Formation fédérale D.E.S du 17 janvier 2014 «Théorisation de la pratique» La pratique transformée en connaissance (parce qu il n est pas possible de transmettre la pratique ) pour vous parler de l entraînement de Franck ESPOSITO Marc BEGOTTI
La natation est avant tout une locomotion : action dont le but est de se déplacer dans l eau Comme dans toute locomotion, déplacer sa propre masse impose de prendre appui périodiquement sur une autre masse La vitesse moyenne de déplacement du nageur est constituée d accélérations et de freinages (il n y a jamais de vitesse constante) La natation est une activité cyclique, constamment freiné par la résistance de l eau le nageur doit périodiquement prendre appui sur une masse d eau pour se ré accélérer (et plus l accélération l a amené à une vitesse élevée, plus il est freiné) Pour accélérer sa propre masse le nageur doit pulser une masse d eau vers l arrière à une vitesse supérieure à la vitesse de son propre déplacement
Les temps réalisés par les nageurs sont le résultats des actions qu ils mettent en œuvre
Intéressons nous aux actions «Les actions sont des systèmes de mouvements coordonnés en fonction d un but ou d une intention» J. PIAJET
Le principe d action est le même dans toutes les nages un nageur débutant se déplace selon les mêmes principes que le champion Toutefois on distingue des différences de niveaux de fonctionnement entre le champion et le débutant
Une représentation du fonctionnement du nageur qui dépasse les apparences que sont les mouvements : le modèle théorique du fonctionnement nageur Le nageur est simultanément et successivement projectile (toujours) et propulseur (périodiquement) Projectile, le nageur : - S immerge (l eau s écoule tout autour de son corps) cela annule la résistance de vague - S oriente selon l horizontale - S aligne pour faire coïncider l axe de son corps avec celui du déplacement (réduction du maître couple) - Se rend indéformable pour mieux déformer l eau Propulseur, le nageur pour accélérer périodiquement sa masse pulse - Une grande masse d eau (surface motrice) - Dans la direction du déplacement - En sens contraire - En profondeur - Au moyen de forces d intensité croissante (afin d accélérer la masse d eau à une vitesse supérieure à sa vitesse de déplacement)
L analyse de course nous offre : Des informations sur le résultat des actions des différentes parties de la course : des temps (durées) Une information qui rend compte indirectement* des actions mises en œuvre pour passer à travers l eau et se ré accélérer : le nombre de coups de bras *Attention!!! Le nombre de coups de bras rend compte de l aspect visible du fonctionnement, il n en n est pas la cause.
Evolution des performances A travers l histoire de la natation on observe que les nageurs nagent de plus en plus vite les distances de compétition avec un nombre de coups de bras en constante diminution Cette information signifie que les nageurs améliorent les performances à la fois parce qu ils s organisent pour être moins freiné et parce que chaque coups de bras agit plus intensément (ils augmentent leur puissance et la gère mieux)
Lors d une course, les temps par 50 m et le nombre de coups de bras pour réaliser chaque 50 m peuvent varier. Essayons de comprendre les raisons de ces fluctuations
Chemin faisant, confronté aux problèmes que posent les nageurs A force de s interroger sur les notions «de vitesse de nage», de technique, d endurance, de résistance, de travail aérobie, anaérobie, de force, de pédagogie, de fatigue, de «facteur limitant» 4 concepts, à la fois «simples mais complexes», ont émergé et nous permettent, nous semble t-il, d y voir plus clair pour décrypter les raisons des décrochages du nageur en action ; notre vision de l entraînement s en est trouvé changée
L efficience : «c est l optimisation des moyens mis en œuvre pour atteindre un but». - Améliorer l efficience pour passer à travers l eau en étant le moins freiné possible, se ré accélérer le plus efficacement possible et ne pas gaspiller inutilement de l énergie Le rendement : «c est le rapport entre le travail réalisé et l énergie utilisée». (< 1) - Améliorer le rendement pour nager à la même vitesse en dépensant moins d énergie La puissance : «c est le travail fourni par unité de temps». - Augmenter la puissance pour accélérer les masses d eau avec une plus grande intensité de force Les représentations : «Nous ne connaissons le monde qu au travers des représentations que nous nous en faisons. Les représentations sont une traduction transformée de la réalité» E. MORIN - Les représentations conditionnent la façon d agir, elles peuvent devenir des freins et même des obstacles insurmontables pour le nageur (mais aussi pour l éducateur et l entraîneur) ; dans ce cas il faut en changer
Le fonctionnement du nageur en action est organisé en structure : Les éléments qui composent une structure sont subordonnés ou subordonnants par rapport aux autres et dépendent les uns des autres. C est la raison pour laquelle on observe des fluctuations de vitesse moyenne d un 50 m à l autre, et des fluctuations du nombre de coups de bras nécessaire d un 50 m à l autre dans la course Attention!!! Le rendement et la puissance peuvent devenir contradictoires. L augmentation de la puissance peut se faire au détriment du rendement*, mais à rendement égal le plus puissant nagera plus vite la puissance est une fonction cubique de la vitesse : pour doubler sa vitesse le nageur a besoin de 8 fois plus de puissance (fonction cubique)
Je tiens à souligner l apport inestimable des travaux de mon ami, ancien CTR, Raymond CATTEAU à la constitution de ce «cadre de référence» - Raymond est à l origine du modèle théorique de fonctionnement du nageur - Il a apporté les preuves que la théorie «de la portance», qui faisait des dégâts considérables, n était pas fondée - Il est à l origine de la pédagogie active en natation - Il est l auteur de nombreux articles et d un ouvrage remarquable «La natation de demain» - Il anime un site internet interactif de grande qualité consacré à la natation que je vous invite à visiter raymondcatteau.com
Franck ESPOSITO 200 papillon
Progression chronométrique et chronologique sur 200 papillon (23 ans) Mars 1993 : 1 58 5 (89 coups de bras) Avril 1997 nouvelles options pédagogiques et d entraînement (27 ans) Juillet 1997 : 1 57 5 ( 84 coups de bras) (28 ans) Janvier 1998 : 1 56 3 (80 coups de bras) (30 ans) 2000 : 1 55 6 (80 coups de bras) (31 ans) 2001 : 1 55 3 (80 coups de bras) (32 ans) 2002 : 1 54 6 (78 coups de bras) Fin de carrière en 2005
En 1997, M. GUIZIEN et moi-même décidons d entraîner conjointement Franck ESPOSITO qui ne progresse plus depuis cinq ans sur 200 papillon 1 - Les deux entraîneurs font le même constat et semblent d accord sur deux points : «Franck doit devenir à la fois plus puissant et plus endurant» 2 - A la question «pour faire quoi?» 2 réponses différentes : A : «Pour augmenter sa fréquence de bras afin de passer 55 au 100 m, tenir ce rythme puis pouvoir mettre les jambes dans le dernier 50 m» B : «Franck doit pouvoir s accélérer et passer à travers l eau avec une plus grande efficacité afin de pouvoir nager avec le meilleur rendement possible sur l ensemble de la course avec un passage en 55 au 100 m 16
La question «pour quoi faire?» est déterminante : elle met au jour deux modèles qui s opposent et qui induisent deux démarches d entraînement qui s opposent et cela alors que les 2 entraîneurs sont d accord en apparence Un choix est fait en connaissance de cause Il est décidé d expliciter ce choix par la construction d une image qui rende compte de l objectif que les 2 entraîneurs vont devoir poursuivre, ainsi que par une succession de «passages obligés» pour y parvenir
Franck ESPOSITO 200 papillon Analyse de course CH. du Monde 1998 Perth (Franck a 27 ans) 26 02 29 33 30 36 30 61 1 56 32 (18) (20) (20) (22) (80) Modèle réalisé en 98 après Ch. du Monde : 26 29 3 29 5 29 8 1 54 6 (17) (19) (20) (21) (77)
Des passages obligés qui organisent l entraînement 1 - Augmenter l amplitude en crawl puis la propulsion : 3 X 800 crawl entre 8 50 et 9 avec 24 coups d bras/50m. Puls : 140 mn Franck est capable de réaliser les temps mais avec un nombre de coups de bras bien supérieur. Construction du corps projectile = tête immergée et fixée (il regarde devant). Construction du corps propulseur = augmenter surface motrice : main + avant bras, mobilisation des épaules. Augmentation force de base puis force endurante. 2 - Augmenter l amplitude en papillon. La vitesse sur 25m : 40 X 50 pap D: 45 en 35 avec 14 cycles 25 pap en 11 et moins départ dans l eau Franck n est pas capable de nager 40 x 50 en 35 et encore moins avec 14 cycles. Pilotage par la tête. Prendre appui sur une plus grande masse d eau, pousser vers l arrière au moyen de force d intensité croissante. Force de base puis force endurante. 3 - Augmenter l amplitude à vitesse de course ainsi qu a vitesse plus élevée : 29 et moins/50m avec 16 cycles et moins Nager le plus vite possible sur 50m avec le moins de coups de bras possible 4 - Développer l aptitude à nager à vitesse élevée avec la plus grande propulsion possible de façon répétée : 20 X 50 pap D : 45 en 31 avec 16 cycles et moins 10 X 50 pap D : 45 en 30 avec 17 cycles et moins = Amélioration de la construction du corps projectile et propulseur puis mise à l épreuve de la durée. Augmentation du niveau de force de base puis mise à l épreuve de la durée ( force endurante)
Performances 2002 et 2003 (Franck est âgé de 32 ans). Rappel modèle : 26 (17) 29 3(19) 29 5(20) 29 8(21) 25 19(17) 28 76(20) 29 71(20) 30 96(21) 1 54 62(78) record d Europe 25 23(17) 29 01(19) 29 78(20) 30 68(21) 1 54 70(77) Nouveau modèle, réalisé en 2002 : 25 5(16) 29 (19) 29 5(19) 29 8(20) 1 53 80(74)
Franck est passé de 26 ans (1 58 5 / 89 coups de bras) à 32 ans (1 54 6 / 78 coups de bras) d un niveau de fonctionnement à un fonctionnement de plus haut niveau 1 - Un corps projectile et propulseur mieux construit associé à plus de puissance. Franck est plus efficient il nage plus vite et plus loin à chaque cycle 2 - La capacité de pouvoir conserver cette efficience dans la durée (endurance «technique» et de force). Franck nage 3 9 plus vite sur 200 m
Un autre exemple Solenne FIGUES 200 nage libre 2001 Solenne a 22 ans et réalise 2 00 50 aux 200NL Solenne ne progresse plus véritablement sur cette distance Ses entraîneurs seraient d avis de l entraîner «sur 400m» pour lui permettre de progresser sur 200m
Solenne FIGUES 200 nage libre Analyse de course ch. de France 2002 (Solenne a 23 ans) 28 67 30 11 30 70 30 32 1 59 80 (36) (37) (39) (43) (155) Modèle réalisé en 2002 28 3 29 5 29 5 30 2 1 57 5 (34) (36) (37) (37) (144)
«Premier passage obligé» Passer de 56 5 au 100 m à 55 8 : 56 5.55 8 = Construire un corps projectile et propulseur plus performant : immerger la tête, aligner l axe du corps sur l axe de déplacement. Construire la pâle main avant-bras. Mobiliser les épaules. Construire l arrière. Exercer avec plus de puissance une force d intensité croissante sur la masse d eau. (explications) Nager à l entraînement 12 /25m, 27 /50m et 57-58 /100m avec le moins de coups de bras possible. Ne plus considérer Solenne pour le moment comme une nageuse de 200m mais comme une nageuse qui doit améliorer son efficience et sa puissance pour nager plus vite sur 100 m
Performances ch. du Monde 2005 Solenne est âgée de 25 ans. Modèle 28 3(34) 29 5(36) 29 5(37) 30 2(37) 1 57 5 (144) 28 26(35) 29 69(38) 30 26(40) 30 09(44) 1 58 30(157) championne du Monde 27 99(33) 30 07(37) 29 88(38) 29 68(43) 1 57 62(151) relais 4X200 Observations : Le rendement doit être amélioré mais surtout Les solutions «spontanées» sont toujours prégnantes. Les représentations mentales ne sont toujours pas en cohérence
Un dernier exemple 2007 - Une jeune nageuse de 15 ans 400 4 nages
Isabelle MABBOUX est née en 92, 400 4 nages Analyse de course 2007, France minimes : 1 08 19 1 20 69 1 28 79 1 08 55 5 06 22 (21/25) (47/47) (23/23) (46/48) (280) Modèle 2007, réalisé par Benoît son entraîneur : 1 08 1 17 1 24 1 06 4 55 (21/24) (40/40) (23/23) (44/45) (260) en 2008 aux CH F cadets, Isabelle réalise 4 58 54 (267) en 2009 aux CH F NI, Isabelle réalise 4 53 24 (265)
Comment ce jeune entraîneur a-t-il construit le modèle 1- Il s est intéressé aux analyses de courses des meilleures nageuses du monde sur 400 4N 2- Il a fait une analyse comparative des analyses de courses d Isabelle et des meilleures nageuses du monde 3- Il possède un cadre de référence explicite, ce à partir de quoi il a réalisé ses choix d entraînement ( La formation qu il a suivie l a amenée à le construire) 4- Il a «modélisé» son point de vue Il lui reste à établir les grandes étapes, le plan de construction de l ensemble des transformations qui devront s opérer.
Pour conclure
Ces quelques exemples nous incitent à penser Qu il est toujours possible de devenir meilleur nageur Qu il n y a pas d entraînement sans apprentissage n y d apprentissage sans entraînement Que c est l ensemble des transformations à obtenir qui doit organiser le plan d entraînement, et que ce plan de construction doit être ordonné Que s intéresser «aux fonctionnements» permet : D obtenir des solutions motrices d un haut niveau d efficacité De développer à la fois des capacités motrices et physiques (puisque elles sont indissociables!) De permettre une progression tout au long de la carrière
Merci pour votre attention Travaux pratiques : Je vous propose que vous vous intéressiez aux analyses de courses de C. LACOURT sur 100 m dos : Europe 2010 - Monde 2011 - J.O 2012 - Monde 2013 - Classez les chronométriquement - Comparez les, notez les différences - Quels sont «les indicateurs de fonctionnement»? - Comparez les, interprétez les - Faites des propositions