«Je n'ai aucun regret...» Entretien entre Jacques Hamelin et Alain HEROUX Disons que ma carrière au hockey a été de courte durée! Au départ, mon itinéraire a été sensiblement le même que celui de mon frère Yves qui a un an de moins que moi. Une année sur deux on jouait dans la même équipe. Il était par exemple chez les Pee-wee et l'année suivante venait me rejoindre chez les Bantam. Nous avions chacun nos forces et nos faiblesses mais nos talents s'équivalaient. Il a été joueur de défense au début alors que j'étais attaquant. Vers l'âge de 17-18 ans, nous avons été dans la même équipe. Est venu un moment où c'est devenu plus sérieux pour vous quant à vos possibilités de carrière... ça s'est mis à bouger Ça s'est passé assez vite en effet. Du Midget, je suis passé au Junior majeur à l'âge de 17 ans. Je n'avais pas d'attentes démesurées mais ça s'est mis à débloquer à ce momentlà. C'est vrai que des rumeurs circulaient à la fin de mon année Junior mais sans plus. Et là, Oups! Tu es retenu au repêchage de la Ligne nationale. Et à la première ronde. C'est assez extraordinaire pour un gars de mon âge. Sauf que je n'avais jamais eu l'opportunité de caresser ce rêve-là. C'est évident que j'étais flatté, surtout d'être associé au Canadien, une équipe que je suivais depuis mon très jeune âge. C'était MON équipe. C'est sûr que tu y penses quand tu es jeune, comme tous les gars de ton âge. Mais tu sais aussi que s'il y a beaucoup d'appelés, il y a peu d'élus. Alors tu te refuses à trop rêver. Mais dans votre cas, il semblait y avoir des signes avant-coureurs puisqu'on en parlait et qu'il y avait des rumeurs. Était-ce attribuable au fait que vos performances étaient exceptionnelles? Tu ne sais jamais à coup sûr comment les choses se passent derrière la scène. Tu sais qu'il y a des recruteurs qui assistent aux matches. Y a des entraîneurs qui sont en contact avec des recruteurs, y a les journalistes qui s'en mêlent et qui spéculent. Certains me disaient que mon nom était sur une liste de recrutement Donc tu sais qu'il y a des tractations mais sans plus.
Ce n'était pas comme aujourd'hui alors que les jeunes passent des entrevues, sont invités à passer des tests physiques, etc. mais pas à l'époque. Moi je faisais ma petite affaire et partageais mon temps entre le hockey et mes études mais des agents ont commencé à s'intéresser à moi et à rencontrer mon père. Alors tu te dis «coudonc», je devrais peutêtre commencer à y penser moi aussi. Votre père, qui avait été votre premier entraîneur, devait être fier de ça? C'est certain. Il était fier de ses deux fils. Deux gars repêchés dans la même famille ce n'est pas courant. Lui qui avait été notre coach pendant 4-5 ans, il était ravi. Il faisait parfois de longues heures de route pour venir nous voir jouer mon frère et moi dans nos équipes respectives. Si on résumait votre itinéraire entre les âges de 14 et 20 ans. Midget 3-A à 15 ans. A 16 ans j'ai fait la saison régulière avec eux. A l'époque, il y avait une dizaines d'équipes au Québec. C'était une véritable pépinière pour accéder aux plus hautes ligues. J'ai alors été repêché mais en 14 e ronde je pense que j'étais le 160 e... J'ai ensuite quitté la maison pour jouer au Junior majeur et là ça s'est bien passé et j'ai été l'un des premiers à signer ensuite un contrat pour les Saguenéens de Chicoutimi. Et c'est à ce moment-là que les rumeurs se sont faites de plus en plus persistantes quant à mes chances d'être repêché. Et c'est ce qui s'est passé. En première ronde, avec les Canadiens de Montréal. A 18 ans j'ai fait le camp d'entraînement à Montréal jusqu'en octobre. Nous étions vers la fin de la dynastie du Canadien. Il y avait donc encore bien des vétérans dans le club. A la fin de ma première année, je me suis ensuite retrouvé avec les Voyageurs d'halifax qui était le club «ferme» du Canadien à ce moment-là. J'ai ensuite été transféré vers les Canadiens de Sherbrooke à l'âge de 20 ans. Un club de Hockey a différentes «franchises» ou «fermes d'entraînement» si l'on peut dire et en vertu des termes de notre contrat, nous sommes parfois tenus de nous déplacer d'une ville à une autre. A 20 ans, vous avez donc l'âge où il doit se passer quelque-chose. Ça passe où ça casse. C'est un «turning point» Dans mon cas, je vais vous expliquer comment les choses se sont passées. Moi j'été repêché par le groupe dirigé par Irving Grundman. Lui et son staff de recruteurs m'ont sélectionné dans le «draft» de 1982. L'année suivante, toute l'équipe de direction a été changée. Serge Savard se retrouve donc à la tête du Canadien avec tout son monde. Quand survient un chambardement comme celui-là, ce n'est pas certain que tu fais partie de leur plan de match. Oui, je faisais partie de l'organisation. Oui j'avais été un choix de première ronde. Mais quand un nouveau dirigeant se pointe et qu'il a des preuves à faire et on sait qu'à Montréal la pression des fans et des médias est très
forte c'est donc certain que tu as des chances d'être tassé. Je n'étais plus une priorité pour eux et il n'était plus évident que je parviendrais à percer avec eux A quel moment avez-vous été porté à penser que ça n'irait pas comme vous le souhaitiez? A mon premier camp d'entraînement. Y a des jeunes qui ont alors gradué immédiatement sans retourner Junior. Je passais toujours en deuxième et je ne voyais plus comment je parviendrais à me faire valoir. A ma première saison professionnelle, j'étais laissé de côté plus souvent qu'autrement. J'ai joué une cinquantaine de matches sur 80 et aucun match durant les séries éliminatoires. J'en ai donc conclu que j'avais très peu de chances de faire le Club. Est-ce que cela donne lieu à des mises au point, des échanges, ou peut-être même des animosités entre les joueurs concernés et les dirigeants du Club? Ce qui est dommage dans des situations comme celles-là, c'est que tu n'as jamais l'heure juste. Bien sûr mon agent peut essayer d'avoir un feed-back, mais il ne saura jamais précisément pourquoi les choses se passent ainsi. Je peux les comprendre d'une certaine façon. C'est comme dans bien d'autres entreprises, d'autres carrières ou d'autres métiers. Y a souvent du favoritisme. Ce qui étonne dans tout ça c'est que, peu importe qu'il s'agisse de Savard ou Grundman, quand un joueur est repêché parce qu'il est bon, il continue objectivement de l'être pour l'un et pour l'autre. Il devrait donc mériter, sinon des privilèges, au moins la chance de se faire valoir? Je suis d'accord avec vous à 100%. Sauf qu'il faudrait poser la question aux bonnes personnes. Je ne peux répondre à leur place. S'il y avait eu une volonté de me faire évoluer, j'aurais au moins dû être intégré à l'équipe-école. Mais ce n'est pas arrivé. Je sais que Montréal est une ville à part si on la compare à des villes américaines ayant leur club. Le public est plus exigeant. Après avoir gagné 5 Coupes Stanley, le Canadien battait de l'aile depuis 3 ans. Les changements administratifs visaient à démontrer qu'on reprenait les choses en main et qu'il fallait remédier à la situation. Ce qui me restait à faire, c'était de jouer le mieux possible et de regarder le positif. C'est là que la décision te revient de partir ou de rester là. Après cette première année, j'ai eu la chance et fait le choix d'aller au camp d'entraînement des Pingouins de Pittsburg. Le Canadien ne s'est pas objecté et je suis parti comme agent libre.
Des moments de déprime ou de découragement? Pas à ce moment-là. J'avais encore confiance en mes moyens et je suis de nature assez positive. J'étais confiant. J'espérais de signer un contrat pour jouer dans la filiale des Mineurs avec les Pingouins. On me proposait plutôt un essai de 25 matchs, ce qui ne m'intéressait pas vraiment. J'ai donc choisi de revenir à Terrebonne pour repenser mon avenir. Je songeais entre-autres à l'université. Peut-être même joindre une équipe universitaire. A l'époque, aller jouer en Europe n'était pas une option aussi excitante qu'aujourd'hui. Mon frère a bien aimé son expérience mais l'idée de déménager à toutes les années ne m'aurait pas convenu à moi. En décidant d'accrocher vos patins, vous avez eu à faire un deuil? Pas vraiment. Déçu un peu de la façon dont ça se passait dans les hautes sphères du hockey professionnel mais d'un autre côté, j'étais heureux de la chance que j'avais eue. J'ai joué avec des joueurs prestigieux, j'ai fait quatre camps d'entraînement avec la Ligne Nationale, j'ai joué des matches hors-concours, j'ai compté un but au Forum de Montréal qui, pour moi, était un lieu mythique, j'ai donc réalisé une partie de mon rêve. Et c'était OK. C'est sûr qu'il m'arrive de me dire que j'aurais pu continuer une année ou deux mais je n'ai pas de regrets. J'ai réalisé des choses auxquelles rêveraient bien du monde. J'ai donc choisi de passer à autre chose. Et de faire quoi? Mon agent m'a trouvé un emploi au sein d'une firme qui fabriquait des bâtons de hockey. Mon expertise a été utile parce que j'avais à tester des bâtons, nous fournissions de l'équipement à des joueurs. (La compagnie fait partie d'un holding qui appartient aujourd'hui à CCM) Je débutais dans la vie. Je m'étais marié l'année précédente. Je côtoyais des gens que je connaissais. C'était bien, et je suis demeuré là 5 ans. Des activités sportives «on the side»? J'ai joué au hockey une année ou deux. J'ai aussi été officiel pour des matchs de hockey mineur. Je l'ai aussi été dans des ligues du circuit provincial. Ça me permettait de patiner et de demeurer en contact avec le hockey. Et j'ai un fils qui a pris la relève alors ça aussi m'a tenu occupé. Il s'est rendu au Junior majeur. Après votre premier emploi qui a duré 5 ans, vous êtes passé à quoi? Oh là ce furent des années un peu rock 'n roll. Il y avait moins d'emplois de disponibles. J'ai eu trois emplois différents en 5 ans. Mais depuis 11 ans, je suis représentant dans une importante entreprise de portes et fenêtres dont le réseau s'étend partout au Canada.
Question purement hypothétique : Imaginons un moment que la transition Grundman- Savoie se soit faite il y a seulement quelques années. Compte-tenu des nouvelles règles d'entraînement et de sélection qui ont cours depuis, croyez-vous que les choses se seraient passées autrement pour vous il y a 5 ou 6 ans? Ces choses-là se produisent et se produiront encore. La nature humaine est ainsi faite que si une organisation décide de tout changer, on veut y mettre une signature différente, apporter les changements que l'on juge utiles et nécessaires aux buts visés. Oui, je pense que ce sont des choses qui se produisent encore. D'autant plus qu'il y a de plus en plus d'options possibles. Des joueurs viennent d'europe, d'autres des États-Unis alors la sélection est de plus en plus pointue, la variété des joueurs de plus en plus étendue. Alors les dirigeants d'équipe ont l'embarras du choix pour créer la chimie d'une équipe que l'on espère gagnante. Chacun a ses préférences et c'est normal qu'il en soit ainsi. En terminant, que pensez-vous du Canadien ces temps-ci? C'est bizarre la vie parfois j'ai joué avec Michel Therrien à Sherbrooke et je trouve qu'il fait un excellent travail. Marc Bergevin et moi avons joué pour le Junior ensemble je trouve qu'il y a une belle façon de gérer la situation actuelle qui n'en est pas une facile. Avec les médias et les réseaux sociaux, ça ne simplifie vraiment pas les choses. A Montréal surtout, les joueurs sont surveillés de tous les côtés. Mais je trouve que l'équipe s'en sort admirablement depuis un an.... Yves Héroux est père d'une fille de 26 ans et d'un garçon de 24 ans. Il habite au même endroit à Terrebonne depuis 28 ans.