CONSEIL DE L EUROPE COUNCIL OF EUROPE COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L HOMME EUROPEAN COURT OF HUMAN RIGHTS DEUXIÈME SECTION DÉCISION SUR LA RECEVABILITÉ de la requête n o 46854/99 présentée par Valide AKKUŞ contre la Turquie La Cour européenne des Droits de l Homme (deuxième section), siégeant le 6 septembre 2005 en une chambre composée de : MM. J.-P. COSTA, président, A.B. BAKA, R. TÜRMEN, K. JUNGWIERT, M. UGREKHELIDZE, M mes A. MULARONI, E. FURA-SANDSTRÖM, juges, et de M me S. DOLLE, greffière de section, Vu la requête susmentionnée introduite le 18 février 1999, Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par la requérante, Après en avoir délibéré, rend la décision suivante : EN FAIT La requérante, M me Valide Akkuş, est une ressortissante turque d origine kurde, née en 1961 et résidant à Istanbul. Elle est représentée devant la Cour par M e E. Keskin, avocate à Istanbul. Les faits de la cause, tels qu ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
2 DÉCISION VALİDE AKKUŞ c. TURQUIE La nuit du 24 décembre 1997, des policiers de la direction de la sûreté de Gebze (Istanbul), section de la lutte contre le terrorisme, menèrent une opération au domicile de la requérante. Ultérieurement, la requérante fut examinée par le D r Birsen Turan, médecin à la policlinique privée d Osmangazi. Dans son rapport, ce médecin indiqua que la requérante, enceinte de dix semaines à la date du 21 janvier 1998, avait fait une fausse couche. Le 4 mars 1998, la requérante déposa une plainte devant le parquet de Gebze à l encontre des policiers qui avaient mené l opération à son domicile. Elle mentionna que ceux-ci avaient proféré des menaces de mort et des insultes, l avaient obligée à se coucher sur le sol et frappée bien qu elle leur ait dit qu elle était enceinte. Puis, les policiers étaient partis en emmenant son mari. Elle ajouta que, moins de quatre semaines après, elle avait fait une fausse couche. Le 17 avril 1998, le procureur de la République de Gebze recueillit la déposition de la requérante, dans laquelle celle-ci réitéra ses allégations. Elle déclara que la nuit du 24 décembre 1997, bien qu elle leur ait demandé d être accompagnée par le muhtar, une dizaine de policiers perquisitionnèrent son domicile pendant une demi-heure. Ils la firent tomber par terre. Elle leur dit qu elle était malade et enceinte. L un d entre eux l injuria en la traitant de «salope». A la demande du parquet, elle fit valoir qu il n y avait pas eu d autres injures. Les policiers arrêtèrent son époux. A la suite de cette perquisition, elle eut des saignements et, une semaine après, elle consulta un médecin qui lui conseilla de pratiquer une interruption volontaire de grossesse. Elle ne fit pas pratiquer cette intervention étant donné qu elle n avait pas de revenus et que, pendant le mois du ramadan, cela aurait été un péché. Par la suite, elle fit une fausse couche à son domicile et consulta un médecin, dont elle n indiqua pas le nom, qui lui remit un rapport médical. Elle fit valoir qu elle n avait pas de séquelles résultant de cette fausse couche et, en outre, qu excepté le fait qu un policier l avait renversée par terre, elle n avait reçu aucun coup. Elle précisa qu alors qu elle était enceinte de deux mois et demi, elle avait fait une fausse couche en raison des mauvaises manières et de l attitude vulgaire des policiers. Le 22 avril 1998, le parquet de Gebze entendit Mehmet Akkuş, le mari de la requérante. Celui-ci déclara notamment que les policiers lui avaient crié de s allonger au sol, ce qu il fit, et qu ils avaient perquisitionné son domicile. Ils avaient placé son épouse et ses enfants dans une autre pièce, raison pour laquelle il n avait pas vu les policiers frapper sa femme. Il ne pouvait que l entendre dire «Qu avons nous fait? Que voulez-vous?». Il précisa en outre que la perquisition avait duré une demi-heure. Au moment des faits, son épouse était enceinte et par la suite, elle fit une fausse couche. A une date non précisée, le parquet de Gebze rendit une ordonnance de non-lieu au motif que la fausse couche de la requérante résultait de la
DÉCISION VALİDE AKKUŞ c. TURQUIE 3 tristesse causée par la garde à vue de son mari et du fait qu elle n était pas suivie par un médecin. Le parquet constata qu il n y avait pas lieu de tenir les forces de l ordre ou toute autre personne pour responsables. Il indiqua en outre que, le 22 avril 1998, il avait également recueilli la déposition du mari de la requérante, lequel indiqua que, le soir de l incident, des policiers étaient venus perquisitionner son domicile et avaient crié «Couchez-vous au sol» ; ils avaient emmené sa femme et ses enfants dans une autre pièce. Il n avait pas vu ce qu ils leur avaient fait. Il avait entendu sa femme dire «Qu avons-nous fait? Que voulez-vous?». Il dit que les policiers étaient restés sur place une demi-heure, avant de le placer en garde à vue. Le 25 juin 1998, la cour d assises de Kartal (Istanbul) confirma l ordonnance attaquée. Le 21 août 1998, cette décision fut notifiée à la requérante. Le 5 avril 2002, le directeur de la policlinique privée d Osmangazi précisa qu il n y avait pas trace de la consultation de Valide Akkuş du 21 janvier 1998 sur le registre des consultations mais qu elle avait été examinée le 21 janvier 1998 par le D r Birsen Turan, gynécologue, qui travaillait à l époque des faits à la policlinique. Le 19 avril 2002, le parquet de Pendik entendit le D r Birsen Turan. Celleci déclara qu elle avait examiné la requérante le 21 janvier 1998 à la policlinique privée d Osmangazi. Elle ajouta que l ordonnance qui lui avait été présentée était écrite de sa main mais que la signature qui y figurait n était pas la sienne. Elle déclara en outre qu elle ne pouvait pas dire si la fausse couche était due ou non à des coups. GRIEF Invoquant l article 3 de la Convention, la requérante se plaint des mauvais traitements que lui ont infligés les policiers qui ont mené une opération à son domicile : ils l ont obligée à se coucher à terre, frappée et menacée de mort alors qu elle leur avait dit qu elle était enceinte. Elle allègue avoir fait une fausse couche peu de temps après en raison du traitement subi. EN DROIT La requérante invoque l article 3 de la Convention ainsi libellé : «Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants.»
4 DÉCISION VALİDE AKKUŞ c. TURQUIE Le Gouvernement explique que, lors de la perquisition, les policiers ont conduit la requérante et ses enfants dans une pièce autre que celle où se trouvait son mari, afin qu ils ne soient pas témoins de l arrestation de leur père. Il reconnaît que la bousculade de la requérante par un policier était sans aucun doute un acte maladroit et involontaire. Se fondant sur la déposition de la requérante du 17 avril 1998, il fait valoir que cette dernière y a déclaré que, mis à part le fait qu un policier l ait heurtée involontairement, il n y avait eu aucune violence ni coups portés contre elle. Il soutient que, contrairement à ce qu elle prétend dans sa requête, l intéressée n a pas mentionné dans sa déposition que les policiers avaient exercé des violences ou des mauvais traitements sur les membres de sa famille. D ailleurs, la déposition de son mari confirme ces faits. Le Gouvernement soutient qu en l espèce, les allégations de mauvais traitements ne sont pas étayées par des éléments de preuve appropriés. Il soutient que la requérante reste évasive quant à la date à laquelle elle a fait une fausse couche. Il fait valoir que le rapport médical qu elle présente ne comporte ni date ni numéro de registre ni signature. Ce rapport n indique pas non plus l origine de l interruption de la grossesse, à savoir si elle est la conséquence de coups portés par les policiers. Le Gouvernement explique qu après la communication de la requête, le parquet de Gebze a demandé une information à la policlinique privée d Osmangazi, laquelle a répondu, le 5 avril 2002, qu il n y avait pas de trace sur ses registres de consultation de Valide Akkuş le 21 janvier 1998, mais qu elle avait été examinée par le D r Birsen Turan qui y travaillait ce jour-là. Ce médecin a déclaré avoir effectivement vu la requérante et précisé que l écriture sur l ordonnance était bien la sienne mais pas la signature. Elle a indiqué en outre qu elle ne pouvait pas dire si la fausse couche de la requérante était due ou non à des coups portés sur elle. Se référant à la date à laquelle la procuration a été établie, c est-à-dire le 16 février 1998, le Gouvernement soutient qu il est médicalement possible de constater si une fausse couche a eu lieu même deux mois après la date de sa réalisation. Il allègue que la requérante n a fait aucune démarche en ce sens. La Cour rappelle que les allégations de mauvais traitements contraires à l article 3 doivent être étayées par des éléments de preuve appropriés (voir Klaas c. Allemagne, arrêt du 22 septembre 1993, série A n o 269, pp. 17-18, 30). Pour l établissement des faits allégués, la Cour se sert du critère de la preuve «au-delà de tout doute raisonnable» ; une telle preuve peut néanmoins résulter d un faisceau d indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants (Irlande c. Royaume- Uni, arrêt du 18 janvier 1978, série A n o 25, pp. 64-65, 161 in fine, et Labita c. Italie [GC], n o 26772/95, 121 et 152, CEDH 2000-IV). En l espèce, la Cour relève que les prétendus traitements contraires à l article 3 de la Convention auraient été infligés à la requérante, alors que
DÉCISION VALİDE AKKUŞ c. TURQUIE 5 celle-ci était enceinte, lors de l opération menée par des fonctionnaires de police à son domicile la nuit du 24 décembre 1997. La Cour constate qu en dehors de ses déclarations relatées dans sa plainte du 4 mars 1998, le seul élément fourni par la requérante pour étayer ses allégations est un rapport médical établi, à une date non précisée, par un médecin du centre médical privé d Osmangazi ; y est simplement mentionné le fait que la requérante qui était enceinte de dix semaines à la date du 21 janvier 1998 avait fait une fausse couche, sans aucune précision quant à de prétendues séquelles de mauvais traitements. Il ressort des éléments du dossier que le mari de la requérante, qui était présent au moment des faits, ne soutient pas ses allégations. De plus, le médecin qui a examiné la requérante conteste la réalité du rapport médical de sorte qu il est sujet à caution. Or, à lui seul, ce rapport médical ne permet pas à la Cour de constater ou de conclure, voire d établir, que les traitements prétendument subis par la requérante étaient à l origine ou avaient eu pour conséquence sa fausse couche ou bien que celle-ci a subi de traitements contraires à l article 3 de la Convention. Dès lors, la Cour ne possède aucune donnée convaincante pouvant l amener à conclure à l existence d éléments qui eussent pu engendrer un soupçon raisonnable que la requérante aurait subi des traitements contraires à l article 3 de la Convention. Partant, il y a lieu de rejeter ce grief pour défaut manifeste de fondement conformément à l article 35 3 et 4 de la Convention. Par ces motifs, la Cour, à l unanimité, Déclare la requête irrecevable. S. DOLLE J.-P. COSTA Greffière Président