Introduction. Plan de l introduction



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Transcription:

Introduction Plan de l introduction 1. Aperçu historique et finalités des procédures collectives 2. Les problématiques du droit des entreprises en difficulté 1. L entreprise révèle des réalités économiques, juridiques, politiques et sociales, nationales ou internationales, et malgré le paradoxe qu elle n est pas en soi un sujet de droit, elle en est désormais un acteur central ; utilisateur de ressources naturelles et de capitaux, créateur de richesses et pourvoyeur d emplois, cet acteur est désormais partie prenante à l organisation de la société contemporaine, largement articulée autour des valeurs matérialistes ; l entreprise est ainsi un facteur significatif de ses équilibres... ou de ses déséquilibres. Il n est donc pas étonnant que le droit se préoccupe de la santé de l entreprise et, s il y a lieu, propose des solutions spécifiques à la prévention ou au traitement de ses difficultés. La matière est traditionnellement définie par le droit des procédures collectives, tels le redressement judiciaire et la liquidation judiciaire ; elle comporte aussi, depuis plus de vingt ans, des régimes juridiques destinés à organiser la prévention des difficultés, par le développement de l information produite par l entreprise, par la détection des premières difficultés ou par la mise en place de procédures d alerte ; elle compte encore, selon des efforts plus récents du législateur, des procédés de traitement conventionnel des difficultés de l entreprise, soit selon une méthode principalement conventionnelle, la conciliation, soit selon une méthode judiciaire : il s agit alors de la procédure de sauvegarde des entreprises mise en place par la loi nº 2005-845 du 26 juillet 2005.

16 DROIT DE L ENTREPRISE EN DIFFICULTÉ Le présent ouvrage restera limité au domaine traditionnellement enseigné en faculté de droit dans un cours de droit commercial spécial visant le «droit des procédures collectives», ou le «droit des entreprises en difficulté», c est-à-dire à l étude de certaines dispositions du Code de commerce, et non celles du Code rural relatifs à l entreprise agricole en difficulté, ni celles du Code de la consommation relatives au surendettement des particuliers 1, dont l intérêt pratique est pourtant tout à fait considérable 2. 2. De telles procédures et leurs solutions mettent en œuvre un droit particulariste qui s exprime souvent aux dépens de principes de droit commun, et par exemple : en droit commun de l exécution, on dit que «le paiement est le prix de la course», tel qu il résulte de l inorganisation des poursuites individuelles, alors que le droit des procédures collectives met en place une organisation des poursuites, une suspension des poursuites individuelles, un principe d égalité des créanciers affirmé au moins dans son principe par la Cour de cassation 3, dans la mise en œuvre d une saisie collective, par le tribunal et les mandataires de justice, du contenu global du patrimoine du débiteur ; en droit commun du patrimoine, le principe est celui de l universalité du patrimoine alors que le droit des procédures collectives opère des distinctions entre différentes masses de biens, ainsi entre les dettes antérieures à l ouverture d une procédure de redressement judiciaire et les dettes postérieures à cette ouverture, entre patrimoine «professionnel» et patrimoine «personnel», entre droits et obligations liés ou étrangers à l exploitation de l entreprise ; en droit commun des obligations, la résiliation du contrat suppose en général l accord des parties, alors que les organes d une procédure collective ont le droit de statuer unilatéralement sur la continuation d un contrat ; le droit des procédures collectives aménage parfois un «droit de ne pas payer ses dettes» ; le droit des sûretés ne sort pas davantage toujours indemne de sa confrontation avec le droit des procédures collectives, ni d ailleurs le droit des sociétés, le droit des régimes matrimoniaux ou le droit de propriété. 3. Le droit des procédures collectives apparaît-il souvent sous la forme d exceptions au droit commun, avec son cortège pratique de mauvaises surprises, d incompréhensions voire d agacements, comme un droit perturbateur, parfois un droit rebelle? C est ce qui en fait la difficulté, ainsi que l intérêt pratique de son étude, même si l on ne prévoit pas d en devenir un spécialiste : aucune entreprise n est véritablement à l abri de toute difficulté, et encore moins à l abri des difficultés de ses clients ou de ses fournisseurs. 1. Sur leurs points de contact, P. Cagnoli et K. Salhi, «La répartition des procédures de surendettement et des procédures collectives d entreprises», Rev. proc. coll. 2009, nº 4, p. 16. 2. Ni même les dispositions spéciales à certaines activités, telles les établissements de crédit, les entreprises d investissement ou les entreprises d assurances (sur ces questions, p. ex. Th. Bonneau, Rev. proc. coll. 2009, nº 1, p. 30, n os 16, 17, 18 et 19). 3. Cass. com., 3 oct. 2006, D. 2006.2735, obs. A. Lienhard.

INTRODUCTION 17 C est aussi un droit d exception, au sens où la finalité spéciale qu il poursuit justifie sa primauté sur le droit commun. Un aperçu historique de la matière permet d observer l éclectisme de ces finalités et éclaire les problématiques contemporaines du droit des difficultés de l entreprise. 1. Aperçu historique et finalités des procédures collectives 4. Un rapide survol historique des procédures collectives 4 permet de reconnaître deux grandes catégories, souvent conjointes et quelquefois contradictoires : une fonction disciplinaire (A) et une fonction de sauvetage (B). A. Une fonction disciplinaire I Écarter les débiteurs défaillants 5. Cette fonction consiste d abord à écarter du domaine des affaires les opérateurs défaillants. Le monde du commerce est dangereux, et celui qui ne parvient pas à faire face à ses engagements peut mettre en péril ses partenaires, voire, par enchaînement des défaillances, l ensemble du marché. C est bien pourquoi la faillite d un établissement de crédit relève d un régime juridique spécial dans lequel on trouve un mécanisme de solidarité de place qui fait appel aux confrères du défaillant ; dans le même ordre d idées, certaines professions réglementées organisent aux frais de leurs membres l indemnisation des victimes financières de la défaillance de l un d entre eux. Mais dans le commerce en général la protection du marché ne peut s appuyer sur un tel mécanisme dont le coût serait imprévisible et prohibitif ; elle suppose donc, à titre préventif, la mise à l écart des entrepreneurs incompétents, étourdis ou malchanceux. 6. C est dans cet esprit que sont conçus les régimes de l Ancien droit. Les statuts des villes commerçantes européennes de l époque pré-capitaliste (XV e siècle) traitent sans ménagement le commerçant qui fait faillite ; en Italie, on casse, au sens propre, son banc ou son échoppe (banca rota, origine de la banqueroute), et lorsque le Pouvoir Royal se penche en France sur la question avec les ordonnances sur le commerce de terre de 1673, c est avec le souci de protéger le développement économique naissant et la sécurité des échanges commerciaux. Le Code de commerce de 1807 dont la légendaire sévérité à l endroit du failli s explique, diton, par une colère impériale provoquée par la défaillance de certains fournisseurs aux armées, parachève la poursuite de cette finalité législative. 7. Plus récemment, la loi du 30 août 1947 sur l assainissement des professions commerciales révèle dès son intitulé l exercice d une telle fonction et interdit par exemple aux faillis non réhabilités l exercice du commerce et de fonctions 4. P.-M. Le Corre, «1807-2007, 200 ans pour passer du droit de la faillite du débiteur au droit de la sauvegarde de l entreprise», Gaz. proc. coll. 2007/3, p. 3 ; J.-L. Vallens, Bicentenaire du Code de commerce : le droit des faillites de 1807 à aujourd hui, Dalloz 2007, p. 669.

18 DROIT DE L ENTREPRISE EN DIFFICULTÉ dirigeantes dans les sociétés commerciales. En même temps, cette loi inaugure l approche plus récente du législateur, qui consiste à reconnaître au débiteur défaillant un droit à l erreur, et subordonne sa mise à l écart du monde des affaires à la condition qu il ait commis certaines fautes. Désormais, la sanction judiciaire de faillite personnelle ou celle d interdiction de diriger, prononcée à titre autonome par une juridiction civile ou comme peine complémentaire à une condamnation pénale pour banqueroute, en considération de certains faits définis par la loi autres que la seule défaillance du débiteur, assure cette fonction. II Sanctionner les débiteurs fautifs 8. Le débiteur défaillant fautif peut être soumis à des sanctions spécifiques telles la déchéance de certains droits, une sanction pénale de type classique (amende ou emprisonnement) ou encore, s agissant des dirigeants sociaux, une sanction originale introduite en 1935 après certains scandales financiers : l action en comblement de l insuffisance d actif social par laquelle le dirigeant social qui a commis certaines fautes est condamné à payer de ses deniers personnels tout ou partie de l insuffisance d actif social. B. Une fonction de sauvetage I Sauver le débiteur 9. Corrélativement à l évolution qui subordonne la mise à l écart du débiteur défaillant à la condition qu il ait commis certaines fautes légalement définies et judiciairement qualifiées, la loi vient au secours du débiteur quand il le mérite, c est-à-dire par exemple lorsqu il est lui-même victime de l évolution du marché, des conditions de concurrence, ou d autres circonstances. Dès 1838, le législateur atténue la rigueur systématique de la faillite et en 1889 il reconnaît une distinction entre le débiteur malheureux et le débiteur fautif, à laquelle il attache une dualité de procédures. Cette distinction est reprise en 1955, où le débiteur fautif est alors soumis à une procédure de faillite qui entraîne l exécution collective, tandis que le débiteur malheureux ou malchanceux est soumis à une procédure de règlement judiciaire dans laquelle il peut espérer bénéficier d un concordat, c est-à-dire un accord collectif avec ses créanciers sur des modalités d apurement du passif qui le remet à la tête de ses affaires. En 1967, la dualité est celle du règlement judiciaire et de la liquidation des biens. En 1985, la dualité devient celle du redressement judiciaire et de la liquidation judiciaire ; le législateur poursuit alors sa démarche sur la voie du sauvetage du débiteur non fautif en posant le principe original (art. 169, L. 85-98 du 25 janvier 1985) que la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d actif (en fait, le constat de son insolvabilité) ne permet pas aux créanciers de recouvrer leur droit de poursuite sauf certaines circonstances révélatrices, précisément, d un comportement fautif. II Sauver l entreprise 10. Mais avec le système mis en place en 1955, on pouvait se trouver en présence d une entreprise qui méritait d être sauvée alors qu en l état de fautes du débiteur

INTRODUCTION 19 elle était liquidée à raison de l impossibilité que le concordat fût recevable ; réciproquement, était recevable au concordat le débiteur vertueux mais dont l entreprise est à bout de souffle et dont la défaillance réitérée est probable. L intérêt de l entreprise appelait donc une nouvelle approche, fondée sur une distinction qu apporte la loi du 13 juillet 1967 : «la distinction entre l homme et l entreprise», plus précisément entre le débiteur (personne physique ou personne morale) et l entreprise ; en 1967, le droit économique fait irruption en droit des procédures collectives, et l on y voit s esquisser une distinction entre le droit patrimonial et le droit de l entreprise. Le critère du choix entre le règlement judiciaire et la liquidation des biens devient économique et c est dans une application distincte du régime des sanctions, indépendante du sort judiciaire de l entreprise, que le droit tiendra compte des comportements du débiteur. Cette distinction demeure de droit positif. Dans le même esprit et dans son prolongement, l ordonnance du 23 septembre 1967 institue une procédure de suspension provisoire des poursuites aboutissant à un plan de redressement. Le droit économique avance ses pions : cette procédure est alors réservée aux entreprises dont la disparition causerait un trouble grave à l économie nationale ou régionale. 11. Avec la «crise économique» du dernier tiers du siècle, en fait après consommation du pain blanc des «Trente glorieuses» (période de croissance économique continue 1945/1975), le législateur se préoccupe plus directement des défaillances d entreprises ; il s oriente alors vers la prévention des difficultés. Appliquant l adage populaire «Mieux vaut prévenir que guérir», s appuyant sur d intéressants travaux, notamment le rapport Sudreau sur la réforme de l entreprise (1975), et constatant que le rythme de l évolution de l économie et de la gestion des entreprises s accélère, les Pouvoirs publics insèrent en amont des procédures collectives proprement dites un ensemble de mécanismes juridiques destinés à connaître et révéler les difficultés de l entreprise alors qu il est temps d y remédier et avant qu il ne soit trop tard pour les traiter utilement. La loi du 1 er mars 1984 institue la prévention des difficultés de l entreprise qui représente désormais un volet important du droit des difficultés des entreprises ; la valeur de l hypothèse de continuité d exploitation de l entreprise échappe ainsi au domaine réservé du chef d entreprise. Corrélativement, la loi de 1984 institue une procédure nouvelle destinée à sauver l entreprise qui connaît ses premières difficultés de financement : le règlement amiable des difficultés de l entreprise (désormais, la conciliation). 12. Le 25 janvier 1985 interviennent deux lois nº 85-98 et 85-99 qui redéfinissent l ensemble de la matière autour d une finalité législative délibérée et affichée : sauver par la voie judiciaire l entreprise en difficulté. L intention est louable, mais le législateur en fait sans doute un peu trop, emporté par une vision quasiidéologique de l interventionnisme judiciaire dans l entreprise, reflet de l interventionnisme d État dans l économie. La procédure de redressement judiciaire «est destinée à permettre la sauvegarde de l entreprise, le maintien de l activité et de l emploi et l apurement du passif» ; elle est systématiquement ouverte sur une période d observation où il est procédé à l examen de la situation économique et des perspectives de l entreprise. C est avec cette loi que la situation des créanciers, dont les droits sont perçus comme une contrainte qui s exerce sur le

20 DROIT DE L ENTREPRISE EN DIFFICULTÉ redressement de l entreprise, a été la plus difficile. Mais le législateur devait bientôt revoir sa position. III Sauver les créanciers? 13. En effet, la loi du 10 juin 1994 desserre un peu l étau, rétablit un peu de bon sens là où il pouvait manquer (autorisant par exemple l ouverture sans période d observation d une procédure de liquidation judiciaire) et améliore les performances des mécanismes de traitement non judiciaire en créant la possibilité d une suspension judiciaire des poursuites destinée à favoriser la conclusion d un règlement amiable. D une manière générale, cette loi tire des conséquences raisonnables de l observation de l application de la législation de 1985 ; mais l économie générale de la loi de 1985 n est pas bouleversée. 14. La loi nº 845 du 26 juillet 2005 manifeste l intérêt du législateur pour le sort de l entreprise, en particulier en ce qu il institue la procédure nouvelle de sauvegarde de l entreprise et améliore les dispositifs de prévention 5. Mais au fond, cette loi restaure aussi les droits des créanciers : elle réhabilite la fonction liquidative en accélérant la procédure de liquidation judiciaire, notamment avec la liquidation judiciaire simplifiée, elle établit un pouvoir décisionnel des créanciers dans la procédure de sauvegarde par l institution de comités de créanciers, elle diminue leur responsabilité civile et leur restitue certaines initiatives de procédure, tel l engagement, sous certaines conditions, d une action en déclaration de faillite personnelle ou en banqueroute à l encontre du débiteur ou des dirigeants sociaux 6. La loi du 26 juillet 2005 aura pour effet certain, en pratique, de réhabiliter la condition juridique et financière des créanciers ; l observation de son application permettra de dire si elle contribue efficacement à l objectif hautement souhaitable de la sauvegarde de certaines entreprises. 15. Droit positif : législation La loi du 26 juillet 2005 détermine ainsi la base de l état actuel du droit positif des entreprises en difficulté ; celui-ci figure au Code de commerce aux articles L. 610-1 à L. 670-8 qui en composent le Livre VI intitulé «Des difficultés des entreprises». Observons que la notion de difficultés de l entreprise détrône celle de procédures collectives, à la faveur du développement de la prévention, de l alerte et du traitement conventionnel de ces difficultés. La structure générale du Livre VI est entièrement refondue ; l article 1 er de la loi, auquel se rattachent deux annexes sous forme de tableaux, supprime les divisions antérieures du Livre VI, institue de nouvelles divisions et procède à la modification de tous les articles du Livre VI, soit a minima pour les affecter de la numérotation nouvelle qui résulte de la restructuration du Livre VI, soit également et plus souvent pour formaliser les modifications apportées par la loi. La loi du 26 juillet 2005, certes dénommée «relative à la sauvegarde des entreprises» et 5. C. Saint-Alary Houin, «La loi de sauvegarde des entreprises, de nouvelles procédures pour de nouvelles stratégies», Rev. proc. coll. 2007, nº 1, p. 13. 6. F. Vinckel, «Le droit d action des créanciers chirographaires dans la loi nº 2005-845 du 26 juillet 2005», Rev. proc. coll. 2007, nº 1, p. 6.

INTRODUCTION 21 porteuse de l institution de cette procédure entièrement nouvelle, apporte en effet également, forte de ses 196 articles et 2 annexes, de nombreuses et parfois importantes modifications aux autres secteurs du droit de l entreprise en difficulté. Elle est applicable depuis le 1 er janvier 2006 aux procédures en cours à cette date (art. 190, al. 1 er de la loi) 7. L article 191 précise que lors de son entrée en vigueur, la loi n est pas applicable aux procédures en cours, à l exception d un certain nombre de dispositions 8. En 2006, 47 000 procédures collectives ont été ouvertes, parmi lesquelles 500 procédures de sauvegarde (110 dès le 1 er trimestre, 118 au 2 e, 125 au 3 e et 147 au 4 e trimestre. Au troisième trimestre 2009, on peut compter 320 sauvegardes parmi 12 800 procédures collectives. Quant à la pérennité des dispositions nouvelles, la communauté des juristes aura tout lieu d être prudente ; les deux lois de 1985 avaient été modifiées une vingtaine de fois en vingt ans, et cette agitation législative, sans doute inévitable, s explique par l acuité permanente des problématiques du droit des entreprises en difficulté. Les nouvelles dispositions législatives ont déjà été affectées par quelques textes récents ayant un objet principal différent : l ordonnance nº 2006-346 du 23 mars 2006 relative à la réforme des sûretés touche les articles L. 622-7, L. 624-16 à L. 624-18 et L. 632-1 du Code de commerce 9 sans compter les nouvelles dispositions du Code civil ayant une incidence sur la matière 10 ; l ordonnance nº 2006-461 du 21 avril 2006 réformant la saisie immobilière ne touche que l article L. 642-18. L ordonnance nº 2008-1345 du 18 décembre 2008, adoptée en application de l article 74 de la loi nº 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l économie, procède à une modification sensible d un nombre significatif d articles du livre II 7. Sauf certaines dispositions applicables depuis sa publication (le 28 juillet 2005), visées par l article 190, et qui concernent la durée de la sanction de faillite personnelle, le régime de la restitution des biens n appartenant pas au débiteur (art. L. 624-10), la durée de la liquidation judiciaire (L. 643-9), et l article 811-11 8. Qui sont donc applicables dès le 1 er janvier 2006 aux procédures en cours, à savoir le chapitre IV du titre IV (liquidation judiciaire simplifiée) et les chapitres I et II du titre V (sanctions, à l exception de l article L. 651-2 qui revient donc au principe de la non-application aux procédures en cours), ainsi que les articles L. 626-27 (résolution du plan), L. 643-11 (recouvrement du droit de poursuite), L. 643-13 (reprise d opérations de liquidation judiciaire après clôture), L. 653-7 (saisine du tribunal aux fins de sanction), L. 653-11 (durée limitée à 15 ans des sanctions personnelles), L. 662-4 (licenciement du représentant des salariés). 9. P.-M. Le Corre, «Les incidences de la réforme du droit des sûretés sur les créanciers confrontés aux procédures collectives», JCP E 2007, nº 1185. 10. À noter par exemple, l article 2287 nouveau qui dispose que «les dispositions du présent livre ne font pas obstacle à l application des règles prévues en cas d ouverture d une procédure de sauve garde, de redressement ou de liquidation», expression législative du particularisme technique des procédures collectives.

22 DROIT DE L ENTREPRISE EN DIFFICULTÉ du Code de commerce 11. Elle entre en vigueur (art. 173) le 15 février 2009, à l exception de l article 16 12, qui est entré en vigueur le 1 er janvier 2009. L ordonnance n est pas applicable (art. 174, al. 2) aux procédures en cours au jour de son entrée en vigueur, sauf en ce qui concerne quelques dispositions 13. Le droit positif du droit des entreprises en difficulté inclut bien entendu les principes de droit européen 14. Le volet réglementaire de notre discipline manifeste également une certaine effervescence. Le décret nº 2005-1677 est pris le 28 décembre 2005 (trois jours avant l entrée en vigueur du droit nouveau...) pour l application de la loi nº 2005-845 du 26 juillet 2005. Un décret nº 2005-1756 du 30 décembre 2005 détermine les juridictions compétentes pour connaître des procédures nouvellement applicables aux professions libérales, mais il le fait d une manière maladroite (réduisant à l excès le nombre de TGI compétents) qui devait conduire à une nouvelle détermination des compétences par le décret nº 2006-185 du 20 février 2006. Un décret nº 2006-1709 apporte diverses dispositions relatives aux administrateurs judiciaires et aux mandataires judiciaires, ainsi que quelques modifications au 11. Ph. Petel, «Le nouveau droit des entreprises en difficulté : acte II, commentaire de l ordonnance nº 2008-1345 du 18 décembre 2008», JCP E 2009, nº 1049. S. Boughida et P. Lombard, «Réforme de la sauvegarde : le nouveau dispositif sera-t-il plus efficace?», JCP E 2009, nº 1380 ; B. Saintourens, «Ordonnance du 18 décembre 2008 : l esprit et la lettre», Act. proc. coll. 2009, nº 1 ; B. Soinne, «Prolégomènes sur l ordonnance nº 2008-1345 du 18 décembre 2008 portant réforme du droit des entreprises en difficultés», Rev. proc. coll. 2009, nº 1, p. 1 G. Berthelot, «Les aménagements de la liquidation judiciaire issus de l ordonnance du 18 décembre 2008», JCP E 2009, nº 1312 ; F.-X. Lucas, «Toilettage du droit des entreprises en difficulté», Bull. Joly 2009.3 ; P. Crocq, «L ordonnance du 18 décembre 2008 et le droit des sûretés», JCP E 2009, nº 1313 et Rev. proc. coll. 2009, nº 1, p. 75. «Loi de sauvegarde : première réforme», Gaz. proc. coll., nº spécial, 1 re partie 6/7 mars 2009, 2 e partie 8/10 mars 2009. A. Lienhard, «Réforme du droit des entreprises en difficulté : présentation de l ordonnance du 18 décembre 2008, D. 2009, chron. 111. P.-M. Le Corre, Th. Montéran, Ph. Roussel-Galle, F. Pérochon, E. Le Corre-Broly, M. Grimaldi et R. Dammann, «Réforme du droit des entreprises en difficulté», D. 2009.638 s. ; Rev. proc. coll. 2009, nº 2, p. 52 : «Les cent jours de la réforme des procédures collectives : premier bilan». 12. Art. 16, Ord. nº 2008-1345 : l article 621-9 est complété par l alinéa suivant : «le président du tribunal est compétent pour remplacer le juge-commissaire empêché ou ayant cessé ses fonctions. L ordonnance par laquelle il est pourvu au remplacement est une mesure d administration judiciaire (ce dont il résulte qu elle n est susceptible d aucun recours judiciaire)». 13. Art. 173, al. 2 :... «sauf en ce qui concerne : les dispositions de l article 16 (cf. note précédente) ; les dispositions des articles 133 (suppression de l obligation aux dettes sociales) et 135 (modification de la faillite personnelle). Les actions fondées sur l obligation aux dettes sociales ne peuvent plus être engagées à compter de l entrée en vigueur de la présente ordonnance. En revanche, les actions déjà engagées au jour de cette entrée en vigueur se poursuivent». L article 173, al. 3 ajoute que «les dispositions du cinquième alinéa de l article 63 (effets d un jugement de résolution du plan) sont applicables aux plans de sauvegarde en cours d exécution au jour de son entrée en vigueur». 14. En matière de sanctions, CJCE, 24 mai 2006, Rev. sociétés 2007.157, note H. Matsopoulou ; sur le droit au procès équitable de l article 6, CEDH, cf. infra, nº 969 ; sur le droit européen uniforme de la faillite «internationale», cf. infra, nº 1027 ; sur une application inattendue mais pas nécessairement injustifiée à une situation de droit interne du règlement européen sur la faillite internationale, cf. infra, nº 251.

INTRODUCTION 23 décret nº 2005-1677 du 28 décembre 2005 15. Les décrets nº 2007-153 et 2007-154 du 5 février 2007 pris en application de l article L. 626-6 du Code de commerce 16 définissent le régime des remises de dettes que peuvent désormais consentir les administrations publiques. La codification de la partie réglementaire du Code de commerce est intervenue avec le décret nº 2007-431 du 25 mars 2007 17. Le décret nº 2009-160 du 12 février 2009 est pris pour l application de l ordonnance du 18 décembre 2008 18. 2. Les problématiques du droit des entreprises en difficulté A. Problématiques logiques : finalités, particularisme, éthique, question sociale, micro-économie, macroéconomie 16. Le droit des entreprises en difficulté poursuit donc une finalité composite, faite d un alliage en proportion variable et parfois aléatoire, entre intérêts financiers, économiques, sociaux, privés et publics, dont la coexistence conduit parfois à considérer que les procédures collectives définissent un contentieux «objectif» ; la Cour de cassation a ainsi eu l occasion 19 de dire que «la demande d ouverture d une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire n est ni une action en recouvrement, ni la mise en œuvre des voies d exécution forcée, ni une mesure conservatoire» ; la procédure collective est «autre chose», que l on peut approcher par l examen des problématiques qui l animent. La problématique téléologique se réfère au but de ce droit, dont la variété et l évolution ont été entrevues avec l aperçu historique. Les diverses intentions du législateur (éliminer, sanctionner, payer, redresser, prévenir, sauvegarder, liquider) sont a priori légitimes ; elles peuvent cependant s avérer contradictoires. 17. La problématique technique découle de la précédente : c est la confrontation entre le droit commun et le particularisme des procédures collectives, désormais 15. Th. Montéran, «Le décret du 23 décembre 2006 : les petites corrections apportées au décret du 28 décembre 2005», Gaz. proc. coll. 2007/1, p. 15 ; Ph. Roussel-Galle, «De quelques modifications du décret du 28 décembre 2005 par le décret du 23 décembre 2006», JCP E 2007, act. nº 48. 16. J. Daleau, «Sauvegarde des entreprises : remises de dettes des créanciers publics», Dalloz 2007, p. 428. 17. C. Arrighi de Casanova et J. Thery-Schultz, Élaboration de la partie réglementaire du Code de commerce, Dalloz 2007, p. 1221. 18. Ph. Roussel-Galle, «Le décret est arrivé... l avant-veille de l entrée en vigueur de l ordonnance!», Act. proc. coll. 2009, nº 4, p. 1 ; «Bref aperçu sur le décret du 12 février 2009 pris pour l application de l ordonnance du 18 décembre 2008 portant réforme du droit des entreprises en difficulté», JCP E 2009, nº 125. A. Lienhard, «Réforme du droit des entreprises en difficulté : présentation du décret du 12 février 2009», D. 2009, AJ.420 ; J. Vallansan, «Réforme de la loi de sauvegarde : précisions apportées par le décret d application», Rev. proc. coll., 2009, nº 2, p. 12. 19. Cass. com., 7 mars 2006, D. 2006.2250, JCP E 2006.1569, obs. M. Cabrillac et Ph. Pétel.

24 DROIT DE L ENTREPRISE EN DIFFICULTÉ «les» particularismes du droit des entreprises en difficulté. À côté du particularisme traditionnel de l exécution collective s exprime en effet le particularisme contemporain de la recherche de la pérennité de l entreprise, par la prévention, le traitement conventionnel ou le traitement judiciaire. Ce particularisme des procédures collectives a soulevé d importantes controverses doctrinales, conduit la Cour de cassation à beaucoup hésiter sur l ampleur avec laquelle ce droit spécial doit écarter le droit général des biens, des sûretés ou des obligations, ou amené le législateur à réviser certaines positions. Un certain équilibre a pu être trouvé qui redonne une place active au droit commun, sans exclure que le regain de libéralisme juridique actuellement accentué par l environnement international et le droit communautaire puissent aller plus loin et remettre en question certaines expressions de ce droit des faillites «à la française». Après celle de 1994, la loi de 2005 s inscrit indubitablement dans cette perspective, ainsi qu un certain courant jurisprudentiel dont il est difficile à ce jour d apprécier l ampleur 20. 18. La problématique éthique n est pas absente de la question. Le monde des affaires n est certes pas un modèle de vertus morales, ce qui ne doit pas nécessairement signifier que les valeurs morales doivent en être absentes ; mais le contexte des entreprises en difficulté en est une illustration marquante ; le débiteur en déconfiture, qui n a guère de marge de manœuvre et qui échappe aux mécanismes de protection contractuelle réservés aux contractants réputés faibles, les créanciers impayés, ou un candidat à la reprise évincé du redressement auront souvent le sentiment que leur voix n est pas entendue ; mais le rôle du droit est de prévenir et corriger les excès de la liberté des affaires, au besoin en ouvrant une autre liberté 21 ; tel est le cas avec l assouplissement jurisprudentiel du régime draconien des voies de recours contre le jugement qui arrête le plan de redressement ou lorsque la loi de 1994 apporte quelques correctifs aux mécanismes de la loi de 1985 qui avait permis certains abus dans la pratique des plans de cession, ou encore lorsque la loi de 2005 écarte le mécanisme d extinction de la créance non déclarée en temps utile à la procédure. Il demeure que le contexte des entreprises en difficulté est, par nature et compte tenu des circonstances, plus proche de l ambiance du combat de boxe que de celle des vertes prairies. 19. La problématique sociale hante les procédures collectives. Le sort des salariés de l entreprise en difficulté, implicitement pris en compte en 1967 avec celui de l entreprise, est entré formellement dans le champ législatif avec la loi du 27 décembre 1973 qui institue un régime de garantie des salaires ; il participe indubitablement à l économie générale de la réforme de 1985, et il entre dans le débat des travaux préparatoires de la loi de 2005 lorsque le Parlement écarte le projet d un mécanisme spécifique et «allégé» de licenciement pour motif 20. 13 févr. 2007, Bull. Joly sociétés 2007, 147, p. 579, Gaz. proc. coll. 2007/2, p. 39, note M. Sénéchal, D. 2007.648, obs. A. Lienhard, JCP E 2007, nº 2548, J.-P. Garçon, JCP E 2007, nº 1450, Ph. Pétel : le liquidateur, autorisé par le juge-commissaire à céder les actifs du débiteur, doit respecter le pacte de préférence stipulé au bénéfice d un tiers. 21. J.-L. Vallens, «Impartialité du Tribunal, procédures collectives et droits de la défense», D. 2008.972.

INTRODUCTION 25 économique en procédure de sauvegarde. Sur le terrain, le sort des salariés figure dans les préoccupations des organes de la procédure, juges et mandataires de justice, surtout en période de pénurie d emplois ; entre deux offres de reprise d une entreprise, l une qui payerait plus de créances et garderait moins d emplois, et l autre l inverse, l hésitation est permise et le tribunal peut choisir la seconde ; mais pas toujours 22. La grande presse et la presse régionale font écho au volet social de la défaillance des entreprises et aux licenciements économiques 23 qui bien souvent l accompagnent. 20. La problématique micro-économique est en substance au cœur des difficultés de l entreprise, et techniquement elle investit le droit des entreprises en difficulté ; en 1984, l hypothèse de continuité d exploitation, jusqu alors bien rangée au magasin des principes comptables fondamentaux, devient un critère opérationnel de l application de certains mécanismes juridiques ; en 1985, les critères du redressement font primer la performance économique de l entreprise sur les contraintes patrimoniales ; en 1998, la Cour de cassation donne une définition économiquement rationnelle de la cessation des paiements. C est peu de dire que l on rencontre alors des concepts juridico-économiques à géométrie variable, des mécanismes flous ou dits de droit «mou» ; les concepts juridiques perdent en définition académique et formelle abstraite, ce qui ne veut pas dire qu ils soient «moins juridiques» : ils sont en effet articulés sur la réalité économique et conduisent, finalement, à s intéresser à la nature des choses (sans que le droit des entreprises en difficulté ne cesse d être un droit fortement positiviste) ; le législateur poursuit dans cette voie en 2005, lorsqu il inscrit des notions telles que les difficultés «prévisibles» (à propos de la conciliation) ou «susceptibles de conduire à» la cessation des paiements (à propos de la sauvegarde). La problématique micro-économique existe aussi sous l aspect de l efficacité des procédures collectives, c est-à-dire leur capacité à poursuivre et à atteindre les buts qui leurs sont fixés. Il semblerait de ce point de vue, selon certains observateurs, qu en dépit de certaines publications superficielles ou incomplètes, le droit français des procédures collectives soit aussi efficace, parfois même davantage, que les droits de common law 24. 21. Dans ce contexte difficile, la problématique macro-économique, enfin, n est pas étrangère à notre sujet, en ce qu il comporte un enjeu de démographie des entreprises, qu il faut d ailleurs aborder largement en incluant natalité et mortalité des entreprises ; ce qui compte pour le tissu économique et social, c est le solde démographique. Un grand nombre de faillites signifie peu en soi ; il peut s accompagner d un nombre aussi important, ou plus important de créations d entreprises nouvelles et révéler un assainissement des structures ; il est au contraire difficilement supportable dans le cas contraire, ou bien s il existe une trop grande disparité, ce qui est 22. Q. Urban, «Quelle est l implication des institutions représentatives du personnel dans le traitement juridique des difficultés des entreprises depuis la loi du 26 juillet 2005?», Rev. proc. coll. 2008, nº 1, p. 35. 23. P. Bailly, «Les licenciements et les procédures collectives», Gaz. Pal. 2008, Doctr. p. 3626 (Gaz. proc. coll. 2008, nº 3). 24. M. Haravon, «Doing Business 2009 : mesurer l efficacité des faillites?», D. 2009, Doctr. 244.

26 DROIT DE L ENTREPRISE EN DIFFICULTÉ évidemment fréquent, dans les effectifs entre les entreprises qui disparaissent et celles qui sont créées. Ce type d enjeu relève du modèle de société, des modes de gouvernance et finalement, de la compétence de la puissance publique, et l on en trouve la trace dans le droit du traitement des entreprises en difficulté. Mais la marge de manœuvre des Pouvoirs publics découle désormais en bonne partie, chacun le sait, de considérations qui ne sont pas strictement limitées à l espace national, ni même à l espace communautaire. L introduction en 1992 par le Traité de Maastricht des trois libertés utiles à l accélération de la «globalisation» (au sens anglo-saxon de globalization = mondialisation) des affaires, à savoir la libre circulation entre les pays d Europe et les pays tiers des personnes, des marchandises (bientôt des services) et des capitaux ouvre aux entreprises françaises le marché mondial, et les soumet à la concurrence mondiale. Selon leur taille, leur secteur d activité ou leur talent, certaines y trouvent profit, d autres au contraire y trouvent une difficulté inédite à se développer ou même à survivre. Il y a là une cause non négligeable de nombre de faillites, parfois récurrentes dans certains secteurs d activité devenus peu concurrentiels. S y ajoute la problématique des délocalisations internationales d entreprises à finalité «concurrentielle». Dans une certaine mesure, le droit des entreprises en difficulté devient un soin palliatif destiné à accompagner les différents aspects de la «mondialisation» 25. B. Procédures collectives et patrimoine du débiteur 22. Une autre problématique, très concrète, recoupe les précédentes tout en soulevant des questions spécifiques, certaines d entre elles assez récentes : il s agit de l actualité du principe d universalité du patrimoine. On se souvient qu en vertu de ce principe tous les biens d une personne juridique répondent de toutes ses dettes, et que son corollaire, le principe d unité du patrimoine, énonce que toute personne juridique ne jouissant que d un seul patrimoine, cet ensemble (universum) regroupe droits et charges où les premiers répondent de la bonne exécution des secondes. Explicités à la fin du XIX e siècle par Aubry et Rau, ces deux principes figuraient dans l économie générale du Code civil et devaient continuer au XX e siècle à constituer les principes dominants du droit patrimonial français ; on dira aujourd hui qu ils sont des «principes de base», tant les exceptions qui l écartent se sont diversifiées, et pour certaines d entre elles, ont pris de l importance. 23. N insistons pas ici sur l impact du développement du droit des sociétés : lorsqu un opérateur constitue une EURL, faut-il y voir plutôt une atteinte économique au principe d unité et le moyen équivalent à la constitution d un «patrimoine d affectation», ou plutôt le respect formel du principe dans la mesure où le patrimoine ainsi créé se rattache à une personne juridique nouvelle? Encore que cette faculté instituée par le législateur en 1985 introduise pertinemment le propos dès lors que la jurisprudence n a pas manqué, dans certaines circonstances 25. Y inclus la problématique des sociétés offshore en paradis fiscaux (cf. Manuel de droit des sociétés, LGDJ, 6 e éd., 2008, nº 1374 s.), qui intervient ici à deux points de vue : 1º comme facteur de difficultés (éloignement des centres de décision) ; 2º comme facteur de redressement (participation de telles sociétés au tour de table de reprise d une entreprise en difficulté).

INTRODUCTION 27 de la défaillance de la société, de passer outre cette autonomie patrimoniale pour aller chercher la responsabilité financière du dirigeant associé unique. Autre apport du droit des sociétés, la problématique des groupes de sociétés 26 se retrouve ici, et l on verra que «l extension» de la procédure collective au sein d un groupe de sociétés donne lieu à des solutions que nous qualifierons par euphémisme d acrobatiques tant elles sont sujettes à caution. 24. En dehors de ces deux cas, EURL et groupes de sociétés, où la question du périmètre du principe d universalité réside dans un questionnement sur la personne juridique qui en est titulaire 27 (une sorte de dissociation entre la définition économique et la définition juridique de ladite personne, ou plutôt entre la définition juridique réelle et la définition juridique formelle), on pourrait supposer, la question du lien de rattachement personne/patrimoine étant résolue ou écartée, que le principe d universalité s appliquerait sans faille dans le contexte d une procédure collective ; or, il n en est rien. 25. L universalité du patrimoine demeure le principe de base, parfois même avec un certain emballement : tous les biens de la personne physique ou morale soumise à une procédure collective sont appréhendés par cette procédure, dont la fonction première est de les saisir collectivement dans l intérêt de l ensemble des créanciers. C est la totalité des biens du débiteur, personne physique ou personne morale, qui répond en principe, et sauf les exceptions qui vont suivre, de la totalité des dettes déclarées et admises à la procédure collective. Mais arrive aussi que la procédure collective s autorise à «reconstituer» le patrimoine du débiteur en remettant en cause certaines opérations qu il aurait réalisées avant l ouverture de la procédure (nullités de la période suspecte 28 ) ; le produit de telles actions, ainsi que celui des actions en responsabilités contre ceux qui auraient commis une faute qui serait à l origine de la défaillance ou qui en aurait aggravé les fâcheuses conséquences, accroissent le patrimoine du débiteur. Il en est de même, bien plus, du résultat du fonctionnement de certains mécanismes très particuliers aux procédures collectives : lorsque par exemple un créancier manque au respect des conditions formelles requises pour faire valoir sa créance, ou lorsque le titulaire de droits réels dont l objet est détenu par le débiteur (par ex. un bien en dépôt) manque le respect des conditions de leur revendication, cette créance ou ce droit réel, assez curieusement, «rejoignent» le patrimoine du débiteur. Les critères d ouverture des procédures collectives reposent en première approche sur la prise en compte de réalités et d informations de type techniquement patrimonial, pour commencer avec la notion de cessation des paiements, et pour continuer avec celle de confusion... des patrimoines. Quant à la solution de la 26. Droit des sociétés, LGDJ, 6 e éd., 2008, n os 195 et s. 27. De manière plus anecdotique, c est encore l incertitude sur le lien de rattachement entre une personne et une valeur patrimoniale qui peut écarter celle-ci du domaine de la procédure collective : la saisie collective de la procédure ne peut pas s exercer sur des sommes placées sous séquestre pour avoir été soumises à un contentieux relatif à leur attribution, Cass. com., 24 avril 2007, D. 2008.573, note F.-X. L. 28. Cf. infra, n os 624 et s.