FIG 2011 Conférence / Japon 2011 : un regard de géographe sur la catastrophe, Philippe Pelletier, Université de Lyon2



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Transcription:

Philippe Pelletier est un géographe français, né en 1956. C'est un spécialiste du Japon, où il a résidé et travaillé pendant sept ans. Il enseigne à l'université Lyon II, ainsi qu'à l'institut d'études politiques de Lyon (Sciencespo Lyon). Il fut membre du Centre de recherches sur le Japon contemporain (à l'ehess de Paris) avant d'intégrer l'institut d'asie orientale (à Lyon). Il est membre de l'umr 5600 Environnement, Ville, Société. En 1994, il a dirigé l'élaboration du tome 5 de la Géographie universelle avec le RECLUS. Son travail porte à la fois sur le paysage, l'insularité, la ville, l'environnement et la géographie politique. Il est l auteur entre autres ouvrages de l Atlas du Japon : Une société face à la postmodernité, Autrement, 2008 et de la Documentation photographique d octobre 2002, Le Japon, une puissance en question. Japon 2011 : un regard de géographe sur la catastrophe Quatre précautions sont à prendre quand on parle des catastrophes qui ont frappé le Japon en mars 2011 : 1) Il ne faut pas réduire le Japon à Tokyo. 2) Le séisme et le tsunami ont la même origine mais ils n ont pas eu le même impact. 3) Les accidents des centrales nucléaires ne sont pas des catastrophes naturelles. 4) Il est toujours nécessaire de contextualiser. Le séisme qui a frappé le Japon le 11 mars 2011 (épicentre à 130 km à l est de Sendai) est un séisme parmi d autres. Il était attendu. Il ne s est pas déclenché à une profondeur très importante mais il a été très violent : 9 sur l échelle de Richter (4 ème rang mondial de tous les séismes jamais enregistrés). Son impact a été différent en fonction des échelles d analyse et la hauteur de la vague ou plutôt des vagues a elle aussi été différente en fonction de lieux touchés. L impact humain : Le tsunami a touché une région peu peuplée : la région de Tōhoku, une région surtout agricole (sauf la préfecture de Miyagi et la ville de Sendai : plus d 1 million habitants) 3 zones touchées : - Au nord : La plus touchée - Sendai (surtout la partie est de la vile située dans une plaine) : la plus spectaculaire - Fukushima au sud : La plus dramatique A Sendai ce sont les quartiers populaires qui ont été les plus touchés. Problème des digues qui ont souvent résisté mais qui ont empêché le reflux des eaux. Le bilan réajusté de septembre 2011 parle de 20 000 morts et disparus. C est finalement assez peu si on compare au nombre d habitants qui ont été touchés. Dans le journal télévisé de France 2 du jour de la catastrophe le journaliste annonçait quant à lui «des centaines de milliers de morts». Il faut se méfier des bilans catastrophistes donnés dans les premières heures ou les premiers jours de la catastrophe.

L alerte a souvent été suivie (à faire varier en fonction des catégories d âge, elle a peut- être été moins suivie chez les plus âgés même si la solidarité a apparemment joué) et les habitants ont eu souvent le temps de se protéger. Bilan assez faible si on compare également avec le bilan de tsunamis précédents : 1896 : 27 000 morts 1923 : 143 000 morts 2004 en Asie : 220 000 morts La région de Tōhoku touchée par la catastrophe est une région de campagne, une région reculée et peu peuplée. C est une zone d exode rural. La population y est vieillissante. C est un lieu de pêche important (zone où se croisent le courant froid du nord- est et le courant chaud du sud- ouest). C est une zone halieutique parmi les plus riches du monde. Pourquoi les gens vivent là? La richesse, c est le poisson. C est également le pays des ancêtres (cimetières ). Une Issue économique est possible dans le tourisme. C est la région la plus avancée à l est et donc la première où l on voit le soleil levant. Zoom sur la ville de TARO située dans le district Shimohei, Iwate, au Japon. Photographie d une digue à Taro. C était l un des symboles de la lutte contre les tsunamis. Le petit village de Taro, niché dans une baie du nord- est du Japon, près de Miyako, est aujourd hui presque entièrement détruit, malgré son imposant rempart de 11 mètres de haut. Construit dans les années 60, il devait protéger les habitations des tsunamis qui l ont rasé plusieurs fois. Mais les vagues du 11 mars ont été plus hautes. Quelque 200 personnes sont mortes, et les habitants s interrogent sur les ruines de leur cité. http://www.france- info.com Taro au Japon, (environ 5000 habitants) c est une ville emblématique de la politique de protection contre les tsunamis. A partir des années 50 et 60, après le tsunami meurtrier du Chili (1960), les autorités décident de construire de hautes digues avec des brise- lames placées en avant de celle- ci. Les digues construites sont en béton et très larges (elles font penser à des blockhaus). On garde la mémoire à Taro des catastrophes précédentes. Des panneaux indiquent sur les murs la hauteur des précédentes vagues, comme celle qui détruisit la ville en 1933. Le problème c est que le 11 mars la vague est passée au- dessus des digues. A Taro, on doit repenser la politique de prévention. Construire des digues plus hautes? La politique qui vise à bétonner le bord de mer est critiquée. Les autorités ont pratiqué la relance de l économie par l attribution de budgets publiques pour la reconstruction et le secteur du BTP est un secteur important de l économie japonaise. Des dessous de table et les enveloppes ont par le passé souvent été distribués. Aujourd hui certains parlent de déplacer de quelques centaines de mètres la bourgade. On a dit beaucoup de choses sur le Japon des catastrophes, que les Japonais étaient fous d habiter un tel pays et encore plus fous d y construire des centrales nucléaires La peinture qui dans l esprit européen traduit le mieux cette idée c est l estampe de Hokusai.

FIG 2011 Conférence / Japon 2011 : un regard de géographe sur la catastrophe, Philippe Pelletier, Université de Lyon2 «Sous la vague au large de Kanagawa» (1831) est la première des 46 estampes composant les Trente- six vues du mont Fuji, l'une des œuvres majeures d'hokusai. Souvent on prend cette estampe pour illustrer des propos sur le tsunami. Cependant Hokusai n a pas voulu représenté un tsunami sur son estampe. Le titre nous l indique, nous sommes «au large de kanagawa», or au large des côtes on ne voit pas la vague du tsunami, elle ne devient vraiment vague que quand la profondeur diminue à l approche de côtes. Le mot tsunami en japonais en est la traduction : Tsu=port et nami = vague : la vague ne se perçoit qu au port. Elle serait nommée ainsi par les pêcheurs qui, n'ayant rien perçu d'anormal au large, retrouvaient leur ville portuaire ravagée. Le mot intraduisible a été employé en anglais pour la première fois en 1896 par la géographe américaine Eliza Ruhamah Scidmore qui, à la suite d'un voyage au Japon, décrit dans National Geographic Society le séisme de Meiji- Sanriku qui se produit le 15 juin 1896. Il est francisé depuis 1915 par les géographes et journalistes, il prend donc un s au pluriel (des tsunamis). L'emploi véritablement popularisé de ce premier terme scientifique ou à usage restreint date du séisme de 2004 dans l'océan Indien. On interprète donc mal ce dessin. Hokusai a voulu représenté une vague qui se casse, pas un tsunami. Cette peinture participe donc à la réinterprétation par les occidentaux de la culture et des traditions japonaises. Des livres comme celui de Komatsu Sakyo qui a pour titre «la submersion du Japon» ou des films catastrophes comme The last day (film coréen qui montre la destruction du Japon par un tsunami géant) viennent renforcer cette idée du Japon qui s effondre du fait des catastrophes naturelles. http://www.youtube.com/watch?v=fqj1bzxnx3k

FIG 2011 Conférence / Japon 2011 : un regard de géographe sur la catastrophe, Philippe Pelletier, Université de Lyon2 Tsunami est donc un terme d utilisation récente. 2 termes en japonais ancien pour signifier la catastrophe : Wazawai (adversité, malheur, détresse, calamité) et saigai (catastrophe) composé de gai=dégats et de sai=aléa. On a également parlé beaucoup après mars 2011 de la croyance dans un poisson chat (le Namazu) qui se trouverait sous le Japon. Le "Numazu" est parfois en proie à de violents mouvements et cause de nombreuses destructions sur la surface de la terre. Le Dieu Kashima ou "kashima daimyojin" est le seul à pouvoir le maitriser et il le tient constamment sous sa garde, en le maintenant au sol avec son épée, et en immobilisant sa tête sous la pierre "kaname- ishi". Mais le Dieu Kashima relâche parfois son attention et le "namazu" en profite pour s'échapper et causer de nouvelles destructions. Cette croyance n est pas très ancienne et s est surtout développée après le séisme qui ébranla Edo (aujourd hui Tokyo) en 1855. C est après 1855 seulement que se développe un pèlerinage autour du sanctuaire de Kashima. Pour que le poisson chat ne bouge pas, il faut prier et faire des dons. Une estampe namazu- e, vers 1855 La pierre pivot du sanctuaire de Kashima Sur les téléphones portables, les télévisions, les ordinateurs, voici l'icône qui s'affiche en cas d alerte.

La catastrophe nucléaire : La Japon compte 54 réacteurs nucléaires qui sont tous gérés par des compagnies privées. Le Japon est au 3 e rang des pays producteurs d'électricité nucléaire dans le monde, après les États- Unis et la France. La production d électricité d origine nucléaire produite au Japon s est élevée en 2010 à 279 230 GWh, soit environ 30 % de la production d électricité produite et consommée dans le pays. L'établissement d'une industrie nucléaire dans un pays ayant connu par deux fois le feu nucléaire peut surprendre. C est à partir du choc pétrolier de 1973 que commence à se mettre réellement en place l idée de construire des centrales pour alimenter en électricité les principales mégapoles japonaises. On décide de les installer sur les littoraux pour trois raisons principales : le refroidissement par eau de mer, l approvisionnement en uranium et l éloignement des zones peuplées (Fukushima a été installé à l écart des zones de peuplement). On a souvent entendu chez les Japonais après Fukushima l expression «shikata ga nai» traduction «on n y peut rien, il n y a rien à faire». C est la même expression que les anciens prononçaient déjà après Hiroshima. Cependant, le problème du nucléaire au Japon est avant tout un problème de responsabilité humaine. Le lien du pays du soleil levant avec l atome est un processus historique complexe. C est le seul pays touché par la bombe atomique (si on ne parle pas des essais ex : essais français en Algérie). Idée d unicité : «nous sommes les seuls». Ce statut de victime permet au Japon de s exonérer du statut de faiseur de victimes. On passe ainsi l éponge sur les horreurs commises par les japonais pendant la guerre. En même temps, se développe après 1945 l idée forte que le nucléaire peut être positif s il est civil. Cette idée, reprise par la classe politique japonaise, se traduit également dans les mangas : Astroboy, le gentil petit robot qui développe des sentiments humains marche au nucléaire et a pour nom Atom dans la version japonaise (astroboy = «atomeboy»). Interdit pendant l'occupation du Japon par les forces alliées (1945-1952), le programme de recherche sur l'énergie nucléaire est officiellement lancé en 1955 par le gouvernement japonais. Cependant, dès le début, les promoteurs du nucléaire doivent faire face à un puissant mouvement antinucléaire. Celui- ci n'apparaît pas sur les ruines d'hiroshima et Nagasaki, contrairement à une idée répandue, mais à la suite de la contamination d'un bateau de pêche par un essai nucléaire américain au large de l'atoll de Bikini, en 1954. La rumeur de la dispersion de thons radioactifs dans les marchés crée une psychose encore présente dans les mémoires aujourd'hui. Cet incident réveille les consciences et repose la question des atomisés d Hiroshima. Trois organisations antinucléaires voient alors le jour : la Gensuikyô, soutenue par les communistes, la Gensuikin soutenue par les socialistes et la Kakkinkaigi liée à la droite. Cependant toutes se concentrent sur le nucléaire militaire et négligent le nucléaire civil, quand elle ne l'approuve pas franchement C est le 1 er choc pétrolier de 1973 qui ouvre la voie au nucléaire civil au Japon. Les différents acteurs du nucléaire au Japon utilisent souvent l'argument de la dépendance énergétique pour justifier ce choix. Le taux de dépendance du Japon à l'étranger pour son approvisionnement en énergie primaire avoisine les 80%. Les importations de pétrole représentent

environ la moitié de l'énergie consommée au Japon, ce qui rend le pays très sensible aux fluctuations du cours du pétrole. La production d'électricité d origine nucléaire est assurée par dix entreprises régionales, dont la Compagnie d'électricité de Tokyo (Tepco), qui gère le plus important parc de centrales avec Kashiwazaki- Kariwa et Fukushima. La compagnie a été fortement critiquée pour son arrogance et ses nombreuses et graves négligences dans la gestion de ses centrales. Le cas de Fukushima a eu pour autre dommage de déterrer le passé de l entreprise. Elle aurait dans le passé falsifié pendant des années des rapports d inspection sur la sécurité nucléaire de ses installations, visant à couvrir 200 incidents graves dans ses centrales. En 2007, un tremblement de terre dans la région de Niigata (6,8 sur l échelle de Richter, relativement faible par rapport à la magnitude 9 du séisme de mars 2011) avait déjà gravement endommagé la centrale de Kashiwazaki- Kariwa. Là encore, Tepco avait nié toute fuite radioactive alors même que plus de 1000 litres d'eau radioactive s'étaient déversées dans la mer. L'Agence internationale de http://www.lefigaro.fr/assets/graph/ 1703- japon- macro.jpg Les dirigeants de TEPCO : Tokyo Electric Power & Co l'énergie atomique, si elle félicite le Japon pour sa prise en charge de la catastrophe nucléaire, estime que les autorités n'ont pas pris en compte ses avertissements sur les risques naturels. «Les concepteurs et les opérateurs de centrales nucléaires devraient évaluer correctement les dangers naturels pour protéger les installations, ainsi que mettre à jour périodiquement ces estimations et leurs méthodes d'évaluation», affirme l'aiea. Dès 2008, l'agence avait averti le Japon que les normes antisismiques de ses centrales nucléaires étaient totalement périmées, et que ses réacteurs ne pouvaient pas résister à des séismes d'une magnitude supérieure à 7 sur l'échelle de Richter, selon un câble diplomatique américain révélé par WikiLeaks. L'agence internationale critique également le manque d'indépendance de l'agence de la sûreté nucléaire et industrielle japonaise,

qui est sous la tutelle du ministère de l'industrie (MITI), et donc de l'état. «Le Japon doit faire en sorte que la clarté des rôles soit préservée», insiste le rapport. TEPCO emploie 80% de sous- traitants et d intérimaires. Beaucoup des liquidateurs employés pour le nettoyage de Fukushima sont des travailleurs journaliers, embauchés le matin et débauchés le soir. Ils ont reçu des doses de radiation importantes. Comment vont- ils être suivis et répertoriés? Affaire à suivre L'accident nucléaire majeur de Fukushima pourrait- il toutefois changer la donne? Est- il prudent de confier des instruments aussi dangereux que des centrales nucléaires à des opérateurs privés? Qualifié comme «le pire incident qu'ait connu le Japon», Fukushima est considéré comme «une des plus grandes catastrophes nucléaires au monde après celle de Three Miles Island et Tchernobyl». Le Japon est- il prêt pour autant à sortir du nucléaire? Rien n est moins sûr Conclusion : Le Japon est souvent présenté comme un modèle. On dit qu il préfigure la société postmoderne, la société qui nous attend. Il est aussi considéré comme un modèle aussi chez les jeunes avec la «Japanese pop culture»... Mais le Japon peut aussi devenir un autre modèle en remettant en cause ses modes de production et de consommation énergétique et en choisissant de mettre fin à son programme nucléaire. Notes personnelles prises par F. Dorémus lors du FIG de Saint- Dié 2011