La violence familiale dans la vie des enfants 1

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Chapitre 21 La violence familiale dans la vie des enfants 1 Introduction Mireille Jetté Direction Santé Québec, Institut de la statistique du Québec Camil Bouchard, Marie-Ève Clément Groupe de recherche et d action sur la victimisation des enfants (GRAVE), Université du Québec à Montréal La violence commise à l endroit des enfants constitue une préoccupation sociale majeure au Québec. Le premier objectif de la Politique de la santé et du bien-être du Québec (Gouvernement du Québec, 1992) en témoigne d ailleurs. Cet objectif s énonce comme suit : «D ici à l an 2002, diminuer les cas d abus sexuels, de violence et de négligence à l endroit des enfants, atténuer les conséquences de ces problèmes». L énoncé de la Politique note toutefois le manque de données permettant de décrire adéquatement l ampleur de ce problème dans la population québécoise et de rendre compte des progrès réalisés ou non dans l atteinte de l objectif visé. Au Québec, en 1998, deux enquêtes régionales et une enquête panquébécoise plus importante fournissaient des indications sur l ampleur du phénomène dans la population non signalée pour abus envers les enfants. Une première enquête téléphonique menée en 1989 auprès de 710 familles d une région du nord de l île de Montréal (Bouchard et Dumont, 1989) révélait des taux annuels de 52 de «violence mineure» et de 5 de conduites à caractère sévère. Une autre étude, réalisée par le biais d une entrevue en face-à-face dans un quartier urbain très défavorisé de Montréal (Bouchard et autres, 1996), mettait en évidence les taux suivants : 90 d agression psychologique, 81 de violence physique mineure et 22 de violence sévère. Enfin, une troisième étude plus importante par sa couverture du territoire québécois (Bouchard et Tessier, 1996) avait permis d estimer à 48 la prévalence annuelle de violence psychologique, à 27 celle de violence physique mineure et à 4 celle de violence physique sévère. Comme ces trois études recouraient à des méthodologies et à des instruments de collecte différents mais, d abord et avant tout, parce qu elles ont toutes été réalisées auprès d échantillons non représentatifs et parfois très atypiques, elles n ont pu permettre l inférence des résultats à tous les ménages québécois avec enfant. De ce fait, 1. Ce chapitre est tiré du rapport La violence familiale dans la vie des enfants du Québec, 1999, publié par l Institut de la statistique du Québec (Clément, M.-È., C. Bouchard, M. Jetté et S. Laferrière, 2000).

P O R T R A I T S O C I A L D U Q U É B E C elles se sont avérées insuffisantes pour atteindre les objectifs de la Politique de la santé et du bien-être au regard des abus dont peuvent être victimes certains enfants. Dans les faits, toutefois, ces études ont joué un rôle déterminant dans la réalisation de l enquête dont il sera ici question. En effet, elles ont permis de traduire l échelle de mesure de la résolution de conflit, d éprouver et de valider celle-ci dans le contexte québécois; elles ont également permis de définir des règles qui se devaient d être respectées afin que l étude réalisée en 1998 soit fiable, valide et représentative. Objectif de l enquête La présente enquête de la Direction Santé Québec de l Institut de la statistique du Québec, financée par le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, permet d établir un premier portrait panquébécois des stratégies de résolution de conflit que les adultes vivant en milieu familial utilisent usuellement avec les enfants. Elle s intéresse plus particulièrement aux stratégies faisant appel à la violence. Ainsi, elle permet l établissement des premiers taux annuels de prévalence du recours à des conduites à caractère violent (psychologique et physique) à l endroit des enfants de moins de 18 ans par les adultes vivant dans la famille. Elle permet aussi de déterminer certaines conditions associées à l adoption de ces conduites. Aspects méthodologiques Cette enquête téléphonique assistée par ordinateur a été menée entre le 8 février et le 26 mai 1999 auprès d un échantillon représentatif de 2 469 femmes cohabitant, 50 du temps ou plus, avec au moins un enfant de 0 à 17 ans 2. À titre de répondantes-clés, les femmes faisaient état des conduites disciplinaires exercées par tous les adultes du ménage à l égard d un enfant sélectionné aléatoirement, dans les cas où il y avait plus d un enfant dans le foyer. Le taux de réponse s est établi à 76,7. La qualité des données de l enquête et la validité de l échantillon permettent la généralisation des résultats à tous les enfants du Québec âgés entre 0 à 17 ans. Le questionnaire informatisé inclut quelque 80 questions et la durée moyenne de l entrevue est de 15 minutes. Quatre thèmes principaux sont couverts par l enquête : les attitudes des «mères 3» face à la punition corporelle; la mesure de différentes conduites disciplinaires auxquelles peuvent recourir les adultes en cas de conflit avec un enfant du ménage, par le biais du Parent-Child Conflict Tactics 2. Cette enquête, comme toutes les enquêtes de la Direction Santé Québec à ce jour, exclut les enfants âgés entre 0 et 17 ans vivant en institution. De même, pour des raisons méthodologiques et de comparabilité, elle exclut les enfants habitant plus de 50 avec un père seul. 3. La très grande majorité des femmes qui ont répondu à l enquête étant les mères des enfants sélectionnés, pour la suite du texte nous utiliserons l appellation «mère» même si certaines répondantes étaient en fait la belle-mère, la tutrice ou la nouvelle conjointe du père. 476

Chapitre 21 La violence familiale dans la vie des enfants Scales (PCCTS); les expériences disciplinaires passées des parents et l harmonie conjugale actuelle. S ajoutent les caractéristiques démographiques et socioéconomiques des ménages dans lesquels vivent les enfants. Principaux résultats Les attitudes des «mères» face à la punition corporelle En général, les mères (79 ) trouvent que les parents québécois sont trop mous avec leurs enfants. Bien que près de trois mères sur quatre (73 ) conçoivent que l on puisse arriver à blesser un enfant en le tapant, la moitié des mères (50 ) prétendent que c est malgré tout le devoir des parents de recourir à ce type de punition corporelle. De fait, les deux tiers (66 ) se montrent en désaccord avec une loi interdisant le recours à la punition physique, comme c est le cas en Suède. Elles ne désapprouvent pas l utilisation de la fessée seulement 38 blâment les parents qui ont recours à ce comportement disciplinaire, mais 91 sont d avis que les enfants peuvent être blessés physiquement à la suite des punitions corporelles que les parents peuvent leur infliger. L étude montre que les enfants dont les mères expriment des valeurs plus traditionnelles 4 vivent en plus grand nombre des épisodes de violence chez eux. Modes pacifiques de résolution de conflit Les stratégies pacifiques, comme l explication donnée à l enfant, le retrait de privilèges et la distraction, sont utilisées par la très grande majorité des adultes pour résoudre les conflits parents-enfants. Interrogées sur les stratégies adoptées pour régler un problème avec leur enfant, les mères québécoises disent, en quasitotalité (98 ), que les adultes de la maison ont recours à des modes disciplinaires non violents. Cependant, cela n exclut pas le recours à d autres stratégies, comme en font foi les prochains paragraphes. Modes violents de résolution de conflit Les modes de résolution de conflit peuvent aussi prendre des formes agressives ou violentes. Ainsi, la présence d agression psychologique au moins une fois dans les 12 mois ayant précédé l enquête (par exemple : crier contre l enfant, hurler, jurer [sacrer] à son endroit, le traiter de noms [lui lancer des sobriquets], le menacer) est signalée par près de 80 des mères québécoises (tableau 21.1). Près de la moitié rapportent au moins un épisode de violence physique mineure (48 ) durant la même période (par exemple : pincer l enfant, le taper sur les fesses, le 4. Sont désignées «mères exprimant des valeurs plus traditionnelles» celles qui trouvent les parents trop mous; celles qui sont d accord avec le fait que certains enfants doivent être tapés pour apprendre à bien se conduire; celles qui mentionnent que c est le devoir des parents de taper les enfants ou celles qui se disent en désaccord avec le fait que des enfants qui subissent des punitions physiques ou après qui l on crie de manière répétée puissent être blessés psychologiquement ou physiquement. 477

P O R T R A I T S O C I A L D U Q U É B E C secouer). L enquête permet d estimer qu un enfant sur quinze (7 ) aurait vécu au moins un épisode de violence physique sévère au cours de cette période (par exemple : secouer un enfant de moins de deux ans, taper au visage ou sur la tête, donner des coups de poing et de pied, administrer une raclée, frapper l enfant avec un objet). Tableau 21.1 Prévalence des conduites parentales à caractère violent envers les enfants de 0 à 17 ans, selon la fréquence annuelle (population estimée), Québec, 1999 Au cours des 12 mois ayant précédé l enquête Au moins 1 fois 3 à 5 fois 6 fois ou plus Agression psychologique 78,6 43,7 22,4 (1 264 000) (704 000) (352 000) Violence physique mineure 47,8 16,4 5,9 (768 000) (256 000) (100 000) Violence physique sévère 6,6 1,3 0,6 (105 000) (21 000) (10 000) Source : Institut de la statistique du Québec, Direction Santé Québec. Comme en témoigne le tableau 21.1, il ne s agit pas nécessairement d un mode éducatif habituel adopté par la majorité des adultes de la maisonnée qui rapportent de tels événements. En effet, le taux des enfants pour qui des épisodes d agression psychologique se seraient présentés de trois à cinq reprises durant l année précédant l enquête se situe à 44, contre 16 pour ce qui est des épisodes de violence physique mineure et 1 en ce qui concerne les épisodes de violence physique sévère. Environ 352 000 enfants auraient subi de l agression psychologique six fois ou plus durant l année ayant précédé l enquête, quelque 100 000 enfants auraient vécu de la violence mineure à cette même fréquence et 10 000 enfants auraient été soumis à de la violence physique sévère de façon répétée. Violence des grands-parents et violence de leurs enfants envers leurs petits-enfants Une proportion non négligeable des mères québécoises décrivent leur propre mère (18 ) ou la mère de leur conjoint (12 ) et leur propre père (26 ) ou celui du conjoint (21 ) comme un parent très sévère ou violent à l époque de leur enfance. L étude révèle que les taux de toutes les formes de violence, y compris la violence sévère, sont plus élevés parmi les enfants dont les grands-parents maternels et paternels sont décrits comme violents ou sévères; leurs parents peuvent avoir été directement visés par cette violence ou ils ont pu en être témoins. Par 478

Chapitre 21 La violence familiale dans la vie des enfants exemple, l observation de la figure 21.1 nous apprend que la violence physique sévère vécue par la mère durant son enfance est associée à une présence plus marquée d agression psychologique dans la vie de ses propres enfants. Figure 21.1 Prévalence annuelle des conduites parentales à caractère violent, selon la présence de violence physique sévère vécue par la mère durant son enfance, Québec, 1999 Source : Institut de la statistique du Québec, La violence familiale dans la vie des enfants du Québec, 1999. Ce symbole, soit un trait qui associe deux barres, identifie les différences significatives dans toutes les figures du présent chapitre. De même, la proportion d enfants à propos de qui on rapporte de la violence sévère, au cours des 12 mois ayant précédé l enquête, est 1,8 fois plus élevée lorsque la mère mentionne avoir été témoin de violence familiale durant son enfance (figure 21.2). Figure 21.2 Prévalence annuelle des conduites parentales à caractère violent, selon que la mère a été ou non témoin de violence envers un frère, une soeur ou sa mère durant son enfance, Québec, 1999 Source : Institut de la statistique du Québec, La violence familiale dans la vie des enfants du Québec, 1999. 479

P O R T R A I T S O C I A L D U Q U É B E C Sexe et âge des enfants violentés Les taux de violence sont plus élevés dans le cas des garçons, y compris les formes de violence sévère (figure 21.3). En ce qui a trait à l âge des enfants, mentionnons que la violence physique mineure, à l instar de l agression psychologique, décroît graduellement avec l âge une fois que les enfants ont atteint 7 ans (données non présentées). Figure 21.3 Prévalence annuelle des conduites parentales à caractère violent, selon le sexe de l enfant, Québec, 1999 Source : Institut de la statistique du Québec, La violence familiale dans la vie des enfants du Québec, 1999. Caractéristiques des familles et conduites parentales à caractère violent Taille des familles. La présence de plusieurs enfants dans la famille est associée au taux d agression psychologique; ce taux est moins élevé chez les familles avec un seul enfant. La violence de nature physique, quant à elle, demeure la même peu importe le nombre d enfants du ménage. Qualité des relations de couple. La qualité des relations de couple est étroitement liée aux taux de violence. Les enfants dont les mères affirment vivre une relation conjugale difficile ou violente (6 des couples) sont, en proportion, plus nombreux à vivre de la violence, le taux de violence physique sévère étant près de quatre fois plus élevé là où l on rapporte de l hostilité dans le couple (figure 21.4). 480

Chapitre 21 La violence familiale dans la vie des enfants Figure 21.4 Prévalence annuelle des conduites parentales à caractère violent, selon le niveau d harmonie actuel dans le couple, Québec, 1999 Source : Institut de la statistique du Québec, La violence familiale dans la vie des enfants du Québec, 1999. Au chapitre du type de familles, il est important de souligner que les taux de violence rapportés ne varient ni en fonction de l état matrimonial des mères, ni en fonction de la structure familiale (monoparentale ou biparentale). Perception de la situation socio-économique des ménages La violence physique sévère envers un enfant est rapportée deux fois plus souvent dans les ménages où les répondantes-clés se perçoivent pauvres ou très pauvres, comparativement à celles qui estiment leur ménage à l aise financièrement (12 contre 6 ). Juxtaposition des types de violence Les taux de violence physique mineure et de violence physique sévère sont beaucoup plus bas dans les familles où les adultes ne font pas usage d agression psychologique envers les enfants. Dans ces familles, le taux de violence sévère est pratiquement inexistant et le taux de violence mineure est presque quatre fois inférieur à celui que l on retrouve dans les familles où les enfants subissent de l agression psychologique (figure 21.5). 481

P O R T R A I T S O C I A L D U Q U É B E C Figure 21.5 Prévalence annuelle des conduites parentales à caractère violent de type physique, selon la présence d agression psychologique, Québec, 1999 Source : Institut de la statistique du Québec, La violence familiale dans la vie des enfants du Québec, 1999. À l inverse, le taux d agression psychologique est beaucoup plus élevé envers les enfants subissant également de la violence physique sévère (98 contre 77 ). De plus, on note que les enfants victimes de violence physique sévère sont, en proportion, plus nombreux à subir aussi de la violence mineure (figure 21.6). Figure 21.6 Prévalence annuelle des conduites parentales à caractère violent de type psychologique et physique mineure, selon la présence de violence physique sévère, Québec, 1999 Source : Institut de la statistique du Québec, La violence familiale dans la vie des enfants du Québec, 1999. 482

Chapitre 21 La violence familiale dans la vie des enfants En bref, la probabilité d apparaître dans les statistiques comme enfant agressé augmente notamment avec le fait d appartenir à une famille qui se perçoit pauvre ou à une famille où les parents entretiennent des rapports conflictuels ou hostiles. La violence physique est également plus prévalente à l égard des garçons et dans les familles qui comptent un plus grand nombre d enfants. Cette enquête fait également état d une probabilité plus grande d agression pour les enfants dont les grands-parents auraient usé de violence dans leurs relations avec leurs enfants. Enfin, la juxtaposition des types de violence permet de constater que les enfants qui font l objet d agression psychologique présentent davantage de risque d être exposés à de la violence physique mineure ou sévère. Par ailleurs, ces résultats se présentent sur une toile de fond culturelle complexe où s expriment la sensibilité des mères québécoises quant aux conséquences nocives du recours à la violence physique et psychologique, leur souhait d une plus grande fermeté à l égard des enfants et, simultanément, leur division en ce qui a trait aux normes sociales concernant le recours à la punition physique envers les enfants. En conclusion... certains résultats préoccupants Si les résultats de cette enquête révèlent d entrée de jeu que les stratégies de résolution de conflit non punitives sont connues et utilisées par la presque totalité des parents québécois, un fait demeure : les taux de conduites à caractère violent recensés dans les familles québécoises soulèvent certaines préoccupations, que nous résumons dans les lignes suivantes. Première préoccupation : le respect des droits fondamentaux des enfants Il n y a pas de niveau minimum ou maximum à partir duquel la communauté scientifique se montrerait unanimement inquiète ou rassurée concernant le recours à la punition physique ou à d autres formes de violence «usuelle» par les parents envers leurs enfants. Cela demeure une appréciation qui ne peut être faite que par l ensemble des acteurs sociaux, aussi bien ceux qui se préoccupent du bien-être quotidien des enfants, de leur sécurité, de leur santé et de leur confort que ceux qui analysent aussi la question sous l angle des droits fondamentaux (Bouchard, 1997, 1998). Frapper une autre personne, ou taper dans le cas des enfants, pour arriver à ses fins soulève en effet la question des droits fondamentaux (Bouchard, 1998). Deuxième préoccupation : les possibilités de dérapage dans des environnements hostiles Une forme de violence risque d en entraîner une autre : un enfant soumis à des épisodes de violence physique «mineure» voit les probabilités de subir de la violence sévère augmenter de sept fois. Les probabilités de violence psychologique sont aussi multipliées de presque autant. Cela peut vouloir dire que pour un nombre très important d enfants, les épisodes de violence mineure surviennent dans un environnement hostile et avec une probabilité plus grande de coups durs. 483

P O R T R A I T S O C I A L D U Q U É B E C Troisième préoccupation : la transmission possible de conduites violentes de génération en génération dans un contexte contemporain de précarité économique Les expériences infantiles d humiliation, de fessées et de corrections sévères vécues par les mères et les pères coïncident avec des taux plus élevés de violence psychologique et physique envers leurs enfants. Les taux de violence enregistrés dans la présente enquête traduisent donc plus que des dérapages dans la gestion des conflits entre parents et enfants. Ils pourraient être reliés au passé infantile des parents, ce qui nous ramène à une forme d apprentissage des conduites violentes par expérience directe ou par observation. Cet apprentissage augmenterait les probabilités de recourir à des pratiques violentes. Cela s ajoute à l information selon laquelle la misère économique telle qu elle est perçue par les Québécoises est associée à l emploi de la violence sévère. Nous devons conclure à l existence d un modèle d interactions parents-enfants qui participeraient à un contexte plus large d une dynamique accablante : apprentissage de pratiques parentales violentes par modelage, apprentissage de la justification du recours à la violence, stress contemporain de nature sociale, économique et familiale plus élevé. La société québécoise est désormais en mesure d évaluer régulièrement le niveau de violence envers les enfants. Il faut souhaiter que cette étude soit reconduite sur une base triennale de façon à informer régulièrement la population québécoise de l évolution des normes et des comportements parentaux envers les enfants. Le développement d indicateurs de la sécurité, de la protection et du bien-être des enfants du Québec et le déploiement d efforts pour prévenir la violence envers les enfants sont également nécessaires. Bibliographie BERNARD, C. (1998). Le châtiment corporel comme moyen de corriger les enfants, document interne, Québec, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. BERNARD, C. (1998). Mémoire à la Commission des institutions sur le projet de loi n o 443, Loi modifiant le Code de procédure civile en matière notariale et d autres dispositions législatives, Montréal, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. BERNARD, C. (1997). «Les droits des enfants, entre la protection et l autonomie», Des enfants et des droits, textes présentés par Lucie Lamarche et Pierre Bosset au 4 e Colloque des droits de la personne tenu à Montréal en 1996, Sainte-Foy, Presses de l Université Laval. 484

Chapitre 21 La violence familiale dans la vie des enfants BOUCHARD, C. et R. TESSIER (1996). «Conduites à caractère violent à l endroit des enfants», dans Lavallée, C., M. Clarkson et L. Chenard (éd.), Conduites à caractère violent dans la résolution de conflits entre proches, Monographie n o 2, Enquête sociale et de santé 1992-1993, Santé Québec, Montréal, Ministère de la Santé et des Services sociaux, p. 7-20. BOUCHARD, C., R. TESSIER, A. FRASER et J. LAGANIÈRE (1996). «La violence familiale envers les enfants : validité de mesure et prévalence dans un quartier populaire urbain», dans Tessier, R., G.M. Tarabulsky et L. S. Éthier (éd.) Dimensions de la maltraitance, Sainte-Foy, Presses de l Université du Québec, p. 43-61. BOUCHARD, C. et M. DUMONT (1989). La violence familiale sur le territoire du CLSC de Ste-Thérèse : les enfants d abord!, document inédit, Laboratoire de recherche en écologie humaine et sociale, Université du Québec à Montréal. CLÉMENT, M.-È., C. BOUCHARD, M. JETTÉ et S. LAFERRIÈRE (2000). La violence familiale dans la vie des enfants du Québec, 1999, Québec, Institut de la statistique du Québec. MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX (1992). La Politique de la santé et du bien-être, Québec, Gouvernement du Québec, p. 32. 485