hui nombre d entre eux introduisent eux-mêmes leur instance. Ceci entraînera un surcoût dû à la fois au traitement administratif des demandes et à l octroi de l aide juridictionnelle. B. L analyse du Conseil constitutionnel Le Conseil constitutionnel a déjà jugé conforme à la Constitution l exclusion du droit de plaidoirie de l aide juridictionnelle (voir supra). Il vient également de se prononcer par une décision unique 7 sur la constitutionnalité de la contribution pour l aide juridique et du droit dû en appel. Il devait apprécier ces deux dispositifs au regard de trois principes constitutionnels : le droit à un recours juridictionnel effectif, les droits de la défense et le principe d égalité devant l impôt et les charges publiques. Les deux dispositifs ont été jugés conformes. S agissant du droit à un recours effectif et des droits de la défense, il a relevé d une part que le législateur avait poursuivi des buts d intérêt général et, d autre part, que le renchérissement de l accès à la justice résultant de l instauration des deux contributions instaurées par les dispositions contestées ne constituait pas une atteinte disproportionnée au droit d accès à la justice, «eu égard à leur montant et aux conditions dans lesquelles ils sont dus». 6 Collectif composé de syndicats de professionnels du droit de toutes origines. 7 Décision n 2012-231-234 QPC du 13 avril 2012.
5 S agissant de l égalité devant les charges publiques, il a estimé d une part que le législateur avait fondé son appréciation sur des critères objectifs et rationnels et, d autre part, qu il avait pris en compte les facultés contributives des assujettis à ces taxes en prévoyant des cas d exonération. Cette décision a été contestée par Christian Charrière-Bournazel, président du Conseil national des barreaux (CNB), lequel s était porté en tierce intervention dans la procédure. Pour lui, il est choquant de «devoir payer l Etat pour accéder à la justice qu il doit à tous, au nom de tous» alors que l Etat fait tout, dans le même temps, pour déjudiciariser les procédures. C. Réfléchir à de nouvelles formes de financement L abrogation du droit de plaidoirie ne peut être envisagée, dans la mesure où il contribue à la protection sociale des avocats. En revanche, sa réintégration dans le champ de l aide juridictionnelle est impérative pour satisfaire à l équité du droit d accès au juge, au bénéfice des justiciables les plus défavorisés. Cette réintégration suppose d abroger l'article 74 de la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011. Toutefois, il faut souligner qu un amendement proposant ce dispositif serait contraire à l article 40 de la Constitution et qu il ne pourrait être gagé. S agissant du droit dû en appel et de la contribution pour l aide juridique, leur suppression impose de réfléchir à de nouvelles formes de financement n impliquant pas de faire payer le justiciable à l occasion de toute instance. La même question se pose pour la contribution pour l aide juridique. Le Parti socialiste envisage aujourd hui de revenir sur la contribution pour l aide juridique, mais pas sur le droit dû en appel. Lors des débats sur le projet de loi de finances pour 2012 au Sénat, quatre amendements identiques tendant à abroger la contribution pour l aide juridique avaient été adoptés, avant d être définitivement repoussés par les députés. On remarque néanmoins que ces amendements ne gageaient cette abrogation que par la création d une taxe additionnelle aux droits sur le tabac, ce qui revenait à ne pas résoudre la question du financement de l aide juridictionnelle. La majorité des membres du groupe RDSE avaient quant à eux déposé un amendement de suppression gagé sur la création et l affectation au CNB d une taxe sur les contrats d assurance de protection juridique, dans la ligné de ce que suggérait le rapport Darrois mais aussi le CNB. Cet amendement, retiré durant la discussion, offre l avantage de ne pas faire payer les justiciables à l occasion de toute instance et de s appuyer sur une source pérenne de financement. Pour rappel, l article L. 127-1 du code des assurances définit le contrat de protection juridique de la façon suivante : «Est une opération d'assurance de protection juridique toute opération consistant, moyennant le paiement d'une prime ou d'une cotisation préalablement convenue, à prendre en charge des frais de procédure ou à fournir des services découlant de la couverture d'assurance, en cas de différend ou de litige opposant l'assuré à un tiers, en vue notamment de défendre ou représenter en demande l'assuré dans une procédure civile, pénale, administrative ou autre ou contre une réclamation dont il est l'objet ou d'obtenir réparation à l'amiable du dommage subi.»
6 L article L. 127-2 précise que : «L'assurance de protection juridique fait l'objet d'un contrat distinct de celui qui est établi pour les autres branches ou d'un chapitre distinct d'une police unique avec indication du contenu de l'assurance de protection juridique et de la prime correspondante.» D. Une proposition de loi taxant les contrats de protection juridique Il peut être envisagé d approfondir le dispositif de l amendement RDSE en modifiant le régime de la taxe spéciale sur les conventions d assurance prévue aux articles 991 et suivants du code général des impôts. Un tel dispositif peut être repris dans une proposition de loi et un amendement. L article 991 précité dispose que «Toute convention d'assurance conclue avec une société ou compagnie d'assurances ou avec tout autre assureur français ou étranger est soumise, quels que soient le lieu et la date auxquels elle est ou a été conclue, à une taxe annuelle et obligatoire moyennant le paiement de laquelle tout écrit qui constate sa formation, sa modification ou sa résiliation amiable, ainsi que les expéditions, extraits ou copies qui en sont délivrés, sont, quelque soit le lieu où ils sont ou ont été rédigés, enregistrés gratis lorsque la formalité est requise La taxe est perçue sur le montant des sommes stipulées au profit de l'assureur et de tous accessoires dont celui-ci bénéficie directement ou indirectement du fait de l'assuré.» Les contrats de protection juridique étant des contrats d assurance, ils sont déjà soumis à la taxe spéciale, au taux de droit commun de 9 % prévu au 6 de l article 1001 du code général des impôts. Le dispositif pourrait alors être le suivant : Article 1 er L article 1635 bis Q du code général des impôts est abrogé. Article 2 Les deuxième et troisième alinéas de l'article 21-1 de la loi n 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques sont supprimés. Article 3 L'article 28 de la loi n 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique est ainsi modifié : a) à la première phrase, après le mot : «juridictionnelle», la fin de cette phrase est supprimée ; b) à la seconde phrase, après le mot : «achevées», la fin de cette phrase est supprimée. Article 4 L article 1635 bis P du code général des impôts est abrogé.
7 Article 5 La perte de recettes pour le Conseil national des barreaux et pour l Etat résultant des articles 1 er et 4 est compensée dans les conditions fixées à l article 6 Article 6 L article 1001 du code général des impôts est ainsi modifié : 1 Après le 5 bis, insérer un 5 ter ainsi rédigé : 5 ter - A xxx % pour les contrats d assurance de protection juridique définis à l article L. 127-1 du code des assurances 2 Le dernier alinéa du même article est ainsi rédigé : Le produit de la taxe est affecté aux départements, à l'exception d une part du produit de la taxe afférente aux contrats visés au 2 bis, qui est affecté, par parts égales, à la Caisse nationale des allocations familiales et à la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés, et à l'exception d autre part du produit de la taxe afférente aux contrats visés au 5 ter, qui est affecté, par parts égales jusqu au 31 décembre 2020 au fonds d'indemnisation de la profession d'avoués près les cours d'appel et au compte spécial de la caisse des règlements pécuniaires prévue au 9 de l'article 53 de la loi n 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques. A compter du 1 er janvier 2021, le produit de la taxe afférente aux contrats visés au 5 ter est affecté au compte spécial précité. Un tel dispositif doit être affiné : - D une part la suppression de la contribution pour l aide juridique et du droit dû en appel suppose, afin de les compenser, de connaître les masses financières en jeu pour déterminer un taux de compensation adéquat. Un tel calcul est complexe car les informations sont rares ; - D autre part, la clef de répartition du produit d une telle taxe entre le fonds d indemnisation des avoués et le financement de l aide juridictionnelle doit être adaptée en conséquence.