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LES DESHERITES (Part three) JUSTE AVANT 2 personnages, PSY et PATIENT, sexes indifférents (si nécessaire, remplacer les "elle" par des "il" et inversement) PSY : Allez-y, concentrez-vous. On touche au but. PATIENT : Je me rappelle que PSY : Que? PATIENT : Je me rappelle juste un truc. C'était environ deux minutes avant le PSY : Dites-moi. PATIENT : On venait de traverser un village. C'était à propos de la superette. PSY : La superette? PATIENT : Oui. Elle m'a demandé : "Tu crois que la superette était ouverte?" PSY : Et alors? PATIENT : Je PSY : Vous avez forcément dû répondre, non? Vous lui avez répondu quoi? PATIENT : Je sais plus 2
PSY : Cette superette, donc, elle était ouverte? PATIENT : Pourquoi? C'est important? PSY : Chaque détail compte. Alors, ouverte ou fermée? PATIENT : Ouverte, je crois PSY : Vous croyez, ou vous en êtes sûr? PATIENT : Oui, ouverte. Il y avait des présentoirs sortis devant la porte. Finalement, l'image est assez précise dans mon esprit. PSY : Donc, vous avez répondu que la superette était ouverte. PATIENT : Sûrement PSY : (un temps) Et pourquoi, d'après vous, a-t-elle demandé si elle était ouverte? PATIENT : Je PSY : C'était le week-end. Vous alliez manger chez de la famille, des amis? Vous étiez peut-être censés amener le dessert, ou le vin? PATIENT : Non, on allait se balader. D'ailleurs PSY : Oui? PATIENT : Je revois très bien Notre glacière bleue, sur la banquette arrière PSY : Avec le pique-nique? PATIENT : Oui, c'est ça. On devait s'arrêter dans la campagne, pour grignoter. Ca allait justement être bientôt l'heure. PSY : Il fallait du pain, ou du jambon, pour le pique-nique? C'est peut-être ça? PATIENT : Peut-être PSY : Si elle vous a demandé si cette superette était ouverte, c'était à priori pour une bonne raison, non? 3
PATIENT : Sans doute. PSY : C'était pourquoi, alors? PATIENT (il s'énerve) : Mais j'en sais rien! Si vous croyez que c'est facile de se souvenir. PSY (calme) : Calmez-vous. Vous avez voulu qu'on aille au bout, et on va y aller. Reprenons : la superette, la glacière Après? PATIENT : On a dû aborder la grande descente, en direction du château. Du moins, je crois PSY : C'est cohérent par rapport à mes infos. Et cet instant, il est clair dans votre esprit? PATIENT : J'ai une image en tête qui me paraît correspondre à ce moment-là. PSY : C'est quoi? PATIENT : Le soleil en face Le soleil dans les yeux Je détourne le regard Et Il y a des moutons, dans un pré, en contrebas de la route. PSY : Il y a des paroles, associées à ces images? PATIENT : Il me semble. PSY : Ca va venir. Essayez de vous mettre en situation. PATIENT : Le soleil On continue (trois secondes) Je ne vois rien après. PSY : N'insistez pas. N'allez pas plus loin. Concentrez-vous sur ces secondeslà. PATIENT : Le soleil vient frapper d'un seul coup à travers le pare-brise. Je dois dire un truc du genre "On en prend plein la poire, fais gaffe à la route". 4
PSY : Et qu'est-ce qu'elle vous répond? PATIENT : Heu "T'inquiètes pas, je fais attention", ou "T'en fais pas, je suis prudente" Ou bien PSY : Laissez ça de côté. Vous pensez qu'on y est? PATIENT : Oui. C'est là. C'est bien là. PSY : Sûr? PATIENT : Certain. J'arrive pas à l'expliquer, mais y'a un truc qui me tord l'estomac, et qui me fait dire que c'est bien là. PSY : Parfait. Continuez. Fermez les yeux, respirez (Quelques secondes) PATIENT : J'ai quelques mots : "On avait", ou "On aurait" "arrêter" "carton" PSY : Très bien. Par rapport à la dernière fois, on a une bonne base de départ. PATIENT : "On avait arrêté"? "On aurait arrêté"? PSY : Si on suit le parcours, qu'est-ce qu'il y a avant? La superette. "On avait arrêté", "On aurait arrêté", ça ne veut rien dire. Ce ne serait pas plutôt "On aurait dû s'arrêter"? PATIENT : S'arrêter à la superette? PSY : Voici mon raisonnement : d'abord, elle vous demande, après coup, si la superette était ouverte. Un peu plus loin, elle se dit que finalement vous auriez dû vous y arrêter pour acheter quelque chose. C'est pas ça? PATIENT (fébrile) : Je crois que oui PSY : Bien. "On aurait dû s'arrêter pour acheter carton". Il faut trouver le rapport avec ce "carton". A quoi devait-il servir, ce carton? PATIENT : Je vois pas du tout. 5
PSY : C'était pour emballer quelque chose? Vous aviez des cartons dans le coffre? PATIENT : Non, je ne me vois pas mettre des cartons dans la voiture PSY : Vous aviez des trucs à ranger? Un déménagement en prévision? PATIENT : Non. PSY : Elle voulait peut-être s'arrêter à la superette pour récupérer des cartons vides? Pour ranger des objets à la maison? Qu'est-ce qu'elle aurait pu vouloir ranger? PATIENT : Je vois pas. PSY : Essayez de vous rappeler : ce jour-là, et les précédents, que se passait-il de spécial dans votre vie? Pourquoi des cartons? Pourquoi auriez-vous eu besoin de cartons? PATIENT : Je vous assure qu'on n'avait pas besoin de cartons. On fait fausse route. PSY : C'était pour le pique-nique? Le barbecue! Du carton pour démarrer le feu du barbecue! PATIENT : Il n'y avait pas de barbecue prévu. Je n'en faisais qu'à la maison, surtout pas dans les bois. PSY : Il était peut-être question de quelque chose "en" carton. Qu'est-ce qu'il y a en carton? Des boites, des chemises, un pare-soleil, des barquettes, une PATIENT : Qu'est-ce que vous avez dit? PSY : Des barquettes. PATIENT : C'est presque ça! Ca sonne pareil! Des PSY : "On aurait dû s'arrêter pour acheter des barquettes en carton" PATIENT : Continuez! PSY : Des plaquettes, des mallettes, des assiettes PATIENT : Je crois que! 6
PSY : Des assiettes? Des assiettes! Il vous fallait des assiettes en carton pour le pique-nique! PATIENT : Oui! On n'avait rien prévu pour la salade de tomates! Ca me revient maintenant! PSY : Elle a dit : "On aurait dû s'arrêter pour acheter des assiettes en carton". C'est ça? PATIENT (il craque) : C'est ça! C'est bien ça! C'est comme si je l'entendais! Merde, merde, tout se brouille dans ma tête! PSY (prend le bras de PATIENT) : Tenez bon. On y est presque. (plusieurs secondes. PSY calme PATIENT. Puis :) Il faut y aller, maintenant. Vous êtes prêt? PATIENT : Oui PSY : Répétez à voix haute : "On aurait dû " PATIENT (haletant) : "On aurait dû s'arrêter " PSY : Plus fort. A voix haute, je vous ai dit. PATIENT : "On aurait dû s'arrêter pour " PSY (lui serre fortement le bras) : Plus fort! Il faut que ça vienne des tripes! PATIENT (hurle) : "On aurait dû s'arrêter pour acheter des assiettes en carton!" PSY : C'est bien. Encore! PATIENT (hurle) : "On aurait dû s'arrêter pour acheter des assiettes en carton!" PSY : Encore une fois. Prenez bien conscience de chaque mot. Il faut vous les imprimer dans le crâne. Allez-y. PATIENT (crie) : "On-au-rait-dû-s'ar-rê-ter-pour-a-che-ter-des-as-siet-tes-encar-ton!" PSY : Très bien. C'est gagné. C'est gagné 7
(PATIENT, épuisé, ferme les yeux et reprend son souffle durant quelques secondes) PATIENT (vidé) : J'aurais jamais cru pouvoir y arriver J'aurais jamais cru PSY (le réconfortant) : Ca va aller. C'est fini. PATIENT (sur un ton lent) : "On aurait dû s'arrêter pour acheter des assiettes en carton." (un temps) Ca a été ses derniers mots Juste avant le PSY : Vous n'y êtes pour rien. Comme vous l'avez dit, au moment où c'est arrivé, vous aviez le soleil en plein dans les yeux. Et la malchance a voulu qu'il y ait des flaques d'huile dans la descente, c'est écrit dans le rapport de gendarmerie. Vous n'avez rien à vous reprocher. Rien du tout. PATIENT : Vous avez sans doute raison PSY : Comment vous sentez-vous? PATIENT : Vidé. Vidé, mais heureux. Je n'espérais plus y arriver un jour PSY : Vous voyez qu'on a fini par l'avoir, cette saloperie qui vous bouffait la vie. PATIENT : Ca fait du bien Je peux vous dire que ça fait du bien PSY : Tant mieux. Maintenant, vous allez pouvoir penser à vous reconstruire. Sans ces démons qui vous empêchaient de vivre. FIN A. GIBAUD (Février 2004) Tous droits réservés SACD N 31435 43 8