Le secret bancaire en Suisse



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Nicolas Reichen Le secret bancaire en Suisse Passé et avenir Depuis quelques années, la presse fait presque quotidiennement état de la notion de secret bancaire, thème qui semble être un sujet de discorde entre les Etats le connaissant et bon nombre d autres pays. Mais avant tout, se pose une question sans doute extraordinairement banale, mais qui mérite néanmoins d être posée: qu est-ce que le secret bancaire au juste? 1. Origines du secret bancaire en Suisse Jusque dans les années 1930, bien que connaissant une pratique de discrétion dans les milieux bancaires en faveur de leur clientèle, la Suisse ne disposait d aucune législation fédérale sur les banques et le secret bancaire. Avec la montée de l extrémisme, notamment en Italie et surtout en Allemagne, le besoin d une réglementation du secret professionnel du banquier se fit progressivement sentir. A titre d exemple, dès l avènement du régime national-socialiste en Allemagne, Adolf Hitler et son gouvernement exigèrent l obtention d une parfaite transparence du patrimoine de tous les résidents allemands, citoyens ou non. D autres Etats prélevèrent des impôts de guerre destinés à la reconstruction de très nombreuses infrastructures nationales détruites durant la guerre de 14 18. Ces politiques eurent pour conséquence d engendrer une demande toujours plus grande provenant de nombreux contribuables européens d obtenir un moyen efficient de placer une partie de leurs capitaux à l abri des autorités fiscales nationales. En Suisse, le besoin de réglementer l activité bancaire de très nombreuses faillites dans le domaine ayant eu des conséquences extrêmement graves aboutit à l adoption, le 8 novembre 1934, de la Loi fédérale sur les banques et les caisses d épargne, qui entra en vigueur le 1 er mars 1935. Des normes entérinant le secret bancaire y furent incluses. Ainsi, le secret bancaire naquit, d un point de vue législatif, d une façon relativement peu spectaculaire. Son introduction fut «noyée» dans une masse législative réglementant le domaine bancaire de façon générale. Nicolas Reichen, juriste, doctorant en droit international privé, Fiduciaire Michel Favre SA, Lausanne et Echallens/VD Une intéressante affaire se produisit quelques années avant l introduction législative du secret bancaire. En octobre 1932, à Paris, trois banques suisses virent leurs bureaux de la capitale française perquisitionnés par la police de la métropole. Le résultat de cette action se solda notamment par la découverte de listes de clients français fortunés qui utilisaient ces établissements bancaires pour éviter d être imposés sur leurs capitaux. Les montants en question étaient importants: environ deux milliards de francs français de l époque. Les autorités françaises tentèrent d exiger la production de livres comptables par l une des banques incriminées en Suisse et allèrent même jusqu à mettre plusieurs cadres de cet établissement au secret pendant plusieurs mois. Ces mêmes autorités présentèrent une demande d entraide judiciaire transnationale à la Suisse qui la rejeta. Dès fin 1932, le gouvernement français alors en place ayant démissionné, l affaire se calma. Cette dernière mit toutefois en exergue, en Suisse, le problème de la fragilité relative de la protection des relations que les banques suisses entretenaient avec leurs clients, notamment vis-à-vis de l étranger soit des gouvernements de différents Etats dont les résidents bénéficiaient de comptes en Suisse et confirma la volonté croissante de protéger les clients de ces banques de l intrusion de tiers dans leurs affaires. 2. Définition du secret bancaire Le secret bancaire n est rien d autre qu un secret de fonction de tout employé de banque ou société assimilée, l obligeant à la discrétion sur ses rapports avec sa clientèle [1]. En effet, le secret de l avocat, celui du notaire ou encore celui inhérent à la profession de médecin est une obligation comportementale qui ne se distingue du secret bancaire que par le sujet à qui est imposée une obligation [2]. Ces secrets professionnels quels qu ils soient n ont L Expert-comptable suisse 8/03 581

méro ou à pseudonyme ne protège son titulaire que d éventuelles indiscrétions et, par là, des violations du secret bancaire par l un ou l autre des membres du personnel de la banque en restreignant le nombre d employés connaissant l identité du titulaire des avoirs déposés. C est précisément le secret bancaire qui protège le détenteur d un tel compte, comme pour n importe quel autre client de la banque. Par conséquent, en cas de levée du secret, seuls les employés connaissant l identité du détenteur seront matériellement à même de renseigner la justice et ils devront s exécuter comme dans n importe quelle autre procédure de levée du secret bancaire. «Tant les Etats-Unis d Amérique que l Union européenne s opposent de manière toujours plus claire au secret bancaire.» pour seul sujet que le professionnel qui y est soumis et, par là, n ont d effet direct que sur ce dernier. Ainsi, un médecin ne peut pas, en théorie, révéler à un tiers, y compris à une autorité étatique, sauf norme législative expresse prévoyant le cas contraire dans des situations particulières, ou ordre émanant d une autorité judiciaire, quelque information sur l état de santé de l un de ses patients sans son consentement. Le secret incombant à toute personne employée ou liée par un autre lien contractuel à une banque crée exactement les mêmes effets: le professionnel ne peut pas divulguer quelque renseignement que ce soit sur un client de l établissement bancaire à un tiers, le consentement du client étant réservé. De qui le secret bancaire protège-t-il le client? Le secret professionnel du banquier interdit tout échange d informations entre tout employé et tout tiers, y compris l Etat ou tout organe gouvernemental, notamment étranger. D un point de vue juridique, le secret professionnel du banquier constitue une source d obligations pour les banques et non un privilège [3]. 3. Limites du secret bancaire Le secret bancaire est très souvent fort maladroitement décrit, notamment par le cinéma, et subit parfois des distorsions grossières de son image. En effet, il n est pas rare de voir un film ou une série télévisée présentant des criminels de haut vol qui se doivent tous d être titulaires d un compte auprès d un ténébreux établissement bancaire situé aux Iles Caïmans ou encore à Zurich. Le cas trahissant de façon flagrante l absence de professionnalisme des scénaristes ou réalisateurs de ce type de divertissements est sans doute le cliché du kidnappeur retors qui pose comme condition à la libération de la personne séquestrée le versement de la rançon sur un compte numéroté ou à pseudonyme auprès d une banque, par exemple genevoise, dont il remet allègrement les coordonnées à la victime de l extorsion. Cet exemple est, à plus d un titre illustratif des mensonges colportés sur le secret bancaire. En effet, les limites de la sphère de protection [4] offerte par le secret bancaire aux clients sont extrêmement claires: la législation interne suisse contraint à sa levée en cas de délit réprimé pénalement (p. ex. fraude fiscale ou recyclage de capitaux). De plus, la Suisse collabore internationalement en matière pénale avec les Etats étrangers dans les mêmes conditions [5]. A titre anecdotique, si on reprend l exemple susmentionné du kidnappeur, il serait extrêmement simple de geler tout avoir sur un compte dont le numéro est connu et d obtenir l identité de son titulaire. De surcroît, le système du compte à nu- 4. Le secret bancaire face à l actualité «En effet, les limites de la sphère de protection offerte par le secret bancaire aux clients sont extrêmement claires: la législation interne suisse contraint à sa levée en cas de délit réprimé pénalement.» Aujourd hui, le secret bancaire semble être de plus en plus mal coté [6]. En effet, il est souvent présenté comme constitutif d un moyen efficient exploité dans le dessein de se livrer à des comportements criminels, à l instar du recyclage de capitaux ou, plus simplement, on lui reproche de permettre une soustraction fiscale, tant interne que transnationale. S il est vrai qu il a certainement contribué à offrir un véhicule aux candidats à l évitement d impôt, il ne peut pas être décrit comme la cause d un tel mal. En effet, les lois fiscales de bon nombre d Etats voisins sont tellement confiscatoires qu elles ont naturellement poussé le contribuable à tenter d amoindrir son fardeau fiscal. Il faut relever ici que cette manœuvre n a jamais été à la portée de toute personne désireuse de dissimuler une partie de son patrimoine au fisc national; on ne commet pas une soustraction fiscale internationale simplement en déposant des capitaux auprès d une banque étrangère, sans autres précautions. De surcroît, les sanctions internes pour de tels agissements ont certainement des effets dissuasifs. Enfin, le compte bancaire dans un Etat connais- 582 L Expert-comptable suisse 8/03

sant la législation entérinant un secret professionnel du banquier n est pas le seul véhicule mis à la disposition du contribuable indélicat; les trusts anglosaxons ou les montages de sociétésécrans sont des exemples de mise en pratique que les Etats proposant ce type de services nomment hypocritement «optimisation fiscale». Or, l Union a adopté un système d échange automatique d informations entre les différentes autorités fiscales des Etats membres impliquant une absence de secret bancaire [7], ce qui signifie une disparition pure et simple de la pratique ad hoc de la Belgique, du Luxembourg et de l Autriche, notamment. Ces Etats sont contraints à cet refusent catégoriquement pour l heure. Subsidiairement, le gouvernement de notre Etat affirme que les autres Etats non-membres, à l instar des Etats- Unis ou de Singapour, par exemple, devraient aussi être parties à un tel système d échange d informations pour que la Suisse envisage une ratification. Tant les Etats-Unis d Amérique que l Union européenne s opposent de manière toujours plus claire au secret bancaire. Depuis les évènements tragiques du 11 septembre 2001, les Américains, pourtant d obédience libérale, sans compter que leur président actuel est issu des rangs républicains, ont changé d attitude face au secret bancaire en exerçant une pression accrue, particulièrement sur la Suisse. Ce n est pourtant pas la première fois que le secret bancaire est pris pour cible par cet Etat. Les premières pressions américaines sur le gouvernement suisse débutèrent à la fin des années soixante. En effet, c est à cette époque que fut conclu l accord sur l entraide judiciaire en matière pénale entre ces deux Etats. Cette ratification fit suite à une affaire de blanchiment de fonds provenant de la mafia new-yorkaise, dont le chef d orchestre fut Meyer Lansky, affaire qui fut découverte par hasard en 1965. En effet, un employé d une banque suisse perdit à l aéroport de Miami un reçu de USD 350 000, certifiant un dépôt sur un compte d une banque genevoise. La Suisse avait été choisie par Meyer Lansky en raison de la révolution castriste de 1959, qui l avait obligé à ne plus utiliser La Havane comme principal lieu de blanchiment. Il faut reconnaître que si son choix se porta sur notre Etat, ce fut sans doute partiellement en raison d un secret bancaire qui était alors moins limité qu il ne l est aujourd hui, notamment du fait de l absence de législation en matière de lutte contre le blanchiment à cette époque, mais aussi en raison de l éloignement géographique entre notre Etat et New York. Dans leurs pourparlers actuels, connus en Suisse sous le nom de «bilatérales bis», l Union Européenne et la Suisse ont pour tâche de conclure un accord sur la fiscalité de l épargne qui constitue l un des volets de ces discussions. «Avec la montée de l extrémisme, notamment en Italie et surtout en Allemagne le besoin d une réglementation du secret professionnel du banquier se fait progressivement ressentir.» abandon par la majorité des autres Etats de l Union. Ils ont toutefois réussi à obtenir un système transitoire ayant pour effet le maintien du secret bancaire jusqu en 2010 et la perception d un impôt à la source, dont le but est de dissuader les contribuables de soustraire des actifs imposables au fisc. Ce système transitoire pourra être appliqué au-delà de 2010 par les pays le connaissant, les derniers pourparlers européens sur la fiscalité de l épargne n ayant pu aboutir qu à ce compromis qui forme un excellent présage pour l avenir du secret bancaire suisse au travers des négociations bilatérales en cours. Dans ses négociations, la Suisse a donc laissé entendre aux Européens qu elle n abandonnerait pas sa législation sur le secret bancaire, mais qu elle serait en revanche disposée à prélever une un impôt à la source sur les capitaux et revenus provenant de clients domiciliés dans l Union, dont les modalités de redistribution entre les fiscs intéressés ne sont pas pour l heure arrêtées de manière définitive. C est précisément ce système qui sera appliqué au sein de l Union européenne, à la suite du récent accord trouvé dont il est fait mention ci-dessus [8]. Les Etats de l Union sont prêts à consentir que la Suisse use d un tel système, à savoir qu elle maintienne son secret bancaire, mais qu à terme, elle se soumette aussi à l échange d informations, ce que les négociateurs suisses En effet, ainsi que le prétend Berne, il semble que le fait de supprimer le secret bancaire, ou du moins de le limiter très strictement, aura pour conséquence de créer un déplacement massif de capitaux vers des places financières n étant pas parties à de telles conventions, ce qui aura pour effet de vider partiellement le système d échange d informations de son sens, ou du moins d en paralyser les effets. Le blanchiment de capitaux est de plus en plus indissociablement lié au secret bancaire, notamment par la presse, ou du moins une certaine presse. Il lui est reproché de faciliter grandement cette activité criminelle consistant à conférer une apparente légitimité à des actifs dont l origine est criminelle (commerce de stupéfiants, vente d armes, corruption, etc.). En effet, pour justifier ces avoirs, notamment par rapport au fisc, ou plus simplement pour être en mesure de les utiliser (achat d immeubles, investissements dans des sociétés, etc.), ceux-ci ne doivent présenter aucune origine suspecte. Dès lors, des financiers peu scrupuleux vont s atteler à rendre ces capitaux apparemment propres en utilisant divers canaux et moyens financiers. Des cas de blanchiment ont été recensés dans la plupart des Etats industrialisés du monde (Etats-Unis, Royaume- Uni, Suisse, France, Espagne, etc.). Bon nombre de ces Etats n ont aucune tradition du secret bancaire (et ce sont L Expert-comptable suisse 8/03 583

ceux-là mêmes qui présentent cette «transparence» théorique comme exemple à suivre en vue de l obtention d une place financière respectable). Il apparaît donc que le secret bancaire n est absolument pas indispensable au recyclage de capitaux de réseaux criminels organisés. D ailleurs, la banque elle-même n est pas un intermédiaire nécessaire à une telle pratique. En effet, des casinos furent abondamment utilisés pour le blanchiment, dès le début du XX ème siècle. Tout investissement peut s avérer être l une des composantes du crime de blanchissage, à l instar de l investissement immobilier, par exemple. Au-delà de ces considérations, il est à rappeler que le crime de base celui qui est une condition sine qua non au blanchiment, puisque ce dernier nécessite une activité criminelle préalable dégageant des bénéfices est souvent totalement ou partiellement commis sur le territoire d Etats critiquant ouvertement le secret bancaire, ce qu ils se gardent de souligner lorsqu ils prétendent que ce secret est propice au recyclage de capitaux. C est a priori le laxisme, le manque de méthodes ou de moyens mis en œuvre en vue de combattre les activités criminelles de base dans ces mêmes Etats, à l instar du trafic de narcotiques par exemple, qui engendrent un besoin de blanchir chez les délinquants. Pas de blanchiment sans crime. Si l on considère que le secret bancaire n est pas intrinsèquement nuisible, dans la mesure où des limites claires lui sont associées, peut-on pour autant le justifier par une autre voie que la tradition ou la coutume? Un argument souvent avancé par les banquiers qui le connaissent est celui de prétendre qu il est une illustration de la protection de la sphère privée de tout justiciable face aux autorités étatiques [9]. Cette justification n est a priori pas dénuée de sens. En effet, diverses dispositions légales protègent l individu face à la puissance de l Etat, notamment les droits fondamentaux que chaque Etat démocratique reconnaît, à des degrés variables, à sa population. La liberté de culte par exemple, concrétisée en Suisse par l article 15 de la Constitution fédérale, garantit à chacun une libre détermination de ses croyances en la matière, ce qui interdit à l Etat d imposer ou même de restreindre cette liberté de choix. Les diverses libertés fondamentales tendent donc à offrir aux citoyens une protection contre l ingérence de la puissance publique dans divers domaines. Il semble raisonnable de considérer que le choix d entretenir des relations «Le secret bancaire est pourtant aujourd hui difficilement justifiable, d un point de vue rationnel, autrement que par le biais des libertés fondamentales protégeant les citoyens de leur gouvernement.» d affaires avec une banque, ne concerne en soi pas plus l Etat que l achat de biens de consommation ordinaires qu un client ferait chez un commerçant plutôt qu un autre, par exemple. Mais, lorsque le secret bancaire offre indirectement une protection au contribuable désireux de soustraire des actifs de son patrimoine à l imposition, celui-ci reste-t-il défendable? Il faut garder à l esprit que le secret professionnel du banquier est limité: une fraude fiscale permet à la justice d exiger sa levée. D autre part, la banque n est que l un des nombreux vecteurs permettant la dissimulation de capitaux aux autorités fiscales, enfouir ses économies dans son jardin en étant un autre. Le secret bancaire n est en tout cas pas la cause de la soustraction fiscale, qu elle soit interne ou transnationale. «Le blanchiment de capitaux est de plus en plus indissociablement lié au secret bancaire, notamment par la presse, ou du moins une certaine presse.» Faut-il dès lors le supprimer ou le restreindre à un point qui le viderait de toute portée juridique? Si l on considère que la soustraction et la fraude fiscales ne sont pas défendables et ne doivent pas être aidées de quelque façon que ce soit par le secret bancaire, l introduction d un impôt à la source à un taux dissuadant les candidats à de tels évitements fiscaux, ainsi que la Suisse le propose dans ses négociations avec l Union européenne, semble être en accord avec l idée de réduire le plus possible l évitement fiscal. Dès lors, il paraît indéfendable de persister à exiger la disparition du secret professionnel du banquier. Quant à l argument consistant à prétendre que le blanchiment est grandement favorisé par le secret bancaire, il dénote d une méconnaissance du phénomène de recyclage de capitaux. Il faut encore souligner que, même en l absence de toute législation ou coutume sur le secret bancaire, il est aisé à tout Etat d engendrer un secret bancaire de facto, en n offrant dans la pratique aucune collaboration internationale en matière fiscale ou pénale, par exemple. 5. Conclusion Le secret bancaire est, ainsi que nous l avons exposé, souvent mal perçu et mal compris du grand public, notam- 584 L Expert-comptable suisse 8/03

ment dans des Etats ne le connaissant pas. S il est difficile de nier qu il est un moyen potentiel de soustraire des capitaux aux fiscs étrangers, il n est en rien la cause et encore moins le seul vecteur à la disposition de candidats à l évitement fiscal. Le secret bancaire est pourtant aujourd hui difficilement justifiable, d un point de vue rationnel, autrement que par le biais des libertés fondamentales protégeant les citoyens de leur gouvernement. Mais, dans un climat de mondialisation et d échanges transnationaux d informations, notamment fiscales, le poids de cet argument semble relativement modeste. Dans la situation présente, la Suisse pourrait ou devrait toutefois invoquer l un des piliers de la démocratie moderne aux Etats combattant le secret bancaire de notre pays, à savoir le principe de souveraineté nationale. L utilisation de ce principe concrétiserait une fin de non recevoir légitime face à ces attaques. La survie du secret bancaire, à terme et pour autant que la Suisse ne devienne pas membre de l Union européenne, dépendra en grande partie de la pratique de l art de la négociation de nos dirigeants et sans doute aussi du lobbying des milieux bancaires et financiers suisses. Notes 1 Cf. article 47 de la Loi fédérale sur les banques et les caisses d épargne. 2 Cf. Michel Kunz, Banques ou négoces virtuels en valeurs mobilières. L Expert-comptable suisse 10/01, p. 902. 3 A. Bizzozens, Le secret bancaire, l entraide judiciaire et administrative, in Le Monde et la pratique bancaire suisse, tome I, p. 85. 4 Cf. www.swissbanking.org/fr/medienmitteilungen-02-06-04.html 5 Cf. articles 27 ss de la Loi fédérale sur l entraide judiciaire en matière pénale (RS 351.1). 6 André Cuendet, L histoire scabreuse de la lutte contre le blanchiment d argent en Suisse, l Expert-comptable suisse 1 2/99, p. 100. 7 Cf. par exemple le rapport sur la taxation des opérations de change, la régulation des mouvements de capitaux et sur les conséquences de la concurrence fiscale entre Etats, du Ministère français de l économie, des finances et de l industrie, du 22 août 2000: http:/www. finances.gouv.fr/pole_ecofin/international/ institutions/dptaxtobin.htm 8 Cf. http://www.europa.admin.ch/nbv/medien/ 2003/f/pm_030307.pdf 9 Paolo Bernasconi et Lorenzo Rossini, Le secret bancaire et le contrôle de l Etat sur les opérations de change et sur leurs effets délictuels, blanchiment d argent et secret bancaire, 1996, p. 225. ZUSAMMENFASSUNG Das schweizerische Bankgeheimnis Seit einigen Jahren wird das Bankgeheimnis fast täglich in der Presse erwähnt, und das Thema scheint sich zum Zankapfel zwischen Staaten, die es kennen, und einer Vielzahl anderer Staaten zu entwickeln. In diesem Zusammenhang drängt sich eine zweifellos banale, aber nichtsdestoweniger angemessene Frage auf: Was ist das Bankgeheimnis denn eigentlich? Das Bankgeheimnis könnte als die Grundlage des Berufsgeheimnisses eines jeden Bankangestellten oder Mitarbeiters einer gleichgestellten Gesellschaft beschrieben werden, welches ihn zur Verschwiegenheit über die Beziehungen zu seinen Kunden verpflichtet. Dieses Geheimnis verbietet jeglichen Informationsaustausch zwischen dem Bankangestellten und allen Dritten, einschliesslich dem Staat oder ausländischen Regierungen. Die Grenzen des durch das Bankgeheimnis geschützten Bereichs sind eindeutig festgelegt: Die schweizerische Gesetzgebung verlangt seine Aufhebung bei Straftaten. Gegenwärtig verliert das Bankgeheimnis immer mehr Ansehen und wird zur Zielscheibe der internationalen Kritik. Sein Überleben wird langfristig, und sofern die Schweiz sich nicht der Europäischen Union anschliesst, grösstenteils vom Verhandlungsgeschick unserer Regierung abhängen und zweifellos auch vom Lobbyismus der schweizerischen Bank- und Finanzwelt. NR/CHW Der Schweizer Treuhänder 8/03 585