Tu ne sais plus ce que tu dis. Tais-toi. 5 10 15 20 25 30 35 40 Si, je sais ce que je dis, mais c est vous qui ne m entendez plus. Je vous parle de trop loin maintenant, d un royaume où vous ne pouvez plus entrer avec vos rides, votre sagesse, votre ventre. (Elle rit.) Ah! je ris, Créon, je ris parce que je te vois à quinze ans, tout d un coup! C est le même air d impuissance et de croire qu on peut tout. La vie t a seulement ajouté ces petits plis sur le visage et cette graisse autour de toi., la secoue. Te tairas-tu, enfin? Pourquoi veux-tu me faire taire? Parce que tu sais que j ai raison? Tu crois que je ne lis pas dans tes yeux que tu le sais? Tu sais que j ai raison, mais tu ne l avoueras jamais parce que tu es en train de défendre ton bonheur en ce moment comme un os. Le tien et le mien, oui, imbécile! Vous me dégoûtez tous, avec votre bonheur! Avec votre vie qu il faut aimer coûte que coûte. On dirait des chiens qui lèchent tout ce qu ils trouvent. Et cette petite chance pour tous les jours, si on n est pas trop exigeant. Moi, je veux tout, tout de suite, et que ce soit entier ou alors je refuse! Je ne veux pas être modeste, moi, et me contenter d un petit morceau si j ai été bien sage. Je veux être sûre de tout aujourd hui et que cela soit aussi beau que quand j étais petite ou mourir. Allez, commence, commence, comme ton père! Comme mon père, oui! Nous sommes de ceux qui posent les questions jusqu au bout. Jusqu à ce qu il ne reste vraiment plus la plus petite chance d espoir vivante, la plus petite chance d espoir à étrangler. Nous sommes de ceux qui lui sautent dessus quand ils le rencontrent, votre espoir, votre cher espoir, votre sale espoir! Tais-toi! Si tu te voyais en criant ces mots, tu es laide.
45 50 Oui, je suis laide! C est ignoble, n est-ce pas, ces cris, ces sursauts, cette lutte de chiffonniers. Papa n est devenu beau qu après, quand il a été bien sûr, enfin, qu il avait tué son père, que c était bien avec sa mère qu'il avait couché, et que rien, plus rien ne pouvait le sauver. Alors, il s est calmé tout d un coup, il a eu comme un sourire, et il est devenu beau. C était fini. Il n a plus eu qu à fermer les yeux pour ne plus vous voir. Ah! vos têtes, vos pauvres têtes de candidats au bonheur! C est vous qui êtes laids, même les plus beaux. Vous avez tous quelque chose de laid au coin de l oeil ou de la bouche. Tu l as bien dit tout à l heure, Créon, la cuisine. Vous avez des têtes de cuisiniers!, lui broie le bras. Je t ordonne de te taire maintenant, tu entends? Tu m ordonnes, cuisinier? Tu crois que tu peux m ordonner quelque chose? L'antichambre est pleine de monde. Tu veux donc te perdre? On va t'entendre. Eh bien, ouvre les portes. Justement, ils vont m entendre!, qui essaie de lui fermer la bouche de force. Vas-tu te taire, enfin, bon Dieu?, se débat. Allons vite, cuisinier! Appelle tes gardes! axe Relevé Outil d'analyse Tais-toi. Te tairas-tu, enfin? Tais-toi! Je t ordonne de te taire maintenant, tu entends? Vas-tu te faire, enfin, bon Dieu? Allons vite, cuisinier! Appelle tes gardes! Répétition Ordres Impératif Juron Interprétation Créon ne fait que répéter le même ordre : il veut qu'antigone se taise. Si on l'entend, il ne pourra plus la sauver. Il y a une gradation : il s'énerve de plus en plus (il emploie le juron «bon dieu», dans la dernière réplique. A la fin de l'échange, c'est Antigone qui donne des ordres. Les rôles ont été inversés.
bon Dieu juron Tu ne sais plus ce que tu dis. Tais-toi., la secoue. Te tairas-tu, enfin? Si, je sais ce que je dis, mais c est vous qui ne m entendez plus. (...) La vie t a seulement ajouté ces petits plis sur le visage et cette graisse autour de toi. Pourquoi veux-tu me faire taire? (...) tu es en train de défendre ton bonheur en ce moment comme un os. C est vous qui ne m entendez plus. Je vous parle de trop loin maintenant, d un royaume où vous ne pouvez plus entrer avec vos rides, votre sagesse, votre ventre. Vous me dégoûtez tous, avec votre bonheur! Avec votre vie qu il faut aimer coûte que coûte. Il n a plus eu qu à fermer les yeux pour ne plus vous voir. Ah! vos têtes, vos pauvres têtes de candidats au bonheur! C est vous qui êtes laids, même les plus beaux. Vous avez tous quelque chose de laid au coin de l oeil ou de la bouche. Vous avez des têtes de cuisiniers! votre espoir, votre cher espoir, votre sale espoir! Si : adverbe Question rhétorique Répliques courtes Phrases courtes Répliques longues tirades Phrases longues Pronom personnel Antigone dit toujours le contraire de ce que dit Créon. Antigone parle beaucoup plus que Créon : celui-ci subit le dialogue, il ne le mène pas. Il n'est plus dans son rôle de roi. Antigone ne s'adresse pas qu'à Créon : à travers lui, elle vise tous ceux qui, comme Créon, ont une certaine conception du bonheur. Le bonheur fait fuir Antigone. Elle insiste sur le pronom «vous», pour mieux montrer à quel point elle est dégoûtée.
je te vois à quinze ans, tout d un coup! C est le même air d impuissance et de croire qu on peut tout. La vie t a seulement ajouté ces petits plis sur le visage et cette graisse autour de toi. Pourquoi veux-tu me faire taire? Parce que tu sais que j ai raison? Tu crois que je ne lis pas dans tes yeux que tu le sais? Tu sais que j ai raison, mais tu ne l avoueras jamais parce que tu es en train de défendre ton bonheur en ce moment comme un os. Tu l as bien dit tout à l heure Tu m ordonnes, cuisinier? Tu crois que tu peux m ordonner quelque chose? Nous sommes de ceux qui posent les questions jusqu au bout. Nous sommes de ceux qui lui sautent dessus quand ils le rencontrent Tutoiement Pronom personnel «nous» Elle se place au-dessus de Créon, elle ne le respecte plus. Elle hésite entre le vouvoiement (marque de respect) et le tutoiement, mais c'est celui-ci qui domine dans cette scène. Elle s'associe à son père : elle pense comme Oedipe, elle agit comme lui. Comme lui, elle refuse le bonheur proposé par Créon. Je vous parle de trop loin maintenant, d un royaume où vous ne pouvez plus entrer Indications de lieu métaphore Antigone distingue deux lieux : le lieu dans lequel se trouvent Créon et tous ceux qui ont la même conception du bonheur ; l'autre lieu est celui dans lequel se dirige Antigone (la mort, qu'elle appelle un «royaume» : en mourant, elle rejoint son père et ils deviennent des personnages importants).
avec vos rides, votre sagesse, votre ventre. votre espoir, votre cher espoir, votre sale espoir! ces cris, ces sursauts, cette lutte de chiffonniers avec vos rides, votre sagesse, votre ventre. La vie t a seulement ajouté ces petits plis sur le visage et cette graisse autour de toi. gradations Champ lexical du corps Elle rabaisse Créon : d'une part, elle se moque de son ventre (il est bien portant, il ne manque de rien : en quelque sorte, il est heureux) ; d'autre part, elle se moque de l'espoir (espérer, c'est vouloir obtenir quelque chose, c'est égoïste). [Elle utilise les mêmes mots que le choeur dans son monologue : ouverture] Antigone rabaisse Créon : il est âgé, il est ventripotent. Derrière ces moqueries, elle dénonce sa conception du bonheur : une personne âgée est censée avoir de l'expérience, donc une forme de sagesse. (Elle rit.), la secoue., lui broie le bras., qui essaie de lui fermer la bouche de force., se débat. didascalies Elle ne respecte pas Créon. Au fur et à mesure, Créon perd ses moyens, utlise la force physique : il ne réussit pas à la faire taire. Pourquoi veux-tu me faire taire? Parce que tu sais que j ai raison? Tu crois que je ne lis pas dans tes yeux que tu le sais? Tu m ordonnes, cuisinier? Tu crois que tu peux m ordonner quelque chose? Questions rhétoriques Elle répond aux questions de Créon par d'autres questions. Elle s'oppose radicalement à lui, elle ne discute pas vraiment avec lui, mais veut imposer son point de vue. exclamations Petit à petit, le ton monte entre eux.
Le tien et le mien, oui, imbécile! Vous me dégoûtez tous, avec votre bonheur! Moi, je veux tout, tout de suite, et que ce soit entier ou alors je refuse! Allez, commence, commence, comme ton père! Comme mon père, oui! Nous sommes de ceux qui lui sautent dessus quand ils le rencontrent, votre espoir, votre cher espoir, votre sale espoir! Tais-toi! Oui, je suis laide! Ah! vos têtes, vos pauvres têtes de candidats au bonheur! Vous avez des têtes de cuisiniers! Eh bien, ouvre les portes. Justement, ils vont m entendre!, se débat. Allons vite, cuisinier! Appelle tes gardes! tu es en train de défendre ton bonheur en ce moment comme un os. On dirait des chiens qui lèchent tout ce qu ils trouvent. Vous avez des têtes de cuisiniers! me contenter d un petit morceau si j ai été bien sage. vos pauvres têtes de candidats comparaisons Métaphores Antigone dévalorise Créon : elle ne le respecte plus. Le chien est un animal qui se contente des restes. Elle, elle ne veut pas se contenter des restes : elle veut tout. Elle le compare aussi à un cuisinier : Créon est roi, mais elle le rabaisse. Elle poursuit la même idée : celle du chien, que l'on récompense. A la fin du texte, elle n'utilise plus de comparaisons, mais des
au bonheur! Tu m ordonnes, cuisinier? Allons vite, cuisinier! Moi moi insultes Pronom personnel métaphores : elle le rabaisse davantage encore. Elle veut montrer en quoi elle est différente des autres : il y a «vous», d'un côté ; «moi», de l'autre. je veux tout, tout de suite, et que ce soit entier ou alors je refuse Je veux être sûre de tout aujourd hui et que cela soit aussi beau que quand j étais petite ou mourir. Je ne veux pas être modeste, moi, et me contenter d un petit morceau si j ai été bien sage. je veux tout, tout de suite, et que ce soit entier ou alors je refuse! Je ne veux pas être modeste, moi, et me contenter d un petit morceau si j ai été bien sage. Je veux être sûre de tout aujourd hui Je veux être sûre de tout aujourd hui et que cela soit aussi beau que quand j étais petite ou mourir. Si tu te voyais en criant ces mots, tu es laide. Oui, je suis laide! Papa n est devenu beau qu après, quand il a été bien sûr, enfin, qu il avait tué son père, que c était bien avec sa mère qu'il avait couché, et que rien, plus rien ne pouvait le sauver. Alors, il s est calmé tout d un coup, il a eu comme un sourire, et il est devenu beau. C est vous qui Répétition du verbe «vouloir» anaphore Répéition de l'adverbe «tout» Champ lexical de la beauté oppositions antithèses Elle pense d'abord à elle, à ses désirs. Elle ne pense qu'à elle. Quand elle dit «je ne veux pas», elle montre en quoi elle est différente des autres. Idem Antigone n'écoute qu'elle. Créon, lui, doit imposer la loi. Quel camp choisir? La définition de la beauté selon Antigone (et son père Oedipe) n'est pas celle des autres : Ismène, Hémon sont beaux, dans la pièce, tandis qu'antigone est maigre, noiraude, donc moins belle. Elle renverse la situation : elle prétend qu'elle est belle, que les autres sont laids. Pour elle, la beauté n'est pas que physique, elle est aussi intérieure, morale.
êtes laids, même les plus beaux. Vous avez tous quelque chose de laid au coin de l oeil ou de la bouche. C est vous qui êtes laids, même les plus beaux. Antithèse paradoxe Idem : plus on est beau physiquement, plus on est laid intérieurement, d'après Antigone. Elle ne cache pas ses sentiments. Nous sommes de ceux qui lui sautent dessus quand ils le rencontrent, votre espoir, votre cher espoir, votre sale espoir! Personnificati on allégorie Antigone personnifie l'espoir : elle veut montrer qu'elle n'aime pas l'espoir, qu'elle le rejette. Si on a de l'espoir, on est prête à renoncer à sa morale, à ses valeurs. [le monologue du choeur : celui-ci critiquait également l'espoir] PLAN DU COMMENTAIRE Problématique : en quoi peut-on dire qu'antigone et Créon en s'entendent plus ici? 1. 2. 3. I. le dialogue est devenu impossible entre les deux personnages. II. Antigone se révolte ici. 1. 2. 3. Conclusion : la conception du bonheur d'antigone s'oppose à celle de Créon.