On l appelait la «Grande Guerre». Plutôt mourir que de vous dire qu elle avait quelque chose de «grand». On l appelait aussi la «Der des Ders». 1
Parce qu on a réalisé qu elle était tellement atroce Ça aurait fait une sacrée belle histoire. Qu il fallait que l humanité se ressaisisse. Et qu on mette fin aux guerres une bonne fois pour toute. Mais la réalité a cette manie horrible de gâcher les belles histoires. France 1918 Front Ouest 2 3
Vingt metres! Des pays et des empires du monde entier ont été entraînés dans la bataille. Famine. Maladies Et même un massacre qu on appellerait aujourd hui un génocide.* Des pays plus petits que le plus petit état des États-Unis. (*L extermination des civils arméniens par l empire Ottoman.) Des empires si grands que le soleil ne s y couche jamais. Et ceux-là n étaient que des civils. Si vous ajoutez les «blessés de guerre», tous ces pauvres malheureux qui suivaient leurs drapeaux dans la bataille Et aucun d entre eux n en ressortiraient indemne. 4 5
MACH SCHNELL!!! Plus de seize millions d hommes. C est l estimation aujourd hui. FLAMENWEFER! Tous les soldats et tous les civils, toutes les causes et tous les pays. C est ce qu on pense, mais on n en aura jamais la certitude. GOTT MiT UNS! GOTT MiT UNS!* Plus de seize millions! *Dieu est avec nous! Comment se représenter autant d hommes en vie? 6 7
C est plus facile si on met ça à une autre échelle. N importe quel idiot pouvait comprendre pourquoi on restait en dehors de ça. Disons à peu près dix mille hommes. Et par «on», je veux dire les vieux hommes riches qui dirigeaient tout. «Isolationnisme». C est comme ça qu ils diraient plus tard. Juste un nom précieux pour dire qu on s occupait de nos propres affaires. C est l équivalent d une petite ville. C est le nombre de gens qui mourraient tous les jours. Le président Washington, le «père fondateur de notre pays», nous avait mis en garde contre les «ruses insidieuses des influences étrangères». Et le président Wilson, «le maître de la politique», savait qu il gagnerait un second mandat grâce à son slogan «Il nous a protégé de la guerre». Pendant quatre ans, chaque jour, une ville entière, rayée de la carte! Ça aurait plutôt dû être : «Il nous a protégé de la guerre aussi longtemps qu il a pu.» 8 9
Et c est pourquoi, le 2 avril 1917 Trois ans après que l Europe ait plongé dans le noir Il savait qu un jour ou l autre, on n y échapperait pas, et la question était de savoir comment nous «vendre» cette guerre. Pourquoi les Américains voudraient-ils se jeter dans la boue et le sang «là-bas»? Thomas Woodrow Wilson annonça au Congrès Et à tous les autres Américains «isolationnistes» qu il fallait «faire du monde un endroit sûr pour la démocratie». Pas pour les terres, pas pour le butin. On avait tout ce qu il nous fallait «ici». «Le maître» le savait mieux que quiconque. Il se doutait bien que les Américains se battraient seulement pour quelque chose de plus grand qu eux, un appel mystique, une grande croisade. 10 11
Et c est là que j ai répondu à l appel. C est là que j ai rejoint le 15 e régiment de la Garde nationale de New York, les «serpents à sonnette noirs» On était un groupe isolé, ce que vous appelleriez une unité «de couleur». «L homme de couleur n est pas un fainéant.» Les mots «noir», «négro» ou «de couleur» étaient la seule chose qu on avait en commun. Au deuxième étage d un studio de danse à Harlem. On venait de tout horizon.de toutes classes sociales on avait toutes les couleurs. Il y avait des gars qui venaient du sud profond. Et même du sud encore plus lointain, comme les îles. 12 13
Mais j étais pas là juste pour la grande croisade de Wilson. J avais mes propres raisons de porter l uniforme. Et moi J ai grandi à deux pâtés de maisons d ici Des raisons qui remontaient au printemps 1915. Et pourtant, j avais l impression d être sur une autre planète. Rejoindre quelque chose de plus grand que soi fait se sentir sacrément petit. Mark! Quand je portais un uniforme très différent. Ici, frère! David Edward Scott, une vision familière dans ce tumulte d étrangers. 14 15
Et aussi proche d un frère que personne ne le sera jamais. Desmond Scatliffe, des Antilles danoises. J aurais jamais pensé m sentir aussi perdu dans mon propre quartier! Et une médaille d honneur! Qui aurait cru que notre quartier représenterait l état de New-York tout entier! Voici Henry Johnson, il a fait tout le chemin d Albany jusqu ici pour troquer son chapeau de bagagiste contre une casquette rouge. Meson, t es quel genre de patriote? Être autorisé à se battre, c est déjà le plus grand honneur qu aucun américain puisse avoir! Elles venaient tout juste de devenir un territoire américain, surtout parce que l Oncle Sam ne voulait pas que le Kaiser Willy ne les reprenne. Le Danemark était censé rester neutre dans c te guerre, enfin, tout comme nous. Et donc, les Antilles danoises sont devenues les Îles Vierges des États-Unis, mais les natifs n ont pas été considérés comme des citoyens avant une dizaine d années. Je me demande si Des savait tout ça Ou s il s en foutait. Dit le mec fraîchement débarqué de son cargo de banane Camarade, tu connais pas ton histoire? 16 17