«STRATEGIES POUR LA GESTION DES CONFLITS EN AFRIQUE». I. Introduction Je voudrais tout d abord remercier très vivement le Centre d études stratégiques pour l Afrique pour avoir organisé à Addis-Abéba, le présent séminaire à l attention de dirigeants africains de diverses spécialités et originaires de nombreux pays africains ; ce séminaire de quelques jours qui consiste en des exposés, des débats et des échanges de vue entre spécialistes, hommes de terrain et autres acteurs militaires, civils et politiques sur des thèmes portant sur plusieurs aspects de la sécurité, des conflits et de leur gestion, est des plus opportuns dans le contexte actuel de notre continent. C est là en effet une autre illustration de la volonté permanente du Centre d études stratégiques pour l Afrique, d aider les africains à renforcer leurs capacités à faire face aux nombreux problèmes auxquels fait face le continent et notamment les conflits. Vous comprendrez donc mon plaisir d avoir l opportunité de revivre avec vous cette expérience en co-introduisant le thème sur «les stratégies pour la gestion des conflits en Afrique». Vous me permettrez à cet égard, de faire un bref survol des efforts déployés collectivement par les Etats africains d abord au niveau de l Organisation de l unité africaine (OUA) et maintenant au niveau de la toute nouvelle Union africaine (UA) qui est en train de mettre en place des structures pour réussir plus efficacement sa stratégie de gestion des conflits en vue de ramener la paix, la sécurité et la stabilité indispensables pour le développement économique, social et culturel du continent. II. Des efforts de l OUA pour répondre à la problématique des conflits en Afrique Les préoccupations de paix et de sécurité pour les pays africains nouvellement indépendants ont, dès 1963, amené les Pères fondateurs de l OUA à inscrire dans sa Charte, parmi ses objectifs, la promotion de la paix et de la sécurité, et parmi ses principes, le respect des frontières existantes au moment de l accession à l indépendance. Ils ont alors opté pour le principe du règlement pacifique des différends éventuels entre les jeunes Etats, par la NEGOCIATION, la CONCILIATION et l ARBITRAGE, principe institutionnalisé dans la Charte par la Commission de l OUA du même nom. Composée de 21 membres élus pour 5 ans par le Sommet des chefs d Etat et de gouvernement, la Commission avait compétence sur les seuls conflits
entre Etats. Faute entre autres de confiance entre les Etats membres, la Commission n a pas pu être opérationnelle. On eut plutôt recours aux Commissions ou Comités ad-hoc, souvent mis sur pied de façon ponctuelle pour généralement gérer des conflits frontaliers et territoriaux, particulièrement sensibles à cette l époque. L OUA est intervenue, à travers ses comités ad-hoc, dans la résolution de plusieurs des conflits d alors avec plus ou moins de succès. Les bouleversements intervenus dans le monde après la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide ont eu de graves conséquences pour l Afrique tant au plan politique et économique que du point de vue diplomatique et sécuritaire. Le vent de démocratisation né à l Est et amplifié par la pression des partenaires occidentaux demandant à nos Etats de s ouvrir à de nouvelles valeurs porteuses de liberté et d espoir, gagne le continent africain et remet en cause des acquis. Sous la poussée conjuguée des pressions intérieures et extérieures, les Etats se fragilisent et, comme des dominos, de nombreux pays sont affectés par des conflits de toutes sortes et de toutes origines. Analysant la situation du monde et pour répondre aux aspirations des populations africaines, les chefs d Etat et de gouvernement adoptèrent, en 1990, la «Déclaration sur la situation politique et économique en Afrique et les changements fondamentaux qui se produisent actuellement dans le monde». Dans cette déclaration, les chefs d Etat se déclarent résolus à réaliser l intégration économique des pays africains et ils s engagent à démocratiser les sociétés et à consolider les institutions ; ils réaffirment en outre leur détermination à oeuvrer conjointement en vue du règlement rapide de tous les conflits que connaît le continent. La déclaration de 1990 marque un tournant décisif parce que, pour la première fois, les dirigeants africains reconnaissent que la nature des conflits africains change et passe d inter-étatique à intra-étatique. En 1993, Au Caire en Egypte, par la Déclaration dite du «Caire», les chefs d Etat adoptent le Mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits en Afrique. Ce mécanisme traduisait la volonté des africains à, sinon prendre en charge de façon totale, du moins contribuer de façon substantielle à la résolution des crises sur le continent. Cette volonté politique sera renforcée par la baisse tendancielle de l aide et de l engagement directs de la communauté internationale en faveur de la paix en Afrique observée après les pertes en vies humaines enregistrées par les casques bleus américains à Mogadiscio en octobre 1993, et belges à Kigali en 1994. 2
Par rapport aux instruments utilisés jusque là pour faire face aux conflits, le mécanisme créé au Caire présente des particularités qu il convient de relever. Il est en effet à la fois une institution permanente de l OUA, et un organisme politique dont la mission est de prévenir, gérer et régler les conflits en Afrique quelle que soit leur nature. Il s articule autour d un organe central qui a compétence pour connaître des situations de conflits examinées par les instances supérieures de l OUA. Il est appuyé par un Secrétariat constitué par le Centre de gestion des conflits, lui-même renforcé par une Unité de système d alerte précoce permettant d analyser les situations de conflits potentiels et de prendre le cas échéant, des mesures anticipatives ainsi que par une Unité des Opérations sur le terrain. Le mécanisme s est investi dans le processus de règlement de tous les conflits en Afrique, soit en essayant de les prévenir soit, si le conflit a éclaté, en essayant de le contenir afin qu il ne dégénère pas en un conflit meurtrier. Meme si la prévention se révèle très difficile en Afrique, on peut dire que l OUA a enregistré quelques succès mitigés. Quant à la gestion des crises ouvertes, l OUA a entrepris des actions nombreuses dont, entre autres, le déploiement de missions civiles et militaires comme au Rwanda, au Burundi, aux Comores et en République démocratique du Congo (RDC), par la nomination de représentants spéciaux ou d envoyés spéciaux dans les pays et régions en situation de crise, comme au Libéria, en République centrafricaine (RCA), au Sahara occidental, en Sierra Léone, en Erythrée etc et par la participation à toutes les réunions et conférences pour la paix en Afrique. A cet égard, il convient de souligner en particulier, le rôle déterminant joué par l OUA dans la conclusion de l Accord de Lusaka dans le cadre de la crise congolaise, dans la résolution du conflit entre l Ethiopie et l Erythrée et dans le processus de règlement de la très complexe crise aux Comores. Toutefois, malgré les succès indéniables enregistrés par le mécanisme de l OUA, l ampleur et la gravité des conflits, ainsi que leur complexité, révélèrent très tôt ses limites. Il convenait dès lors d adapter les structures et les moyens de lutte aux nouveaux défis et au nouveau contexte international. C est dans cette optique que les chefs d Etat et de gouvernement adoptèrent en juillet 2002, à Durban, en Afrique du sud, le Protocole créant le Conseil de paix et de sécurité (CPS). 3
III. Le Conseil de paix et de sécurité comme nouvelle architecture de l Union africaine pour faire face aux défis de la paix, de la sécurité et de la stabilité en Afrique Le Conseil de paix et de sécurité est l un des organes clefs de l Union africaine dont la mission est aussi de prévenir, de gérer et de régler les conflits en Afrique. Il se distingue cependant du mécanisme de l OUA précédent, par le fait que son rôle, son mandat et ses attributions ont été substantiellement renforcés. En outre, le protocole qui l a créé et qui entrera en vigueur après le dépôt des instruments de ratification par la majorité simple des Etats membres, a une valeur contraignante pour les Etats qui l ont adopté à l unanimité à Durban. Enfin, l élection de ses 15 membres obéit à des critères déterminés. Le CPS a pour objectifs entre autres : de promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité en Afrique ; d anticiper et de prévenir les conflits ; en cas de conflit patent, le CPS a la responsabilité de rétablir et de consolider la paix en vue de faciliter son règlement ; de coordonner et d harmoniser les efforts du continent dans la prévention et la lutte contre le terrorisme international sous tous ses aspects ; d élaborer et de mettre en œuvre une politique de défense commune de l Union ; de promouvoir et d encourager les pratiques démocratiques, la bonne gouvernance et l état de droit, la protection des droits de l homme et des libertés fondamentales etc Parmi les principes cardinaux du CPS, on peut, entre autres, retenir : le droit de l Union d intervenir dans un Etat membre sur décision de la Conférence des chefs d Etat dans certaines circonstances graves tels les cas de crime de guerre, de génocide et de crime contre l humanité (article 4 h de l Acte constitutif) ; le droit des Etats membres de solliciter l intervention de l Union pour restaurer la paix et la sécurité (article 4 j). le respect de l état de droit, des droits fondamentaux de l homme et des libertés, le respect du caractère sacré de la vie humaine, ainsi que du droit international humanitaire. Il est assigné au CPS, entre autres, les fonctions : 4
de promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité en Afrique ; d alerte rapide et de diplomatie préventive ; de rétablissement de la paix ; d opérations d appui à la paix et d intervention ; de consolidation de la paix et de reconstruction post-conflit etc Pour faciliter son travail et lui permettre d accomplir sa mission, le CPS s appuie sur la Commission de l Union africaine, un Groupe des sages, un Système continental d alerte rapide, une Force africaine prépositionnée, un Fonds spécial et un Comité d état major. Le CPS peut créer des structures subsidiaires comprenant des comités ad-hoc de médiation, de conciliation ou d enquête ; il peut également recourir à toutes expertises militaire, juridique et autres, requises pour l exercice de ses fonctions. Les mécanismes régionaux de prévention, de gestion et de règlement des conflits seront intégrés à l architecture de sécurité de l Union, qui assumera la responsabilité principale pour la promotion de la paix, de la sécurité et de la stabilité en Afrique. Le CPS coopérera et travaillera en étroite collaboration avec le Conseil de sécurité des Nations unies, responsable principal du maintien de la paix et de la sécurité interntationales. A ce propos, un programme de coopération en matière de paix et de sécurité avec les Nations unies est en cours de finalisation au niveau des deux organisations. Il coopérera et travaillera également avec les institutions compétentes des Nations unies et les autres organisations internationales. Organe de décision permanent de la Commission pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits, le Conseil de paix et de sécurité, s appuie également sur de nombreux autres instruments juridiques adoptés par l OUA/UA, avec lesquels il forme une solide architecture de gestion de la paix, de la sécurité et de la stabilité en Afrique. Parmi ces instruments, on pourrait rappeler : la Cour africaine des droits de l homme et des peuples ; la position commune africaine exprimée à Hararé, au Zimbabwé, en 1997 sur les changement anticonstitutionnels de gouvernement ; la décision d Alger sur les changements anticonstitutionnels de gouvernement ; 5
la Déclaration de Lomé sur les changements anticonstitutionnels de gouvernement ; la Convention d Alger sur la prévention et la lutte contre le terrorisme, (déjà entrée en vigueur) ; le Mémorandum d accord sur la sécurité, la stabilité, le développement et la coopération en Afrique (CSSDCA) ; la Déclaration sur les principes régissant les élections démocratiques en Afrique ; le Traité instituant la communauté économique africaine ; le Plan d action du Caire pour la relance du développement économique et social de l Afrique ; la Déclaration de Syrte, dont de nombreuses mesures visent l accélération du processus d intégration économique et le règlement de la question de la dette ; la Déclaration sur la mise en œuvre du nouveau partenariat pour le développement de l Afrique (NEPAD) Pour compléter sa «batterie» d outils juridiques lui permettant de relever les défis auxquels elle fait face, l Union africaine prépare la Convention africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption. IV. Conclusion Je voudrais terminer mon propos en vous invitant à noter les efforts louables déployés par l OUA/UA pour doter le continent des instruments juridiques appropriés lui permettant de faire face aux défis auxquels il est confronté. La mise au point de ces instruments et leur afinement au fil des ans, témoignent de la volonté politique des dirigeants africains de guérir le continent des maux actuels qui l assaillent et de leur détermination, ainsi que celle des populations africaines, à bâtir une Afrique unie, prospère et en phase avec le reste du monde. Cependant, nous sommes conscients que les instruments, même performants, ne valent que ce que valent ceux qui les utilisent. De même, la volonté politique des dirigeants et la détermination des populations à se prendre désormais en charge, sont certes nécessaires, mais pas suffisants pour réaliser les objectifs assignés à l Union africaine. Il suffit de voir la situation du continent aujourd hui pour se convaincre que beaucoup d efforts restent à faire. C est pourquoi, nous apprécions à sa juste valeur la solidarité à travers le nouveau partenariat qui se manifeste à l endroit du continent. Dans ce cadre, nous saluons particulièrement tous les efforts visant à renforcer les capacités africaines à utiliser les outils dont l Union africaine 6
s est dotée pour pouvoir relever les défis des conflits, de la paix, de la sécurité et de la stabilité en Afrique. Je vous remercie. 7