Freins et leviers à la modification des pratiques agricoles dans les systèmes de culture Etienne Pilorgé CETIOM Dans la perspective des évolutions impulsées par la Directive sur les énergies renouvelables en matière de biocarburants, le CETIOM a travaillé la mise au point des couverts associés au colza pour améliorer les performances énergétiques de la culture : il s agissait de sécuriser l implantation du colza sans labour (à moindre consommation d énergie) tout en procurant un apport azoté complémentaire (coût énergétique de l azote). Assez rapidement des effets complémentaires ont pu être espérés sur des aspects phytosanitaires. Après 4 ans de tests, la technique des couverts associés au colza est apparue innovante et prometteuse à plusieurs égards, mais adoptée spontanément par une frange assez réduite d agriculteurs. En 2012, le CETIOM s est posé la question des freins à son adoption, une hypothèse étant que le matériel agricole disponible constituait un frein important. Pour guider le CETIOM dans ses choix de diffusion de la technique, deux rencontres ont été organisées avec un groupe de conseillers et un groupe d agriculteurs de l Indre et du Cher, adoptants convaincus ou non de la technique, afin d identifier les freins à l adoption de la technique et les leviers à mettre en œuvre pour la favoriser. Les deux groupes, complémentaires, ont travaillé en ateliers de réflexion à partir de questions les interpelant dans leur métier de conseiller ou d agriculteur. Ces rencontres ont permis de relativiser l importance du machinisme agricole et d identifier d autres freins de différentes natures : a) au niveau des exploitations, liés au niveau d investissement, à la perception des risques ou des coûts organisationnels et logistiques, et à la maîtrise de la complexité du système d exploitation, b) au niveau des connaissances, de l existence et de la fiabilité des références techniques, c) au niveau de la capacité pour les conseillers à maîtriser la complexité et la diversité des systèmes. Des éléments de motivation ont également été identifiés et hiérarchisés. Il apparaît clairement que les motivations des agriculteurs ne sont pas celles qui ont guidé les initiateurs : la question du bilan énergétique de la culture du colza n est pas déterminante au niveau des exploitations, ni le discours sur les économies d azote. Il est probablement illusoire de vouloir développer une technique complexe à effets multiples sur un avantage particulier. Son adoption large dépend de son intérêt dans des systèmes de production aux besoins divers, et ne répond pas à un besoin unique, et son insertion demande une reconception au moins partielle du système de culture, voire du système d exploitation. La diffusion d une technique innovante complexe et à effets multiples s inscrit dans des itinéraires de changement propres à chaque exploitation, ce qui pose des questions spécifiques à chacun des acteurs impliqués : agriculteurs, conseillers et instituts techniques, et pour tous, celle de nouveaux modes de coordination dans des dynamiques de recherche innovation développement. La démarche mise en œuvre avec le groupe Berry semble reproductible pour évaluer l intérêt et les freins au développement d une nouvelle technique, et identifier le dénominateur commun pour établir les bases d un travail collaboratif. Colloque implantation des cultures, place à l'innovation! - 25 septembre 2014 - Fleury-les-Aubrais 2
C O L L O Q U E Freins et leviers à la modification des pratiques agricoles dans les systèmes de culture Le cas de la technique des couverts associés en colza Etienne Pilorgé - CETIOM 1
C O L L O Q U E Une «démarche innovante» dans un contexte A l origine : nouvelles exigences de la Directive énergies renouvelables Un enjeu : le CETIOM se demande comment améliorer le bilan énergétique de la culture de colza Une piste : supprimer le labour, simplifier le travail du sol mais un défi majeur pour le colza en travail du sol réduit : sécuriser l implantation/des problèmes de structure du sol, désherbage, fertilisation Une idée : intégrée dans des essais systèmes à partir de 2009 : le colza avec couvert associé Un contexte plus complexe : Ecophyto, impasses techniques en rotations courtes (adventices, insectes ), coût des engrais Au bout de 4 ans, une technique de colzas avec couverts associés qui paraît prometteuse sans être complètement validée, et qui commence à diffuser Pourquoi si tôt? Et pourquoi pas plus vite? Quels sont les freins et leviers à l adoption de la technique? 2
Questions : freins et leviers? C O L L O Q U E Une hypothèse : le matériel agricole disponible comme principal frein? Reformulation de la question - L objet = la technique des colzas avec couverts associés (peut se pratiquer en travail du sol simplifié ou non) - Le matériel est-il bien le frein principal? Y en a-t-il d autres? - Quels sont les leviers sur lesquels le CETIOM peut s appuyer pour favoriser l adoption de ces techniques de couverts associés, dès lors que leur utilité est avérée? La méthode : demander aux intéressés - Une journée avec un groupe d agriculteurs de l Indre et du Cher : 10 personnes avec divers niveaux d implication ou de connaissance sur la technique - Une journée avec un groupe de conseillers des différents organismes de développement de l Indre et du Cher - Les groupes sont diversifiés mais pas supposés statistiquement représentatifs - Chaque journée avec 4 ateliers autour de 4 questions 3
Les questions posées C O L L O Q U E Conseillers Que dit-on dans la campagne sur la technique des couverts associés (idées reçues)? Ces idées/opinions vous semblentelles fondées ou non? Agriculteurs Que dit-on dans la campagne sur la technique des couverts associés (idées reçues)? Ces idées/opinions vous semblent - elles fondées ou non? Cette technique des couverts associés vous semble-t-elle porteuse de progrès pour les exploitations de la région? Quels en seraient les bénéfices? Pour mettre en œuvre cette technique, quels sont selon vous les obstacles à surmonter (ou les inconvénients à dépasser) au niveau des exploitations? Faciliter pour conseiller : à votre niveau, aider les agriculteurs à lever ces obstacles vous paraît-il : 1/ facile, 2/ assez facile, 3/ difficile, 4/ très difficile? Quelles sont/quelles seraient vos motivations pour adopter cette technique? Quels sont les freins que vous rencontrez ou redoutez dans la mise en œuvre de cette technique? (précision : freins de tous types, pas exclusivement techniques) Faciliter pour mettre en œuvre : ces freins/ motivations sont-ils (notation) : importants pour le succès de la technique et son adoption? difficiles à surmonter/à atteindre ou pas? Liés aux coûts pour les surmonter/les atteindre? 4
C O L L O Q U E Les bénéfices / motivations par les conseillers & les agriculteurs Efficience / optimisation de l'azote Relance démarche agronomique Fertilité et vie du sol Recherche du potentiel sol Amélioration de la vie du sol (rhizosphère) Baisse des IFT (herbicides, insecticides) Mieux s'adapter aux contraintes environnementales Niveau et régularité du rendement Valorisation des sols argilo-calcaires + semis-direct Diminuer les charges phytos pour être moins dépendants «Ce serait un effet avéré et significatif sur les ravageurs» Fourniture d'azote Complément de concurrence / adventices En cas d'échec, la culture devient un couvert Réduction des coûts de production Image améliorée de l'agriculteur 5
C O L L O Q U E Les obstacles techniques/ freins par les conseillers & les agriculteurs Résistance au changement (Faire) raisonner en termes de système Démontrer le gain économique Maîtrise du désherbage Intégration de la technique/ organisation du chantier (entreprises avec salariés) Réalisation des mélanges pour grandes surfaces Maîtrise du système et risque marge B Désherbage culture associée si parcelle sale Il me manque le matériel pour sécuriser l'implantation (semoir SD / colza) Logistique : semences, anticipation Choix variété la plus adaptée / structure sol Adaptation semoir / mélanges d'espèces Organisation du chantier plus difficile, débit Risque d Aphanomyces en secteur à lentilles Choix du couvert le plus adapté Calcul plus fin dose azote & fractionnement Destruction du couvert en année non gélive Graines indésirables dans mélanges achetés Risques maladies / rotations légumineuses «Pas de références CETIOM / mon système» Regard des autres 6
C O L L O Q U E Importance Priorités de conseil vues par les conseillers Importance x difficulté Fort Faible Facile Difficile Difficulté pour le conseil 7
Priorités vues par les agriculteurs (1) C O L L O Q U E Importance recherche Très important à indispensable Champ de la technique & organisation Peu important à assez secondaire socio Nulle à faible Difficile à très difficile Difficulté 8
Priorités vues par les agriculteurs (2) C O L L O Q U E Importance Très important à indispensable Peu important à assez secondaire Bénéfices Risques diffus «à débourser» Coûts organisationnels Marginal à peu cher Significatif à cher Coût 9
Le bilan de la démarche C O L L O Q U E Idée A0 : travail du sol simplifié Sécuriser l implantation Idée A1 (vu du colza) : 1 technique élémentaire mais complexe : couvert associé de plantes de services essais expert Groupes d agriculteurs Idée A2 (vu des agriculteurs) : gérer le sol pour systèmes durables avec colza : structure, fertilité Idée A3 : systèmes avec colza moins dépendants des phytos Conseiller animateur conception Dynamique Innovation implantation du colza Idée A3 bis : levier de lutte intégrée «améliorer le bilan énergie du colza» Connaissances (bilans énergétiques, agronomie) Chercheurs Interrogations : nouveaux besoins de connaissances Idée B0? etc autres dynamiques d innovation avec couverts associés 10
Innovation? C O L L O Q U E Groupe diffusion Conseil / developpement Groupes de conception («experts») ) Idées / concept Connaissance Du connu à l inconnu Affiner Choisir structurer «R&D» Déduire Optimiser Modéliser Recherche Groupe diffusion Idées/ concept De l inconnu au connu Connaissance Définition progressive d un objet inconnu Construire les connaissances nécessaires à cette définition D après Hatchuel 2003, théorie C-K 11
C O L L O Q U E Conclusions 1 : freins et leviers Les motivations des agriculteurs ne sont pas celles imaginées par les initiateurs Le bilan énergétique du colza va sûrement s améliorer mais les motivations des chefs d exploitation sont ailleurs L aspect équipement a été cité mais ce n est pas le frein majeur L adoption d une technique complexe à effets multiples - Elle dépend de son intérêt dans des systèmes de production aux besoins divers et ne répond pas à un besoin unique - Son insertion demande une reconception au moins partielle du système de culture, voire du système d exploitation Des freins de plusieurs natures - Niveau d investissement, coûts organisationnels, perception du risque - Existence et fiabilité des références techniques - Capacité pour le conseiller à maîtriser la complexité et la diversité des systèmes, et pour l agriculteur à maîtriser la complexité de son système - Idées reçues Des itinéraires de changements innovants (particuliers) plutôt que l adoption (générale) de techniques innovantes 12
C O L L O Q U E Conclusions 2 : dynamiques Des questions pour les agriculteurs - Dans la mesure où il n y a plus de solution technique unique évidente, comment construire un itinéraire de changement dans «mon exploitation»? - Avec quel niveau de risque? (et comment le gérer?) - Avec quelles interactions (autres agriculteurs, conseillers ) et comment les développer? Des questions pour les conseillers - Les effets d une technique complexe dépendant fortement du contexte de mise en œuvre, comment passer du rôle de prescripteur à celui d accompagnateur? - Quel positionnement par rapport à des itinéraires de changement individuel? - Quel positionnement par rapport à des dynamiques innovantes de groupes? Comment les animer? Des questions pour les instituts - Quelle validation pour les résultats des dispositifs systèmes et comment les extrapoler? - Pour passer de la R&D à la recherche-innovation-développement, comment établir des fertilisations croisées entre dispositifs de recherche et dynamiques de groupes? Et pour tous : comment se coordonner (rôles, métiers, institutions)? 13