LES MEMOIRES : LECTURE HISTORIQUE

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LES MEMOIRES : LECTURE HISTORIQUE A - L'historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France : 1. Le temps des mémoires officielles (de 1945 aux années 1970) : Du lendemain de la guerre jusqu'aux années 1970, la mémoire de la Seconde Guerre mondiale est liée au pouvoir et aux engagements politiques. La plupart des historiens, qui ne disposent pas encore de toutes les sources historiques, appuient ces thèses. La France combattante : une lecture gaulliste de la guerre Une période refoulée En 1945, la plupart des Français souhaite oublier les difficultés liées à l'occupation. Après la période d'épuration (10 000 morts), la question de la mémoire et des responsabilités est rapidement remplacée par l'urgence de la reconstruction. Des lois d'amnistie sont votées dès 1947. En 1953, l'une d'entre elles vise les Alsaciens enrôlés de force dans l'armée allemande (les «malgré-nous») qui ont participé au massacre de 642 civils à Oradour-sur-Glane en 1944. Une lecture officielle Le général de Gaulle, qui est au pouvoir jusqu'en 1946 puis à nouveau à partir de 1958, et dont l'influence reste prépondérante, donne une lecture de la guerre qui est admise par la plupart des partis de la droite et du centre. Selon cette lecture, le régime de Vichy est une parenthèse dans l'histoire de la République. La France libre a combattu du côté des Alliés et contribué, avec la Résistance intérieure, à la libération du pays. Des lieux de mémoire officiels Des lieux de mémoire sont constitués. Au mont Valérien, un imposant mémorial est édifié en 1960 pour commémorer les otages qui y furent fusillés. La mémoire communiste : une lecture partisane La construction d'une mémoire communiste Contre cette mémoire gaulliste, une autre mémoire se constitue, celle du Parti communiste français. Ce dernier s'autoproclame «parti des 75 000 fusillés», chiffre manifestement faux, mais alors invérifiable par les historiens (qui ont conclu ensuite à un total de 10 000 fusillés, communistes ou non). Des héros communistes résistants sont valorisés. Une mémoire instrumentalisée Le PCF cherche à faire oublier qu'il n'entre en Résistance que lorsqu'hitler attaque l'urss en 1941 et à attirer à lui davantage de voix. L'occultation des déchirures Les difficultés à comprendre et reconnaître le génocide

Face à ces mémoires officielles, les anciens déportés ne sont pas pris en compte comme victimes d'une politique de génocide. La déportation est vue comme un tout, certes abominable, mais dans lequel la volonté d'extermination de certains groupes d'hommes (juifs, tziganes, homosexuels) n'apparaît pas spécifiquement. Le premier film sur le sujet, Nuit et Brouillard, réalisé en 1955, s'inscrit dans cette logique, même s'il a l'immense mérite de diffuser auprès du grand public l'univers concentrationnaire. Par ailleurs, le rôle des autorités françaises dans la déportation est censuré dans le film. Des lectures orientées du régime de Vichy Dès le début des années 1950, certains intellectuels tentent de minimiser le rôle du régime de Vichy et de réhabiliter le maréchal Pétain, condamné dès 1945. C'est le cas de Robert Aron, avec Histoire de Vichyen 1954, qui développe l'idée que Pétain a fait ce qu'il a pu pour adoucir le sort des Français. Pour d'autres, il aurait été «le bouclier» du pays et De Gaulle, son «épée», pour montrer que tous deux ont pu défendre, à leur façon, le pays. 2. Nouvelles mémoires, nouvelles lectures historiques depuis les années 1970 : Le nouveau contexte de liberté qui suit mai 1968 et l'affirmation d'une nouvelle génération de chercheurs changent le rapport entre historiens et Seconde Guerre mondiale. L'affirmation de la mémoire de la Shoah Recherche historique et prise de conscience Depuis le début des années 1960, l'idée que la Shoah est un événement spécifique, dont ont été victimes les juifs, s'affirme. Des historiens commencent à travailler pour établir des chiffres et reconnaître des responsabilités. Les déportés organisent leurs mémoires, les historiens collectent des témoignages. L'engagement pour rechercher les responsables En 1961, un des responsables de la Shoah, Adolf Eichmann, est arrêté et jugé en Israël. Cela montre que la mémoire et la justice peuvent être connectées et que les témoignages sont fondamentaux pour le travail de mémoire. La diffusion de la mémoire de la Shoah L'horreur de la Shoah est alors largement portée à la connaissance du public grâce à des films comme Le Chagrin et la Pitié de Marcel Ophüls en 1971, puis Holocaust de Marvin J. Chomsky en 1979 et Shoah de Claude Lanzmann (1985), constitué de neuf heures de témoignages. Cette affirmation est aussi une réponse aux publications négationnistes historiquement infondées, réfutant l'existence de la Shoah, qui se sont développées depuis les années 1970, comme celles de Robert Faurisson. Une nouvelle lecture du régime de Vichy Une nouvelle lecture de la collaboration Les historiens anglo-saxons accèdent au début des années 1970 aux sources historiques qui leur permettent de donner une nouvelle lecture de Vichy. Robert Paxton publie en 1973 La France de Vichy, ouvrage dans lequel il montre que la collaboration a été voulue par Pétain et que les lois

antisémites adoptées l'ont été sans que l'allemagne ne les exige spécifiquement. On réalise que les autorités françaises ont participé à la Shoah. Une approche nouvelle de la nature du régime Par ailleurs, la «Révolution nationale» entreprise par le maréchal Pétain est interprétée comme une dérive autoritaire proche, par certains aspects, des régimes fascistes. La découverte d'une France peu engagée Les historiens montrent que collaborationnistes comme résistants engagés ont constitué une minorité de Français, la majorité étant attentiste et cherchant à assurer sa survie dans un contexte difficile. 3. Une mémoire, des mémoires : l'état et l'histoire de la Seconde Guerre mondiale depuis les années 1970 : Les nouveaux travaux des historiens, évoqués plus haut, et leur impact sur les acteurs encore vivants de la période ou sur leurs héritiers conduisent les autorités à changer leur rapport à la mémoire. Justice et mémoire : des grands procès qui montrent les progrès du travail de mémoire Le cas Paul Touvier En 1971, le président Georges Pompidou amnistie Paul Touvier, chef de la milice à Lyon. Il justifie cela par la volonté d'oublier ces temps troublés. Bien au contraire, cela stimule des hommes comme l'avocat Serge Klarsfeld, qui entend faire justice aux victimes de la Shoah. Paul Touvier est finalement condamné en 1994. C'est le premier Français condamné pour crime contre l'humanité. Le procès de Klaus Barbie En 1987, le procès de ce chef de la Gestapo à Lyon a été entièrement filmé pour servir de témoignage historique. L'affaire Maurice Papon La condamnation en 1997 de cet ancien fonctionnaire responsable de la déportation des juifs de Bordeaux est l'occasion de poursuivre le travail de mémoire. Mémoire et commémoration : entretenir le souvenir Reconnaître la diversité des mémoires Dans les années 1990 et 2000, la spécificité des différentes mémoires est portée par des travaux historiques montrant la participation à la guerre de différents groupes, comme les combattants issus de l'empire colonial. Commémorer les engagements Tous ces éléments divers font progressivement l'objet de commémorations portées par la République. Ainsi, outre le 8 Mai, devenu jour férié de façon définitive en 1981, il existe désormais quatre autres jours de commémoration (non fériés) d'événements liés à la guerre.

Mémoire et responsabilité : affirmer les responsabilités Vers la reconnaissance des responsabilités La prise en compte des responsabilités s'est effectuée par étapes. En 1981, le président François Mitterrand ne souhaitait pas que la République assume les crimes commis par le régime de Vichy. Jacques Chirac accepte cette reconnaissance officielle en 1995, à condition que soient aussi évoqués l'engagement des «justes» français et des résistants. Les lois mémorielles En outre, le travail des historiens doit s'inscrire dans le cadre de lois mémorielles, comme la loi Gayssot de 1990, interdisant la négation de l'existence de la politique d'extermination nazie B - L'historien et les mémoires de la guerre d'algérie 1. En Algérie : mémoire de la guerre et identité nationale La mémoire de la guerre comme événement fondateur de la nation En Algérie, au lendemain de l'indépendance, le FLN prend le pouvoir et instaure un système de parti unique. Il établit donc une version officielle de la façon dont la guerre doit être commémorée. Elle prend le nom de «guerre patriotique» ou de «guerre de libération». Le but est de montrer que l'opposition à la colonisation française a soudé la nation, au-delà de la différence entre Arabes et Berbères. Le régime du FLN est d'inspiration socialiste (la guerre est parfois même appelée «révolution») et passe des accords de coopération avec l'urss. Cela conduit à célébrer les actions collectives, plutôt que les héroïsmes individuels. Le peuple est exalté, de même que le parti ou encore son armée, l'armée de libération nationale. Le pouvoir dénonce les crimes de guerre commis pendant le conflit, occultant les violences perpétrées par le FLN sur les autres partis ou contre les harkis et les Français après les accords d'évian. Par ailleurs, le pouvoir algérien utilise la participation de ses dirigeants à la guerre pour justifier le fait qu'ils exercent le pouvoir. Cela n'empêche pas le parti de procéder à des purges en accusant certains de ses membres de trahison. Le héros de la guerre Ahmed Ben Bella, qui a été président de la République au lendemain de l'indépendance, est ainsi emprisonné par son rival et successeur Boumediene de 1963 à 1979. La mémoire de la présence française est souvent effacée : les monuments commémoratifs français, notamment ceux des deux guerres mondiales, sont détruits ou transformés, ou renvoyés en France, comme les statues de Jeanne d'arc, ou encore les cloches des églises désaffectées après le départ des Européens. Une mémoire polémique À partir des années 1980, ce discours est remis en cause par une partie de l'opinion publique. Les Berbères, et notamment les Kabyles, accusent l'état d'utiliser le mythe de la guerre nationale de libération pour justifier une politique d'arabisation, en imposant notamment la langue arabe comme seule langue d'enseignement.

Le régime réagit alors en exaltant de nouveau les héros de la guerre et en faisant achever en 1982 un imposant mémorial destiné à la mémoire des martyrs, à Alger. Les termes de «martyr» et de «combattant» sont valorisés. Malgré cela, la participation à la guerre ne suffit plus à assurer un soutien unanime au régime. En 1992, les islamistes du Front islamique du salut remportent les élections législatives. Les dix années de guerre civile qui s'ensuivent se sont conclues par le maintien d'un pouvoir héritier du FLN. De la mémoire à l'histoire? Cela étant, le pouvoir continue à défendre une version officielle de la guerre. Le nombre des morts, fixé parfois à un million par le régime, ne peut toujours pas être vérifié par les historiens algériens faute d'un accès libre aux archives contrôlées par l'armée. Le pouvoir adopte une position ambigüe. Il donne parfois des signes d'apaisement de la mémoire, notamment lors de la visite du président Bouteflika à Paris en 2007. En 2006, ce dernier avait reconnu qu'il restait des zones d'ombre dans l'histoire de la guerre d'algérie. Parfois cependant, le pouvoir algérien évoque la nécessité d'une réparation financière de la part de la France pour le préjudice subi pendant la colonisation et la guerre. 2. En France : de la mémoire occultée à la mémoire assumée : Une mémoire escamotée Au lendemain de la guerre, les Français souhaitent pour la plupart oublier le conflit. En effet, les Français se sont divisés pendant le conflit entre partisans ou non de l'algérie française. Les présidents de la République parlent d'«événements», mais jamais de «guerre». Seule la gauche radicale, pour dénoncer le pouvoir, emploie ce terme. C'est la «guerre sans nom». Il n'y a donc aucune commémoration officielle du conflit et le silence est fait autour des exactions de l'armée, tout comme sur les drames personnels vécus par les acteurs du conflit. Des lois d'amnisties sont votées jusqu'en 1982 en faveur des anciens membres de l'organisation de l'armée secrète (organisation terroriste en faveur de l'algérie française) ou des généraux putschistes de 1961. Le temps des mémoires À partir des années 1970 cependant, des témoignages exploitables par les historiens modifient lentement ce regard. Ces témoignages émanent de différents acteurs du conflit et montrent qu'il existe des mémoires vivantes de la guerre d'algérie. Les pieds-noirs, au nombre d'un million, forment des associations nombreuses et se retrouvent lors de grandes cérémonies, comme le pèlerinage de Santa-Cruz d'oran, rapatrié à Nîmes. Les harkis tentent de faire valoir leurs droits et dénoncent les conditions de leur accueil en France, dans des camps d'hébergement. Leur fidélité à la France a rendu leur mémoire gênante lorsqu'il a fallu négocier des accords avec l'algérie indépendante. Ils revendiquent l'obtention de pensions équivalentes à celles des combattants français. Les appelés du contingent s'organisent également dans des associations d'anciens combattants et commencent à parler de la façon dont ont été menées les opérations. L'ouverture progressive des archives de l'outre-mer et de l'armée permet également à la recherche d'avancer. On a ainsi évolué dans l'évaluation du nombre de morts. Des associations de rapatriés

tentent aussi de préserver et de valoriser le patrimoine culturel bâti par la France en Algérie, comme le Cercle algérianiste, ou encore les associations veillant à l'entretien des cimetières français en Algérie. Vers une difficile acceptation Dans les années 1990, certains tabous tombent. Le terme de «guerre d'algérie» devient officiel en 1999. La question de la torture est aussi abordée par les historiens. Elle conduit à une reconnaissance de la part des autorités françaises des atrocités parfois commises. Le président Jacques Chirac se rend en Algérie en 2003 et entérine ce travail de mémoire entrepris par la France. La présence en France de nombreux immigrés algériens qui souhaitent être éclairés sur cette part de leur histoire a sans doute contribué à ce que, dans le système scolaire, les historiens et enseignants en histoire soient portés à traiter ces questions. Ceci étant, dans l'extrême droite française, l'héritage de l'oas est toujours présent, entretenant un discours de rancœur face au développement de ce travail de mémoire. Par ailleurs, à l'échelle locale, de nombreuses mairies ont dédié une rue ou une place au 19 mars 1962 date du cessez-le-feu en Algérie, notamment lors des commémorations en 2012. La guerre d'algérie s'inscrit donc dans la multiplication des commémorations et mémoires.