La douleur cancéreuse et les accès douloureux paroxystiques Dr Marie Zinger et Sylvie Thévenot, infirmière référente "douleur" Clinique Victor Hugo- Le Mans Vendredi 30 octobre 2015
La douleur cancéreuse - Quelques fondamentaux La plainte douloureuse : douleur physique +/- psychique = souffrance. A prendre en compte impérativement. SEUL CELUI QUI A MAL SAIT Distingo douleur par excès de nociception/neuropathique : antalgiques différents selon le mécanisme Douleur de fond/ accès douloureux (mobilisation, séance de kiné...) Pourquoi traiter la douleur? : amélioration de la qualité de vie (humeur, sommeil...), de l'observance des traitements et c'est un devoir! Intérêt des techniques non médicamenteuses dans le soulagement de la douleur : rôle des soignants ++
Comment traite t'on la douleur cancéreuse? Traitement de la cause : chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie Médicaments antalgiques Soins locaux (pansements, bains de bouche...) Prise en charge globale du retentissement du cancer : - souffrance morale, angoisse : indispensable - fatigue : activité physique adaptée - dénutrition - troubles de la sexualité - écoute voire soutien de l'entourage
Cas clinique : Monsieur Patrice N (1) Patrice N., 47 ans est traité depuis 2009 pour myélome en rechute depuis juin 2013. Informaticien, en invalidité depuis 2013 Son épouse a une fille de 22 ans. 1 amie proche, mais entourage très limité Suivi en consultation «douleur» depuis 2010 avec majoration progressive du tt antalgique anti-nociceptif : -Paracétamol 4 g/j, -Oxycontin 40 mg : 1 cp matin et soir - avec interdoses d'oxynorm 10 mg : 1 gélule en cas de douleurs toutes les heures si besoin et anti-neuropathique : -Lyrica 150 mg : 1 gélule matin et soir Souffrance psychologique : très pudique difficultés conjugales et isolement social évoqués puis bien plus tard, rapportera une histoire de vie douloureuse (doute sur un vécu de maltraitance dans l'enfance).
Les différentes composantes de la douleur Composante sensorielle Composante affective et émotionnelle Composante cognitive Composante comportementale
Cas clinique : Monsieur Patrice N (2) Fév 2013 : Mène une vie sédentaire à domicile, sans beaucoup d activités physiques extérieures. Sa taille est stable à 168 cm pour 114 kilos (prise de 10 kg en 6 mois) Se plaint de douleurs osseuses de l ensemble du rachis, des côtes, tantôt à droite, tantôt à gauche. Douleurs intermittentes, intenses à type d'écrasement, côtées au max à 8/10 et en moyenne à 5/10 sur l'échelle numérique. Elles sont parfois insomniantes et angoissantes, lui rappelant que la maladie évolue. Il se plaint aussi de dysesthésies et brûlures des extrêmités. Il ne peut parfois plus s'occuper de ses animaux, son activité favorite. Les douleurs du rachis et des côtes sont soulagées par le repos et les antalgiques : soulagement total en 15 min par l'oxynorm 10 mg et pendant 1 à 2 h Il a remarqué qu'il consomme plus d'oxynorm quand son épouse est à la maison et qu'il a moins mal quand il lit des BD. Il est hospitalisé dans votre service car les douleurs s'aggravent : il consomme jusqu'à 10 gélules d'oxynorm par jour.
La composante sensorielle Topographie de la douleur (siège-irradiations) Nociceptives : douleurs lombaires et costales à type d'écrasement Qualité ou type de douleur (par excès de nociception, neuropathique) Intensité Profil évolutif- Facteurs de soulagement ou d'aggravation Neuropathiques : dysesthésies des extrêmités/brûlures. EN : 6 /10 soulagées par antalgiques morphiniques, le repos, la présence, la diversion Impact sur la vie Activités réduites
Douleur neuropathique : Score DN 4 Si le Score du Patient est égal ou supérieur à 4/10, le test est positif (sensibilité à 82,9% ; spécificité à 89,9%) D après Bouhassira D, Attal N, Alchaar H, Boureau F, Brochet B, Bruxelle J, Cunin G, Fermanian J, Ginies P, Grun-
Les médicaments antalgiques des douleurs par excès de nociception Palier 1 : anti-inflammatoires, Paracétamol Palier 2 : opioïdes Palier 3 : morphiniques Palier 4 : analgésie intra-thécale
PALIER 1 PALIER 2 PALIER 3 PARACETAMOL Dafalgan, Doliprane, Efferalgan... Toxicité hépatique ANTI- INFLAMMATOIRES Ibuprofène, kétoprofène Saignements, ulcères digestifs, insuffisance rénale PARACETAMOL- CODEINE Codoliprane, Efferalgan codéiné Constipation TRAMADOL Topalgic,Monocrixo + PARACETAMOL Ixprim, Zaldiar Constipation, vertiges, nausées AUTRES : NEFOPAM (Acupan) Vertiges, malaises OPIUM (Lamaline) Constipation, nausées MEOPA (Kalinox) A venir?: 4-HYDROCANNABINOL (Sativex spray) OXYCODONE Oxycontin/Oxynorm per os Oxynorm iv MORPHINE Skenan/Actiskenan/Oramorph (pour les sondes ++) FENTANYL Durogésic, Abstral, Effentora, Instanyl... HYDROMORPHONE Sophidone Constipation, nausées, confusion,rétention d'urines, dépression respiratoire etc...
Cas clinique : Monsieur Patrice N (3) Le traitement par OXYCONTIN LP 40 mg, matin et soir est augmenté à 80 mg par prise Qu'en pensez-vous? Que devez-vous surveiller?
Rôle de l'infirmière auprès d'un patient sous morphiniques Evaluation du soulagement obtenu, niveau d'antalgie Signes de surdosage (somnolence, dépression respiratoire) : mesure de la FR et de la SpO2 CAT en cas de surdosage : suspension des morphiniques, oxygénothérapie, stimulation, appel du médecin (qui prescrira éventuellement un antidote : Naloxone, Narcan*) Tolérance : recherche des différents effets secondaires possibles : -constipation voire fécalome, - rétention aigüe d'urines (globe vésical) - rétention chronique d'urines (dysurie) - confusion (favorisée par la rétention d'urines et/ou le fécalome- surtout chez le sujet âgé) - hallucinations (visuelles surtout)
Les particularités des différents opioïdes de palier 3 - FENTANYL patch (DUROGESIC ) : A utiliser préférentiellement une fois la douleur correctement équilibrée (car inertie d'efficacité à la pose comme au retrait) A appliquer sur une peau glabre, en changeant d'emplacement mais de préférence sur une même zone du corps. Peut diffuser plus rapidement en cas de forte chaleur ou de fièvre : risque de surdosage - SULFATE DE MORPHINE en gélules contenant des microgranules (SKENAN ) : seule forme dont on peut ouvrir les gélules et donc administrable par sonde naso-gastrique ou de gastrostomie - OXYCODONE (OXYCONTIN libération prolongée, OXYNORM ) : plus récente- serait mieux tolérée sur le plan neuro-psychique
Traitements médicamenteux des autres types de douleurs Douleurs neuropathiques : - anti-épileptiques : PREGABALINE (Lyrica ),GABAPENTINE (Neurontin) - anti-dépresseurs : AMITRIPTYLINE (Laroxyl ), DULOXETINE (Cymbalta ) Contractures musculaires : myorelaxants (Miorel ) Douleurs viscérales faibles : Antispasmodiques (Spasfon, Debridat ) Co-antalgiques : corticoïdes : PREDNISOLONE (Solupred ), PREDNISONE (Cortancyl ), METHYLPREDNISOLONE (Médrol )... Douleurs mixtes réfractaires ou neuropathiques : KETAMINE iv
Cas clinique : Monsieur Patrice N (4) Les douleurs de Monsieur N. sont devenues plus intenses, il en a assez de tous les traitements qu'il doit prendre po et vomit régulièrement. L'OXYCODONE a donc été relayée par voie injectable à la posologie de 120 mg/j en continu ivse. Monsieur N. va rentrer à domicile. Vous êtes du soir et devez préparer la PCA avec laquelle il doit sortir le lendemain.
Administration de morphine par PCA Oxycodone : 120 mg iv en continu avec bolus de 12 mg iv si douleurs, avec une période réfractaire d'une heure et un nombre de bolus maximum de 10 par 24h Vous utilisez des ampoules d'oxycodone 200 mg/20ml et devez préparer la PCA pour 7 jours Cas pratique : démonstration- feuille de calcul Ne pas hésiter à faire vérifier les calculs par une collègue et/ou le médecin!
CALCUL Oxynorm 120 mg par 24h pdt 7 jours : 120mg x 7 = 840mg Bolus : Oxynorm 12 mg x 10 = 120 mg x 7j = 840 mg Total d oxynorm : 840 mg + 840 mg = 1680 mg Concentration ampoule de 200 mg/20 ml soit 10 mg/ml Volume pur en oxynorm : 1680 mg : 10 mg/ml = 168 ml Débit continu : 120 mg : 24h = 5 mg/h Dose bolus : 12 mg Concentration : 10 mg/ml
Tableau d'équivalence des opioïdes
Cas clinique : Monsieur Patrice N (5) Monsieur N est réhospitalisé suite à une chute responsable d'une double fracture du bassin lui imposant l'alitement permanent du fait de l'importance des douleurs. Le médecin prescrit une titration : Oxynorm 12 mg iv toutes les 10-15 min jusqu'à soulagement. Vous avez administré 48 mg et la perfusion continue est donc augmentée à : 48 * 6 = 288 mg iv/j Monsieur N devient très confus, agité. Il n'est pas en rétention d'urines, n'a pas de trouble ionique, ni de lésion cérébrale. La confusion est attribuée au traitement. Après discussion en RCP, il est décidé de procéder à une analgésie intra-thécale.
L'analgésie intra-thécale (1) Principe :distribuer les antalgiques au plus près des récepteurs morphiniques médullaires pour diminuer les doses des analgésiques par voie systémique et diminuer leurs effets secondaires Indications : douleurs réfractaires malgré des posologies importantes d'antalgiques et/ou mauvaise tolérance des antalgiques Agit sur les douleurs dans la partie du corps sous le niveau du cathéter (MI et petit bassin pour les cathéters lombaires par ex) Pose au bloc opératoire par un anesthésiste ou chirurgien du rachis Mélange de morphine, anesthésiques locaux et clonidine.
L'analgésie intra-thécale (2)
La composante affective et émotionnelle Contexte Douleur aigüe : angoissante Douleur chronique : déprimante Antécédents : histoire de vie douloureuse Pronostic vital engagé par cette maladie Diminution des douleurs en hospitalisation Dépression réactionnelle à la chronicité des douleurs mais aussi majoration de la perception des douleurs du fait de la dépression
La composante cognitive Attention/diversion Anticipation Représentation de la maladie (pourquoi moi, pourquoi maintenant?...) Interprétation des avis médicaux Retentissement des douleurs sur la vie quotidienne Douleurs soulagées par la diversion (BD, présence...) Angoisse anticipatoire avant des mobilisations dont il sait qu'elles seront douloureuses Retentissement de la maladie sur ses projets professionnels (invalidité), sur ses activités de loisirs
La composante comportementale Ensemble des manifestations verbales et non verbales (agressivité, repli...) Attitude vis-à-vis de la maladie Modalité de prise des médicaments Observance des prescriptions Boiterie Alitement antalgique Retentissement sur l autonomie Augmentation des prises d'antalgiques : objectif?
Rôle de l'équipe Evaluation de la douleur : où, comment, à quelle intensité, quand? Évaluation de la prise médicamenteuse (attention aux patients qui sollicitent peu) Composante comportementale : doloplus chez le sujet âgé Evaluation de la souffrance morale Evaluation de l'efficacité (délais, proportion de soulagement...) et de la tolérance du traitement Transmission au sein de l'équipe- lien avec les acteurs de soins de support Relation d'aide Toucher- détente
ACCES DOULOUREUX PAROXYSTIQUES une définition stricte- un concept? Patient souffrant de cancer Présence d'une douleur de fond (douleur modérée à forte plus de 12h/j en l'absence de prise d'antalgique) équilibrée par minimum 60 mg d'équivalent morphine/j Pics de douleur : paroxysme en qq min- durée : 30 à 60 min Moins de 4 pics/j Peu ou pas de limitation des activités par la douleur Respect du sommeil Traitement opioïde bien toléré
NATURE DES ACCES DOULOUREUX Etude ADEPI Mécanisme : nociceptif- neuropathique- mixte : 1/3-1/3-1/3 Circonstances de survenue: - spontanés - déclenchés involontairement (toux) ----> Pas de traitement préventif possible - prévisibles, provoqués (51%) : marche 33%,effort 18%, alimentation 12%, miction, défécation 2%, association 35%... - ou induits par les soins (réfection de pansement, séance de RTE, de kiné...) ----> Traitement préventif possible
DIAGNOSTICS DIFFERENTIELS Douleur intermittente : pas de douleur de fond Douleur de fond mal contrôlée +/- > 4 pics/j Douleur de fin de dose : possibilité de répartir la même dose en 3 prises LP par jour
EVALUATION Où? Comment? Durée d'installation? Durée de l'accès? Intensité Fréquence Facteurs déclenchants/de soulagement Retentissement Délai et durée de soulagement par les antalgiques Tolérance des antalgiques Interprétation de signification de la douleur Représentations du patient par rapport à la douleur- aux morphiniques (33% des ADP ne sont pas traités- étude ADEPI) Rôles importants de l'infirmièr(e) et de l'aide-soignant(e)
TRAITEMENTS DES ADP Explications- lutte contre les associations cognitives délétères Non médicamenteux : contention (ceinture), toucherdétente, massages, froid/chaud, relaxation, hypnose.. MEOPA TRAITEMENT DE FOND : anti-nociceptif et neuropathique FENTANYL LI : Nombreux médicaments! ASMR : V. Nombreux questionnements-risques (mésusage) -Abstral cp sublingual (7,43 ), -Actiq cp sur bâtonnet (9,87 ), ASMR 3 -Breakyl film (7,28 ), -Effentora cp sublingual ou gingival (8,8 ), -Instanyl spray (7,67 ), -Pecfent spray (7,49 ), -Recivit cp sublingual (6,3 ) Prescription limitée à 28j-délivrance/7j sauf mention (une gélule d'oxycodone 5 mg : 0,15 )
LIMITES-QUESTIONNEMENTS Douleur de fond encore souvent mal équilibrée Complexité de l'ordonnance : LP, LI, FAR... Connaître les 7 FAR et leurs modalités de titration : challenge ADP en hospitalisation : laisser un FAR dans la chambre du patient? Risque de mésusage tolérance? Pourquoi tant de médicaments FAR à disposition en France et pas d'association OXYCODONE-NALOXONE ni de TAPENTADOL? Une place difficile à trouver...
Neurostimulation transcutanée TENS (Transcutaneous Electrical Nerve Stimulation)
TENS Technique antalgique non médicamenteuse qui utilise les propriétés d un courant électrique transmis au travers d électrodes placées sur la peau. Deux modes d action : «Gate-control» et «Libération d endorphines»: TENS conventionnel ( gate-control ): placement des électrodes de part et d autres de la zone douloureuse. TENS acupuncture ( libération d endorphine): placement soit sur les points d acupuncture, soit de part et d autre de l étage vertébral, voire sur le trajet du nerf correspondant au territoire douloureux.
TENS
REFERENCES Standards, Options et Recommandations 2002 sur les traitements antalgiques médicamenteux des douleurs cancéreuses par excès de nociception chez l'adulte Institut Upsa de la douleur Recommandations de bonne pratique douleur rebelle en situation palliative avancée chez l'adulte afssaps juin 2010 Référentiels inter régionaux en soins oncologiques de support (AFSOS) Commission de transparence HAS Etude ADEPI- revue Onko + février 2012 Méta-analyse en réseau G.Zepetella- Journal of Pain and Symptom management PRESCRIRE nov 2014; 34;373, 814
Remarques, questions, suggestions...