Assèchement du delta intérieur du Niger et stratégies d adaptation des systèmes d élevage : Perception et perspectives. Bio Mohamadou Torou (Stagiaire 2iE ; toroubio@yhoo.fr), Adama Ballot (IER mopti), Samuel Yonkeu (2iE) et Bruno Barbier (CIRAD/2iE) INTRODUCTION Le delta intérieur du Niger est une plaine d inondation alimentée par les eaux des fleuves Niger et Bani au Mali. L étendue et la pérennité des ressources du delta ainsi que les activités humaines sont étroitement liées à la dynamique hydrologique du fleuve (Gallais, 1984 ; Poncet et Orange, 1999 ; de Noray et al, 2000 & 2003). Suivant le système de crue et décrue, pécheurs, agriculteurs et éleveurs se partagent les espaces inondés selon un calendrier tacite et précis depuis plusieurs siècles. La baisse de la pluviosité des décennies 70 et 80 associée à celle de la crue a entraîné de fortes perturbations dans l écosystème deltaïque, et en certains endroits, les pâturages sont devenus des terres nues ou transformés en rizières (Barrière C &O, 1995). De 1957 à 1980, les surfaces cultivées sont passées de 75 000 ha à 250 000 ha à l est du delta (Jacqueminet, 1992). Malgré une amélioration de la situation hydrologique du fleuve Niger depuis 1994 (Poncet et Orange, 1999), les surface inondées pourraient recommencer à baisser. Les aménagements actuels et en projet sur le Niger supérieur et le Bani auront une influence directe sur la dynamique hydrologique du fleuve, sur les inondations et donc sur les ressources naturelles et leur exploitation (Hassane, Kuper et Orange, 2000). Selon l ABN (PADD 2007) les surfaces inondées vont baisser de 12 à 14% en année moyenne et de 23 à 26% en année décennale sèche. Cette baisse des superficies inondées dans le delta estimée entre 600 à 2000 km² pourrait provoquer une baisse des effectifs de bétail de 10 à 15% (Zwarts et al, 2005). Dans ce contexte, que deviendra l élevage? Les nouvelles zones exondées vont-elles devenir des champs de cultures pluviales? Les dernières zones inondées vont-elles laisser la place à la riziculture? Quelles sont les perspectives d avenir pour les éleveurs du delta? Il y a nécessité de comprendre comment les populations d éleveurs se sont adaptées par le passé à la baisse de la crue et de la ressource et de savoir quelles solutions elles envisagent pour le futur. MATERIEL ET METHODE 1
Le site : delta intérieur du Niger Le delta intérieur du Niger est constitué d'un ensemble complexe de défluents ou bras qui alimentent un chapelet de lacs et mares. C est un écosystème considéré productif, riche en ressources agro-pastorales et halieutiques, notamment les prairies de bourgou. Cette abondance en ressources pastorales est à l origine de la grande convergence des animaux dans le delta pendant toute la période sèche (7-8 mois). Ces animaux sortent du delta dès les premières pluies pour les pâturages des plaines exondées et du Sahel. Les enquêtes et les données Nous avons réalisé des enquêtes auprès de 64 éleveurs sélectionnés au hasard dans 17 communautés du delta situées en bordure des fleuves Diaka et Niger. La majorité de ces communautés on été jointes en pinasses (sortes de grande pirogues). Des analyses statistiques (Analyse en Composante Principales et Analyse de Correspondance Multiple) ont permis de faire ressortir les éléments discriminants de la population étudiée et dans un deuxième temps d identifier les types homogènes d éleveurs. Les éléments utilisés pour classer les éleveurs du delta sont le type de droit de propriété des pâturages et l indice cheptel développé par Gallais, (1967) et que nous avons modifié et adapté IC= (bovin + (ovin + caprin)/ 10)/ individus ménages. RESULTATS Perception des éleveurs sur les modifications de la crue Les éleveurs ont une perception de leur environnement qui est à la fois précise et relativement proche de celle des scientifiques. Les deux tiers des éleveurs interrogés ont situé la baisse de la crue dans la période de 1973 à 1991. Les deux tiers ont également noté l amélioration des conditions hydrologiques à partir de 1994. De l avis des trois quarts des éleveurs, la crue des deux dernières années, bien que satisfaisante, n a pas atteint celle des années 1960. Pour l ensemble des éleveurs du delta une bonne crue doit être étendue, haute et longue. Pour la moitié des éleveurs, la baisse de la crue a d abord une origine divine. Un tiers incrimine la baisse de la pluviosité et un quart incrimine les aménagements et les prélèvements sur le fleuve. Impacts de la baisse de la crue sur les systèmes d élevage Les impacts les plus évoqués sont la baisse de la quantité de biomasse produite (92%) et la diminution de la surface pastorale (94%). Un nombre significatif d enquêtés observe aussi une baisse de la qualité des pâturages. Les espèces très appétées disparaissent au profit 2
d espèces moins appréciées des animaux. Le bourgou lui-même perd sa saveur. Une autre conséquence de la baisse de la crue est le changement des règles d accès aux pâturages. Environ 80% des enquêtés ont souligné qu en cas de mauvaise crue, les bourgoutières sont interdites aux éleveurs étrangers. D autres enquêtés par contre ont évoqué, qu en cas de mauvaise crue, les dates d entrée et de sortie dans les bourgoutières sont moins bien respectées. Impacts socio économiques de la baisse de la crue Les conséquences de la baisse de la crue sur le bétail et sur les ménages d éleveur sont très importantes. A la suite de la sécheresse des années 80, les effectifs bovins ont baissé en moyenne de moitié dans la région de Mopti. Cette baisse est plus importante dans les cercles exondés (67%) que ceux du delta (33%). Cela illustre l importance du rôle que joue la zone inondable dans les situations de crise climatique. La perte de bétail a engendré la baisse de revenu, la famine et parfois la perte de propriété car comme le disent les femmes peules «pas de lait, pas d argent». Typologie et vulnérabilité des éleveurs L indice cheptel permet de classer les éleveurs en trois groupes : les grands éleveurs au nombre de 4 dont l indice moyen est de 40,75 avec un écart type de 15,72 ; les éleveurs moyens (13) avec un indice moyen de 14,01 et un écart type de 4,90. La masse des petits éleveurs au nombre de 45 qui ont un indice moyen de 1,04 et un écart type de 1,71. Selon le droit de propriété deux groupes se dégagent : les propriétaires de bourgou et les non propriétaires. La vulnérabilité Les critères de vulnérabilité retenus sont le droit propriété, le niveau de vie de l éleveur et les stratégies adaptation des éleveurs. Le groupe le plus vulnérable est celui des petits et moyens éleveurs locataires de pâturage. Au pire des cas ils abandonneront l élevage des bovins pour l agriculture. Le deuxième groupe constitué d éleveur de niveau de vie moyen, ayant une propriété et optant pour la transhumance ou la migration sera moins vulnérable que le premier. Enfin le troisième groupe constitué de grands éleveurs, propriétaire de pâturage et prêts à prolonger la transhumance ou migrer est peu vulnérable. 3
Pratiques et stratégies adaptatives Depuis les récentes sécheresses, Les éleveurs enquêtés font systématiquement des réserves de foin bourgou et d autres espèces de graminées en prélude à la période de soudure. Ils achètent également de plus en plus de son de riz et les aliments de bétail de type agro industriels. En cas de sécheresse, la majorité (78 %) des éleveurs prolongent la transhumance en dehors du delta. Quelques 90 % des éleveurs envisagent de quitter la zone si la crue baisse durablement. Seulement 10 % des interrogés envisage de réduire la taille du troupeau ou d abandonner l activité. Perspectives Les difficultés les plus souvent évoquées sont l accès au bourgou, l obstruction des pistes de transhumance et gîtes d étape par les champs et la cherté des soins vétérinaires et de l aliment bétail. La majorité des éleveurs voient l avenir en termes d intégration agriculture élevage (75%), c est-à-dire dans leur cas le développement des cultures de céréales sèches et de riz inondé ou irrigué. Les éleveurs attendent des autorités l aménagement des espaces pastoraux spécifiques (89 % des enquêtés), le surcreusement des marres pour la culture du bourgou (62 %) et des subventions sur les soins vétérinaires et sur les aliments du bétail. CONCLUSION L effet cumulé de la baisse de la pluviosité et des aménagements va réduire sensiblement le potentiel fourrager du delta. Il va d ailleurs aussi réduire la production traditionnelle de riz flottant. Cette situation va faciliter le développement des cultures pluviales en bordure du delta mais aussi des périmètres irrigués. Les éleveurs tentent de s adapter en changeant les parcours de transhumance mais aussi en développant une agriculture intégrée à l élevage, en stockant du fourrage et en plantant du bourgou dans les marres dégradées. Toutefois l élevage est en crise dans le delta. Pour beaucoup d éleveurs enquêtés, l aggravation de l assèchement du delta entraînera une migration définitive vers d autres zones de pâturages. REFERENCES Barrière, O., & Barrière, C. (1995). Le foncier environnement. Pour une gestion viable des ressources naturelles renouvelables au Sahel: Approche interdisciplinaire dans le delta intérieur du Niger. (M. F. ORSTOM-CNRS Programme Environnement, Éd.) Bamako; Paris: CSR. 4
De Noray, M.-L., G., C., & Orange, D. (2000). DELTA: Vivre et travailler dans le Delta Intérieur du fleuve Niger au Mali. Bamako; Paris: Donniya. Gallais, J. (1984). Hommes du sahel, espace-temps et pouvoir, le delta intérieur du Niger. Paris: FLAMMARION. Gallais, J. (1967). Le Delta Intérieur du Niger, étude de géographie régionale. Mémoire Ifan, 2 (79), p. 621. Hassane, A., Kuper, M., & Orange, D. (2000). Influence des aménagements hydrauliques et hydro-agricole du niger supérieur sur l'onde de la crue du delta intérieur du Niger au Mali. Sud sciences & technologies, 5, 16-31. Jacqueminet, C. (1992). Le Delta central du Niger au Mali : Mise en évidence des mutations du paysage agraire par télédétection. Publication de l'association Internationale de Climatologie, 5, 79-86. Poncet, Y., & Orange, D. (1999). L'eau, moteur de ressources partagées: l'exemple du delta intérieur du Niger au Mali. Aménagement et Nature (132), pp. 97-108. Zwarts L., B. P. (2005). Le Niger, une artère vitale. Gestion efficace de l'eau dans le haut basin du Niger. Lelystad, Pays-Bas: Bp 8200 AA. 5