Roms, tsiganes et voyageurs Régis Guyon Délégation Éducation & Société CANOPÉ 1. De qui parle-t-on? Plan 2. Un voyage sous contrôle 3. Itinérance et habitats exemple de Saint- Dizier. 4. L enjeu scolaire 1
Une minorité sans territoire Dix millions de Roms/Tsiganes vivent dans les pays de l Union européenne. Une «minorité dépourvue de territoire» (Conseil de l Europe, 1969) «La minorité la plus mal traitée dans divers pays d Europe» (Commission des droits de l homme des Nations Unies, 1977). Encore la cible «d attaques racistes, de discours de haine, d agressions physiques, d expulsions illégales et de harcèlements policiers» (Parlement européen, 2008). Une histoire de migrations 2
La langue romani De qui parle-t-on? Source : Casnav de Lille 3
Désignation de soi et de l autre D après Marie BIDET, Les gens du voyage, locaux ou cosmopolites? La gestion publique du nomadisme en France (2009) Roms, Tsiganes et Gens du voyage : un cadre juridique indépendant de l'origine Non-sédentaires Sans domicile ni résidence fixe (titres de circulation) Tsiganes Roms Migrants (exilés) sans papiers Les personnes de nationalité étrangère Forains Manouches Sinté Roms (dits les Hongrois ) Gitans-Kalé Avec activité ambulante déclarée (livret spécial/récépissé métier) Sans activité déclarée (carnet de circulation) Les personnes de nationalité française Sédentaires Nomades Voyageurs Yéniches Sédentaires se réclamant du voyage Pas de titres de circulation D après Vincent Ritz et Bernard Pluchon, CID (Nantes) 4
Le voyageur potentiel Le voyage «doit être compris davantage comme mobilité réelle ou potentielle que comme nomadisme» caractérise une majorité de Tsiganes même parmi les sédentaires. «Le Voyageur» peut, paradoxalement, être un sédentaire car la potentialité du voyage reste présente, elle constitue un état d esprit supporté par un affectif fortement ressenti. La majorité des Tsiganes seraient donc des «Voyageurs» potentiels. Voyage et itinérance en France À la fin du XIX e siècle des colporteurs, des journaliers, des marchands ambulants, des forains (manèges, cirques...) Recensement 1895 environ 400.000 itinérants, vagabonds... dont 25.000 Tsiganes La loi juillet 1912 création des statuts de forain et nomade. Mise en place du carnet anthropométrique. La période de la guerre À partir de 1939 des regroupements de nomades sont effectués par l'administration française, pendant l'occupation ils se transforment en camps d'internement. Les dernières libérations se feront en 1946. 5
05/02/2014 Le carnet nomade L'internement des Nomades 6
La loi du 3 janvier 1969 Selon cette loi, à partir de l'âge de 16 ans, les personnes n'ayant ni domicile ni résidence fixe de plus de six mois dans un Etat membre de l'union européenne doivent être munies d'un titre de circulation délivré par les autorités administratives pour pouvoir circuler en France, si elles logent de façon permanente dans un véhicule, une remorque ou tout autre abri mobile. Ces titres de circulation, qui ne sont pas des pièces d identité, doivent être visés régulièrement par la police ou la gendarmerie. L'obtention de ces titres est soumise au choix d'une commune de rattachement* comme domiciliation partielle, c'est-à-dire pour : La célébration du mariage l'inscription sur la liste électorale, sur la demande des intéressés, après trois ans de rattachement ininterrompu dans la même commune ; l'accomplissement des obligations fiscales ; l'accomplissement des obligations prévues par les législations de sécurité sociale et la législation sur l'aide aux travailleurs sans emploi ; l'obligation du service national. La loi du 3 janvier 1969 Cependant, il existe la possibilité d'élire domicile dans la commune de son choix pour l accès à l ensemble des prestations sociales. Cette domiciliation s effectue auprès d un CCAS ou d un organisme agréé. Le lieu de vie habituel peut être éloigné de la commune de rattachement ou du lieu d'élection de domicile. Art. 8 : "Le nombre des personnes détentrices d'un titre de circulation, ( ) ne doit pas dépasser 3 % de la population municipale telle qu'elle a été dénombrée au dernier recensement. 7
Les titres de circulation Livret spécial "A" Livret spécial "B" Livret de circulation Carnet de circulation Exercer à titre habituel et pour sa propre compte une activité ou une profession ambulante inscrite au registre du commerceou à un registre des métiers. (ex: forains). Il concerne également l'épouse, les ascendants, descendants légitimes et enfants naturels reconnus. Etre employépar un professionnel titulaire du livret spécial modèle A ou l'accompagner habituellement Justifier de ressources régulières leur assurant des conditions normales d'existence notamment par l'exercice d'une activité salariée. Ouvriers de chantier et les retraités. Allocataires d'une allocation sociale (RMI, API ) ne sont pas concernées. Ne pas pouvoir remplir les conditions pour obtenir l un des autrestitres. Par défaut, il est destiné aux personnes «qui ne peuvent justifier une activité leur assurant des conditions normales d'existence» Il doit être validé tous les deux ans. Il doit être visé par la police ou la gendarmerie une fois par an. Il doit être visé par la police ou la gendarmerie tous les 3 mois. Les personnes qui circulent sans avoir obtenu un tel carnet sont passibles d'un emprisonnement de 3 mois à un an. Pour l obtenir il faut présenter : une pièce d identité, une pièce prouvant la nationalité, trois photos d identité, plus Un document relatif à l'activité professionnelle, un extrait de casier judiciaire (bulletin n 3) Un document justificatif de l'employeur. Le coût est gratuit. Le délais d'obtention est d'un mois sauf urgence. Le document est valable 5 ans et prorogeable. Un justificatif de revenus réguliers Le carnet de circulation 8
L habitat caravane La caravane (le «campine») n'est pas reconnue comme une véritable habitation ou comme un domicile. La caravane comme bien périssable. Des difficultés pour l'achat : pas d'emprunt (immobilier, mais comme bien de consommation) ; pas d assurance habitation ; impossibilité d'accéder à des aides au logement. application de la taxe d habitation aux résidences mobiles terrestres à partir de 2010 (ouvrant à l aide au logement?). L habitat caravane Comme symbole identitaire fort d une liberté (affichée et proclamée) Comme objet traditionnel, une des conditions possibles de la cohabitation familiale, à géométrie variable (pas de lieux vides, mais des lieux imbriqués) Comme reproduction (subi ou volontaire) d un mode de vie qui va de soi, reconduit pas nécessité/fidélité. Comme symbole de précarité, d une errance forcée. 9
Loi Besson (5 juillet 2000) L article 28 de la loi du 31 mai 1990 rend obligatoire la création ou la mise aux norme d aires d accueil pour le passage et le séjour des gens du Voyage pour toute commune de plus de 5.000 habitants. En contrepartie, la loi autorise, une fois l aire d accueil réalisée, l interdiction du stationnement des gens du Voyage sur le reste de la commune. La loi du 5 juillet 2000, relative à l accueil et à l habitat des gens du voyage, est venue compléter la loi de 1990 qui ne prévoyait ni contraintes ni mécanismes de contrôle. Loi Besson (5 juillet 2000) La loi prévoit également la création d'une commission consultative départementale des gens du voyage qui participe à l'élaboration d'un schéma départemental d'accueil des gens du voyage. Cette commission comprend des représentants de l'état, du conseil général, des communes mais aussi des gens du voyage et des associations. Le schéma doit en outre prévoir la nature des actions à caractère social destinées aux gens du voyage qui fréquentent les aires d'accueil (les autres personnes relevant de l'action sociale de droit commun.) 10
Loi Besson, 14 ans plus tard Les aires d accueil sont peu nombreuses, parfois peu adaptées (grande diversité selon les départements). Malgré le dispositif de financement et de contrainte, le taux de réalisation des aires d accueil en France reste aujourd hui inférieur à 50%. Obligeant les gens du Voyage à stationner parfois sur des espaces inadaptés ou dans l illégalité. Les terrains familiaux, mis en location par les collectivités, restent exceptionnels. Acquérir des terrains devient de plus en plus difficile de même que d'accéder aux réseaux (eau, électricité). Marges et marginalisation Il existe encore trop d'aires d'accueil non conformes, avec des sanitaires collectifs, sans eau chaude, à proximité d'autoroutes, de voies ferrées, d'aéroports, de stations d'épuration, de décharges, sans équipements adaptés aux activités économiques, trop éloignées des services publics et des lieux d'activité culturelle 11
Accueil des «itinérants» et droit au logement Dans le cadre de la révision des schémas, la question de la sédentarisation apparaît aujourd hui comme une priorité. Mais problèmes d arbitrage et conflits de légitimité : la réalisation de terrains familiaux locatifs ou de quartier à habitat adapté relèvent-ils de la politique d accueil (SDAGDV) ou de la politique du logement en direction des populations précaires (PDALPD ou DALO)? L habitat adapté Les opérations d'habitat adapté: une réponse à la sédentarisation des gens du voyage? Ces opérations sont de trois types : le terrain familial (similaire à l'aire d'accueil) l'habitat intermédiaire qui combinent construction en dur (jusqu'à 40 m2) et caravanes l'habitat type Prêt Locatif Aidé d'intégration (PLAI). 12
La Valotte La Valotte 13
La Valotte Le P.S.R. 14
Le P.S.R. Le P.S.R. 15
Le Bois l Abbesse Le Bois l Abbesse 16
Le Bois l Abbesse Perthes - Sapignicourt 17
Aire d accueil (route d Ancerville) Reims : Neuvillette 18
L enjeu scolaire Scolarisation des élèves du Voyage : un droit, une obligation et une nécessité Circulaire du 2 octobre 2012 sur la «scolarisation des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs» Quelle inclusion? Entre exclusion et accès au droit ; Entre scolarisation et scolarité ; Entre médiation et apprentissages Scolarisation des «enfants du voyage» (circulaire 2012-142) Scolarité obligatoire pour les enfants de parents non sédentaires de 6 à 16 ans (article L 131-1 du code de l éducation). Droit à l'inscription (à la mairie) sans incidence de la nature de l'hébergement (définitif ou provisoire) sur le territoire d'une commune (article L. 131-6 du code de l'éducation). Même si la famille ne peut pas présenter tous les documents, l'enfant doit bénéficier d'un accueil, même provisoire. Assiduité : tout absentéisme devra être signalé par le directeur à l IEN de circonscription, qui donnera suite si nécessaire (rappel à la loi, signalement). 19
Scolarisation des «enfants du voyage» (circulaire 2002-101) Droit à la scolarisation dans les mêmes conditions que les autres enfants, quelles que soient la durée et les modalités du stationnement; Scolarisation dans les classes ordinaires avec la mise en place si nécessaire de soutiens pédagogiques, voir d enseignants spécifiques; Droit à des actions pédagogiques, dans les mêmes conditions que les autres (aide personnalisée, accompagnement éducatif...) ; La mise en place d outils de suivi, insérés dans le livret scolaire, condition essentielle de l efficacité de leur parcours scolaire; De la scolarisation à la scolarité Structures assurant l accès à la scolarisation : les antennes mobiles, le CNED ou encore les écoles dédiées aux «enfants du voyage». Pensées et présentées comme des passerelles, dérogeant au droit commun mais pour mieux y tendre. Mais : externalisation de fait et définitive des élèves déresponsabilisation des acteurs de l École, comme des familles. l insertion dans l école ordinaire pensée que comme un «après» (théorie de la compensation ou du «handicap socioculturel» attribuée à Basil Bernstein) 20
De la structure à l alternance Structures et adaptation «particulariste» : survalorisant les différences liées à une appartenance supposée opacifiant les attendues d une école ordinaire qu ils ne voient jamais au final indifférente à la diversité économique, sociale ou linguistique des familles et des élèves. Dispositifs et alternance : inscrivant les élèves d abord dans une classe les ancrer et les associer dans un espace scolaire commun bien identifiable tout en leur proposant des moments d aide articulés avec les apprentissages développés dans la classe. De la scolarisation à la scolarité Quelle présence des «enfants du voyage» dans l école? La connaissance et reconnaissance des élèves Les élèves en réussite à l école élémentaire et au collège? L adaptation scolaire (ASH, dispositifs)? Observer la diversité des parcours scolaires, des stratégies d insertion dans le marché scolaire et les «dynasties scolaires»? L absence de scolarisation pour un nombre (indéterminé) d enfants. Quel lien fait-on dans l école entre l absentéisme et l itinérance? L arrêt définitif de l école à 16 ans? Quelle qualification et quelle certification proposer? L évolution des discours et des attentes des familles, notamment en matière de formation professionnelle. 21
Quelle(s) identité(s) dans l école? Spécificité et/ou droit commun Au final, se posent trois séries de problèmes : en devenant un équivalent de Tsiganes, la catégorie administrative «gens/enfants du voyage» véhicule une uniformisation de ces populations; de la même façon, l étroitesse de cette catégorie entraine l obsolescence et l inadaptation des politiques spécifiques avec la réalité empirique et donc leur inefficacité; enfin, le traitement particulier de ces populations interroge la spécificité française : Voyageurs et professionnels sont en effet continuellement tiraillés entre le fait de demander et/ou de mettre en place des solutions spécifiques, tout en favorisant au maximum le droit commun. 22
Conclusion(s) Les «enfants du voyage» sont-ils des élèves comme les autres? Des «élèves à besoins éducatifs particuliers»? L adaptation scolaire? La maîtrise de la langue et la difficulté scolaire? «S en sortir» et «en sortir» Du «l autre vs même» au «mêmevs le même» (Francis Delarue) : d un côté, on souhaite traiter de façon spécifique une population, de préférence par des «spécialistes» ou «experts» pour mieux la prendre en compte et l amener jusqu au droit commun de l autre, cette prise en charge particulière renforce des effets de traitement spécifique et de mise à l écart du droit commun. Ernesto: Man, je te dirai, m man m man, je ne retournerai pas à l école parce que à l école on m apprend des choses que je sais pas. Après ce serait dit. Ce serait fait. Voilà. La mère s arrête d éplucher. Silence. La mère, répète lentement: Parce-que-à-l école-on-m apprenddes-choses-que-je-sais-pas Ernesto: Ouais. La mère réfléchit. Puis elle regarde Ernesto. Puis elle sourit. Ernesto sourit pareil. ( ) Ernesto: Tu comprends, ce que j ai dit, m man. Silence. La mère réfléchit. La mère: C t-à-dire. Je peux pas dire comment je l comprends si c est la bonne manière mais quelque chose il m semble que j comprends quand même, oui. Ernesto: Laisse tomber m man La mère: Oui. Marguerite Duras, La pluie d été, Paris, POL, 1990, p. 22. 23
Des difficultés à l œuvre Dessins de Koch, Cahiers pédagogiques, n 480, mars 2010. 24