LES CRÉDITS PAR MOBILISATION Les crédits par mobilisation peuvent concerner la cession Dailly, et les crédits d'exploitation tels l'escompte et l'affacturage 1. Ces derniers ayant fait l'objet de nos développements, il convient de s'intéresser à la cession Dailly (I). À ce effet, une attention particulière doit être attirée les conflits entre les intervenants engendrées par le recours à la cession Dailly (I). I. La cession Dailly A. La conclusion du contrat Votée à l initiative du sénateur Dailly, la cession «Dailly» est régie par la loi n 81-1 du 2 janvier 1981, modifiée par la loi n 84-46 du 24 janvier 1984. Elle est codifiée aux articles L. 313-23 et 55 du code monétaire et financier. Il faut relever que les origines lointaines du Bordereau Dailly remontent à une Ordonnance du 28 septembre 1967, laquelle avait institué le Crédit de Mobilisation des Créances Commerciales (CMCC), à la suite d un rapport présenté par la Commission Gilet en 1966 2. Elle est très utilisée en matière de financement de projet. Le formalisme en matière de cession Dailly 3. Le mécanisme du bordereau Dailly consiste en la cession des créances, professionnelles 4, opérée souvent à de fins de nantissement. Pour ce faire, une convention cadre devra être mise en place entre le cédant et un établissement de crédit - préalablement aux cessions. La loi ne prévoit pas de mentions particulières devant figurer sur la convention de cession. Généralement, la convention prévoit, la nature et le volume de créances, la périodicité de cession, et les modalités de transmission. Toutefois, quand la cession est opérée à des fins de nantissement, l acte devra le expressément le mentionner. S y ajoutent les mentions des articles L. 313-23 à L. 313-34 du Code monétaire et financier, l identité du cessionnaire, les mentions portant sur les créances 5, et la date de remise. Lorsque la cession est faite à titre de garantie, l efficacité du mécanisme résiderait essentiellement 1 V. supra. 2 Voir S. Neuville, Droit de la banque et des marchés financier, PUF, p. 276 et s. 3 Voir S. Neuville, Droit de la banque et des marchés financier, PUF, p. 265 et s. 4 Les créances peuvent être civiles ou commerciales. Ce qui importe est qu elles soient professionnelles. 5 Ces mentions devront porter sur leur montant ou les modalités de leur évaluation, le lieu de paiement, le débiteur, l échéance.
dans les effets de la cession. En effet, dans ce cas la cession est censée être faite, temporairement, à des fins de garantie, et donc «à titre de garantie et sans stipulation de prix» 6. La cession à titre de garantie opérée dans le cadre des marchés publics. La cession à titre de garantie, dans le cadre des marchés publics est régie par les articles 106 à 109 du nouveau code des marchés publics. Il ressort de ces textes que le nantissement ou la cession ne peuvent être opérés que par la délivrance, à l organisme bénéficiaire du nantissement ou de la cession, d un exemplaire unique de la copie certifiée conforme à l original du marché. Cette copié délivrée servira de preuve justificative du règlement. B. Le dénouement Le recouvrement de la créance garantie dépend du degré de confiance de l établissement de crédit dans la personne du cédant. Quand cette confiance est élevée, le cessionnaire pourrait charger le cédant de procéder au recouvrement de la créance, pour son compte. Naitra ainsi entre le cessionnaire et le cédant une sorte de contrat de représentation. L avantage pour le cédant pourrait résider dans la discrétion d un tel mécanisme, étant donné que le débiteur n en sera pas nécessairement informé. Le cas échéant, quand cette confiance n est pas élevée, le cessionnaire pourrait signifier cette cession au débiteur, afin de pouvoir lui-même procéder au recouvrement, à l échéance. Dans ce cas, le contrat de représentation étant donc révoquée, le cessionnaire n encourt pas le risque que le cédant soit en procédure collective et qu il se retrouve ainsi soumis aux contraintes s y rapportant 7. Si pour conserver son image le cédant serait en clin à opter pour la première modalité de recouvrement, il serait recommandable pour le cessionnaire de se réserver le droit de procéder lui-même au recouvrement. Cette seconde modalité de recouvrement est très importante, puisqu elle permettra au cédant d échapper aux aléas du droit des procédures collectives, dont on sait que la logique vise la protection du débiteur au détriment des créanciers. Il serait d ailleurs mieux pour le cessionnaire de pousser plus loin, en obtenant un acte d acceptation de la part du débiteur cédé. Dans ce cas, l acte devra être établi par écrit, lequel peut «dès lors que son intégrité et l imputabilité de son contenu à l auteur désigné ont été vérifiés ou ne sont pas contestées, être établi et conservé sur tout support, y compris par télécopies» 8. L efficacité de la cession dépend en outre de la primauté que le cessionnaire pourrait obtenir, par rapport à d autres acteurs, en cas de conflits. 6 Article L. 313-24 du Code mon. et fin. 7 Com. 7 déc. 2004, RTD com., 2005, p. 175, obs. J.-L. Vallens; D., 2005, p. 1426, obs. A. Boujeka. 8 Com. 2 déc. 1997, D., 1998. 192, note Martin ; JCP, 1998, éd. E, n 5, p. 178, note Th. Bonneau.
II. Les conflits de mobilisation Les conflits en cas de cession se rencontrent tant dans le domaine des marchés privés que ceux concernant les marchés publics de travaux 9. Ils peuvent être de tous ordres 10. Ils peuvent opposer deux ou plusieurs établissements de crédit (A), un banquier cessionnaire à un banquier réceptionnaire de fonds (B), le cessionnaire à un tiers (C), le cessionnaire à un quelconque de ses créanciers (D). A. Les conflits opposant deux ou plusieurs établissements de crédit Lorsque des conflits oppose deux ou plusieurs établissements de crédit cédants, ils sont résolus en fonction de la date de transmission. Ce qui n est qu une application de l adage prior tempore potior jure, lequel prévoit que le premier en date est préféré en droit. Par conséquent, en l absence de notification, on se référera tout simplement à la date d établissement la plus ancienne 11 et, en cas de notification, on privilégiera la notification la plus ancienne 12. B. Les conflits opposant un banquier cessionnaire à un banquier réceptionnaire de fonds Les conflits peuvent opposer le banquier cessionnaire à un banquier réceptionnaire de fonds 13. Dans ce cas, le débiteur qui n a pas reçu de notification sur la cession, pourra se libérer valablement en payant la somme due au cédant 14. Le cessionnaire ne pourrait donc plus les réclamer 15. C. Les conflits opposant le cessionnaire à un tiers Ils peuvent aussi opposer le cessionnaire à un tiers, notamment en cas de sous-traitance 16. Dans ce 9 Pour les marchés publics de travaux, v. J. BERTHOUD, «L application de la loi Dailly aux créances résultant des marchés publics de travaux», AJDA, 1998, p. 91 et s. 10 V. S. NEUVILLE, op. cit., PUF, op. cit., p. 277. 11 Com. 5 juill. 1994, R.T.D. com., 1995, p. 172, obs. M. CABRILLAC. 12 Com. 12 janvier 1999, R.T.D. com, 1999, p. 479, obs. M. CABRILLAC. 13 V. S. NEUVILLE, PUF, p. 277, Ibid. 14 Auparavant était appliqué l adage prior tempore potior jure, et le banquier cessionnaire devait primer le banquier réceptionnaire de fonds (v. Com. 28 oct. 1986, D., 1986, 592, note M. VASSEUR ; R.T.D. com. 1987, p. 89, obs. M. CABRILLAC et B. TEYSSIÉ ; J.C.P., 1987. II. 20735, note STOUFFLET). 15 Com. 4 juill. 1995, D., 1995. 488, note D. R. MARTIN et H. SYNVET ; D., 1996, Somm., p. 208, obs. S. PIEDELIÈVRE ; Com. 19 déc. 2000, Bull. civ. IV, n 195 ; Com. 23 avr. 2003, Banque et droit, juill.-août 2003. 67, obs. Th. BONNEAU. 16 V. H. SYNVET, Nouvelles variations sur le conflit opposant banquiers et sous-traitants, J.C.P.. 1990, éd. G, I, 3425 ;
cas «l entrepreneur principal ne peut céder ou nantir les créances résultant du marché ou du contrat passé avec le maître de l ouvrage qu à concurrence des sommes qui lui sont dues au titre des travaux qu il effectue personnellement» 17, sauf dans les hypothèses où il a préalablement obtenu l accord, par écrit, le cautionnement personnel et solidaire d un établissement de crédit 18. À défaut d accomplir ces conditions, la cession opérée par l entrepreneur principal sera inopposable au soustraitant. Dans ce cas, il n est pas obligatoire de recourir à la comparaison des dates de la cession et de l action directe reconnue au sous-traitant 19. Cette solution fut aussi retenue dans les cas de subrogation 20, mais écartée dans les hypothèses d effets de commerce 21. Dans le cadre de l exécution des marchés publics de travaux, les dispositions découlant de la loi n 81-1 du 2 janvier 1981 relative à la cession de créances et celle issue de la loi n 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance devront être conciliées avec les dispositions du nouveau Code des marchés publics. D. Les conflits opposant le cessionnaire à un créancier Le conflit peut aussi opposer le cessionnaire à un créancier, notamment un fournisseur, titulaire d une clause de réserve de propriété. Il s agit de l hypothèse dans laquelle une créance est cédée à une banque, alors même qu une clause de réserve de propriété avait été consentie, au bénéfice du fournisseur, lequel serait de ce fait subrogé dans les droits de l acquéreur. La relation peut même devenir plus complexe, avec l intervention d un ou plusieurs sous-acquéreurs. Dans ce cas la Cour de cassation a résolu le conflit en faveur du fournisseur titulaire de la clause de réserve de propriété 22. Il s agit d une hypothèse d application de l adage nemo plus juris, laquelle interdit de céder plus de droit qu on en a. Cette solution s applique également en cas d affacturage 23. Mais elle est écartée en cas de paiement de la créance du prix, avant l avènement d une procédure collective, voir aussi S. NEUVILLE, op. cit., PUF, p. 278 et s. 17 V. art. 13-1, alinéa 1 er de la loi du 31 décembre 1975, relative à la sous-traitance. 18 V. art. 13-1, alinéa 2 de la loi du 31 décembre 1975, issu de la loi du 24 janvier 1984. 19 Com. 22 nov. 1998, Bull. civ. IV, n 317, p. 213; D. 1989. 212, note BÉNABENT ; D. 1989, Somm. 189, obs. VASSEUR. 20 Com. 22 nov. 1998, Bull. civ. IV, n 319, p. 214, Ibid. 21 Com. 18 nov. 1997, RD banc. Bourse, n 65, janv.-févr. 1998. 8, obs. CRÉDOT et GÉRARD ; R.T.D. com. 1998. 180, obs. CABRILLAC. Adde, Th. BONNEAU, Plaidoyer en faveur du sous-traitant s opposant au banquier escompteur d une lettre de change, Mélanges Vasseur, Banque éditeur, 2000, p. 27 et s. 22 Com. 20 juin 1989, Bull. civ. IV, n 196, p. 130 ; D. 1989. 431, note F. PÉROCHON. Pour la Cour de cassation, le fournisseur est créancier sur le prix, dès le jour de la revente, de sorte qu il prime le banquier cessionnaire, dont la cession est postérieure. 23 Com. 27 juin 1989, Bull. civ IV, n 205, p. 136 ; Com. 26 avr. 2000, Bull. civ IV, n 89, p. 78; Adde, J.-P. DOM, «Affacturage et procédures collectives», Actualité proc. Coll., 2000, n 10.
les conditions de subrogation n étant plus réunies dans ce cas 24. Elle est aussi écartée pour ce qui concerne les effets de commerce, notamment la lettre de change 25. Kwasigan Arnaud AGBA Docteur en droit Avocat au Barreau de Toulouse Chargé d'enseignement à l'université Toulouse 1 24 Com. 11 déc. 1990, Bull. civ. IV, n 322, p. 222; R.T.D. com., 1991, p. 436, obs. BOULOC. 25 Com. 9 janv. 1996, D. 1990, Somm., p. 121, obs. M. CABRILLAC ; D. 1991, Somm., p. 48, obs. F. PÉROCHON ; R.T.D. com., 1990, p. 436, obs. M. CABRILLAC et B. TEYSSIÉ.