Entretien de Gilbert et Yvonne Gendre [Bernadette Flueler-Gendre interviewe ses parents.] Comment ça va à 92 ans? [Gilbert Gendre :] À 92 ans? [rit] eh bien on ne fait pas d étincelles mais... ça va. Comment te sens-tu à 92 ans, comment on ressent l âge? [Soupire] Qu est-ce qui est difficile pour toi?... qu est-ce qu il faut dire... Qu est-ce que tu fais par exemple le matin, quelles sont tes activités? il n y en a pas beaucoup qu est-ce que je vais faire... Est-ce que Maman t aide à faire quelque chose? Est-ce qu elle t aide le matin? 1 [Il regarde sa femme] [à Yvonne Gendre :] Comment ça se passe le matin? D abord il faut que je lui donne ses médicaments. Il a des médicaments à prendre avant le petit déjeuner. Ensuite on déjeune, après on va à la salle de bain, je le rase, je l aide souvent à s habiller parce qu il arrive qu il enfile son pull à l envers, voilà. Tout à l heure on jouait au scrabble en vous attendant. J essaie de le stimuler pour qu il sorte quand même un peu tous les jours. [à Gilbert Gendre :] Qu est-ce que tu fais, est-ce que tu vas des fois acheter du pain le matin, ou faire des commissions? Attends, je réfléchis, qu est-ce que je fais ouais c est-à-dire je vais me promener. Tu vas te promener un petit peu? Oui, un petit peu..
Et puis le moral, comment ça va? Le moral ça va toujours. Qu est-ce qui te donne de la force tous les jours, pour te lever, pour faire des activités? La force tous les jours? soupir de fatigue] qu est-ce que je peux te répondre [réfléchit... petit Tu es surtout fatigué le matin? Plutôt le matin. Et l après-midi, ça va un peu mieux? Je sors un peu l après-midi aussi tant qu on peut, il faut sortir. [à Yvonne Gendre :] Qu est-ce qui te donne de la force tous les jours? Eh bien, je crois qu il faut déjà avoir la foi, ça aide beaucoup. Penser qu ma foi il faut y aller au jour le jour et puis advienne que pourra, voilà! Il faut accepter ce qui vient et puis j essaie de faire au mieux. Ce qui m aide aussi c est que je ne reste pas inactive, j ai toujours quelque chose à faire. Alors quand je n ai plus rien à faire pour mon ménage, eh bien je fais un peu de peinture, de l aquarelle, voilà. Autrement il faut y aller gentiment au jour le jour, voilà. 2 [à Gilbert Gendre :] Quelles étaient les étapes de ta vie, tu te souviens quand tu étais jeune, qu est-ce que tu as fait? [Yvonne Gendre demande] Tu as entendu? [Gilbert Gendre :] Ah quand j étais jeune! Oh alors là... Qu est-ce que tu as exercé comme métier? Électromécanicien. Et où as-tu travaillé? J ai travaillé à l armée et puis j étais très estimé pour mon travail [Yvonne Gendre :] Et puis au Tech.
[à Gilbert Gendre :] Tu as fait le Technicum? Oui oui ça donne des facilités ça comment il faut dire Ils voulaient que je reste... J ai été presque gardé d office. Et, à part ça, vous avez vécu une fois à Bienne je crois? On a été à Bienne... oui... et après, on a déménagé à cause de Christophe [Yvonne Gendre raconte :] On est revenu à Fribourg à cause de Christophe parce qu à ce moment-là il n y avait pas d institution pour les handicapés à part des homes, et puis [parle de la création d une institution pour handicapés et d un club de loisirs] [à Gilbert Gendre :] Qu est-ce qui te fait encore plaisir? Plaisir? C est de pouvoir faire quelque chose... rendre service encore, parce qu il y a eu des gens reconnaissants. Quel genre de services est-ce que tu rendais? Eh bien, comment il faut dire ça C était surtout à Bienne, chez Omega, ils étaient contents parce qu ils pouvaient m appeler la nuit s il y avait quelque chose qui ne jouait pas. Pas tout le monde voulait faire ce travail, moi j avais du plaisir. 3 Et maintenant qu est-ce qui te fait plaisir, qu est-ce que tu aimes bien faire? Qu est-ce qu il faut dire? Tu aimes avoir de la visite ou bien? [Yvonne Gendre dit :] Tu aimes être invité quand on est invité chez nos enfants. Ça arrive assez souvent pour aller manger le dimanche ou pour passer dire bonjour. [à Gilbert Gendre :] Est-ce qu il y a des choses qui te sont désagréables? Eh bien pas, pas tant... Je me rappelle d une fois, où à 3 heures du matin, la direction a sonné chez moi en me disant: «écoutez, il faut venir, il y a une grosse panne!»
Tu as dû partir au milieu de la nuit? Oui oui, mais il fallait garder sa bonne humeur. C était une demoiselle Gruber, oui elle était contente. Ce n est pas donné à chacun je dois dire. [à Yvonne et Gilbert Gendre :] Vous regardez de temps en temps la télévision ou qu est-ce que vous faites le soir? [Gilbert Gendre :] Il n y avait pas de télévision à l époque [Yvonne Gendre :] Oui, mais maintenant. [Gilbert Gendre :] Ah maintenant? Qu est-ce que vous aimez regarder? [à Gilbert Gendre :] Qu est-ce que tu aimes regarder à la télévision? [Yvonne Gendre :] Plus grand-chose! [Gilbert Gendre :] Qu est-ce qu il faut dire Les jeux? 4. [à Yvonne Gendre :] Qu est-ce que vous regardez? Les chiffres et les lettres voilà et puis autrement les informations. Il n aime pas les films, il tombe de sommeil quand il est devant la télé, alors il s endort facilement, voilà. Tu fais toujours la cuisine, vous mangez toujours à la maison? Oui, en général, mais on mange beaucoup moins maintenant, on a moins d appétit, on est plus âgé voilà, surtout Gilbert. [Gilbert Gendre :] On est venu à Fribourg à cause de Christophe parce qu il n y avait pas de [Yvonne Gendre lui dit gentiment :] Mais on parle de maintenant. [Gilbert Gendre :] Ah maintenant?
Ça ne fait rien! [Gilbert Gendre :]... l important c est d avoir la santé. Et comment ça va pour toi la santé, comment tu te sens? À 92 ans [rit] le moral est toujours bon. [Yvonne Gendre :] Tu es toujours fatigué, surtout à cause de ta pression trop basse [Gilbert Gendre :] Oui bon ça, on fait tous les jours des comment il faut dire... Des contrôles, tu contrôles la pression tous les jours? Oui oui. Qu est-ce qui t a donné de la force quand tu étais jeune pour avancer tout au long de la vie? Qu est-ce qu il faut dire [silence] [à Yvonne Gendre :] Et toi? 5 Eh bien j avais la force parce que j aimais ce que je faisais, voilà! Tout ça, ça aide aussi. [Gilbert Gendre dit :] J avais beaucoup de contact avec mon employeur qui était déjà reconnaissant à mon égard parce qu il pouvait me demander n importe quel service, j étais prêt à aider. Tu aimais bien ton travail? Oui oui. Mais il faut avoir une bonne santé ça c est clair [Yvonne Gendre dit :] Notre force c est aussi nos enfants, handicapé ou pas [Gilbert Gendre l interrompt et dit :] Ils étaient reconnaissants [Yvonne Gendre continue] malgré le fait qu on en a eu six, ils ont tous fait leur chemin, ils ont tous un emploi, ils ont tous une situation intéressante, voilà. Bon, évidemment ce n est pas donné à chacun.
Vous avez beaucoup de contact avec des voisins des gens du quartier? [Gilbert Gendre dit :] Oui oui heureusement. Vous les voyez de temps en temps? Vous faites quelque chose avec eux? [Yvonne Gendre raconte :] Oui on fait partie de l association du quartier. Ici, ça s appelle le quartier d Alt. On a des réunions, des sorties, des sorties avec les aînés, une fête à Noël. Pour ça, on a un quartier qui est très intéressant. Autrement, moi personnellement j ai des rencontres le mercredi après le marché avec des dames. On va boire un verre et on discute, voilà. Autrement oui on a beaucoup de contact, de par nos enfants déjà : en semaine on se rencontre, on discute, voilà c est sympathique. Bon Gilbert, il allait jouer aux cartes (il dit oui, oui) ici tout près avec un groupe de personnes âgées, mais ces derniers temps il n y va plus. Il n a plus tellement envie, je ne sais pas. [à Gilbert Gendre :] Tu joues encore de temps en temps aux cartes? Oui. [Yvonne Gendre dit :] Oui avec Daniel ou bien en famille. Avec Bernadette [elle rit] 6 Autrement est-ce que vous avez besoin d aide extérieure ou bien vous arrivez à vous débrouiller? [Yvonne Gendre raconte :] Pour le moment j arrive à me débrouiller mais voilà, on verra par la suite. C est qu on a de la chance que Christophe soit au foyer du lundi au vendredi, alors ça nous décharge un petit peu parce que maintenant j ai presque autant de travail avec Gilbert qu avec Christophe, voilà. IL n aime pas qu en je m absente, dès que je pars ou vais en commissions, il me dit : «ah tu en as mis du temps» alors voilà, je n ai pas beaucoup de marge de manœuvre. [à Gilbert Gendre :] Tu peux encore un peu marcher, faire quelque chose, ou pas beaucoup? Oui, je peux encore marcher [Yvonne Gendre dit :] Pas longtemps! [Gilbert Gendre:] Ah ma foi!
[Yvonne Gendre :] Jusqu au bout de la rue, voire un tout petit peu plus loin, après il est fatigué. Il faut toujours qu il y ait un banc à proximité. [à Gilbert Gendre :] Qu est-ce que tu te souhaites encore pour toi-même? Pour moi-même? Me reposer [Yvonne Gendre lui demande en plaisantant :] Tu veux aller dans un home? [Gilbert Gendre :] Non [elle rit] si je peux faire autrement, je fais autrement. [Yvonne Gendre :] Tant qu on peut rester comme ça. On ne sait jamais ce qui peut arriver, ma fois il faut y aller au jour le jour, on verra bien par la suite. Maintenant pour toi je ne sais pas, pour toi c est pareil, tu te laisses un petit peu vivre. [Gilbert Gendre :] Il faut bien! [rires] [Yvonne Gendre :] De temps en temps il essuie la vaisselle quand même. [Gilbert Gendre :] Ah oui. [à Gilbert Gendre :] Tu aides à mettre la table? 7 [Yvonne Gendre dit :] À mettre la table, à essuyer la vaisselle. [Gilbert Gendre :] J aime assez ça. [Yvonne Gendre :] Arrosez les fleurs, il a toujours beaucoup aimé. [Gilbert Gendre :] Ah oui, la preuve. [montre en direction de la terrasse] [Yvonne Gendre me dit :] Regarde comme ces géranium sont beaux! [Gilbert Gendre :] Ma foi c est la vie. Bon je ne bois pas d alcool parce que ça [à Gilbert Gendre :] Ça ne fait pas du bien? Non. Et tu n as jamais fumé non plus? Jamais fumé.
[Yvonne Gendre me dit :] C est comme ça qu on devient vieux! [Gilbert Gendre :] Je suis content comme ça! [à Gilbert Gendre :] Est-ce que tu aimerais changer quelque chose à ta situation maintenant, est-ce qu il y a quelque chose qui te ferait plaisir? Qu est-ce qu il faut dire aider le plus possible. [Yvonne Gendre en plaisantant :] Tu aimerais déménager? Non non, ici on est bien. Quelle est votre philosophie de la vie, le sens de la vie? [Yvonne Gendre raconte :] Eh bien ma fois le sens de la vie, on sait très bien qu on ne vivra pas éternellement et puis il arrivera bien un moment où il faudra y aller quoi, mais bon en ce qui me concerne j ai confiance, je sais qu un jour on retrouvera tous ceux qui nous ont quitté. J ai aussi confiance que le bon Dieu nous pardonnera si on a fait un petit peu du mal, mais je crois qu on n en a pas trop fait. [rit] Disons qu on a confiance en Dieu, on a confiance en l avenir, tout ce qu on souhaite c est de ne pas trop souffrir. 8 Si tu jettes un regard sur comment vous avez vécu ces années? toutes les années que vous avez passées, Ah ça n a pas toujours été facile, déjà étant plus jeune, moi j étais dans le Jura [parle de sa formation, de la rencontre avec mon père et de la famille] Vous avez les deux beaucoup travaillé pendant votre vie alors? [Yvonne Gendre :] Oui beaucoup! [Gilbert Gendre :] Il faut avoir la santé pour pouvoir travailler. Ça n arrête jamais? [Yvonne Gendre :] ça n arrête jamais. Pour moi personnellement, dès que j ai un moment de libre dans mon ménage ou autre, je me mets à l aquarelle. Et puis quand on peint, on ne pense à rien d autre. Vous avez des messages personnels à donner, par exemple aux jeunes, qu est-ce que vous leur diriez? Qu est-ce que tu dirais aux jeunes actuellement?
[Gilbert Gendre :] il n entend pas bien, il ne comprend pas... [Yvonne Gendre lui dit :] Aux jeunes, à tes petits-enfants, à tes arrière-petitsenfants qu est-ce que tu leur dirais? Qu est-ce que tu leur conseillerais? [Gilbert Gendre :] Conseillerais? d abord l honnêteté. [murmure quelque chose] là j ai été gâté parce que le lendemain j ai été félicité. Tu es toujours dans ton travail? Non, mais bon c est pas donné à chacun, il faut aussi dire Et tes petits-enfants, tu les vois de temps en temps? Oui oui [Yvonne Gendre dit :] Oui ils viennent, mais les arrière-petits-enfants un peu moins parce qu ils sont encore petits et ont besoin des parents pour se déplacer. Il n y en a pas un qui habite Fribourg, enfin si, il y a Ethan qui habite Fribourg. On les invite chaque fois qu il y a un anniversaire, comme ça. Et puis bien sûr ce qu on souhaite, c est qu ils réussissent dans la vie, qu ils soient travailleurs, qu ils soient honnêtes, c est l essentiel. 9 Est-ce qu il y a encore une chose que vous aimeriez revivre? [Yvonne Gendre demande à Gilbert Gendre :] Qu est-ce que tu aimerais revivre? [Yvonne Gendre dit :] La jeunesse, être jeune [rit] non non même pas. [Gilbert Gendre :] On sait bien qu on n est pas éternel, bon si on a la santé [Yvonne Gendre :] C est toujours vivre avec l amitié de chacun, n avoir aucune rancœur contre quelqu un, ça c est important. Vous auriez un message à faire passer à vos contemporains? [Gilbert Gendre]... Eh bien... comment il faut dire ça... au village même, eh bien je ne connais personne
Tu ne connais plus personne où tu as vécu avant? Je ne connais plus personne parce que... [murmure quelque chose] Ils ont quitté le village? oui enfin... ça c est la vie. [à Yvonne Gendre :] Tu as un message personnel à donner à des personnes de ton âge? Qu elles s acceptent comme elles sont, et puis... il y a certaines personnes qui n arrêtent pas de se plaindre, alors faire un effort quand même! Et puis accepter les choses comme elles viennent peut-être la souffrance, mais c est facile de dire d accepter. Autrement ne pas critiquer, avoir tous les jours un petit moment pour une petite prière pour celui-ci, pour celui-là. Voilà. Il faut avoir confiance en l avenir, c est des fois facile de dire mais pas toujours facile d accepter. [à Gilbert Gendre :] On arrive au bout de notre interview, est-ce que tu as encore quelque chose à dire? Quelque chose à dire : pouvoir encore vivre jusqu à 100 ans. 10 Qu est-ce que tu aimerais faire encore ces prochaines années? D abord, prenons par exemple celui qui fume beaucoup je n ai jamais fumé La santé c est important pour toi? Ah la santé... oui... ça c est important. [à Yvonne Gendre :] Tu veux encore faire passer un message? Mon souhait c est qu on soit toujours en bons termes avec nos enfants. On les remercie pour tout ce qu ils font pour nous, et puis on leur souhaite aussi un avenir heureux et on espère qu ils nous tiendront la main jusqu à la fin. [Gilbert Gendre :] On n est pas à plaindre! On arrive à la fin de cette interview, merci beaucoup.