La demande d assurance complémentaire santé en France : enseignements sur le concept d abordabilité



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Transcription:

La demande d assurance complémentaire santé en France : enseignements sur le concept d abordabilité financière Michel Grignon (CHEPA, McMaster University) et Bidénam Chopin (M3S) CIQSS, Montréal, 9 mai 2014

Motivations de l étude 1. Pourquoi les pauvres n achètent-ils pas d assurance complémentaire santé? 2. Peut-on s affranchir du concept d abordabilité financière? Ou, au moins, lui opposer des explications alternatives? [Audio : pourquoi ce concept est circulaire.] 3. L expérience de l ACS en France suggère qu il ne s agit pas d abordabilité financière. [Rien à dire pour l instant, plus loin.] 4. Et si les pauvres achetaient moins d assurance parce qu ils veulent moins de santé? [Audio : une sorte de risque moral à l envers.] 1

5. Utiliser la demande d assurance selon le revenu pour comprendre la demande de santé selon le revenu. [Audio : on ne sait pas grandchose sur la demande de santé en fonction du revenu, tout ce qu on sait porte sur l utilisation de soins en fonction du revenu.]

Conclusions Un test économétrique mené sur la distribution des primes (y compris 0) sur le marché de la couverture complémentaire santé individuelle en France en 2004 (avant l ACS) montre (suggère?) que l abordabilité financière et la demande de santé jouent toutes deux un rôle dans la non couverture des presque pauvres, mais la demande de santé joue un rôle nettement plus important. Si les pauvres achètent moins d assurance, c est parce qu ils valorisent moins la santé, qui est un bien de luxe. Politiquement : la couverture publique obligatoire universelle et complète, à la canadienne, donne-t-elle trop de santé aux 20% du bas de la distribution des revenus, qui préfèreraient utiliser l argent à autre chose? 2

La demande (pure) d assurance : la santé comme risque financier Dommage = 5 Proba =.1 Revenu entre 0 et 27 U=Ln(1+Y) Prime actuarielle (0.5) Gain assurance = U(Y-pD) - [pu(y-d)+(1- p)u(y)] 3

Utilite R A R 0 P A P 0 Y A,P Y A,R Revenu

La demande (pure) d assurance : la santé comme risque financier Résultats : EU si non assuré et riche (Y=27) = 3.313, Utilité du revenu certain si assuré (Y = 26.5) = 3.314. Gain faible. EU si non assuré et pauvre (Y=5) = 1.613, Utilité du revenu certain si assuré (Y = 4.5) = 1.705, Gain substantiel (100 fois plus important que pour le riche). 4

La non abordabilité financière A Seuil Fin Revenu 5

Complémentaire santé en France et ACS couvre les dépassements et co-paiements (nombreux: 25% total) assurance justifié : 20% concentrent 60% du reste-à-charge 55% par employeur : place pour un marché individuel Prime moyenne EUR400 (CAD560) par an par personne et min = 195 24% non couverts chez les revuc < 1, 000 par mois contre 4% chez les revuc > 1, 900 CC gratuite sous seuil de pauvreté (CMUC) 6

ASC subventionne 40% du prix pour ceux entre le seuil et 1.15 le seuil Echec : touche 10% de sa cible.

Alternative : solution en coin A Q Revenu 7

Test Non couverture résulte de deux obstacles : participation (abordabilité) et demande notionelle (solution en coin) Econométriquement : Craggit, Heckit, ou Tobit? Données : Enquête ESPS, questions sur les primes, le revenu par u.c., et les facteurs de variation des primes (permet de reconstituer une sorte de quantité d assurance acheté) - régression de la quantité d assurance sur le revenu (cubique). Conclusion : Heckit et Tobit sont tous les deux rejetés, il y a donc deux obstacles à la 8

couverture : ceux qui veulent mais ne peuvent pas, ceux qui veulent mais pas assez. Conclusion(2) : le test de Log vraisemblance est (nettement) meilleur pour le Tobit que pour le Heckit.

Table 3: Coefficients estimates for the cubic relationship between income and the quantity of CHI (expressed in ) notional demand. OLS Craggit Tobit Heckit Number of persons covered not controlled Income* 187.69 312.23 331.79 314.18 Squared income -24.75-42.51-49.07-46.42 Cubic income 0.79 1.40 1.72 1.64 R2 or LL 0.26-20,344-20,544-20,894 Sigma 407.81 393.09 387.48 All members of the household are covered Income 174.62 281.29 310.46 286.72 Squared income -22.44-37.64-45.78-42.12 Cubic income 0.70 1.22 1.60 1.48 R2 or LL 0.27-20,301-20,523-20,856 Sigma 402.95 390.99 388.69 Exact number of persons covered when observed, total household size otherwise Income 171.90 277.29 293.54 275.44 Squared income -22.69-37.64-43.51-40.80 Cubic income 0.72 1.22 1.51 1.43 R2 or LL 0.28-20,260-20,464-20,823 Sigma 398.43 384.59 385.63 * Income is monthly equivitized income (in ), divided by 1,000. 9

Discussion Les pauvres payent plus que les riches pour la même quantité Les pauvres sont exclus par les assureurs Les pauvres n ont pas la bonne information Si on accepte notre conclusion (solution en coin) : les pauvres valorisent moins l assurance parce que l assurance est un engagement de consommer des soins si malade (risque moral dynamique). Donc, valoriser moins l assurance signifie valoriser moins la santé. 10