NOTE DE SYNTHESE DE L ETUDE «IMPACT D UNE LIBERALISATION DU COMMERCE UE-TURQUIE» (REFERENCE : 05 G6 01 01 ) F. JACQUET *, E. CHEVASSUS-LOZZA **, V. PERSILLET **, S. TOZANLI * et M. HAREL ** L adhésion de la Turquie à l Union européenne, si elle se réalise, n aura probablement pas lieu avant 2015. A cette date, l agriculture et l économie turques auront certainement changé et la Politique Agricole Commune également. Si cette adhésion est incertaine, la libéralisation commerciale par extension de l Union Douanière aux produits agricoles a, en revanche, davantage de chances de se réaliser dans un délai relativement rapproché. L objectif de notre travail est d étudier les conséquences de cette libéralisation sur les échanges entre l U.E. et la Turquie. L étude a été menée en trois étapes. Dans un premier temps, une description de la production agricole turque, des échanges entre l U.E. et la Turquie et des protections aux frontières a permis de caractériser les spécificités de l agriculture turque et de repérer les produits susceptibles d être concurrencés par les produits turcs ou au contraire d offrir des opportunités pour les exportateurs ou investisseurs français. Dans un deuxième temps une modélisation des flux commerciaux (de type Armington) a permis d estimer l impact sur les échanges de la mise en place d une Union Douanière étendue aux produits agricoles entre l U.E. à 25 et la Turquie. Dans un troisième temps des enquêtes de terrain dans plusieurs régions de Turquie ont été menées afin d identifier les forces et les faiblesses de quelques filières de production identifiées comme particulièrement sensibles dans les étapes précédentes du travail : la tomate, les pommes (et l industrie du jus de pomme et du jus de raisin) et les produits laitiers. Nous présentons ici une synthèse de nos résultats. **INRA Nantes, *CIHEAM-IAMM 1
La Turquie est un pays, où l agriculture tient une place importante dans l économie, et occupe un tiers de la population active. Cette agriculture dont la productivité par travailleur est faible possède cependant beaucoup d atouts : une grande diversité de terroirs, des disponibilités de ressources en eau, une main d œuvre abondante et bon marché, et une industrie agroalimentaire assez développée. Le secteur le plus important tant au niveau de la valeur de la production que de celle des exportations est sans aucun doute celui des fruits et légumes et la production de fruits et légumes turcs augmente à un rythme régulier. Parallèlement, la production de céréales stagne, tandis que l élevage ovin et bovin extensif est en crise. Les échanges entre la Turquie et l Union européenne se caractérisent par une grande asymétrie. Il en est de même pour les préférences commerciales entre les deux partenaires. La Turquie exporte beaucoup vers le marché européen, marché sur lequel elle bénéficie de préférences commerciales élevées. Ainsi, l U.E. représente près de la moitié des débouchés des exportations turques alors que l Europe exporte peu vers la Turquie (1% de ses ventes aux pays tiers), le marché turc étant très protégé et l U.E. ne bénéficiant pas de préférences commerciales significatives. L Allemagne est le principal partenaire européen de la Turquie. Avec la France, les échanges sont relativement équilibrés : 3% des importations françaises proviennent de la Turquie et 1% du montant des exportations françaises sont à destination de la Turquie. Globalement, le marché turc est fortement protégé vis à vis de l UE, comme vis à vis des pays tiers. La protection moyenne (moyenne arithmétique des lignes tarifaires) vis à vis de l U.E. est de 46,5% alors qu elle est de 54,6% vis à vis des pays tiers. À l inverse, le marché européen est plus largement ouvert aux produits turcs, le taux moyen appliqué aux produits en provenance de Turquie étant de 8,2% (contre 15,9% pour l ensemble des pays tiers). Les résultats du travail de modélisation entrepris permettent de simuler l impact sur les échanges de produits agricoles d une Union douanière entre l U.E. et la Turquie. Les importations turques de produits agricoles et alimentaires devraient augmenter assez fortement (+11,7%) et cette hausse devrait profiter principalement à l U.E., tandis que l impact sur les exportations turques serait faible. Ainsi, les ventes de l U.E. vers la 2
Turquie augmenteraient de 21,7% tandis que les ventes de la Turquie vers l U.E. n augmenteraient que de 3,7%. Rapportée aux importations totales de l U.E. en provenance des pays tiers, cette croissance est insignifiante. Tout élargissement d une Union douanière peut, au titre de l article XXIV du GATT, donner lieu à des compensations versées aux pays qui perdraient des parts de marché à la suite de cet élargissement. Il ressort de nos simulations que, dans le cas de l élargissement de l Union douanière européenne à la Turquie, seuls trois pays verraient leurs exportations actuelles vers la Turquie concurrencées par des exportations en provenance de l U.E. ; la Russie, l Australie et l Ukraine et seulement pour deux produits le son et l avoine. Néanmoins, ce scénario est peu probable dans le sens où la Russie et l Ukraine ne sont pas membres de l OMC. Concernant la France, l impact sur les importations en provenance de Turquie serait là aussi très faible et limité à quelques produits (tomates, noisettes ). À l inverse, les perspectives de croissance des débouchés pour l exportation de produits français pour la Turquie concerneraient un nombre plus élevé de produits et pour des volumes plus significatifs. Les produits laitiers, le tabac et les préparations de céréales seraient principalement concernés. L étude que nous avons menée sur la compétitivité des filières turques apporte des éclairages complémentaires aux résultats du travail de modélisation. La tomate est de loin le premier légume produit en Turquie (9,5 millions de tonnes) et sa production est en expansion régulière (+45% en dix ans). La production turque est principalement destinée au marché intérieur et les exportations ne représentent que 3 à 4% de la production nationale. Sur les 310000 tonnes exportées en 2004, seulement 27000 tonnes sont vendues sur le marché européen. La grande majorité des exportations est à destination des Balkans, de l Arabie Saoudite et de la Russie. Les exploitations agricoles spécialisées dans cette production sont de petite taille et les difficultés d accès au crédit limitent les perspectives d agrandissement et de modernisation. Toutefois, des entreprises exportatrices et des entreprises de semences investissent actuellement dans la production agricole, entraînant une modernisation de la production. 3
Le prix d entrée constitue la principale barrière à l exportation sur le marché de l UE. Le prix d importation de la tomate turque, tel qu il est mesuré par la Valeur Forfaitaire d Importation a été, en 2004, dans la plupart des cas très proche du prix d entrée fixé par l U.E.. Plus précisément, de janvier à mars, période où le prix d entrée «MFN» est de 84,6 /100kg, en 2004, la VFI turque était supérieure ou égale à ce prix, alors que d après nos enquêtes, le prix de revient à l exportation (coûts de transport inclus) serait de 63 /100kg. Il en ressort que le prix d entrée joue effectivement son rôle d instrument de protection du marché européen, maintenant les prix d importation à un niveau plus élevé que ce qu il pourrait être. Ainsi, il y a tout lieu de penser qu une diminution ou une suppression du niveau du prix d entrée pourrait se traduire par une augmentation des exportations turques sur l U.E.. Cependant, les barrières que constituent les normes privées et publiques européennes représentent également actuellement un obstacle important au développement des exportations de la Turquie sur l U.E.. Les produits qui ne bénéficient pas actuellement des niveaux de qualité suffisants pour être exportés sur le marché européen, le sont aujourd hui sur d autres marchés. Néanmoins, la mise aux normes progressive de la production peut permettre de conclure à une hausse significative des exportations de tomates turques sur l U.E. en cas de libéralisation. La production de pommes en Turquie a connu une augmentation régulière au cours des vingt dernières années qui a permis de faire face à l augmentation de la demande intérieure. Les exportations de pomme sont très faibles (moins de 1% de la production), et les importations plus faibles encore. Les deux principaux problèmes dont souffre actuellement la production de pommes en Turquie sont d une part le vieillissement des vergers avec l inadéquation des variétés actuelles aux demandes des marchés et d autre part, l insuffisance majeure en infrastructures de stockage, insuffisance en grande partie responsable de pertes après récolte considérables. Le secteur du concentré du jus de pomme s avère compétitif sur le marché national ainsi que sur le marché européen. Les entreprises fournissent la matière première aux industries de jus de fruits à la fois sur les marchés domestiques et les marchés internationaux (75% de la production est exportée). Les principaux marchés d exportation sont l Allemagne (68%), les Pays Bas (15%) et l Autriche (10%). Cette activité est en pleine expansion et attire les capitaux étrangers. Sur les onze firmes présentes dans le secteur, cinq sont des filiales d entreprises étrangères (en partenariat pour l une d entres elles). 4
L impact direct de la libéralisation commerciale U.E.-Turquie sur les exportations de pomme et de concentré de jus de pomme de la Turquie vers l U.E. devrait être faible, aucun droit de douane ad-valorem n étant appliqué sur ces produits. La seule barrière à l entrée sur le marché européen pour la pomme est le prix d entrée. Mais le danger pour l U.E. et la France d une suppression de ce prix d entrée serait faible et certainement pas comparable à ce qui pourrait se passer avec des pays grands exportateurs (Chili ou Chine). À l inverse, on peut s interroger sur les opportunités que représentent ces secteurs pour la France. Pour la pomme, la protection du marché turc vis-à-vis de l U.E. est actuellement élevée (droit de douane ad-valorem de 31,8%). Même si les importations turques représentent actuellement des volumes assez faibles, la France est un des fournisseurs de la Turquie et on peut penser que les importations vont augmenter en cas de libéralisation. La demande turque en pommes correspond à la fois à certaines variétés appréciées par les consommateurs (bicolores) mais qui ne sont pas produites en quantité suffisante en Turquie et aux variétés utilisés dans l industrie du concentré (Granny). L industrie laitière turque est une industrie dynamique qui dispose de technologies modernes et met sur le marché des produits conformes aux normes internationales correspondant bien à la demande des consommateurs turcs. Cependant, la concurrence avec le secteur informel entraîne un problème majeur d approvisionnement en lait cru, et l industrie importe du lait en poudre (dont la moitié en provenance de France). La Turquie applique actuellement des droits de douanes très élevés sur les produits laitiers. Les importations lait en poudre sont soumises à un droit de douane de 150%. L U.E. dispose dans le cadre de l accord bilatéral d un contingent à droit nul (pour un volume total de 4000 tonnes). En 2004, l U.E. a dû exporter en dehors du contingent tarifaire. Il est certain, comme les résultats de notre modélisation l ont montré, qu une libéralisation entre l U.E. et la Turquie se traduira par une augmentation importante de ces exportations. Nous avons estimé cette augmentation à +67% pour la France. Nos enquêtes nous ont permis de confirmer que ce besoin en importations de lait en poudre devrait continuer à croître en raison d une certaine surcapacité actuelle des 5
unités de production et d une croissance soutenue de la demande. Par ailleurs les exemples récents d investissements étrangers témoignent de l intérêt pour les entreprises françaises d investir dans ce secteur, notamment sur des produits porteurs sur le marché intérieur (yaourts, fromages fondus ). On peut s attendre alors à une pénétration plus forte du marché turc non pas uniquement par des exportations directes mais aussi par des investissements directs. 6