roman bleu DOMINIQUE ET COMPAGNIE Une journée dans la vie de Lorian Loubier Martine Latulippe
roman bleu
Sous la direction de Agnès Huguet
Martine Latulippe Une journée dans la vie de Lorian Loubier Illustrations Bruno St-Aubin
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada Latulippe, Martine, 1971- Une journée dans la vie de Lorian Loubier (Roman bleu; 12) Pour les jeunes de 10 ans et plus. ISBN 2-89512-476-0 I. St-Aubin, Bruno. II. Titre. III. Collection. PS8573.A781J68 2005 jc843'.54 C2005-940288-1 PS9573.A781J68 2005 Les éditions Héritage inc. 2005 Tous droits réservés Dépôts légaux: 3 e trimestre 2005 Bibliothèque nationale du Québec Bibliothèque nationale du Canada Bibliothèque nationale de France ISBN 2-89512-476-0 Imprimé au Canada 10 9 8 7 6 5 4 3 2 1 Direction de la collection et direction artistique: Agnès Huguet Conception graphique: Primeau & Barey Révision-correction: Céline Vangheluwe Dominique et compagnie 300, rue Arran Saint-Lambert (Québec) J4R 1K5 Canada Téléphone: (514) 875-0327 Télécopieur: (450) 672-5448 Courriel: dominiqueetcie@editionsheritage.com Site Internet: www.dominiqueetcompagnie.com Nous remercions le Conseil des Arts du Canada de l aide accordée à notre programme de publication. Nous reconnaissons l aide financière du gouvernement du Canada par l entremise du Programme d aide au développement de l industrie de l édition (PADIÉ) pour nos activités d édition. Nous reconnaissons l aide financière du gouvernement du Québec par l entremise du Programme de crédit d impôt pour l édition de livres SODEC et du Programme d aide aux entreprises du livre et de l édition spécialisée.
À Jacques et Valérie
Chapitre 1 Pas de doute : le sourire de mon père est moqueur. J ai beau faire semblant de ne rien remarquer, depuis plusieurs secondes déjà, je sens son regard amusé posé sur moi. Je pousse un soupir. Je n ai surtout pas envie d une psychanalyse ce matin. Tout mais pas ça Je sifflote d un air distrait. Je prends une bouchée de croissant. Une autre bouchée, comme si j étais terriblement affamé. Je fais mine de lire le dos de la boîte de céréales aussi attentivement que si 7
c était le roman le plus passionnant que j aie jamais lu. Rien à faire. Mon père continue à me fixer de ses yeux brillants. Je ne sais pas ce qui se passe ces temps-ci, mais papa chantonne sans arrêt, il a les yeux qui pétillent et il ne perd jamais son sourire. Quoi que je dise, quoi que je fasse. C est agaçant, à la fin. Quoi? Qu-qu-qu est-ce qu il y a? Un peu nerveux, Lorian? demande papa. Il a ce petit air supérieur qui a le don de me mettre hors de moi. Comme pour me dire : «Ne t en fais pas, fiston, je suis passé par là!» Pour un peu il sortirait une pipe, des pantoufles de laine et de petites lunettes rondes pour faire encore plus père franchement philosophe et compréhensif. Je proteste: 8
Pas-pas-pas du tout. Je-je-je ne suis pas nerveux. Bon. Je ne sais pas pourquoi, papa ne semble pas me croire. Peut-être parce que j ai du mal à contrôler ma voix et qu elle tremble un peu. Peut-être aussi parce que je bégaie, ce que je ne fais jamais d habitude. Pourquoi tu-tu-tu me demandes ça, papa? 9
C est juste une impression, Lorian. À moins que ce soit en raison du fait que, depuis tout à l heure, tu bois mon café au lieu de ton jus d orange. Papa reprend sa tasse, place mon verre de jus devant mon assiette. Il avale tranquillement une gorgée de café, se lève et ajoute d un ton suffisant: Ah oui, c est peut-être aussi parce que tu as mis de la moutarde forte au lieu du beurre sur le croissant que tu es en train de manger. Et il sort de la cuisine. Je déteste quand mon père joue au psychanalyste avec moi. Surtout quand il est à peine 7 h 30 du matin. Surtout quand j ai des tonnes d autres choses en tête. Et surtout quand papa a raison. Oui, bon, je suis peut-être un peu nerveux. Il y a de quoi l être, non? Ce 10
matin, c est ma rentrée au secondaire. Finie l école primaire. Adieu, madame Filion, la directrice. Je n irais pas jusqu à dire que ses retenues vont me manquer, mais j étais habitué à elle, au moins. Et elle à moi. C est ce qui me fait peur : à l école primaire où j allais depuis six ans, tout le monde savait que je m appelle Lorian Loubier, que je suis un peu étrange, que je rêve de devenir superhéros et que j ai beaucoup d imagination. Tout le monde s était fait à l idée. On me taquinait encore un peu, mais pas trop. Tandis que là, on recommence tout à zéro. Chaque nouveau professeur, quand le moment sera venu de prendre les présences dans la classe, va me regarder d un air interrogateur: «Lorian, c est ça? Ce n est pas Laurent? Non? Lorian? C est bien la première 11
fois que j entends ce prénom.» Et quand les rencontres de parents auront lieu, chacun d eux va s étonner de ne pas avoir vu ma mère : «Elle travaille, j imagine? Elle sera à la prochaine rencontre, Laurent euh Lorian?» Je prends mon verre de jus d orange, le regarde bien en face et grommelle: Non, elle ne travaille pas. Ou peutêtre que oui, je n en sais rien. Elle est partie quand j avais trente-sept heures et je ne l ai jamais revue.voilà. Le verre de jus insiste d un ton acide : Mais ton père est remarié, non, Laurent euh Lorian? Tu ne vis pas seul avec lui? Non, il n est pas remarié, et on est très bien ainsi, tous les deux. Entre hommes. 12
Avant que professeur Orange ait le temps d éclater de rire, la voix de mon père interrompt notre dialogue: On part dans cinq minutes, Lorian! Es-tu prêt? J arrive! Je bois d un trait le jus d orange et j engloutis ma dernière bouchée de croissant. Soudain, je me rends compte que oh non! Catastrophe! Il ne manquait plus que ça! La table bouge! Un tremblement de terre le jour de ma rentrée C est clair, ça devait finir par arriver: j ai vu à la télévision les ravages provoqués un peu partout dans le monde par les tremblements de terre. Il fallait bien que nous y passions aussi. La bonne nouvelle, c est que je n aurai peut-être pas à affronter aujourd hui mille nouveaux élèves et une demi-douzaine de professeurs. 13
La mauvaise, c est qu on devra reconstruire toute la maison, que nos objets personnels seront détruits, que Oh, mon Dieu! J espère que papa sait qu il doit se cacher sous un meuble solide! Il faut que je le prévienne avant que tout s écroule! Je me lève d un coup et je remarque que la table a cessé de bouger. Déjà fini? Un petit tremblement, alors.
Un ou deux sur l échelle de Richter, pas plus. Je me rassois. Ça recommence : les ustensiles s agitent doucement sur la table. Je regarde en dessous, juste pour être sûr, et ah bon. Ah oui. D accord. Bien sûr. Peutêtre pas la peine d avertir papa que ce sont mes jambes qui tremblent et font bouger la table. Il a assez de sujets de moquerie pour ce matin. Lorian, tu viens? s impatiente justement mon père. Je dépose mon assiette et mon verre sur le comptoir, puis j attrape mon sac à dos au passage. Tu n oublies pas que je vais passer te chercher à l école à la fin de la journée? crie encore papa. Je pourrais difficilement l oublier : il me l a répété toutes les cinq minutes hier soir. Je me demande ce qu il 15
a derrière la tête Je cours rejoindre mon père à la porte d entrée. Tu y vas comme ça? Je lève les yeux au ciel. Qu est-ce qu il y a encore? Mes cheveux ne sont pas bien? Ou mon t-shirt n est pas propre? Rien de tout ça, Lorian, répond papa du même ton serein et patient que tout à l heure, comme s il était en train de calmer un de ses patients en pleine crise psychotique. C est simplement que tu es en pyjama. Horreur! Je porte en effet mon pyjama bleu et rouge de Spider-Man! Ouf! heureusement que papa est un fin observateur. Je file dans ma chambre pendant que mon père continue: Euh Lorian J enlève mon haut de pyjama en vitesse et le lance sur mon lit. 16
juste pour être sûr Je retire mon pantalon de pyjama et l envoie valser sur la commode. Papa poursuit: je respecte tes idées et ton choix de carrière, mais «Respecte, mon œil», que je me dis en enfilant un t-shirt des X-Men. Papa ne manque pas une occasion d essayer de me proposer un métier plus «normal», selon lui, que superhéros. Je me demande bien pourquoi il me parle de ça ce matin, d ailleurs. mais tu ne vas quand même pas mettre cet affreux collant rouge avec des étoiles pour ta première journée, pas vrai? Un génie! Mon père est un génie! Bien sûr, c est en plein ce qu il me faut pour me calmer! Il y a quelques mois déjà, j ai confectionné ce costume de 17
superhéros. Quand je le porte, je ne suis plus simplement Lorian Loubier, ce garçon gaucher et maladroit, fils unique d une famille monoparentale au père psychanalyste. Je deviens Super-Lorian, fort et invincible, plein de ressources et de confiance en lui! Mon costume de Super-Lorian, c est exactement ce dont j ai besoin pour une rentrée réussie. Surtout que j ai vérifié mon horaire au moins dix fois et je sais que je n ai pas de cours d éducation physique le jour 1, alors personne ne me verra en collant. Je prends mon costume parsemé d étoiles dorées, j enfile le premier pied et lance d un ton joyeux: Bien sûr que non, papa, rassuretoi! Au tour du second pied. J ajuste le collant. Fier de moi, confiant, je mets 18
N importe quoi me semble plus enviable que cette affreuse réalité. Je rêve presque d être de nouveau kidnappé par Barbu-Man. Je n arrive pas à le croire. La ravissante Zoé est ma demi-sœur Zoé et sa mère nous quittent. Je réussis à les saluer de peine et de misère.vivement que la nuit tombe. Que cette journée interminable s achève. J avais raison: ce souper restera gravé longtemps dans ma mémoire... Quand on s appelle Lorian Loubier, qu on rêve de devenir superhéros mais qu on se met toujours les pieds dans les plats, on ne devrait jamais dire que les choses vont mieux et que tout finit par s arranger. Le cœur lourd, je pousse le quatrième plus gros soupir jamais poussé sur la terre. Je bats tous mes records de la journée. 105
Martine Latulippe Martine Latulippe a inventé le personnage de Lorian Loubier parce que, comme lui, elle est aussi distraite que maladroite! Adolescente, elle était tout à fait du genre à se perdre dans une nouvelle école Elle s est même déjà assise dans le mauvais cours, avec le mauvais groupe, pendant plusieurs minutes, sans s en rendre compte! Et récemment, Martine Latulippe était si concentrée sur son menu au restaurant qu elle y a mis le feu accidentellement! Bref, Martine le comprend, ce cher Lorian! Visite notre site Internet pour en savoir plus sur nos auteurs, nos illustrateurs et nos collections: www.dominiqueetcompagnie.com